1 - Inflorescence de séneçon commun. Une seule plante poussant dans un champ de blé peut produire quelques milliers de semences. Photo : W. Obermayer - Université de Graz, Autriche
2 - Inflorescence en graine de séneçon commun dans du blé. Les semences possèdent un appendice duveteux (papuce) qui facilite leur dispersion par le vent, le ruissellement, les semences de ferme ou les engins. C. Délye - Inra - Coopérative La Paysanne
Une nouvelle espèce s'ajoute à la liste des mauvaises herbes chez lesquelles une résistance à des herbicides a été démontrée en France. Cette fois, c'est une première mondiale : une résistance aux inhibiteurs de l'ALS (groupe HRAC B) chez le séneçon commun. Toutes les familles d'inhibiteurs de l'ALS sont concernées. Des tests de diagnostic « ADN » ont identifié du séneçon résistant en grandes cultures et dans plusieurs vignobles.
Séneçon commun : le « mangeur de sol »
Espèce discrète, mais cycle rapide
Le séneçon commun (Senecio vulgaris) est une adventice ubiquiste mais qui passe en général inaperçue. On le rencontre un peu partout, de la jardinière municipale aux parcelles agricoles en passant par les jardins, bords de routes et trottoirs.
Les particularités biologiques de l'espèce comprennent un cycle court et une capacité à lever et grainer continuellement permettant plusieurs cycles de multiplication annuels. Le séneçon peut boucler un cycle (de graine à graine) en une vingtaine de jours en conditions favorables. Ceci, associé à une forte capacité de dispersion, en fait une adventice à surveiller de près.
Prolifération et alcaloïdes
Autre particularité, une seule plante de séneçon commun peut produire de quelques centaines à quelques milliers de semences (jusqu'à 40 000 pour une très grosse plante, Kempen & Graf, 1981), aisément dispersées par le vent, le ruissellement, les engins agricoles voire les semences « de ferme ».
Tout cela donne à l'espèce une capacité à proliférer et occuper le terrain, probablement à l'origine de son nom anglais « groundsel » qui dériverait d'un terme saxon signifiant « mangeur de sol » (Mitich, 1995), et qui en fait une adventice redoutable.
Pour couronner le tout, le séneçon contient des alcaloïdes toxiques pour l'homme et le bétail.
Le contrôle chimique est une solution très efficace contre cette espèce difficile à maîtriser uniquement par des mesures agronomiques (Robinson et al., 2003).
Résistance aux inhibiteurs de l'ALS en France chez le séneçon : une première mondiale
Cette espèce s'ajoute à au moins 145 autres
Les inhibiteurs de l'ALS (groupe HRAC B) sont les herbicides pour lesquels le plus grand nombre de cas de résistance ont été signalés dans le monde : au moins 145 espèces d'adventices sont concernées (Heap, 2015). Mais, si la résistance du séneçon aux triazines est connue, y compris en France (Heap, 2015), aucune mention de résistance de cette espèce aux inhibiteurs de l'ALS n'avait encore été publiée.
Semences issues de deux blés et d'une vigne
Des semences ont été collectées en 2013 sur deux parcelles de blé bretonnes (Côtes-d'Armor) où des échecs répétés de contrôle du séneçon commun avec des inhibiteurs de l'ALS avaient été observés depuis 2010.
Ces deux lots (populations P1 et P2, Figure 1 et photo 3), ainsi qu'un lot de semences collecté en 2009 dans le vignoble bordelais (population B3) ont été utilisés pour des tests de sensibilité à huit spécialités, toutes à base d'inhibiteurs de l'ALS et représentant les quatre familles efficaces sur séneçon autorisées en France. Ces herbicides comprennent :
- cinq sulfonylurées : metsulfuron (Allié SX), iodosul-furon+mesosulfuron (Archipel), tribénuron (Express SX), flazasulfuron (Katana) et prosulfuron (Peak),
- une imidazolinone : imazamox (Pulsar 40),
- une triazolopyrimidine : florasulam (Primus),
- une sulfonylaminotriazolinone : thiencarbazone (Velocity A [thiencarbazone seule à 10 g/l], non commercialisé en France, utilisé car la thiencarbazone n'est disponible qu'en association en France. 4 l/ha de la spécialité Velocity A apportent la même quantité de thiencarbazone que la dose recommandée d'Adengo [thiencarbazone + isoxaflutole], soit 40 g/l).
Les tests de sensibilité ont consisté en des dose-réponse sur plantes de séneçon au stade deux feuilles pour le flazasulfuron, le tribénuron et la thiencarbazone, et au stade 3-4 feuilles pour les autres substances (Figure 2).
Résultat des tests sur plantes : les trois populations contiennent 100 % de plantes résistantes
Ces tests ont clairement montré que les trois populations sont constituées de 100 % de plantes résistantes aux inhibiteurs de l'ALS testés. Le niveau de résistance observé (« force » de la résistance) varie avec l'herbicide. Les sulfonylurées sont les plus fortement affectées, mais tous les herbicides testés sont concernés (Figure 2).
