Une des modalités avec travail du sol testées sur l'un des deux sites expérimentaux. Il s'agit de celui situé en forêt communale de Wintzenheim et Eguisheim (codé en WE dans cet article), sur le versant alsacien du massif vosgien. Photo : Inra
La régénération naturelle est la méthode la plus courante pour renouveler les forêts françaises : le peuplement adulte produit les graines qui vont germer à ses pieds et assurer ainsi la croissance des jeunes semis qui remplaceront les arbres matures. Mais cette croissance ne va pas toujours de soi.
Un travail qui s'imposait
Pourquoi lutter contre la « strate herbacée » ?
Ce processus peut être empêché par la présence d'une strate herbacée concurrente qui peut agir de deux façons.
La première est le fait de couvrir le sol. En constituant un tapis homogène, épais, cette végétation empêche physiquement les graines d'arriver au sol et de germer. C'est le cas des éricacées dont la myrtille.
Le second type d'obstacle à la régénération est la concurrence (eau, lumière, etc.) exercée par une végétation dont la structure aérienne ne recouvre pas forcément totalement le sol à 100 % mais dont la structure racinaire occupe la quasi-totalité de l'espace dans le sol. C'est le cas des graminées, en particulier la fétuque géante. Elles exercent une compétition très forte face aux petits semis naturels qui essaient de s'installer.
De Louis XIV à aujourd'hui
Les méthodes de lutte contre ces strates herbacées ont été multiples. Du XVIIe siècle à la moitié du XXe siècle, les forêts françaises étaient désherbées-binées par les ouvriers forestiers, pour installer la régénération. Par la suite, les herbicides issus de l'agriculture sont devenus le nouveau moyen de lutte efficace et à moindre coût pour les gestionnaires.
Depuis une décennie, la technique herbicide est en régression constante à la suite de nombreuses contraintes environnementales, techniques, industrielles, voire idéologiques ou politiques... Actuellement, le constat reste douloureux pour le gestionnaire : la végétation herbacée n'arrête pas de perturber les régénérations et les techniques « à la binette » coûtent trop cher !
Un pari relevé
Trouver une solution efficace en alternative aux herbicides, capable de maîtriser durablement la végétation herbacée au stade de la régénération des forêts, est le pari relevé par l'équipe de R&D du LERFoB de l'Inra de Nancy-Lorraine : « Mission gestion de la végétation en forêt ».
La minipelle, introduite en forêt par Claude Becker il y a vingt ans pour préparer le sol avant les plantations, peut également servir à désherber mécaniquement la strate herbacée concurrente. L'équipe MGVF a installé une expérimentation visant cet objectif. Cinq ans plus tard, les premiers résultats apportent une réponse très positive.
Cinq années de tests
Deux sites dans les Vosges, un démarrage en 2009
Une expérimentation est installée sur deux sites en moyenne montagne sur le versant alsacien des Vosges :
- un site sur myrtille (V. myrtillus L.) sous hêtraie en forêt domaniale de la Petite-Pierre (400 m d'altitude, PH 4, sol sablo-limoneux sur grès vosgien), site dénommé PP ;
- un site sur fétuque géante (F. gigantea L.) sous hêtraie-sapinière en forêt communale de Wintzenheim et d'Eguisheim (750 m d'altitude, PH 4, sol sablo-limoneux sur granit), site dénommé WE.
« Blocs » expérimentaux
La mise en place de l'expérimentation a été réalisée au printemps 2009. Dans chaque site, des surfaces de 25 × 25 m (= un bloc expérimental) ont été délimitées et réparties dans les parcelles forestières : dix blocs sur PP et douze sur WE.
Sur chaque site, la moitié des blocs a été maintenue sous couvert forestier ; dans l'autre moitié des blocs, on a procédé à l'exploitation du peuplement forestier, ce qui a créé des trouées de 25 m de côté dans le peuplement. Chaque bloc expérimental a été subdivisé en cinq bandes parallèles de 5 m de large et de 25 m de long chacune (soit une parcelle expérimentale).
Sur chaque bloc, cinq modalités expérimentales ont été comparées (cinq répétitions à PP et six à WE pour les modalités sous couvert forestier, et autant en trouée).
Sur chaque parcelle expérimentale (5 × 25 m), dix à onze placeaux de mesures de 1 m2 ont été implantés, soit un total de 1 200 placeaux sur l'ensemble des deux sites.
