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dossier - Bonnes pratiques phytos

Témoignages bonnes pratiques le 16 janvier à l'Assemblée

LAURE LEQUÉRÉ* - Phytoma - n°673 - avril 2014 - page 41

Sous le titre « La protection intégrée : notre ambition pour produire autrement », les 16es rencontres Farre ont témoigné de l'évolution des pratiques phytosanitaires.
Couvert mellifère entre deux des vergers d'Étienne Benoît, arboriculteur dans la Meuse (Vergers d'Arifontaine) et participant à ces rencontres Farre. Photo : Farre

Couvert mellifère entre deux des vergers d'Étienne Benoît, arboriculteur dans la Meuse (Vergers d'Arifontaine) et participant à ces rencontres Farre. Photo : Farre

Près de 250 personnes ont participé aux 16es rencontres Farre(1) à l'Assemblée nationale, le 16 janvier 2014, sur le thème « La protection intégrée : notre ambition pour produire autrement ». Les objectifs : construire un dialogue de l'ensemble de la filière pour faire un point d'étape sur les évolutions des pratiques des agriculteurs, identifier les freins à leur adoption, et surtout imaginer les modalités et nouveaux partenariats pour massifier les efforts des pionniers.

Bonnes pratiques, un des piliers de l'agroécologie

Le réseau travaille depuis des années

À retenir tout d'abord : les pratiques des agriculteurs s'améliorent fortement et tous les acteurs (chambres d'agriculture, coopératives, recherche, instituts) sont en ordre de marche pour créer un effet boule de neige et entraîner un maximum d'agriculteurs dans cette spirale vertueuse.

Christophe Grison, président de Farre, a présenté les évolutions des pratiques chez les « pionniers » de Farre, notamment le réseau « Protection intégrée des cultures » mis en valeur dans cette journée, et une vision scientifique et pragmatique de l'agroécologie : « Ce colloque n'est pas de circonstances, nous travaillons depuis plusieurs années pour démontrer qu'il n'y a pas de contradiction entre performances économique et environnementale.

Et, si nous voulons proposer des pistes, nous voulons aussi soulever les freins et impasses auxquels les agriculteurs sont confrontés quand ils cherchent à produire mieux.

Méthodes complémentaires associées : déjà des résultats

Il faut sortir de ce discours manichéen où on oppose le naturel et le chimique, où on oppose les méthodes au lieu de considérer leur complémentarité : l'agronomie en premier lieu, une protection phytosanitaire innovante et mieux adaptée, des techniques de biocontrôle qui se développent et un machinisme en pleine évolution nous aident déjà à réduire l'impact de nos pratiques. » Christophe Grison précise : « En termes d'utilisation de produits phytosanitaires, notre groupe est déjà à -20 % de l'IFT(2) de référence sur cinq ans en blé, et à -25 % en vigne. »

Il ajoute : « Il nous faut construire des engagements réciproques dans la filière car, si nos efforts se situent au niveau des pratiques, le consommateur doit disposer de garanties solides sur le produit. Il faut que la filière s'organise pour valoriser ces pratiques vertueuses et répartir de façon équilibrée la valeur ajoutée. »

Côté grandes cultures

Témoignage dans la Marne

Benoît Collard, cultivateur en Champagne crayeuse, a expliqué qu'il favorise les auxiliaires en leur offrant le gîte : « Je possède une quinzaine de parcelles avec chacune une ou deux bandes enherbées, étant entendu qu'un auxiliaire ne s'éloigne pas de plus de 80 mètres de son habitat. Ces bandes enherbées couvrent deux hectares de mes 150 hectares qui incluent deux hectares de jachère et neuf de bois. »

Mais cela ne suffit pas ! « En même temps, j'ai fait un choix de variétés adaptées à ma région, retenues en fonction de leur productivité et de leur adaptation aux protections mixtes (protection chimique et protection alternative). J'ai recours au désherbage mécanique avec une bineuse autoguidée qui donne de très bons résultats », ajoute-t-il.

