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Aide à la décision

TipTop, modélisation climatique du piétin-verse, pour une gestion agroécologique du blé

JACQUES ROUZET*, CAROLINE DIZIEN**, MARC DÉLOS*** ET JEAN-MARIE LARCHER** ** - Phytoma - n°675 - juin 2014 - page 39

Cette innovation évalue les risques de piétin-verse en fonction des données climatiques, avec des améliorations par rapport aux anciens modèles.

Les dégats provoqués par le piétin-verse du blé sont fonction de deux grands types de facteurs, le climat et les conditions de culture, éléments à prendre en compte dès la levée de la céréale. Les décisions de traitement doivent être prises très tôt, bien avant que la verse ou l'échaudage ne provoquent des pertes de rendement. Le nouvel outil TipTop a pour ambition de proposer une démarche plus cohérente avec les objectifs définis par le plan Ecophyto.

Contexte historique

Une maladie à géométrie variable

Entre 1970 (début de la protection fongicide du blé) et 1980, le premier traitement était décidé en fonction des maladies du pied. Puis, au fil du temps, l'importance du piétin se relativise. Au milieu des années 1980, le piétin a fortement régressé dans les principales régions céréalières (ex. : Bassin parisien Figure 1). Des variétés au chaume plus robuste limitent la verse et la nuisibilité de la maladie. Les premières résistances apparaissant, les stratégies sont révisées avec l'utilisation du prochloraze puis d'autres matières actives.

Un modèle de prévision du risque piétin est proposé par les SRPV (modèle Top, Délos et al., 1994 ; Délos, 1995).

De la fin des années 1990 jusqu'au début des années 2000, on note une poussée du piétin avec le retour des souches dites rapides plus nuisibles et, plusieurs années consécutives, une nuisibilité à nouveau bien marquée (Figure 1).

Depuis trois à quatre ans, la nuisibilité moyenne ne dépasse pas 5 qx/ha. Les rotations limitent la pression du champignon, les blés sont plus tolérants... Mais on ne peut exclure un retour de nuisibilité suite à une série d'années favorables et à une moindre pression sur l'inoculum. Un à deux hivers et printemps propices, alliés à des pratiques plus favorables, peuvent inverser la tendance.

Les objectifs d'une modélisation tactique

Dans ce contexte, l'objectif premier d'un modèle est celui d'indicateur d'alerte pour avertir les techniciens sur la tendance annuelle, à l'instar du modèle Yello sur la rouille jaune.

Autre objectif, plus ambitieux : avoir un outil assez précis pour combiner évaluation climatique et agronomique du risque, notamment l'effet des rotations et du travail du sol ; c'était l'objectif de départ du modèle Top. Pour combiner modèle climatique et module agronomique, il faut un risque climatique suffisamment bien décrit, notamment la prise en compte de l'effet date de semis. D'autre part, pour combiner l'outil à des analyses PCR (cas de l'OAD piétin élaboré par la coopérative Axereal), il faut qu'il décrive le mieux possible l'épidémie entre la date de l'analyse et celle du traitement.

Un troisième objectif est envisageable : donner une image de l'épidémie la plus pédagogique possible, et pour cela déceler des scénarios climatiques types pouvant expliquer et dissocier les années à faible, fort ou très fort développement de piétin.

Travaux étoffés mais souvent anciens

Mary D. Glynne effectue les premiers travaux sur le piétinverse des années 1940 à 1960 : effet des rotations, du climat, du tallage, de la fumure, etc.

Dans les années 1950-1960, Jacques Ponchet, chercheur à l'Inra, décrit le premier modèle piétin-verse basé sur des sommes de température et en tire des recommandations.

En 1988, Wallwork observe pour la première fois des apothécies. Il décrit et nomme la forme sexuée Tapesia yallundae. Cette forme parfaite est ensuite observée en France sur chaumes de blé (Cavelier, 1994). Elle apparaît sur pieds de blé laissés en place, donc uniquement en l'absence de déchaumage.

De nombreux travaux sur la relation entre climat et développement du piétin permettent de dégager deux schémas :

1/ Les facteurs limitant de l'épidémie sont les températures de novembre, puis la pluviométrie printanière.

2/ L'épidémie est liée au nombre de contaminations entre semis et début montaison. Les conditions climatiques du début montaison vont aggraver ou limiter les dégâts.

Les pertes de rendement dépendront des conditions climatiques lors du remplissage du grain. Des conditions chaudes et sèches peuvent les aggraver en augmentant l'effet de l'obstruction des vaisseaux liée au champignon.