Mesures effectuées
Le niveau d'éclairement des placeaux, sous couvert et en trouée, a été mesuré par photos hémisphériques à la mise en place de l'essai. Il est quantifié en éclairement relatif par rapport au plein éclairement en milieu totalement découvert. En trouée ouverte : >17 % à WE et >42 % à PP. Sous couvert forestier : <17 % à WE et <42 % à PP.
Ensuite, un inventaire floristique complet (espèces végétales et recouvrement en pourcentage) a été réalisé deux fois par an les trois premières années, puis une fois par an les deux années suivantes (2012 et 2013). Le comptage des semis naturels a été réalisé par type d'essence. Tout cela sur pas moins de 1 200 placeaux. Le bilan a été réalisé après cinq années dont 2013.
Modalités expérimentales testées
Les modes de gestion comparés sont :
Témoin (TE) : modalité de référence. La végétation initiale reste en place.
Herbicide (HE) : référence herbicide. Végétation éliminée par application de glyphosate à 2 160 g/ha en juillet 2009.
Pioche herse (PH) : outil monté sur la flèche de la minipelle. De forme triangulaire (70 cm de base), il est équipé de six dents positionnées en quinconce. Il arrache la végétation, l'évacue latéralement en petit andain, puis griffe le sol par piochage au cours de la même opération, sur une profondeur de 25 cm.
Scarificateur réversible (SR) : outil lui aussi monté sur minipelle (75 cm de large), équipé de trois dents principales d'une hauteur de 40 cm et de deux dents de 20 cm intercalées entre les premières. Trois obus de sous-solage de 60 cm de long, effilés à leurs extrémités, sont fixés sur les trois dents principales. L'outil s'utilise en deux opérations successives : il arrache la végétation à la manière d'une fourche à foin en l'évacuant latéralement en petits andains, puis il décompacte le sol par bêchage sans retourner les horizons sur 40 cm de profondeur.
Couverture végétale (CV) : la végétation concurrente en place est arrachée avec la PH, puis une végétation de remplacement (de couverture) est semée. Elle est choisie pour son caractère non-concurrent dans l'objectif d'occuper temporairement l'espace (trois à quatre ans) pour permettre à la régénération forestière de s'établir sans compétition initiale bloquante.
Cette végétation disparaît naturellement en quelques années. Le mélange semé est composé d'Aliaria petiolata Bieb., Digitalis purpurea L., Galium odoratum L., Hypericum perforatum L., Myosotis sylvatica Hoffm., Senecio nemorensis L., Silene nutans L. et Stellaria holostea L
Impact sur la végétation herbacée
Différence « trouée »/« sous couvert »
On observe une présence de végétation plus forte dans les blocs en trouées que dans ceux sous couvert forestier.
Cela s'explique par la réaction de la végétation à la mise en lumière du sol : la végétation spontanée initiale se développe brutalement dès la première saison de végétation, surtout dans les parcelles TE (témoin). Selon les modalités, la banque de graines du sol ou les graines apportées artificiellement vont occuper rapidement le sol mis en lumière. Des espèces nouvelles remplacent les espèces initiales. À WE, il s'agit de Digitalis purpurea, Rubus idaeus et R. fruticosus. À PP, c'est essentiellement Deschampsia flexuosa, Rumex acetosella, Rubus fruticosus, Pteridium aquilinum.
Sous couvert forestier, hormis le témoin resté stable, la végétation est nettement plus faible que dans les trouées.
État du témoin au bout de cinq ans
Dans tous les cas, le recouvrement du témoin reste constant après cinq ans : 100 % en trouée sur les deux sites, 100 % sous couvert à PP (sous hêtraie) et 67 % sous couvert à WE (sous hêtraie-sapinière). La situation initiale est maintenue (Figure 1).
Résultats après herbicide
Dans les modalités HE (herbicide), la végétation initiale avait été éliminée efficacement en 2009. Sous couvert, seulement 20 % de la végétation herbacée était réapparue en 2013 à la Petite-Pierre et 10 % sur l'autre site (Figure 1).
En trouée, sur les deux sites, une végétation nouvelle a recolonisé 100 % de l'espace, cinq ans après l'intervention (Figure 1). Dans tous les cas, il y a eu substitution de flore au détriment de la fétuque ou de la myrtille.