Il est aussi très attentif aux conditions météo... « Je m'appuie sur différents outils d'aide à la décision, avec l'idée d'utiliser – voire ne pas utiliser – les bons produits à la bonne dose et au bon moment. Nous prenons des risques calculés, sans recourir au tout chimique comme auparavant. » On voit qu'aucune solution prise seule ne peut régler les problèmes auxquels est confronté l'agriculteur. Résultat ? Un IFT réduit de 40 % par rapport à l'IFT de référence régional (3,93 au lieu de 6,47), pour une marge brute « largement au niveau de la moyenne » et une marge nette améliorée depuis qu'il a adopté la protection intégrée. Mais il précise : « J'ai sacrifié un peu de temps, car le suivi des cultures requiert de nombreuses heures de travail. »

Des exigences et des freins

Les participants sont d'accord : si la protection intégrée peut permettre une meilleure performance économique et environnementale, elle nécessite également plus de temps pour l'observation, qui est une bonne pratique, et donc de main-d'œuvre.

« Par ailleurs, souligne Benoît Collard, le frein principal à la mise en œuvre de la démarche est l'aversion au risque. Rien n'est possible tant que l'agriculteur s'accroche à cette assurance tout risque qu'est le tout chimique. Le problème est qu'il est plus facile de prendre des risques si l'on peut prendre du temps pour observer et moduler le risque. Étant donné que tout le monde ne peut pas se le permettre, le développement de réseaux d'observation apparaît plus que nécessaire. »

L'autre frein est la nécessaire refonte du système de production. En effet, il ne s'agit pas de continuer avec le même système en utilisant moins d'intrants sans rien changer d'autre. Il faut combiner, dans un système repensé, plusieurs méthodes au fur et à mesure qu'elles deviennent disponibles : aménagements dans et autour des parcelles pour favoriser les auxiliaires, méthodes alternatives, OAD(3), génétique...).

Aspect variétal, penser durabilité des résistances

C'est la raison pour laquelle l'agriculture ne doit pas être imperméable au progrès technique, notamment au vu des exemples d'amélioration variétale.

Quant à la durabilité de ces solutions, il faut travailler vers la mise au point de résistances durables d'origine génétique horizontale, c'est-à-dire faisant intervenir beaucoup de gènes, aux effets plus limités mais qui sont plus résilients. Ainsi, les intervenants ont appelé à ne pas se montrer dogmatique face aux moyens d'innover, et ont souhaité une réintroduction du débat sur les OGM(4) de façon scientifique et ciblée, et sans aucune arrière-pensée politique ou idéologique.

Évaluer les pratiques

Enfin, la question de l'évaluation des pratiques a été évoquée, avec la nécessité d'avoir des indicateurs d'impact plutôt que des indicateurs de traitement, car selon les conditions, un même traitement n'aura pas les mêmes impacts.

Dans un objectif de massification, il sera donc indispensable de disposer d'indicateurs de résultats environnementaux et économiques, sans opposer les deux domaines, et d'inciter plutôt que de réprimer.

D'ailleurs, le mouvement est lancé : de la phase des pionniers, on entre maintenant dans une phase de développement où les agriculteurs sont prêts à saisir les opportunités. Vis-à-vis de l'agroécologie, on est passé de la défiance au challenge.

Sur la vigne

Certaines méthodes alternatives bien développées

En viticulture, le déploiement des méthodes alternatives aux insecticides notamment a déjà eu lieu (confusion sexuelle contre les vers de la grappe, auxiliaires parasitoïdes contre le flatide Metcalfa pruinosa).

En revanche, les intervenants ont souligné le manque actuel d'alternatives aux fongicides, qui représentent 80 % des pesticides utilisés en vigne.

Si des mesures prophylactiques, des outils de modélisation des maladies (mildiou et oïdium) et des améliorations de technologie de pulvérisation permettent des réductions significatives des traitements (-30 à -50 % par exemple avec une pulvérisation confinée avec récupération de bouillie et modulation de la dose selon la surface foliaire, -10 à -35 % avec l'utilisation d'adjuvants), l'influence des conditions climatiques reste fondamentale sur la pression de ces maladies car, au-delà d'un certain seuil, la récolte est mise en péril.

Aujourd'hui dans l'Hérault, des solutions pratiques

Charles Duby, viticulteur dans l'Hérault, explique qu'il traite avec « un système de pulvérisation confinée ». Moyennant quoi : « En 2012, le taux de récupération des produits était de 38 %, et de 41 % en 2013. » Ainsi, son IFT annuel est de 7,5 alors qu'il serait de 11 sans ces panneaux (une baisse d'un tiers), et c'est l'un des plus faibles du groupe Ecophyto auquel il adhère.

