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Surveillance

Bois noir de la vigne suivre son évolution par GPS

PHILIPP E KUNTZMANN*, CHRISTIAN DEBORD**, ESTELLE ROCQUE***, JÉRÔME ATTARD** **, FRÉDÉRIC ROY** **, CLAUDIA RENEL* ET STÉPHANIE VILLAUMÉ*** ** - Phytoma - n°676 - août 2014 - page 37

L'utilisation d'un SIG (système d'information géographique), le GPS , facilite l'exploitation des données d'un suivi pluriannuel du bois noir et de son vecteur en Alsace.
Secteur étudié. Pour faciliter le repérage par rapport à la Figure 1 p. 39 : la vigne en terrasse en haut à droite est la parcelle RG. Photo : P. Kuntzmann

Secteur étudié. Pour faciliter le repérage par rapport à la Figure 1 p. 39 : la vigne en terrasse en haut à droite est la parcelle RG. Photo : P. Kuntzmann

Hyalesthes obsoletus, vecteur du bois noir, ici sur une feuille d'ortie, plante-hôte de l'espèce en Alsace. Photo : P. Kuntzmann

Hyalesthes obsoletus, vecteur du bois noir, ici sur une feuille d'ortie, plante-hôte de l'espèce en Alsace. Photo : P. Kuntzmann

En viticulture, comme pour d'autres productions végétales, l'expérimentateur se trouve confronté à l'exigence de traitement et de mise en forme des données collectées.

A priori simple dans le cas d'essai factoriel en blocs, le problème se complique si on a affaire à des suivis pluriannuels dans le cadre de réseaux d'observation. C'est le cas du bois noir de la vigne, avec la prise en compte des dimensions du temps et de l'espace.

Cet article, sans être exhaustif, aborde certains aspects du traitement et de la présentation des données d'observations recueillies dans ce cadre, à l'aide de l'outil ArcGIS.

Cadre de l'étude

À Turckheim (Haut-Rhin), suivi des vignes

Entre 2006 et 2009, on a réalisé des suivis de l'expression de la maladie du bois noir et des piégeages de son vecteur, le cixiide Hyalesthes obsoletus, d'origine méditerranéenne, sur différentes parcelles de vigne totalisant un peu plus de 8 ha au sein d'un coteau sur la commune de Turckheim (Haut-Rhin).

Les caractéristiques des parcelles sont indiquées Tableau 1 p. 38. La photo ci-contre, prise depuis l'est, montre la topographie d'une grande part du secteur étudié. La parcelle RG visible en haut à droite et plantée en terrasses permet de se repérer par rapport aux cartes ci-après. L'exposition du secteur étudié va d'est à pratiquement sud. Le sol est de texture sableuse.

De 2010 à 2013, le nombre de parcelles suivies a progressivement diminué. Au centre du secteur étudié se trouve une parcelle non plantée défrichée en 2007.

Les parcelles, dont la plupart ont été reconquises plus ou moins récemment sur des friches, se distinguent principalement par la nature du cépage et du porte-greffe et l'année de plantation.

Repérage de l'ortie, plante-hôte du vecteur

Ceci n'est pas sans effets sur la présence de l'ortie, plante-hôte exclusive du vecteur en Alsace (ailleurs en France, on trouve l'insecte aussi sur liseron des champs).

L'ortie est, en effet, favorisée par la minéralisation du stock de matière organique lors de la mise en culture. De ce fait, on a observé la présence de cette plante dans certaines parcelles au début des suivis (voir Tableau 1 p. 38). Les parcelles où elle était bien présente sont, dans l'ordre, les parcelles KMri, BE, la moitié ouest de la parcelle RG, les parcelles EH et DR. L'entretien du sol, très variable, comprend dans les parties les plus pentues au moins un interrang sur deux enherbé pour des raisons de maîtrise du risque d'érosion ; lorsqu'il s'agit d'un enherbement naturel qui se développe et que l'ortie fait partie de la flore présente (cas de KMri), cela n'est, bien sûr, pas sans conséquences sur le risque de bois noir.

La Figure 1 permet de situer les différentes parcelles dans le coteau et indique la localisation des foyers d'ortie se trouvant en dehors des parcelles suivies.

Ceux-ci sont principalement situés le long de chemins d'accès, au nord de la parcelle D et dans la bordure sud du secteur. Les plus importants en terme d'occupation par le vecteur sont ceux au nord de la parcelle D et un foyer de faible surface à l'angle sud de la parcelle RD.

