Ci-contre, Corythauma ayyari sur jasmin. Deux hémiptères trouvés en France en 2012. Photos : A. Ferre - Arexhor et J.-C. Streito - Inra
Aleuroclava aucubae (puparium). Cet hémiptère, précisément un aleurode, a été trouvé en France en 2013 sur Citrus. Photo : J.-C. Streito - Inra
Leptoglossus occidentalis. Encore un hémiptère ! De fait, 35 des 61 espèces introduites entre juillet 2005 et juin 2014 sont des hémiptères (voir Tableau 1 p. 16). Celle-ci a été introduite en 2006. On l'appelle aussi punaise du pin, ou punaise américaine car elle est originaire des Rocheuses. Photo : J.-C. Streito - Inra
Périodiquement, la question de l'introduction d'insectes invasifs nuisibles aux végétaux, voire à la santé publique, revient dans l'actualité.
Mais quelle est la réalité de ces invasions, et quelle importance par rapport à celle des introductions « en général » ?
Une synthèse à ce sujet est utile. Commençons par définir de quoi il est question et par brosser un panorama général des introductions.
Pour situer cette publication
Troisième point en français
Cette synthèse fait suite à deux précédentes parues sur ce même sujet, qui présentaient un bilan des insectes ravageurs introduits en France, pour les périodes 1950 à 1999 (Martinez et Malausa, 1999) et janvier 2000 à juin 2005 (Streito et Martinez, 2005).
Un travail européen
Signalons également la publication d'un important travail européen réalisé dans le cadre du programme Daisie (Delivering Alien Invasive Species Inventories for Europe), qui recense 12 122 espèces invasives (alien species) pour l'Europe (animaux et plantes compris), dont 1 590 sont des arthropodes et 87 % d'entre eux des insectes (Collectif, 2009).
Chaque année, des dizaines de nouvelles espèces
À la liste des insectes recensés en France métropolitaine (il y aurait actuellement environ 40 200 espèces) s'ajoutent chaque année plusieurs dizaines de nouvelles espèces trouvées sur notre territoire.
Ces détections font généralement l'objet de signalements dans des revues ou bulletins entomologiques français ou étrangers.
Par exemple, leBulletin de la société entomologique de France et la revue L'Entomologiste ont, à eux seuls, signalé pour la période qui nous intéresse (juillet 2005 à juin 2014), 155 espèces nouvelles pour la France dont 37 nouvelles pour la science.
Classement en trois groupes
Espèces nouvelles en France mais aussi pour la science
Il y a d'abord les espèces nouvelles pour la France et pour la science. Ces espèces, endémiques ou non, font l'objet de descriptions originales en même temps que de leur premier signalement.
En France, comme partout dans le monde (notamment sous les tropiques), il reste à découvrir de nombreuses espèces. Elles appartiennent essentiellement aux grands ordres (les plus étudiés) : coléoptères, lépidoptères, hyménoptères et diptères. Elles sont souvent rares ou localisées et n'ont en général pas d'intérêts économique ou agronomique. Précision : dans cet article, le terme « intérêt » signifie « possibilité d'importance, d'influence, d'effets significatifs », mais ces effets ne seront pas forcément bénéfiques... au contraire !
Espèces déjà connues ailleurs, pouvant s'installer en France
D'autres espèces, nouvelles pour la France, invasives ou non, dont l'établissement est constaté, supposé ou probable, sont des espèces connues d'autres pays mais trouvées pour la première fois sur notre territoire. Parmi elles, il faut distinguer deux catégories :
a – les espèces qui n'ont pas d'intérêt économique. Ce sont les plus nombreuses et elles appartiennent surtout aux grands ordres : coléoptères, lépidoptères, hyménoptères et diptères, du fait que les petits ordres sont souvent délaissés et peu ou pas étudiés. Ces espèces sont en général présentes dans d'autres pays d'Europe ou du Bassin méditerranéen, elles sont plus rarement extra-européennes ou extra-méditerranéennes ;
b – les espèces d'intérêts économiques (agronomiques...). Certaines sont nuisibles ou potentiellement nuisibles à nos cultures, à nos forêts, à l'homme ou aux animaux domestiques ; d'autres sont des auxiliaires (parasitoïdes ou prédatrices). Elles appartiennent essentiellement aux douze ordres d'insectes d'importance économique (voir Tableau 1 p. 16). Leur origine géographique concerne les cinq continents et est le plus souvent extraeuropéenne ou extra-méditerranéenne.