Pour gérer le sol, les techniques alternatives à l'emploi d'herbicides sont l'enherbement permanent et le travail du sol.

Le premier convient à des vignes plus nordiques mais pas chez lui, sauf dans les parcelles qui « se trouvent près d'un cours d'eau », où il y a un risque de pollution si on y applique des herbicides et où la vigne supporte la concurrence de l'herbe grâce à la présence d'eau.

Quant au travail du sol, Charles Duby met en garde : « Il semble séduisant pour réduire l'utilisation des intrants, mais s'avère très destructeur pour la biodiversité du sol (destruction de la nidification d'insectes). » Il préfère « privilégier le positionnement et la diffusion très localisée » des herbicides : son IFT herbicide est de 0,27 seulement.

Demain, des variétés résistantes

Concernant les maladies, un programme de recherche Inra lancé il y a quinze ans est en passe d'aboutir. En 2016, seront disponibles des variétés de vignes résistantes au mildiou et à l'oïdium, testées sur différents terroirs et conditions climatiques, et qui n'exigeront pas de traitement contre ces maladies. En plus d'une adaptabilité au réchauffement climatique déjà perçu dans les terroirs viticoles, elles présenteront des qualités œnologiques équivalentes aux variétés actuellement utilisées.

Si l'Inao(5) s'est positionné en 2009 en faveur du développement de telles variétés quand les circonstances l'exigent, l'acceptabilité de ces innovations dépendra du consommateur avec un éventuel blocage culturel lié au lien historique et ancré dans la mémoire collective terroir-cépages. Pourtant, le consommateur a un lien particulier avec les vignerons et souhaite entendre des « histoires environnementales ». Divers dispositifs de certification répondent à cette volonté, même si tous ne sont pas connus du grand public ni même très développés. Ainsi le dispositif de certification environnementale de niveau 3 (HVE(6)) reste à perfectionner, pour plus de cohérence et d'adaptabilité selon les terroirs, et n'a encore conquis qu'une cinquantaine de vignerons.

Dans les vergers

Dans la Meuse, l'art de la pomme

En arboriculture fruitière comme au vignoble, la volonté d'améliorer les pratiques est ancienne (premiers cahiers des charges dans les années 1980) et les méthodes de biocontrôle développées : phéromones de confusion sexuelle et utilisation de filets anticarpocapse permettant une nette réduction des insecticides, stimulateurs de défenses naturelles contre des maladies. Les producteurs ont réappris le fonctionnement des écosystèmes et ont très majoritairement supprimé les acaricides.

C'est le cas d'Étienne Benoît, arboriculteur dans la Meuse. Il a également réussi à « supprimer quatre à cinq insecticides contre le carpocapse du pommier », gère d'autres ravageurs par piégeage et a implanté des bandes mellifères.

Mais il n'a pas résolu la question des maladies : « En 2013, nous avons procédé à quinze traitements contre la tavelure, conséquence d'un véritable problème que nous ne savons pas encore résoudre. » À noter cependant : certains étaient à base de laminarine, SDN (stimulateur de défenses naturelles) naturel et de biocontrôle qui permet de baisser la quantité de fongicides chimiques et résidus.

Demain, face aux maladies

Ceci dit, en verger comme en vigne, des progrès sont à réaliser sur les fongicides, avec en particulier la question de la tavelure. En effet, les variétés les plus appréciées des consommateurs sont très sensibles à cette maladie. La prophylaxie est indispensable, notamment la gestion des feuilles tombées pour contrer les contaminations de début de saison, par chaulage, balayage ou broyage comme le pratique Étienne Benoît. Des techniques sont en expérimentation (bâche protectrice antipluie), mais il faut évaluer la balance bénéfices/risques liée à la modification de l'écosystème du verger. Si les consommateurs ont pris conscience de l'impossibilité de conduire un verger sans intervention (produit naturel ou de synthèse), vu la sensibilité des principales variétés aux maladies, les arboriculteurs ont des attentes pour lutter contre les bioagresseurs, notamment sur les SDN.