La présence du vecteur aux stades larvaire et adulte a été observée de manière plus ou moins continue pendant la durée de l'étude sur l'ortie en bordure du chemin situé au sud. Mais ceci uniquement aux endroits exposés au soleil et jamais sur les foyers d'ortie se trouvant à l'ombre.

Suivis réalisés, méthodologie, données disponibles

Suivi du vecteur et de la maladie

Le vol des adultes du vecteur a été suivi tous les ans au moyen de pièges jaunes englués relevés toutes les semaines et installés surtout dans les parcelles de vigne, quelques-uns (cinq exactement) étant placés sur les talus hors des parcelles.

En automne, la présence du bois noir était évaluée cep par cep dans chaque parcelle et retranscrite sous forme de fichier Excel où chaque cellule représente l'emplacement d'un cep de vigne. Le choix d'une grille Excel plutôt qu'un fichier sous forme de lignes a été retenu pour des raisons pratiques : le repérage sur parcelles et les exploitation des données sont a priori plus faciles.

Calcul de la prévalence et de l'incidence

La prévalence et l'incidence de la maladie sont calculées chaque année par rapport au nombre total d'emplacements observés et non par rapport au nombre de pieds réellement observés. C'est à l'opposé de la façon d'exprimer les résultats pour les maladies du bois. Ce choix se justifie pour deux raisons :

– d'une part, le bois noir est souvent une maladie de vigne jeune et la plupart des parcelles étant relativement jeunes on observe peu de dépérissements, ni à cause des maladies du bois, ni à cause du bois noir qui entraîne peu de mortalité ;

– d'autre part, dans les rares cas type parcelle D, où on observe une mortalité importante de pieds due aux maladies du bois, l'expression du taux de pieds atteints de bois noir par rapport aux pieds présents peut conduire à une augmentation artificielle de la prévalence de la maladie et à des erreurs d'interprétation, en raison non pas de l'augmentation du numérateur mais bien de la baisse du dénominateur.

Une évolution reflet d'une rémission/guérison

Globalement, la prévalence (taux global d'expression sans distinction entre les nouveaux cas et la réexpression) et l'incidence (nouveaux cas) de la maladie ont diminué entre 2006 et 2013. C'est ce qu'indiquent le Tableau 1 et l'exemple de la parcelle KMri reproduit dans la Figure 2.

L'évolution observée est le reflet d'une rémission/guérison naturelle : sur la durée de l'étude, seulement 0,4 % des pieds de la parcelle ayant montré des symptômes ont été arrachés ou sont morts. Dans cette parcelle plantée en 2001, où l'apparition des symptômes a été signalée par le viticulteur en 2004, 34 % des pieds ont montré au moins une fois des symptômes de bois noir.

Exploitation des données de suivi de la maladie

Pour commencer à exploiter les données de suivi, il a fallu transformer toutes les données des cartes Excel en fichiers textes agencés en lignes et en colonnes à l'aide d'une macro Visual Basic. Ces fichiers ont ensuite été convertis en fichiers de format Excel dont les données ont pu être importées dans Arcview, à travers l'ajout sous forme d'une couche n'ayant pas de coordonnées géographiques. À partir de là, différentes possibilités se présentent. À l'aide de l'outil Spatial Analyst, on peut effectuer des modélisations spatiales, notamment dans ce cas des cartes de densité de pieds malades sous forme de points. L'outil produit des cartes représentées par des images rectangulaires, desquelles il faut le cas échéant extraire la partie correspondant réellement à la parcelle. On peut projeter l'image ainsi produite sur les points GPS correspondant aux angles remarquables de la parcelle, sur un fond de carte. En procédant ainsi, parcelle par parcelle, on peut couvrir tout un secteur. Les cartes produites pour les années 2006, 2007, 2010 et 2012 sont données Figure 3 p. 40. Les niveaux de couleur correspondent au pourcentage de pieds malades pour une surface de 10 m², de 80 à 100 % (rouge foncé) à 0 % (vert).

On peut choisir aussi de faire des grilles rappelant les cartes Excel. Leur intérêt réside dans la possibilité d'analyser l'expression de la maladie dans le temps et de déterminer des séquences type malade/sain/malade/malade/sain, à l'aide d'une fonction spatiale qui calcule automatiquement les séquences observées et le nombre d'individus concernés.

Exploitation des données de piégeage

La méthodologie à mettre en œuvre dans ce cas est assez simple. Après avoir créé une couche correspondant à l'emplacement des pièges, il suffit d'y intégrer les données de capture. Il est ensuite possible de faire de la modélisation spatiale à l'aide de l'outil Spatial Analyst, si les points d'observation sont régulièrement répartis dans l'espace.

