Symptôme de fusariose dû à Fusarium roseum sur blé dur. Les champignons du genre Fusarium produisent des mycotoxines dont des trichothécènes. La plus connue, le DON , produite par plusieurs moisissures du genre Fusarium, a été évoquée lors de ce séminaire Photo : M. Délos
L'UMR Qualisud (présentée Encadré 1) a organisé, les 5 et 6 juin, la cinquième édition du séminaire scientifique « Journées mycotoxines », à Polytech Montpellier.
Parmi les filières concernées, directement ou non, on trouvait celle du grain et sa qualité sanitaire. Évocation.
Pour situer les mycotoxines
Rappel de leur définition
Les mycotoxines sont des métabolites secondaires toxiques synthétisés par des moisissures. Elles contaminent de nombreuses denrées d'origine végétale, notamment les céréales mais aussi les fruits, noix, amandes, grains, fourrages ainsi que les aliments dérivés de ces matières premières et destinés à l'alimentation humaine et animale. Certaines peuvent, par transfert, contaminer des produits d'origine animale (produits laitiers notamment).
La contamination peut intervenir dès le champ lorsque les moisissures toxinogènes, saprophytes ou phytopathogènes se développent sur les plantes (cas des Fusarium sp. et de Claviceps purpurea notamment). Elle peut également survenir après la récolte et au cours du stockage (Penicillium, Aspergillum...).
L'importance des problèmes qu'elles posent
Ces toxines posent un problème récurrent de santé publique et induisent des pertes économiques importantes. D'après la FAO, 25 % des cultures vivrières de la planète sont contaminées par des moisissures productrices de mycotoxines. Les pertes dues à ces contaminations sont estimées, par exemple, à 5 milliards de dollars par an, uniquement pour les États-Unis et le Canada (FAO, 2003).
Parmi les plus de 300 mycotoxines différentes qui ont été isolées et caractérisées, une trentaine d'entre elles possèdent des propriétés toxiques caractérisées et présentant un réel risque pour la santé humaine et animale (Anses, 2009).
Certaines des plus dangereuses et préoccupantes, notamment pour leurs effets cancérogènes et tératogènes, sont soumises à la réglementation européenne dans certaines denrées. C'est le cas de plusieurs aflatoxines, l'OTA (ochratoxine A), certains trichothécènes (DON, etc.), la zéaralénone, la patuline, les fumonisines.
Le séminaire en général
Participants et filières
Le programme des journées était très intéressant et varié. Les 90 participants, chercheurs, étudiants et industriels, en majorité des Français, mais aussi des internationaux dont une conférencière irlandaise de Queen University of Belfast, ont écouté quinze conférences.
Celles-ci ont permis d'aborder les problématiques mycotoxines des filières céréales, fourrage, raisin, pommes, cacao et même fromage.
Champignons et toxines
Elles ont permis d'étudier les spécificités d'occurrence et de toxinogenèse de contaminants fongiques des genres Fusarium, Aspergillus, Penicillium, Claviceps, Stachybotrys et les mycotoxines associées.
Celles-ci, plus ou moins toxiques, vont des trichothécènes produits par des champignons des genres Fusarium (mais aussi Stachybotrys, voir Encadré 2), aflatoxines et ochratoxines (produites notamment par des moisissures des genres Aspergillus, Penicillium), ergotamine et autres alcaloïdes d'ergot (dû à Claviceps purpurea), à l'acide mycophénolique et la roquefortine C (produits par P. roqueforti, voir à nouveau Encadré 2) en passant par la patuline (voir toujours Encadré 2).
Quatre orientations des recherches
Il existe à l'heure actuelle quatre orientations stratégiques des recherches dans le domaine des mycotoxines. Elles ont représenté les quatre thèmes du séminaire :
– les méthodes de détection rapide ;
– l'étude des voies de biosynthèse ;
– l'évaluation toxicologique ;
– la mise au point de méthodes de prévention et de maîtrise en pré et post-récolte.
Le tout appliqué aux différents contaminants et filières.
Plusieurs communications ont traité directement de qualité sanitaire des grains.
Sujets touchant directement la qualité des grains
Détection : découvrir les aptamères
Parmi les avancées notables signalées figure l'évolution des techniques de détection. Ainsi, Lise Barthelmebs et al., du laboratoire Images de l'UPVD (université de Perpignan), ont évoqué les aptamères.
De quoi s'agit-il ? Ce sont, citons le résumé de la communication, des « molécules d'ADN ou ARN simple brin sélectionnées par le procédé in vitro Selex (Systematic Evolution of Ligands by EXponential enrichment). De façon similaire aux anticorps, les aptamères présentent une forte affinité pour leur cible, mais ils possèdent de nombreux avantages [...] : ils sont peu coûteux et résistants aux variations de température et de pH, ils peuvent être facilement couplés à différents groupements chimiques et ne sont pas produits par voie animale ».
Bref, ils sont annoncés moins chers et plus faciles à maîtriser que la chromatographie en phase liquide, et plus précis, reproductibles et sensibles (seuils de détection plus bas) que les tests Elisa et bandelettes.