Modalités alternatives PH, SR, CV : recolonisation avec substitution
Les trois techniques alternatives testées commencent par éliminer mécaniquement la végétation initiale. Celle-ci ne se réinstalle quasiment pas. Elle est remplacée progressivement par une végétation de substitution, naturelle ou artificielle (CV) qui se comporte différemment selon les sites.
Après cinq ans :
- à WE : la recolonisation varie de 40 à 60 % sous couvert et de 90 à 100 % en trouée ;
- à PP, elle varie de 60 à 75 % sous couvert et de 90 à 92,5 % en trouée ;
À WE, la recolonisation est plus rapide qu'à PP vu les conditions stationnelles plus favorables et le potentiel floristique plus riche.
Impact sur les semis : bilan après cinq ans
Régénération globale
Dans les deux sites, on observe une plus forte régénération dans les blocs sous couvert que dans ceux en trouée où les semenciers ne sont pas à l'aplomb mais situés en périphérie des parcelles.
Témoin et modalité herbicide
Sur les cinq années, quasiment aucun semis n'est apparu dans les modalités TE (témoin) sur les deux sites (Figure 2). Cela confirme le fait que les gestionnaires essaient en vain, de régénérer la parcelle de WE depuis quarante ans et celle de PP depuis soixante ans...
Dans la modalité HE, pas ou peu de semis se sont installés : seulement trois semis au mètre carré à WE. Une explication possible reste à confirmer : sur les deux sites, après le traitement, la biomasse de la végétation a mis deux ans à se dégrader. Elle a empêché physiquement les graines d'arriver au sol. C'est seulement au cours de la troisième année que la surface du sol se trouvait découverte. Or la production de graines par les arbres semenciers est aléatoire, selon les années. À WE et à PP, cette production a eu lieu au cours des deux premières années de la mise en place de l'essai et a été quasiment absente, par la suite.
Pour connaître la réponse, il faudrait que des années favorables à la production de graines se présentent, afin que le sol soit toujours quasiment nu dans les blocs sous couvert. Cela pourrait permettre à ces nouvelles graines de germer sur le sol resté réceptif.
Méthodes alternatives
Les trois méthodes alternatives ont toutes permis une régénération intéressante sous couvert forestier. Elles ont permis une régénération moindre mais tout de même réelle sous trouée dans le site WE, très faible dans le site PE (Figure 2).
Cette différence entre sites s'explique par le fait que leurs peuplements forestiers sont différents : à WE, la forêt est composée d'espèces mélangées de feuillus (graines lourdes qui tombent à l'aplomb des arbres) et de résineux (graines légères qui peuvent se disperser à distance des arbres). À PP, le hêtre est seul présent et la régénération en trouée est donc de toute façon difficile.
Les trois modalités dans le détail
La modalité PH (pioche-herse) a permis d'installer :
- sous couvert, 8 semis/m2 à WE et 11/m2 à PP ;
- dans les blocs en trouée, 2 semis/m2 à WE et aucun à PP.
La modalité SR (scarificateur réversible) a permis d'installer :
- sous couvert, 16 semis/m2 à WE et 11/m2 à PP ;
- dans les blocs en trouée, 5 semis/m2 à WE et 1/m2 à PP.
La modalité CV (couvert végétal semé après passage de la PH) a permis d'installer :
- sous couvert, 14 semis/m2 à WE et 29/m2 à PP ;
- dans les blocs en trouée, 7 semis/m2 à WE et 1/m2 à PP.
Un travail riche d'enseignements
Maintien d'un couvert forestier et élimination rapide du couvert herbacé
Cette expérimentation apporte deux réponses majeures dans le domaine de la régénération naturelle.
La première est de montrer l'incidence primordiale de la lumière sur la végétation herbacée ainsi que l'importance du maintien du couvert forestier pour obtenir un maximum de semis.
Le second résultat montre l'impact essentiel de l'élimination de la strate herbacée bloquante : la mise à nu du sol par un travail mécanique combiné « désherbage-piochage » permet aux graines de se poser directement au sol, sans obstacle herbacé ou de litière. Les radicules s'enracinent facilement dans le sol travaillé, dès la germination des graines.