Dans le cas contraire, comme ici, il est préférable de représenter directement les données d'observation sans faire de modélisation. Les cartes ainsi produites pour les années 2006, 2007, 2009, 2010 et 2011 sont données en Figure 4.

Discussion

À propos de la maladie

L'examen des cartes de densité de pieds malades rend compte de la particularité de 2006 et sa très forte expression de maladie, ce que montre aussi le cas de la parcelle KMri (Figure 2).

On voit bien l'existence d'un foyer étendu, à cheval sur cette parcelle et la parcelle voisine RG, lié à la présence importante de l'ortie sur cette même zone, peut être en relation avec des caractéristiques pédologiques particulières. La bande de couleur verte de la parcelle RG, matérialisant une zone sans expression de symptômes, correspond à une plantation effectuée en 2006 (Tableau 1).

À propos des captures du vecteur

L'observation de la carte de piégeage de 2006 confirme la relation entre niveau de piégeage et présence de l'ortie dans la parcelle. En effet, les plus forts niveaux de capture s'observent dans les parcelles KMri, RG, DR et BE dans lesquelles l'ortie est aussi la plus présente.

Cependant, l'ortie est absente dans la parcelle FQ où les captures sont importantes. Dans cette parcelle, on trouve en revanche du liseron des champs. Mais pendant la durée de l'étude, le vecteur n'a jamais été observé sur cette plante en Alsace.

Nous supposons que le vecteur, présent sur l'ortie en plusieurs endroits le long du chemin d'accès au sud de la zone, a pu être attiré dans cette parcelle à l'exposition et à la pente plus favorables au réchauffement du sol que les autres parcelles étudiées.

Une hypothèse similaire pourrait être faite au sujet des foyers identifiés le long du chemin d'accès au nord : les captures plus importantes sur plusieurs années des pièges de la parcelle D en bord du chemin, au contraire de ceux de la parcelle C, semblent indiquer un déplacement préférentiel de l'insecte vers le sud ou l'ouest, et non vers la forêt au nord. Sur le plan du niveau de piégeage, l'année 2006 se démarque des suivantes puisque le nombre d'insectes capturés diminue dès 2007 sur la plupart des parcelles. Cette baisse est liée en partie à la suppression efficace de l'ortie dans certaines parcelles comme KMri, mais aussi à des facteurs climatiques (des éléments non présentés ici nous forcent à le penser).

À propos de la relation entre maladie et captures

La relation du niveau de capture avec la densité d'expression de bois noir n'est pas simple : si deux des parcelles les plus fortement occupées par le vecteur sont aussi les plus atteintes (KMri et RG), deux autres (DR et FQ) ont montré peu de symptômes. Les explications à cela peuvent être multiples.

D'abord, le niveau de capture ne rend pas compte du risque réel de transmission. Celui-ci dépend, entre autres, du niveau d'infection des populations de vecteur par le phytoplasme et du comportement alimentaire du vecteur sur la vigne.

Ensuite, les différents cépages sont connus pour montrer des comportements variables à l'égard du phytoplasme : les cépages pinot blanc et pinot gris des parcelles FQ et DR pourraient tout simplement être moins sensibles à son égard. Dans plusieurs situations où l'ortie est absente de la parcelle, il y a un effet de bordure plus ou moins net sur la répartition des pieds malades (parcelles RD, EH, C pinot noir, KMpn, D, KMaux) plus ou moins répété d'année en année. Cela semble indiquer que le vecteur pourrait se déplacer de proche en proche en utilisant les tournières enherbées et ne s'installer que rarement dans les vignes et seulement s'il y trouve sa plante-hôte, préférant rester en bordure de celle-ci. À l'angle nord-ouest de la parcelle D, un foyer de maladie semble clairement pouvoir être relié avec la présence de l'ortie le long du chemin.

Facteurs essaimage, rôle des terrasses...

En 2010, des foyers de maladie apparaissent dans la parcelle RD pour les deux parties de la parcelle plantées de pinot blanc, alors que jusqu'alors, ce cépage, peu sensible, exprimait peu de symptômes. Le foyer sur le carré de pinot blanc situé au nord semble même avoir son pendant dans la parcelle DR.

Un essaimage du vecteur présent sur deux spots d'ortie localisés aux angles est de la parcelle RD aurait pu causer ces foyers. En effet, on note une régression de l'ortie sur ces spots dès 2007, alors que les pièges en bordure sud de la parcelle RD montrent des niveaux de capture plus élevés.