L'auteur ajoute : « À ce jour, des aptamères ont été caractérisés pour l'ochratoxine A (OTA), les aflatoxines M1 et B1, la fumonisine B1 et la zéaralenone. » En revanche pour les autres mycotoxines telles « le DON, les toxines T-2 et HT-2 et la patuline, aucun aptamère n'a encore été sélectionné ».
Détection : vingt-trois toxines à la fois
Autre communication sur la détection, celle de Céline Cézar de la société Phytocontrol. Elle a annoncé que son laboratoire avait « développé en interne une méthode unique permettant de doser simultanément une vingtaine de mycotoxines en une seule injection ». Ceci notamment dans les grains. Il y a 23 toxines concernées (détails p. 32 à 36).
Biosynthèse et toxicité : du nouveau sur le DON
La troisième communication évoquait à la fois la biosynthèse et la toxicité d'une toxine bien connue, le DON ou déoxynivalénol, dit aussi vomitoxine. Pour mémoire, c'est une fusariotoxine (= toxine produite par des champignons du genre Fusarium) qui touche particulièrement les grains de céréales à paille mais également de maïs, elle fait partie des trichothécènes de type B (TCTB) et elle est réglementée : il y a des seuils à ne pas dépasser sur céréales à paille, maïs et produits dérivés.
Sabria Mimoun, post-doctorante à l'Inra UMR Toxalim à Toulouse, a travaillé sur la toxicité du DON et des métabolites qu'on obtient si on met en œuvre un procédé de décontamination biologique, notamment la déépoxydation et la glucosylation (conjugaison avec du glucose).
Sans entrer dans les détails méthodologiques et définitions (la communication cite l'« approche transcriptomique » sur « explants jéjunaux de porcelets », l'« analyse en microarray », et la qPCR alias PCR quantitative, etc.), retenons que les résultats obtenus :
– « confirment la toxicité intestinale du DON » ;
– démontrent que « les réactions de déépoxydation, glucosylation ou épimérisation diminuent efficacement la toxicité de cette mycotoxine ». C'est intéressant.
Fusariose, DON et métabolomique
La communication de Florence Forget de l'UMR Mycsa de l'Inra de Bordeaux a démontré le fort intérêt d'une approche métabolomique par couplage LC-MS et H-RMN et suivi de près de 60 métabolites primaires et secondaires pour comprendre la régulation de la production des mycotoxines.
Le travail présenté a porté sur les trichothécènes de type B (TCTB), dont le DON est le représentant majeur, et qui sont produits par Fusarium graminearum, un des principaux agents de la fusariose de l'épi.
Ces travaux ont permis de proposer pour la première fois une carte métabolomique de F. graminearum illustrant l'imbrication très étroite du métabolisme secondaire de production de mycotoxines au sein du métabolisme primaire.
Prévention et maîtrise : cas des alcaloïdes d'ergot
Enfin la communication de Béatrice Orlando et al., d'Arvalis-Institut du végétal(1), évoque les alcaloïdes produits par Claviceps purpurea agent de l'ergot du seigle, maladie qui touche aussi le blé, le triticale, etc. Elle a présenté les travaux de l'institut technique à ce sujet depuis quatre ans. En précisant que ces derniers sont « pour la plupart encore en cours », elle a signalé notamment :
– concernant l'occurrence de l'ergot et de ses alcaloïdes en France, le pathogène est « significativement présent sur le territoire, mais les intensités d'attaque sont majoritairement faibles et variables selon la culture » ;
– par ailleurs, « La relation sclérotes/alcaloïdes s'accompagne d'incertitudes » mais « les échantillons peu contaminés en ergot sont également les moins contaminés en alcaloïdes » ;
– enfin, une étude « sur la récolte 2012 a permis d'identifier les itinéraires techniques influant sur les niveaux de contamination ».
NDLR : Parmi eux, il y a l'impact des adventices graminées, vulpin et ray-grass notamment, et de leur gestion : désherbage réussi ou non, et réalisé plus ou moins précocement. Voir à ce sujet l'article p. 26 à 31, et qui cite notamment B. Orlando.
Sujets touchant indirectement le grain via la qualité de l'air
Exposition aux mycotoxines : penser aussi aux bioaérosols
Une communication intéressante pour ceux qui s'occupent de stockage des grains a été présentée par le CSTB...
Pourtant, l'organisme public qu'est ce Centre scientifique et technique du bâtiment travaille sur des problématiques de locaux d'habitation ou encore commerciaux ou industriels... A priori, on ne voit pas le rapport avec la qualité des denrées alimentaires en général et celle du grain en particulier... Et bien, on devrait. En effet, l'air de tout bâtiment fermé, quel qu'il soit, risque d'être chargé en « bioaérosols » contenant des mycotoxines en cas de mauvaise aération et d'humidité permettant le développement d'espèces fongiques. C'est ce qu'ont montré les auteurs de ces communications.