À noter : à une même dose, les plantes issues d'une même population ne sont pas toutes affectées de la même façon, certaines étant plus résistantes que d'autres.
Ce travail démontre pour la première fois l'existence d'une résistance aux inhibiteurs de l'ALS chez le séneçon commun.
Un test de diagnostic rapide
Les plantes résistantes contiennent des mutations
Le mécanisme de résistance aux inhibiteurs de l'ALS le plus connu est la résistance de cible : des mutations à des positions particulières dans le gène de l'ALS (« codons ») confèrent une résistance à des herbicides (Tranel et al., 2015). Le séneçon est une espèce tétraploïde, ce qui veut dire qu'il a deux génomes, et donc deux gènes de l'ALS (ALS1 et ALS2).
Le séquençage de ces gènes chez des plantes résistantes obtenues lors des tests a révélé une mutation au codon 197 de l'ALS1 chez toutes ces plantes. Deux mutations ont été identifiées, l'une chez toutes les plantes des populations P1 et P2, l'autre chez toutes les plantes de la population B3.
Une dizaine de mutations au codon 197 causant une résistance aux inhibiteurs de l'ALS étant connues (Tranel et al., 2015), un « test ADN » basé sur la PCR et permettant de détecter toutes ces mutations sur chacune des deux ALS du séneçon a été mis au point. Il utilise le même principe que celui d'un test décrit pour le vulpin et les ivraies (Délye et al., 2009) ou le coquelicot (Délye et al., 2011). Ce test a servi à analyser deux séries de populations supplémentaires.
Séneçon résistant en grandes cultures : autant en apporte le vent ?
Prélèvements 2014 sur trente-trois parcelles au hasard autour de P1 et P2
Des prélèvements ont été effectués début 2014 sur 33 parcelles choisies au hasard et distantes de 200 m à 15 km des parcelles P1 et P2 (Figure 1). Cinquante plantes par parcelle ont été analysées par PCR.
Résultat : une résistance qui se dissémine
Les résultats sont clairs : trente et une des trente-trois parcelles analysées contenaient de 2 % à 100 % de plantes mutantes (donc résistantes), avec en moyenne 52 % de plantes mutantes par parcelle (Figure 1).
La même mutation ayant été identifiée dans toutes les parcelles, il est très probable que l'ensemble du problème de résistance de la zone étudiée provienne de la dissémination du séneçon par le vent et/ou les engins agricoles à partir du foyer d'origine (parcelles P1 et P2).
Vignobles : une résistance déjà installée
Prélèvements mi-2014 sur treize parcelles où le séneçon semblait problématique
Des prélèvements ont été effectués mi-2014 sur treize parcelles des vignobles bordelais, toulousain, lyonnais et du Centre sur lesquelles des problèmes de contrôle du séneçon ont été observés depuis quelques années (Figure 3 p. 38).
Cinquante plantes par parcelle ont été analysées par PCR.
Résultat : 94 à 100 % de plantes résistantes dans ces parcelles
Les résultats sont sans appel : selon la parcelle, 94 % à 100 % des plantes sont mutantes (donc résistantes) (Figure 3).
La situation est plus complexe qu'en blé : de une à cinq mutations différentes au codon 197 ont été identifiées sur une même parcelle.
Ces mutations peuvent se trouver sur l'ALS1 ou l'ALS2, et une même plante peut contenir une mutation sur chaque ALS.
Enseignements à en tirer
Évolution de la résistance chez le séneçon
Nos données montrent que, chez le séneçon, la résistance évolue d'abord indépendamment dans des parcelles différentes. Une mutation donnée est sélectionnée dans une parcelle, puis se propage : c'est la situation observée dans les parcelles de blé analysées (Figure 1), parmi lesquelles la résistance s'est propagée depuis au moins trois à quatre ans.
Les « taches » de résistance s'étendent jusqu'à se rencontrer. À ce point, les mutations présentes dans les différentes « taches » se mélangent : la situation est celle des parcelles de vigne étudiées, où une même parcelle, voire une même plante, contient plusieurs mutations.
La complexité de la situation en vigne et le fait que la population B3 collectée en 2009 contenait déjà 100 % de plantes mutantes indiquent clairement que la résistance en vigne est installée dans les parcelles étudiées (et donc dans la zone environnante) depuis des années.
Une résistance simple à diagnostiquer ? Oui, mais...
La résistance liée à des mutations au codon 197 de l'ALS semble le mécanisme de résistance prédominant chez le séneçon. La situation ressemble beaucoup à celle du coquelicot (Délye et al., 2011). L'emploi du test PCR ciblant le codon 197 devrait donc suffire pour diagnostiquer la plupart des cas de résistance aux inhibiteurs de l'ALS chez le séneçon. Ce test rapide peut fournir un diagnostic en une journée de travail à partir de fragments de feuilles. Le cas du séneçon se prête bien à l'adaptation du test PCR aux techniques de séquençage « de nouvelle génération » qui permettent de travailler moins pour analyser plus d'échantillons, comme démontré sur panics (Délye et al., 2014).