Histoire des modèles de prévision

Modèles allemands et Rapilly

Les Allemands Fehrman et Schrödter proposent un modèle de prévision dans les années 1980. Il définit les conditions de contamination et les facteurs agronomiques favorisants. C'est le premier modèle construit autour de la description d'un risque agronomique et la mesure d'un risque climatique.

Le modèle Rapilly complète et quantifie le travail de Ponchet. Il décrit la gravité des contaminations puis la progression de la maladie au travers des gaines et de la tige. C'est le premier à donner une structure de calcul cohérente, définir des compartiments distincts (contamination, incubation), bien cibler son objectif (gestion de la maladie au plan climatique) et utiliser des cartographies pour définir des zonages.

Modèle Top et ses avancées

Le modèle Top est conçu par Marc Délos au début des années 1990 afin d'évaluer le risque au niveau de la petite région et de la parcelle. Il offre une description agronomique et climatique de l'épidémie, en se basant, de manière innovante, sur un schéma polycyclique. Avec l'avancée des dates de semis, le piétin peut passer en 2e cycle avant la montaison, ce qui accroît le risque (inoculum multiplié). En revanche, les semis plus clairs et le tallage précoce séparent les gaines contaminées en automne des maîtres-brins et premiers talles qui porteront les épis. La culture a changé, la maladie s'est adaptée.

Un module agronomique, intégré au départ, n'a pas été reconduit pour laisser de la latitude au niveau régional. Des modules sur l'effet des fongicides ont été testés mais non développés du fait de la résistance au prochloraze (Rouzet et al., 2005).

Aujourd'hui, le bilan est favorable : l'outil a permis de décrire et gérer correctement les situations réelles. Il est utilisé pour le BSV (Bulletin de santé du végétal).

Vers le module climatique de TipTop

Analyse des historiques

Le piétin-verse étant bien documenté, nous avons identifié les descripteurs les plus pertinents et les plus robustes puis les avons assemblés pour décrire les aspects climatiques d'une épidémie. Les observations nous ont permis d'évaluer la pertinence des choix épidémiologiques effectués. Le travail a consisté à classer les années avec un maximum de robustesse.

Nous avons utilisé différents types d'information :

1/ Notations de J.-M. Boret de la coopérative de Soissons, 600 parcelles par an de 1975 à 1989,

2/ Descriptions générales à partir des rapports des experts du SRPV, Bruno de La Rocque, Francis Murer et Marc Délos,

3/ Réseaux d'observation (Le Hénaff, rapporteur piétin des SRPV) dont trois séries en Lorraine, Bourgogne, Champagne,

4/ Informations publiées (Perspectives agricoles et Phytoma),

5/ Série Axereal calculée à partir d'un calibrage des 400 à 600 analyses PCR réalisées chaque année dans le Berry.

Toutes ces informations ont été calibrées et normalisées afin d'en faire un ensemble homogène (Figure 1).

Les années à forte et celles à faible incidence sont bien classées. C'est sur les années intermédiaires que nous avons le plus de divergences et les plus forts coefficients de variation.

Recherche de descripteurs

Nous avons utilisé plusieurs méthodologies et historiques pour travailler cet aspect. Nous avons ensuite recoupé l'ensemble des résultats pour fiabiliser au mieux l'information ainsi générée et les choix ultérieurs qui en ont découlé.

Nous avons d'abord réalisé une analyse par opposition comparant des critères climatiques entre deux séries de données : années à faibles et forts dégâts. Un indice de discrimination facilite la comparaison : ID = 100*((Critère_SérieGrave – Critère_SérieFaible)/Critère_SérieGrave). Plus il est élevé, meilleure est la dissociation. Cela permet de balayer à moindre coût un large éventail de possibilités. Les critères testés sont :

– Température moyenne (Tmoy) ;

– Pluie journalière (Pl) ;

– Humectation calculée (Hum) ;

– Température minimum (Tn ; n = « nuit ») ;

– Facteurs combinés (ex. : Hum > 100, Tmoy 4-12).

Les calculs sont réalisés sur trois postes météo représentatifs du grand Bassin parisien (Figure 2). Le nombre de jours de pluie supérieure à 0,5 ou 3 mm, ainsi que la combinaison Hum > 10 %/Tmoy de 4 à 12 °C, permettent d'atteindre un niveau de discrimination d'environ 40 %. Le haut niveau d'humectation (Hum > 100) associé au critère Tmoy puis corrigé par Tn augmente le pouvoir de discrimination qui atteint en moyenne 75 % et dépasse 80 % sur certains postes.

