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Surveillance

Mortalités aiguës d'abeilles bilan officiel 2013 en France

FAYÇAL MEZIANI* - Phytoma - n°676 - août 2014 - page 15

Voici le bilan du dispositif officiel de surveillance passive des mortalités aiguës importantes d'abeilles, pour lesquelles une intoxication par un produit phytopharmaceutique est suspectée.
Devant une mortalité aiguë importante (par exemple, des abeilles gisant au sol devant leur ruche, « tapis d'abeilles », comme sur la photo ci-dessus), on peut la signaler à sa DD(CS)PP. Les autorités font alors une recherche de causes, y compris le dépistage de pesticides (phytopharmaceutiques et autres) si leur action est suspectée. Photos : DGAL du MAA F, prises lors d'enquêtes officielles

Devant une mortalité aiguë importante (par exemple, des abeilles gisant au sol devant leur ruche, « tapis d'abeilles », comme sur la photo ci-dessus), on peut la signaler à sa DD(CS)PP. Les autorités font alors une recherche de causes, y compris le dépistage de pesticides (phytopharmaceutiques et autres) si leur action est suspectée. Photos : DGAL du MAA F, prises lors d'enquêtes officielles

La surveillance dite « passive » ou événementielle des mortalités aiguës d'abeilles est une activité annuelle bien réelle. Pourquoi la qualifier de passive, alors ? Et surtout, quel est son bilan ? Voici celui de 2013.

Il permet d'en savoir plus sur les causes de ces phénomènes, notamment les maladies et les intoxications par des produits phytopharmaceutiques mais aussi biocides et/ou vétérinaires.

Présentation du dispositif

Origine, acteurs, organisation

Le dispositif officiel de suivi des troubles des abeilles a été instauré dans les années 1980. Il a fait l'objet, depuis cette date, de plusieurs adaptations. Son but est la surveillance et la gestion des mortalités massives d'abeilles susceptibles d'être en lien avec d'éventuelles intoxications aux produits phytopharmaceutiques.

Son fonctionnement se fait via un réseau d'acteurs :

– les apiculteurs ;

– la DD(CS)PP, c'est-à-dire DDPP (Direction départementale de la protection des populations) ou DDCSPP (Direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations) selon le département ;

– les SRAL (services régionaux de l'alimentation) ;

– les laboratoires.

La dernière mise à jour de la note de service dédiée (note de service DGAL/SDSPA/SDQPV/N2012-8113) a été réalisée le 6 juin 2012. La note est actuellement en cours de révision car cette surveillance a vocation à se pérenniser et à évoluer.

Mode de fonctionnement

Le fonctionnement de ce dispositif est dit de « surveillance passive » car il repose non pas sur des inspections programmées par des agents de l'État mais sur le signalement des troubles par les apiculteurs eux-mêmes auprès des DD(CS)PP. Ces dernières recensent l'ensemble des cas qui leur sont signalés et font le tri dans les déclarations.

Leur action directe se concentre sur la détection des quatre maladies classées danger sanitaire de première catégorie : la nosémose, la loque américaine (due à Paenibacillus larvae), l'infection à Aethina (A. tumida ou petit coléoptère des ruches, déjà présent en Afrique du Nord) et l'infection à Tropilaelaps (l'acarien T. clareae, présent en Asie et Afrique). Mais les autres causes potentielles ne sont pas oubliées ! En cas de suspicion de syndrome des « mortalités importantes de printemps, d'été et d'automne » les enquêtes sont menées conjointement par les services régionaux de l'alimentation (SRAL) et les services départementaux DD(CS)PP.

Cette méthode représente la meilleure possibilité d'enquêter de façon concluante sur des pratiques agricoles d'utilisation des produits phytos (= phytopharmaceutiques = pour la protection des plantes) aboutissant à des intoxications aiguës.