<p>(1) Farre = Forum des agriculteurs responsables respectueux de l'environnement.</p> <p>(2) IFT = Indice de fréquence de traitements.</p> <p>(3) OAD = Outil d'aide à la décision.</p> <p>(4) OGM = Organisme génétiquement modifié.</p> <p>(5) INAO = Institut national de l'origine et de la qualité.</p> <p>(6) HVE = Haute valeur environnementale.</p>

1 - Autour des pratiques, accompagner la transition au plan économique

Pour Maximilien Rouer, président de BeCitizen et grand témoin de la journée, si « produire autrement » est nécessaire, ce n'est pas suffisant :

« Dans une logique de transition écologique, l'adaptation des pratiques est nécessaire et je fais confiance à l'intelligence individuelle et collective du monde agricole pour y arriver. Mais ce n'est pas suffisant, l'enjeu est économique et tient à la motivation de la filière.

Le mieux-disant sociétal doit être rémunéré pour le supplément de qualité, d'environnement qu'il met dans le produit. Il faut entrer dans une logique de compétitivité hors coût, c'est-à-dire vendre autrement en sortant de sa zone de confort, pour répondre à un marché en mutation. Ce marché, avec internet et les réseaux sociaux, va se segmenter quasiment jusqu'à l'individu. » Comment alors valoriser ces efforts ?

Serge Papin, PDG de Système U, propose de s'extraire d'un rapport de force contreproductif, avec une nouvelle forme de régulation. Par exemple, dans le contrat tripartite, quelles sont les trois parties signataires du contrat ? Conclu sur les pommes, Système U est passé de 16 molécules de résidus à 4 à clarifier, avec dans le même temps des prix garantis pour le producteur, la coopérative, la grande surface et le consommateur.

Pour s'étendre, ce type de dispositif nécessite un changement de la nature des contrats, qui doivent devenir plus collaboratifs. Là encore, si la population agricole est motivée par l'aval, elle saura mobiliser les compétences techniques idoines.

2 - Autour des pratiques, penser la dimension humaine

 Photo : P. Xicluna - MAAF

Photo : P. Xicluna - MAAF

Guy Vasseur, président de l'APCA(1) a, lors de cette journée, évoqué la nécessité de « ne pas oublier l'aspect social dans cette performance économique et environnementale ».

Il a insisté sur les partenariats qui existent et qui fonctionnent pour développer la protection intégrée (les fermes Ecophyto, le Certiphyto, le bulletin de santé du végétal) et a appelé à « aller plus loin dans ces partenariats, notamment avec les coopératives », en soulignant une complémentarité qui doit être valorisée.

Stéphane Le Foll (photo), ministre chargé de l'Agriculture, a tenu à saluer les risques pris par les pionniers de Farre : « On ne peut pas demander à tous les agriculteurs de prendre des risques sans leur apporter des contreparties financières ou les accompagner. »

En soulignant sa volonté de pouvoir organiser la diffusion des acquis des différents réseaux, il a proposé à Farre une rencontre pour « bâtir ensemble une charte et des objectifs autour d'un engagement commun ».

(1) APCA = Assemblée permanente des chambres d'agriculture.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - Les 16es rencontres de Farre ont été consacrées à la protection intégrée des cultures, laquelle met en œuvre un ensemble de pratiques complémentaires.

TÉMOIGNAGES - Parmi les intervenants, trois agriculteurs ont témoigné de leurs bonnes pratiques et de la réduction des IFT qu'elles induisent.

Benoît Collard (Marne) baisse son IFT en grandes cultures grâce à des OAD et au désherbage mécanique localisé ; il a implanté des bandes enherbées. Charles Duby, viticulteur dans l'Hérault, diminue les doses de fongicides et insecticides grâce à la pulvérisation confinée et localise ses herbicides, d'où faible dose totale apportée. Étienne Benoît, arboriculteur dans la Meuse, a diminué son IFT grâce à la prophylaxie, l'utilisation de SDN de biocontrôle, le piégeage...

MOTS-CLÉS - Bonnes pratiques phytosanitaires, Farre (Forum des agriculteurs responsables respectueux de l'environnement), protection intégrée, grandes cultures, vigne, vergers, IFT (indice de fréquence de traitement).

POUR EN SAVOIR PLUS

AUTEUR : *L. LE QUÉRÉ, Association nationale Farre, 19, rue Jacques Bingen 75017 Paris.

CONTACT : llequere@farre.org

LIENS UTILES : www.farre.org YouTube - Asso Farre.

BIBLIOGRAPHIE : - Urvoy C., 2013. Nathalie et Étienne Benoît, des vergers sous haute surveillance. Phytoma n° 662, mars 2013, p. 52-53.

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