Dans un deuxième temps, nous avons effectué des calculs sur des critères plus élaborés. Quel que soit le calcul, les résultats sont sensiblement équivalents. Le critère qui dissocie le mieux les années à forte ou faible gravité peut être assimilé à un nombre de contaminations cumulées.

Corrélation entre climat et dégâts

Nous avons ensuite relié les historiques aux critères climatiques. L'objectif n'était pas d'obtenir des relations de type statistique mais de chercher les facteurs les plus pertinents et définir le meilleur schéma épidémique. Les historiques utilisés sont de trois types : dires d'expert, notations au champ (fréquences de tiges touchées, sections nécrosées) et analyses PCR (Axereal). Les deux premiers types évaluent les dégâts au stade grain pâteux, le dernier le risque au stade épi 1 cm à 1er nœud. On lit Figure 3 les corrélations obtenues sur l'historique Axereal entre diverses variables (ou combinaisons de variables) climatiques et la gravité (taux d'antigènes en PCR).

Analyse des modèles historiques

Puis nous avons analysé les structures, paramètres et composantes des modèles anciens (Rapilly, Délos et Fehrman), en avons tiré des processus et équations et les avons testés dans le cadre des historiques.

Il en ressort que la description de la sporulation sur chaumes des anciens modèles pose problème. Selon les suivis de sporulation (H. de Merleire, comm. pers.), un chaume ne sporule jamais avant début novembre en Champagne. Les meilleures corrélations sont pour les calculs débutant du 1er au 10 novembre. Nous avons testé par ailleurs un modèle plante (ARC Wheat) décrivant le tallage, l'initiation et la régression des talles.

Description du modèle TipTop

La modélisation climatique

Ces travaux ont permis de proposer une nouvelle structure de calcul : un modèle descriptif à compartiment (pas stochastique ni statistique). Le climat et les résidus de culture, au rôle bien établi, en sont les pivots. Il y a quatre parties (Figure 4) :

– Module Météo : pluviométrie, températures mini et maxi (données journalières) ; il permet de reconstruire les températures horaires et l'humectation (chaumes et talles).

– Module Plante : il simule le développement de la plante (évolution des stades, tallage).

– Module Maladie : il décrit la sporulation des chaumes, se poursuit par le compartiment contamination, puis calcule les dates de sortie des taches, de pénétration des gaines puis de la tige, puis la 2e génération.

– Sorties : informations réarrangées pour proposer des indices de risque utilisables.

Performances de l'outil

Les études réalisées sur les séries historiques déjà citées nous ont permis d'analyser les épidémies, mais le modèle, dans son écriture, ne dépend pas directement des données observées : il a été construit à partir d'informations indépendantes, notamment dires d'experts et modèles historiques. Il est donc légitime de comparer simulations et observations. On voit Figure 5 que les années sont correctement classées, celles à très gros dégâts se détachant fortement.

La Figure 6 montre l'évolution dans le temps des corrélations entre observations et simulations. On voit que les années sont bien typées dès début mars : coefficients compris entre 0,8 et 0,9. Lors des traitements (15 mars/30 avril), l'outil devrait apporter aux prescripteurs des informations utiles.

Enfin, nous avons voulu savoir s'il simule bien l'effet date de semis, c'est-à-dire les différences entre parcelles à semis précoce ou tardif. La Figure 7 présente les résultats de simulations effectuées sur diverses dates de semis et postes météo. Les résultats sont cohérents et en phase avec ce que l'on observe au champ. Il semble toutefois qu'on ait une sous-estimation des semis très précoces (levée vers le 20 septembre).

La modélisation agronomique

Le modèle climatique doit être couplé à une évaluation agronomique du risque. Pour cela, il y a plusieurs possibilités.

D'abord, il y en a deux à partir de l'OAD d'Axereal. La première consiste à réaliser une analyse PCR dans la parcelle. Son résultat et les informations issues du modèle permettent de définir précisément le risque de l'unité parcellaire.

La seconde consiste à utiliser ces analyses dans un réseau. Un traitement statistique définit un risque sur un type de parcelles (ex. : blé de colza/semis début octobre). Puis on couple le résultat avec le modèle climatique pour définir la conduite à tenir sur ce type de parcelle. On peut décliner une version analogue à partir d'un réseau d'observation ou d'une grille de risque agronomique (voir Arvalis) ou envisager une solution mixte. Nous avons aussi travaillé sur le principe de modélisation de l'inoculum primaire en fonction d'une description agronomique de la rotation et des types de sol, complétée par des observations des niveaux de maladie et de la dégradation des pailles. Cette voie, déjà étudiée au début du modèle Top, est prometteuse. Il faut y intégrer des variables la rendant plus précise.