Une nuance toutefois : les « tests ADN » développés ne détectent que les mutations de l'ALS. Or, la variation du niveau de résistance observé entre des plantes qui contiennent la même mutation (Figure 2) suggère qu'il existe aussi des mécanismes de résistance non liés à l'ALS chez le séneçon.
Des études supplémentaires sont donc nécessaires pour avoir une idée de leur nature et de leur impact sur la sensibilité du séneçon. Comme ce type de résistance peut toucher plusieurs modes d'action différents, il serait intéressant de tester aussi des herbicides avec un mode d'action différent des inhibiteurs de l'ALS.
Quelles conséquences ?
La vigne plus touchée que les grandes cultures
Les cas étudiés ici sont ceux de parcelles où la présence de séneçon résistant était suspectée, et où le désherbage était largement basé sur l'utilisation fréquente et répétée d'inhibiteurs de l'ALS (qui pis est, à dose réduite en blé) : tout ce qu'il faut faire pour sélectionner une résistance (Délye, 2013). Ces cas ne sont pas représentatifs de la situation générale en France, surtout en grandes cultures. En vigne, la situation semble plus détériorée, avec probablement de nombreuses parcelles concernées.
Agir vite face à la résistance en général, faire face au séneçon en particulier
Rappelons de nouveau que lorsque la résistance pose un problème pratique de contrôle dans une parcelle, c'est qu'une fraction importante de la population d'adventices est devenue résistante. Il est alors généralement trop tard pour préserver l'efficacité de l'herbicide, voire du mode d'action concerné.
Il est donc impératif de réagir rapidement lorsqu'est constatée une « dérive » d'efficacité pour le contrôle d'une espèce habituellement bien maîtrisée, et de mettre en place les mesures appropriées (test de sensibilité, modification du programme de désherbage).
Les particularités du séneçon (générations chevauchantes, cycle court, forte capacité de dispersion) font qu'il existe quasiment en permanence un flux de semences prêtes à germer arrivant dans les parcelles.
En outre, une partie de ces semences peuvent persister jusqu'à deux ans dans le sol. Sous cet aspect, le séneçon s'apparente davantage à une maladie aérienne dont l'inoculum serait les semences qu'à une adventice « classique ».
Quelques leviers agronomiques peuvent être actionnés, tels que l'enfouissement des semences par le labour ou l'implantation d'une culture ou d'un cultivar très couvrant en grandes cultures, ou l'enherbement des rangs en vigne. Le but est d'empêcher l'installation et la grenaison du séneçon.
Au niveau chimique, une perte d'efficacité des inhibiteurs de l'ALS est moins problématique pour le contrôle du séneçon qu'elle ne l'est pour celui de graminées adventices comme le vulpin ou les ivraies (Délye et al., 2009).
En effet, la gamme de substances actives et de modes d'action efficaces sur séneçon est plus riche et plus diversifiée (herbicides de groupes HRAC O, F... en grandes cultures, ou glyphosate [groupe G] en vigne).
Les inhibiteurs de l'ALS, une famille à ménager
L'évolution d'une résistance aux inhibiteurs de l'ALS chez le séneçon rappelle encore une fois que, dans le contexte actuel de réduction du portefeuille de substances herbicides disponibles, il est crucial de préserver l'efficacité de toutes celles encore disponibles.
Vu leur importance pour le désherbage, c'est particulièrement vrai pour les inhibiteurs de l'ALS. Il est crucial de bien raisonner leur emploi et de les inclure dans un programme de désherbage efficace et diversifié, tant au niveau des solutions chimiques que des pratiques agronomiques (Délye, 2013).
Fig. 1 : Parcelles de blé échantillonnées en 2013 (parcelles P1 et P2) et en 2014 (les 33 autres)
Chaque parcelle est représentée par un camembert montrant les proportions de plantes mutantes identifiées par « test ADN » (PCR) (et aussi par tests sur plants pour P1 et P2).
Fig. 2 : Tests de sensibilité à huit inhibiteurs de l'ALS sur les populations P1 (premier plan) et B3 (arrière-plan), quatorze jours après traitement
N = dose maximale autorisée de l'herbicide. TNT : témoin non traité. S : population de référence (100 % de plantes sensibles) ; quand une seule terrine de S est montrée, elle est traitée à la dose N. Pour chaque herbicide, la population de référence est détruite à 100 % à la dose N. Stade d'application : 3-4 feuilles (3-4 F) ou deux feuilles (2F). La population P2, non illustrée, se comporte comme la population P1.
REMERCIEMENTS
Bayer CropScience a organisé la collecte des échantillons en grandes cultures. ISK Biosciences Europe (Belgique) a partiellement financé ce travail et organisé la collecte des échantillons en vigne. Nous remercions toutes les personnes sur le terrain qui ont collecté et envoyé les échantillons.