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Interview

L'Anses délivre les AMM rapport de première étape

PROPOS RECUEILLIS PAR MARIANNE DECOIN* - Phytoma - n°686 - août 2015 - page 10

Depuis le 1er juillet 2015, l'Anses s'est vue confier la prise en charge des décisions touchant les AMM (autorisations de mise sur le marché) de produits phytopharmaceutiques. Bilan provisoire avec le directeur général de cette agence, Marc Mortureux.
Pour Marc Mortureux, « l'organisation interne mise en place au sein de l'agence pour prendre en charge ses nouvelles missions a été conçue pour préserver la séparation fonctionnelle entre évaluation et gestion ».  Photo : B. Holsnyder

Pour Marc Mortureux, « l'organisation interne mise en place au sein de l'agence pour prendre en charge ses nouvelles missions a été conçue pour préserver la séparation fonctionnelle entre évaluation et gestion ». Photo : B. Holsnyder

La loi d'avenir agricole du 13 octobre 2014 l'avait prévu, le décret du 30 juin 2015 l'a réalisé : l'Anses, Agence nationale pour la sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, qui évaluait déjà les demandes d'autorisation (AMM) de produits phytopharmaceutiques, a désormais pris aussi en charge la délivrance de ces AMM.

Marc Mortureux, directeur général de l'Anses, (parcours en Encadré 1), a bien voulu faire le point pour les lecteurs de Phytoma, quelques semaines après ce transfert.

Indépendance et performance

Phytoma - Quel est, selon vous, le bénéfice de ce transfert pour l'intérêt général ?

Marc Mortureux - L'objectif premier de ce transfert à l'Anses est de garantir l'indépendance du processus de délivrance des autorisations de mise sur le marché (AMM) des produits phytopharmaceutiques.

Ce processus est basé sur une évaluation scientifique des risques et de l'efficacité de ces produits, dans le cadre des critères fixés par la réglementation européenne.

L'Anses s'appuie sur des compétences scientifiques reconnues, selon des processus garantissant le caractère collectif, pluridisciplinaire et contradictoire de l'expertise, et dans un cadre déontologique très strict permettant de prévenir les risques de conflit d'intérêt.

Premier objectif, l'indépendance, donc. En existe-t-il un second ?

Oui. Le second objectif du rassemblement dans un même organisme de l'ensemble de la chaîne de traitement d'un dossier de demande d'AMM est d'améliorer la performance globale du dispositif.

Ce transfert doit en effet permettre une meilleure maîtrise du délai global de traitement des dossiers.

Nous souhaitons ainsi faire de cette extension des missions de l'Anses un levier d'action pour renforcer la sécurité sanitaire, gagner en efficacité et, également, conforter notre place aux niveaux européen et international.

Séparation évaluation/décision

Il y avait une séparation évaluation/décision car l'Anses évaluait et le ministère délivrait les AMM. Et maintenant ?

L'organisation interne mise en place au sein de l'agence pour prendre en charge nos nouvelles missions a été conçue pour préserver la séparation fonctionnelle entre l'évaluation et la gestion.

Cette organisation est issue d'un long processus de concertation avec l'ensemble des parties prenantes. Ce processus a été initié dès l'adoption de la loi à l'automne 2014, afin de répondre aux inquiétudes exprimées sur le risque de remise en cause de l'indépendance de l'expertise scientifique.

En pratique, comment fonctionne cette séparation ?

L'agence a créé deux directions distinctes et indépendantes l'une de l'autre, une direction de l'évaluation des produits réglementés (DEPR) et une direction des autorisations de mise sur le marché (DAMM).

Elle a par ailleurs défini des processus, certifiés ISO 9001, assurant la traçabilité de toutes les étapes de l'évaluation puis de la prise de décision.

Concernant la délivrance des AMM, sur la base des résultats de l'évaluation, des lignes directrices ont été établies et soumises à consultation publique pour afficher en toute clarté les critères pris en compte pour la prise des décisions, en application de la réglementation européenne.

Enfin, pour prévenir les risques d'interférence dans les processus d'évaluation et de décision, tout en restant fidèles à notre volonté d'ouverture au dialogue, nous avons engagé une réflexion avec notre comité de déontologie et de prévention des conflits d'intérêts, afin d'assurer une traçabilité des échanges avec les parties intéressées, et de mettre en avant les principes de transparence et d'équité d'accès.

L'agence s'est ainsi donné les moyens de garantir l'indépendance de l'évaluation scientifique et de gagner en transparence dans le processus de décision.