Conclusion

TipTop est un nouvel outil basé sur le climat. Ce modèle descriptif à compartiments permet de bien typer les années donc de gérer le risque piétin-verse. Actuellement, il s'agit d'une modélisation climatique du risque. Nous espérons y associer un module de gestion du risque agronomique.

La question de la sensibilité variétale suppose de vérifier la stabilité de la tolérance au piétin dans le temps, et de différencier tolérance à la maladie et tolérance aux dégâts (pertes moindres à dégâts équivalents). Les premiers tests montrent la très bonne tenue de l'outil, qui, sur l'historique de 35 ans, dissocie bien les années à risques fort, moyen ou faible. On a d'excellents coefficients de corrélation entre simulations en période de traitements fongicides (mi-mars/fin avril) et observations à la récolte. L'effet date de semis semble très bien pris en compte. Prochaines étapes : validation sur davantage d'années et de situations, puis passage en routine.

Fig. 1 : Piétin-verse, gravité variable

Caractérisation, de 1975 à 2011, de la gravité des attaques de piétin-verse sur le Bassin parisien (échelle de 0 à 10). Points rouges = moyenne. Barres grises = écart type. Historique réalisé à partir de dires d'expert, réseaux d'observation et réseaux d'essai. Données normalisées et calibrées.

Fig. 2 : Comparaison des années à dégâts forts et faibles par la méthode d'opposition

Recherche des critères climatiques au meilleur pouvoir de discrimination. Plus le chiffre est élevé, meilleure est la dissociation entre années à forts et faibles dégâts.

Critères utilisés : temp. moyenne (Tm) comprise entre 4 et 12 °C, pluie journalière supérieure à différents seuils (Pl), humectation (Hum) supérieure à différents seuils. Tn : temp. minimum.

Fig. 3 : Quelles variables climatiques sont les plus liées à la gravité de la maladie ? Réponse dans le Berry

Corrélation entre variables climatiques et gravité des épidémies de l'historique Axéréal. (STM : Somme de T° moyennes, P : pluie, Tn : T° minimum, 1er oct... 20 nov : date de début du calcul).

Fig. 4 : Organigramme du modèle TipTop

Flèches de liaison bleues : module Météo. Vertes : module Plante. Orangées : module Maladie. L'indice de risque pertes de récolte n'est pas encore implémenté.

Fig. 5 : Concordance simulations du modèle/observations réelles, par année

Comparaison observations/simulations TipTop par année sur l'historique 1994-2011. Indice de risque talles. Poste d'Orléans, levée du 10 octobre.

Fig. 6 : Concordance simulation/observation au long d'une saison, moyenne de huit années

Fig. 7 : Une levée précoce augmente le risque

Influence de différentes dates de levée sur l'indice de risque talles relevé au 15 mars. Simulation sur 4 postes météo.

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RÉSUMÉ

CONTEXTE - Le piétin-verse du blé est une maladie à gravité très variable selon les années et les sites. Divers OAD avaient été élaborés pour aider les agriculteurs à décider à bon escient de traiter ou non (si les traitements doivent être effectués, c'est bien avant tout symptôme de verse).

ÉTUDE - On a étudié la gravité de la maladie en fonction de différents facteurs, et fait une analyse des modèles de prévision élaborés au cours du XXe siècle (notamment le modèle Top du SPV).

RÉSULTATS - Il en est ressorti l'importance de certains facteurs climatiques (températures, pluies, hygrométrie) à certaines périodes (novembre, notamment). De même, l'influence des dates de levées (liées à celles des semis) a été mise en évidence. Enfin, les points forts et faibles des modèles existants ont été repérés.

PROPOSITION - Un nouveau modèle, nommé TipTop, a pu être élaboré. Ce modèle descriptif à compartiment est basé sur les données climatiques. Sa robustesse, testée sur les données passées, semble bonne. Il va être proposé à la validation et, simultanément, un volet agronomique va lui être associé.

MOTS-CLÉS - Blé, piétin-verse, OAD (outil d'aide à la décision), modèle de prévision, variables climatiques, date de semis, modèle TipTop.

POUR EN SAVOIR PLUS

AUTEURS : *J. ROUZET, consultant **C. DIZIEN, InVivo AgroSolutions. ***M. DÉLOS, DGAL, MAAF. **J.-M. LARCHER, Coop Axereal.

CONTACTS : cdizien@invivo-group.com, jacques.rouzet@laposte.net

LIEN UTILE : www.societe.com/societe/jacques-rouzet-525185534.html

BIBLIOGRAPHIE : - La bibliographie de cet article (16 références) est disponible auprès de ses auteurs (voir « contacts » ci-dessus).

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