Bilan 2013 de la surveillance des mortalités aiguës

Quatre-vingt-dix-huit alertes lancées

En 2013, le réseau de surveillance événementielle a permis de recenser 98 alertes provenant de 35 départements. Ce bilan est comparable à celui de à 2012 où 105 déclarations de mortalité avaient été enregistrées dans 36 départements. Néanmoins, il semble exister une tendance à la baisse du nombre de déclarations de mortalités brutales. En effet, en 2010 le réseau en avait enregistré 145. Cette baisse pourrait être liée en partie à une démotivation des apiculteurs, à l'origine d'une très large majorité des alertes de 2012 et 2013.

Les investigations menées en 2013 sur les 98 alertes ont, comme prévu par le dispositif, permis de faire un tri entre les mortalités exigeant la mobilisation de l'ensemble des acteurs du réseau (SRAL, DD(CS)PP) et celles relevant d'un traitement local par les DD(CS)PP lorsque le lien avec des éventuelles intoxications n'est pas suspecté.

Les services régionaux de l'alimentation et les services des directions départementales interministérielles sont intervenus dans 56 dossiers. Pour 25 d'entre eux, des enquêtes phytosanitaires (= recherchant le rôle éventuel de produits phytos) ont été déclenchées. Les conclusions des enquêtes menées ont mis en évidence des résultats positifs en recherches toxicologiques dans 23 cas soit dans 23 % des déclarations. Vingt-quatre molécules chimiques différentes ont été trouvées (23 insecticides ou acaricides et un désherbant).

Cinq cas en lien avec des substances phytopharmaceutiques

Dans cinq dossiers, quatre substances chimiques ont été identifiées comme potentiellement à l'origine des intoxications. Cela représente 5 % de l'ensemble des alertes déclarées.

La première substance est le fipronil, trouvé avec ses métabolites sur les abeilles et dans des végétaux dans deux cas sur lesquels une enquête judiciaire a été lancée ; lors de l'écriture de ces lignes (août 2014) les investigations sont en cours afin de déterminer avec précision l'implication d'éventuelles mauvaises pratiques agricoles, notamment d'usage du fipronil.

Rappel : le fipronil a été une substance phyto mais n'est plus, actuellement, autorisé dans des produits phytos en France depuis plusieurs années. En revanche, il est autorisé dans des produits vétérinaires – mais pas pour l'apiculture – et biocides. Il s'agit d'antiparasitaires pour chiens et chats, d'anticafards et/ou antifourmis (y compris agricoles : gel insecticide pour locaux de stockage) : leur utilisation normale et conforme à la réglementation ne devrait pas exposer les abeilles.

Les trois autres cas sont liés à des substances autorisées en France à la fois dans des produits phytos et des produits vétérinaires. Ceci complique dans certains cas la recherche des causes des mortalités d'abeilles.

Il y a d'abord le tau-fluvalinate. Outre ses usages phytos, il est autorisé en apiculture contre le varroa (qui est un acarien ; le tau-fluvalinate est un insecticide/acaricide).

Ensuite, il y a la cyperméthrine. Cet insecticide a à la fois des usages phytos et des usages vétérinaires. Mais ces derniers ne concernent pas l'apiculture. C'est un antiparasitaire externe pour bovins – or la mortalité signalée et qui s'est révélée en lien avec cette substance n'a pas eu lieu dans une zone d'élevage. On trouve enfin la cyfluthrine, qui a elle aussi, à côté de ses usages phytos, des usages vétérinaires. Là encore, ces usages concernent le bétail (antimouches) et pas l'apiculture.

Dix-huit cas douteux

Pour les dix-huit autres dossiers, la présence de substances chimiques a été notée mais on n'a pu établir de façon formelle un lien potentiel direct avec les mortalités d'abeilles pour trois raisons principales :

– Dans certains cas, la présence de substances est concomitante avec la confirmation de pathologie, notamment la présence de CBPV (virus de la paralysie chronique de l'abeille ou « maladie noire »).

– Dans les dix-huit cas, les niveaux de résidus des matières actives quantifiées sont trop faibles pour conclure à une intoxication directe des abeilles. De plus, aucune mauvaise pratique agricole n'a pu être démontrée.