Espèces nouvelles pour la France, mais plus anecdotiques
Les espèces nouvelles pour la France dont l'entrée est purement accidentelle, fortuite ou anecdotique sont nombreuses et font l'objet de signalements, dès le XIXe siècle, dans la littérature entomologique. Il s'agit souvent d'insectes tropicaux (parfois de grandes tailles) trouvés dans des ports, des aéroports, sur des marchés, dans des jardineries ou des parcs et jardins (y compris dans Paris intra-muros)... Les espèces de cette catégorie n'ont pas été prises en compte ici car il ne s'agit souvent pas de ravageurs, ni de réelle introduction (**) et pour des raisons biogéographiques, climatiques ou biologiques, leur établissement (***) est improbable ou impossible de même que leur dissémination (****).
Enfin, elles ne peuvent être invasives ou envahissantes (*** **). Dans la terminologie phytosanitaire on parle souvent d'interceptions (*).
Cadre de cette synthèse
Ni les émergents, ni les « non potentiellement ravageurs »
Dans cette revue, nous ne comptabilisons pas non plus les insectes émergents et réémergents (*** ***) ; termes qui qualifient des espèces de la faune locale, soit autochtones soit introduites de longue date.
Dans cette synthèse, nous prenons en compte seulement les insectes connus en tant que ravageurs avérés dans leur région d'origine ou qui, bien que non reconnus comme ravageurs, pourraient devenir potentiellement nuisibles hors de leur région d'origine en raison d'éléments biogéographiques, biologiques ou/et environnementaux (disponibilités de plantes-hôtes, absence de parasitoïdes...).
L'incidence est variable et difficile à prévoir
Cependant, l'incidence agronomique et économique des espèces listées ici est très variable. Quelques-unes sont des ravageurs notoires ou majeurs, ayant des conséquences parfois graves sur certaines productions et filières agricoles, d'autres sont à considérer comme des ravageurs potentiels.
Bien qu'il existe des protocoles d'études et des modèles d'évaluation normalisés, nommés « analyses du risque phytosanitaire » (ARP), il est extrêmement difficile et souvent hasardeux d'appréhender et de préjuger de l'importance et du comportement que peut présenter un ravageur exogène, introduit dans un nouveau continent ou pays. Il peut ne pas s'avérer nuisible ou bien faire des dommages ponctuels et sporadiques, ou encore attendre plusieurs années avant de commettre des dégâts. Certains ravageurs sont extrêmement nuisibles dès leur introduction et leur dissémination, puis leurs dégâts s'atténuent considérablement, à tel point que certaines espèces ne sont plus signalées que sporadiquement et ne posent plus de problèmes agronomiques (cas du diptère Liriomyza trifolii [Burgess] et du lépidoptère Hyphantria cunea [Drury]).
Certaines espèces introduites restent très localisées alors que d'autres présentent un caractère invasif et peuvent coloniser de vastes territoires. Ces dernières sont potentiellement plus dangereuses et doivent être surveillées plus étroitement. Par ailleurs, certaines espèces ont un régime alimentaire très spécialisé (ex. : palmiers...), d'autres sont polyphages (cas de plusieurs cochenilles).
Enfin, outre les aspects agronomiques et économiques directs, il ne faut pas négliger l'incidence environnementale, à court ou long termes, des espèces allochtones (nuisibles ou non) qui viennent s'intercaler et bouleverser parfois des entomocénoses bien établies.
1 – Quelques définitions
(*) Interception : découverte d'un organisme aux frontières ou dans des marchandises déjà importées avant qu'il n'ait pu se reproduire sur place.
(**) Introduction : entrée d'un organisme nuisible, suivie de son établissement.
(***) Établissement : perpétuation, dans un avenir prévisible, d'un organisme nuisible dans une zone après son entrée.
(****) Dissémination : extension de la répartition géographique d'un organisme nuisible à l'intérieur d'une zone.
(*** **) Invasif exotique et envahissant : les taxons invasifs correspondent à une partie des espèces exotiques naturalisées/ établies, qui produit des progénitures fertiles, souvent en très grand nombre, et ayant la potentialité de se propager.
(*** ***) Émergent et réémergent : taxons faisant partie de la faune locale (autochtones ou introduits depuis longtemps), qui se mettent à faire (émergents) ou faire à nouveau (réémergents) des dégâts, après une longue période d'innocuité.