Côté critères

Les critères d'acceptation changent-ils ?

Les critères d'acceptation et de refus sont définis par la réglementation européenne, complétée par des guides européens qui en déclinent les exigences de façon plus opérationnelle : ces critères seront appliqués par l'Anses, de la même façon qu'ils étaient appliqués par le ministère.

L'Anses a néanmoins comme missions non seulement d'appliquer la réglementation dans l'instruction des dossiers qui lui sont soumis, mais aussi de contribuer à faire évoluer cette réglementation, partout où elle identifie des marges de progrès possibles.

Comment les identifier ?

Elle s'appuie pour cela sur la réalisation d'études et recherches indépendantes, et sur la conduite d'expertises dans le cadre d'auto-saisines, pour mieux documenter scientifiquement des points méritant des évolutions du cadre réglementaire.

Dans cet esprit, l'agence a produit récemment un important travail sur la question de la protection des opérateurs et travailleurs agricoles exposés aux produits phytopharmaceutiques, ainsi que sur la prise en compte des coexpositions des abeilles aux pesticides et pathogènes au regard des phénomènes de leur mortalité.

Consultations publiques : fin des individuelles

Les demandes d'AMM étaient soumises à consultation publique. Et aujourd'hui ?

En application des articles L. 120-1 et L. 120-2 du code de l'environnement, les projets d'autorisation de mise sur le marché de produits ayant un impact sur l'environnement doivent être soumis à consultation publique avant que celles-ci ne soient délivrées. C'est ce qu'avait mis en place depuis fin 2013 le ministère de l'Agriculture pour les AMM de produits phytopharmaceutiques.

Ce même code de l'environnement prévoit que la consultation publique systématique pour chaque décision individuelle n'est pas nécessaire, dès lors que ces décisions sont prises selon des lignes directrices, elles-mêmes soumises à consultation publique.

Dans un souci de lisibilité, l'agence a élaboré et soumis à consultation publique au printemps dernier de telles lignes directrices.

Celles-ci permettent d'expliciter les critères en vue de l'exercice du pouvoir d'appréciation dont procèdent ses décisions. Ces lignes directrices sont aujourd'hui disponibles sur le site de l'agence.

Ainsi, désormais, l'agence ne soumettra plus systématiquement les projets de décision à consultation publique.

Fini les consultations individuelles pour la majorité des dossiers... Pas de regret ?

Soyons clairs : l'expérience a montré la faible valeur ajoutée de cette consultation publique pour de nombreux dossiers « standard ». De plus, le temps nécessaire à l'organisation de cette consultation augmentait la difficulté à respecter les délais réglementaires pour la délivrance des AMM.

Voulez-vous dire que c'était beaucoup de complications administratives pour une faible « valeur de concertation » ?

On peut le traduire comme cela...

Y a-t-il de la concertation/consultation supplémentaire, pour compenser ?

Oui car, par ailleurs, il sera mis en place un comité de suivi des AMM au sein de l'agence (comité prévu par la loi). Ce comité rassemblera des personnalités qualifiées ayant une bonne expérience de terrain. Il sera destiné à assister l'agence sur les conditions de mise en oeuvre des décisions d'AMM et leur suivi après mise sur le marché.

Le transfert en pratique

Selon l'article 4 du décret, les dossiers en cours d'instruction ont dû être transférés à l'Anses. Comment cela se passe-t-il ?

La plupart des dossiers en cours d'instruction au ministère de l'Agriculture ont fait l'objet d'une décision du ministère avant le 1er juillet 2015. Les autres ont été transférés à l'agence pour prise de décision, avec le souci de continuité dans l'instruction des dossiers.

Cela a nécessité une préparation en amont, afin de déterminer avec le ministère un planning de transfert.

Dans un souci de clarté et de transparence, l'agence a organisé dès le 2 juillet 2015 une réunion de l'ensemble des titulaires d'AMM pour les informer de façon précise des nouvelles modalités d'organisation et de prise en charge des dossiers par l'agence.

Dorénavant, presque toutes les demandes sont adressées à l'agence et traitées par elle, avec déjà des décisions prises et signées.

Presque toutes les demandes ?

Il existe une exception, signalée du reste dans le décret : les demandes de « dérogation 120 jours » relèvent toujours du ministère.

E-phy en stand-by

Que devient e-phy ?