– Enfin, il y a impossibilité d'établir une relation de cause à effet directe en l'état actuel des connaissances entre les applications de produits phytos dans l'environnement du rucher et le phénomène de mortalité d'abeilles observé. Les déclarations tardives ont été un frein pour une investigation pertinente.

Soixante-cinq cas liés à d'autres causes

Enfin, pour les autres alertes, les investigations menées font un constat (commun à 2012 et 2013 du reste), relatant essentiellement :

– soit de mauvaises pratiques apicoles. Par ex. : produit de nourrissage de mauvaise qualité et/ou en quantité inappropriée, traitements antivarroa non conformes, couvain refroidi, famine et dépopulation en sortie d'hiver... ;

– soit la présence d'agents pathogènes expliquant un taux de mortalité élevé au sein des colonies visitées.

Parmi les maladies confirmées, on retrouve la paralysie chronique de l'abeille (maladie due au virus CBPV), de fortes infestations par le varroa avec la présence simultanée du virus de la paralysie chronique (CBPV), un cas de loque américaine et un de nosémose (Nosema ceranae).

Perspectives d'évolution du dispositif

En 2013, des difficultés dans l'application de la note de service organisant le dispositif ont été rapportées par les agents en charge de son application ainsi que par les organisations professionnelles apicoles. Ces remarques ont été autant que possible intégrées dans un travail de révision de cette note qui a été engagé début 2014 et se poursuit actuellement.

Par exemple :

– l'enquête englobait les pathogènes (varroa, virus, Nosema sp.) et les substances phytopharmaceutiques, mais pas les produits vétérinaires utilisés en élevage ; or ces derniers ont été pointés du doigt par des apiculteurs des Pyrénées lors de mortalités massives, notamment en hiver ; la liste pourra désormais être élargie pour englober ces substances ;

– elle ne prenait en compte que les mortalités printemps/été/automne ; de ce fait, des épisodes de mortalités hivernales anormales n'ont pu être traités.

L'objectif est de prendre en compte dans les évolutions du dispositif la surveillance des mortalités en période hivernale. Par ailleurs, des signalements de mortalités émanant de lanceurs d'alertes autres qu'apiculteurs (vétérinaires, associations apicoles, laboratoires) pourront également être enregistrés.

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RÉSUMÉ

CONTEXTE - Le dispositif officiel dit « de surveillance passive » des mortalités aiguës des abeilles permet d'analyser les mortalités signalées aux autorités, avec une recherche de leur(s) cause(s). Le bilan de 2013 est disponible.

BILAN - Quatre-vingt-dix-huit alertes ont été lancées. Dans 65 cas, des causes sanitaires (maladies) ou liées à des pratiques apicoles ont expliqué les mortalités constatées. Pour 23 cas, on a recherché la présence de substances phytos (= phytopharmaceutiques). Dix-huit de ces cas restent douteux (taux faible des substances phytos, dans certains cas présence simultanée de pathogènes...), en lien avec des signalements tardifs. Dans cinq cas, une substance peut expliquer la mortalité. Quatre substances sont concernées, dont l'une n'est plus autorisée pour des usages phytos (mais l'est comme biocide et vétérinaire), et trois sont autorisées à la fois pour des usages phytos et vétérinaires.

PERSPECTIVES - Le dispositif va évoluer, pour prendre en compte les mortalités hivernales anormales ainsi que les substances biocides et/ou vétérinaires.

MOTS-CLÉS - abeilles, mortalités aiguës, surveillance, produits phytos/phytopharmaceutiques, produits vétérinaires, produits biocides, maladies, varroa, virus.

POUR EN SAVOIR PLUS

AUTEUR : *F. MEZIANI, référent national « A piculture, pathologies des abeilles » de la DGAL du MAA F, ministère chargé de l'Agriculture.

CONTACT : faycal.meziani@agriculture.gouv.fr

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