La dernière remarque concerne la parcelle EH et la partie supérieure de la parcelle RG, plantées en terrasse. Que l'ortie soit présente (EH) ou absente (RG), la présence de ces terrasses semble favorable au vecteur, très probablement en raison du bénéfice thermique au niveau du talus.

Conclusion

L'utilisation d'outils SIG est devenue incontournable dans l'exploitation de données d'épidémiosurveillance. L'exemple abordé ici montre une partie des possibilités offertes par ces outils. Les manuels décrivant dans le détail les différentes étapes de l'exploitation des données à l'aide d'ArcGIS, tel qu'indiqué ci-dessus, peuvent être téléchargés sur le site internet de l'IFV.

Fig. 1 : Turckheim - Nature du cépage et localisation des foyers d'ortie en dehors des parcelles

La localisation fine de ces deux informations est utile pour comprendre la dynamique de l'épidémie de bois noir.

Fig. 2 : Turckheim parcelle KMri - Riesling

Proportion de pieds ayant montré des symptômes de bois noir (2004 à 2013) dans cette parcelle où l'on a noté la présence de l'ortie (plante-hôte de Hyalesthes obsoletus qui est vecteur de la maladie).

Fig. 3 : L'expression de la maladie régresse

Densité de pieds malades (rouge = 80 à 100 % de pieds malades sur un carré de 10x10 m) et son évolution entre 2006 et 2012. On voit la régression de la maladie.

Fig. 4 : La présence du vecteur régresse aussi

Niveau de piégeage de Hyalesthes obsoletus sur cinq des années de suivi. À noter que la présence de cet insecte régresse suite à la suppression de l'ortie dans les parcelles, mais aussi qu'elle ne coïncide pas avec les foyers d'ortie. Ceci dit, il y a de l'ortie autour des parcelles... Le texte de l'article donne des hypothèses d'explications pour l'ensemble des cas.

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RÉSUMÉ

CONTEXTE - Le suivi pluriannuel de la maladie du bois noir de la vigne en Alsace est un exemple du fait que, si on suit plusieurs données sur un même secteur géographique, on se collecte une masse de données difficiles à traiter manuellement pour la mise en relation entre elles. L'usage d'un SIG et de divers outils informatiques est utile dans ce cadre.

ÉTUDE - On a suivi, de 2006 à 2012 inclus, dans un secteur bien délimité du vignoble alsacien, à Turkheim, la dynamique d'évolution :

– du bois noir (notation de ceps symptômatiques) ;

– de son vecteur le cixiide Hyalesthes obsoletus (piégeage) ;

– de l'ortie Urtica dioica, seule plante-hôte du vecteur connue en Alsace (il en a d'autres en zones méditerranéennes). Les parcelles de vigne, les foyers d'ortie et l'emplacement des pièges ont été situés grâce à un SIG (données GPS) puis les données traitées (méthodologie dans l'article).

RÉSULTATS - On a analysé le lien entre foyers de maladie, présence du vecteur et celle de sa plante-hôte (sa destruction fait régresser la maladie) dans ou en bordure de parcelles. Les différents cas sont explicités et des hypothèses explicatives données.

MOTS-CLÉS - Vigne, Alsace, bois noir, vecteur, Hyalesthes obsoletus, plantehôte, ortie Urtica dioica, suivi pluriannuel, piégeage, SIG (système d'information géographique), GPS, modélisation.

FINANCEMENTS FranceAgriMer, Civa, Casdar.

REMERCIEMENTS Nous remercions les viticulteurs partenaires de l'étude, la Fredon Alsace pour la mise à disposition des notations de 2004 et 2005 et les nombreux stagiaires ayant participé aux observations.

POUR EN SAVOIR PLUS

AUTEURS : *P. KUNTZMANN, **C. DEBORD, ***E. ROCQUE, ** **J. ATTARD, ** **F. ROY, *C. RENEL ET *** **S. VILLAUMÉ

*IFV pôle Alsace, 28, rue de Herrlisheim, 68000 Colmar.

**IFV pôle Bordeaux-Aquitaine, 39, rue Michel Montaigne, 33290 Blanquefort.

***Stagiaire Bordeaux Sciences Agro à l'IFV pôle Alsace.

** **Chambre d'agriculture de région Alsace, 11, rue Jean Mermoz, 68127 Sainte-Croixen-Plaine.

*** **Conseil interprof. des vins d'Alsace, Maison des vins d'Alsace, 68000 Colmar. CONTACT : claudia.renel@vignevin.com

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