Analyse des différences entre modalités alternatives
La petite différence observée entre la modalité PH et SR est liée à la profondeur du travail du sol : les dents de la PH descendent à 25 cm alors que le SR descend à 40 cm. Les racines des graines peuvent assurer leur croissance pivotante plus profondément dans le second cas, d'où une meilleure résistance en cas de sécheresse estivale.
La modalité CV est très intéressante mais elle exige une opération supplémentaire par rapport aux deux précédentes. Le semis végétal demande des compétences et un léger coût supplémentaire. Des études complémentaires technico-économiques devront apporter des réponses à ces questions.
Évolution en trouée sur le site WE
Un autre résultat est à noter. Ce bilan présenté après cinq ans ne montre pas toutes les phases intermédiaires de l'évolution des semis, particulièrement sur le site de WE colonisé au départ par la fétuque géante et plus riche en diversité d'essences (sapin, hêtre, pin sylvestre, Douglas, mélèze, chêne sessile, châtaignier, saules) que PP (hêtre principalement, pin sylvestre).
Sur WE, dans les blocs en trouée de CV, un nombre très important de semis est apparu dès la seconde année. Les diverses espèces correspondaient aux semenciers cités plus haut. Dès la troisième année, la plupart des espèces héliophiles ont disparu. Seules ont survécu les espèces sciaphiles capables de mieux résister sous l'ombrage de la végétation dynamique qui a rapidement remplacé la fétuque. La framboise et la ronce ont principalement succédé au cortège floristique du couvert végétal (CV) semé qui a naturellement et globalement disparu au bout de trois ans.
Éloge de la minipelle et de ses outils
Plus globalement, cette expérimentation démontre, pour la première fois, l'utilité de la minipelle et de ses outils dans le cadre de la régénération naturelle en forêt, y compris en situation de pente forte (jusqu'à 60 %) et en présence de nombreux obstacles (arbres, souches, rochers). Elle démontre la possibilité de désherber mécaniquement une végétation tout en réalisant un travail simultané du sol, favorable à l'installation de la régénération.
Ces nouvelles techniques, alternatives à l'utilisation des herbicides, sont à la disposition du gestionnaire qui doit renouveler sa forêt. Il lui reste à choisir le type d'intervention à réaliser : en travail localisé, en placeaux, en bandes étroites ou larges, etc. Le travail en plein n'est plus nécessaire.
Grâce à ces techniques, on passe de quasiment 0 semis à 80 000 et jusqu'à 160 000 semis/ha, selon les sites et les modalités. Ces chiffres montrent que ces nouvelles techniques pourront permettre aux forestiers de régénérer très facilement leurs parcelles.
Conseils en trois temps
En pratique il semblerait intéressant, dans un premier temps, de désherber-travailler le sol sous le peuplement selon un maillage de placeaux à définir dans chaque cas.
Il faudra, dans un second temps, exploiter le peuplement semencier lorsque les semis auront un à trois ans (selon les essences) pour provoquer des trouées de lumière permettant aux semis de se développer. Ces semis auront l'avance nécessaire par rapport à la végétation herbacée qui réapparaîtra forcément dans les trouées.
Si besoin, il faudra intervenir en opération de dégagement, une ou deux fois, pour assurer la survie et l'installation définitive des semis.
Cette dernière opération n'a pas été intégrée dans le protocole expérimental de cette étude, l'objectif étant d'observer l'évolution naturelle des semis et de la végétation, sans aucune intervention après la phase initiale de la mise en place du protocole.
Fig. 1 : Végétation herbacée après cinq années
Les méthodes alternatives (PH : pioche-herse, SR : scarificateur réversible. CV : semis de couvert végétal après PH) sont comparées au témoin (TE) et à l'herbicide (HE).
Fig. 2 : Nombre de semis par mètre carré, cinq ans après traitement
Pour le semis spontané de jeunes arbres, donc la régénération, les méthodes alternatives sont plus efficaces que l'usage d'herbicides et le laisser-faire total (témoin).
REMERCIEMENTS
Les auteurs remercient Xavier Auzuret, Fabien Duez et les très nombreux stagiaires de MGVF qui ont assuré un excellent travail de terrain. Claude Becker qui a osé se lancer dans cette aventure avec nous, sur des pentes parfois fortes et rocheuses. Sans oublier les agents patrimoniaux de l'ONF de Colmar (68), particulièrement Christian Bitschéné de la MF de La Forge, et de Saverne (67). Le MAAF et la DG ONF pour leur soutien financier.