Notamment au silo
Certes, ils ont parlé d'« espaces de vie »... Mais les silos et autres bâtiments de stockage des grains sont concernés aussi ! Les personnes qui y travaillent, si elles y passent du temps, sont exposées à ces bioaérosols. Pense-t-on par exemple à se protéger lors des opérations de nettoyage, qui bien souvent remuent la poussière de moisissures ? À méditer...
Conclusion
Trois évolutions
En tout cas, et compte tenu des enjeux, ces journées ont permis aux participants d'échanger sur cette thématique « mycotoxines » et d'évaluer les évolutions marquantes en la matière. On peut en citer trois :
– d'abord l'amélioration des techniques analytiques est une bonne nouvelle ;
– en revanche, on peut s'inquiéter de l'arrivée (ou l'augmentation des cas de présence) en pays jusqu'ici tempérés de mycotoxines rencontrées jusqu'ici surtout en régions chaudes : OTA et aflatoxines. C'est le cas des aflatoxines sur maïs en Italie avec du fromage dépassant les normes européennes, suite possible (enquête en cours) de la consommation par les vaches laitières de maïs contaminés. L'information a été officialisée quelques jours après le colloque de juin : les autorités italiennes ont saisi des « formes » (roues) de parmesan et procédé à l'arrestation de personnes ayant commercialisé des fromages non conformes ;
– la troisième évolution est celle des recherches de moyens biologiques de protection. Il s'agit notamment de microorganismes bénéfiques, antagonistes de ceux produisant des toxines. Aura-t-on des résultats au 6e séminaire ?
Vers un projet ANR
Pour préparer l'avenir, ces journées sont aussi un moyen de coordonner les recherches des participants afin de faire émerger de nouveaux projets et répondre aux appels à projets nationaux et européens.
Ainsi, l'après-midi du 6 juin a été consacré à la réflexion sur le montage de projets, notamment d'un projet ANR sur lequel plusieurs équipes et industriels ont fait part de leur intérêt.
<p>(1) NDLR (note de la rédaction de <i>Phytoma</i>) : Arvalis est cosignataire du <i>Guide de gestion des mycotoxines</i> dont la 2e édition est sortie cette année (voir bibliographie).</p>
1 – QualiSud : présentation
L'UMR QualiSud est une unité mixte de recherche regroupant les universités Montpellier 1 et Montpellier 2, le Cirad (Centre international de recherche agronomie et développement) et SupAgro Montpellier, organismes de recherche publique. Cette UMR avait organisé la 1re édition de ce séminaire fin 2009 à Montpellier.
Les séminaires suivants ont eu lieu à Toulouse en janvier 2011, à Bordeaux en janvier 2012 et à Brest en février 2013. En 2014, QualiSud a de nouveau organisé l'opération. C'était à l'amphithéâtre Serge Peytavin, de Polytech Montpellier (campus de l'université Montpellier 2). La 6e édition est prévue à Toulouse.
2 - Ce séminaire n'a pas moulu que du grain
Ces journées n'ont pas concerné que les grains mais étaient « multimycotoxines/multifilières ». Ainsi, outre les thèmes cités dans le corps de l'article, on y a évoqué :
– Le cacao (photo) avec l'ochratoxine A (OTA) qu'il peut contenir ; selon une communication université d'Abidjan/UMR Qualisud : « Différents paramètres du traitement post-récolte (état sanitaire des cabosses, délai d'écabossage, durée de fermentation) ont un effet non négligeable sur le niveau de contamination du cacao en OTA. »
– Le raisin (photo) avec les moyens de lutte biologique mis en œuvre au vignoble (élicitation et antogonisme) par l'UMR Qualisud et l'IFV(1) pour limiter la contamination en OTA dans les jus et vins. D'autres tests d'antogonisme sur Aspergillus flavus (producteur d'aflatoxines) ont aussi été présentés par le LGC de l'INP(2) de Toulouse.
– La pomme au travers de la biosynthèse de la patuline par Penicillium expansum, responsable de la pourriture molle de ce fruit (communication de l'UMR Toxalim).
– Les fromages avec deux exposés du Lubem(3) sur Penicillium roqueforti, producteur notamment d'acide mycophénolique et de roquefortine C. Bilan : d'abord une production très variable selon la souche de P. roqueforti présente, ensuite la faible toxicité de ces métabolites, enfin des découvertes sur leurs voies de biosynthèse.
– Les fourrages avec une communication de l'UMR Toxalim/école vétérinaire de Toulouse sur les champignons du genre Stachybotrys pouvant produire des trichothécènes macrocycliques à l'origine d'intoxications d'animaux, chevaux surtout. À noter : l'intoxication peut venir de l'ingestion du fourrage mais il y a aussi l'inhalation de « bioaérosols ». On en a trouvé qui contenaient S. chartarum dans des exploitations françaises. D'où risque d'exposition pour les chevaux, certes... Mais aussi pour les agriculteurs et les palefreniers !
(1) Institut français de la vigne et du vin.
(2) Lab. de génie chimique - Inst. nat. polytechnique.
(3) Laboratoire universitaire de biodiversité et d'écologie microbienne, Plouzané (Finistère).