Le site e-phy, qui met à disposition le catalogue des produits phytopharmaceutiques, adjuvants, matières fertilisantes et supports de culture, et de leurs usages, autorisés en France, doit être la base de données de référence pour les agriculteurs, horticulteurs, jardiniers, leurs fournisseurs et prescripteurs, mais aussi tous ceux qui s'intéressent aux écosystèmes, ou encore les industriels, scientifiques et médias.

Pour y parvenir, la fiabilité et l'accessibilité des données mises à disposition via ce site officiel sont des exigences essentielles. Nous avons donc décidé d'investir dans un nouveau site e-phy, plus performant et convivial que le site actuel.

Un e-phy amélioré, d'accord. Où peut-on le consulter ?

Il sera disponible d'ici la fin de l'année 2015, sachant que le site e-phy actuel reste accessible mais avec des données figées au 1er juillet 2015.

Le nouveau site e-phy, dès qu'il sera disponible, affichera toutes les informations utiles et à jour sur les produits et substances autorisés, tant pour les professionnels que pour le grand public.

Les caractéristiques des produits et les conditions de leur utilisation, telles que définies dans les décisions d'AMM, y seront référencées. De plus, le site fournira des informations complémentaires plus générales. Notamment, par exemple, sur les bonnes pratiques et le suivi post-autorisation des produits.

Mais alors, en attendant, les décisions prises après le 1er juillet ne sont pas accessibles ?

Bien sûr que si. Toutes les décisions prises par l'agence concernant les produits phytopharmaceutiques, adjuvants, mélanges, matières fertilisantes et supports de culture, ainsi que produits mixtes, sont d'ores et déjà rendues publiques.

De quelle façon ?

Via notre registre des décisions.

Ce registre est-il accessible ?

Même s'il est lui aussi en refonte pour, là encore, proposer à terme un meilleur confort de recherche à ses utilisateurs, oui, il est accessible.

1 - Marc Mortureux, un parcours au service de l'expertise

Ingénieur des Mines, Marc Mortureux a travaillé aussi bien dans le secteur public que privé.

Son parcours l'a mené de l'industrie à la Compagnie générale de géophysique, en passant par l'Institut Pasteur, où il a occupé le poste de directeur général adjoint de 2005 à 2008.

Il dirigeait, avant de rejoindre l'Afssa, le cabinet de Luc Chatel, alors secrétaire d'État à la Consommation et à l'Industrie et porte-parole du gouvernement.

Principal atout de cette expérience professionnelle riche : elle a été notamment l'occasion pour Marc Mortureux d'aborder des sujets liés directement au périmètre de compétences du secteur sanitaire et de travailler dans un contexte scientifique de haut niveau.

À titre d'exemples, citons sa mission à la direction d'Airparif (organisme chargé du réseau de surveillance de la pollution atmosphérique en Île-de-France) ou encore sa nomination, de 1999 à 2005, à la tête du Laboratoire national de métrologie et d'essai dont le rôle consiste à apporter une expertise scientifique et élaborer des recommandations techniques en matière de sécurité, de santé et de développement durable.

C'est au titre de directeur de ce laboratoire que Marc Mortureux a été élu, en 2005, président d'Eurolab, la fédération européenne des laboratoires d'essais, d'étalonnage et d'analyses.

Nommé par décret du président de la République du 26 août 2009, Marc Mortureux s'était vu confier la charge de la préfiguration du nouvel établissement public - Anses - qui a repris les missions de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) et de l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (Afsset). Il est à la tête de l'Anses en tant que directeur général depuis sa nomination le 8 juillet 2010.

Source : Anses.

2 - L'État, les agences et les autorisations de mise sur le marché : rappel réglementaire

Au commencement était le ministère français chargé de l'Agriculture. Depuis 1943(1), il délivrait les « homologations » autorisant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques. Il instruisait les dossiers de demande en s'appuyant sur des comités consultatifs dont la « commission des toxiques(2) » qui évaluait la toxicité des produits et les risques associés.

Depuis 1993, de par la directive européenne n° 91/414, les AMM(3) des produits ne sont délivrées au niveau national qu'une fois leurs substances actives inscrites par l'Europe après évaluation de leur toxicité.

En 2006, l'évaluation des risques en France est confiée à l'Afssa(4). But : que l'évaluation du risque soit séparée de sa gestion. La délivrance d'AMM reste au ministère de l'Agriculture.

En 2010, l'Afssa fusionne avec l'Afsset dans l'Anses. En 2011, le règlement n° 1107/2009 qui remplace la directive n° 91/414 précise les critères d'évaluation du risque.

En 2014, l'article 51 de la loi d'avenir prévoit le transfert des décisions d'AMM à l'Anses. Le décret n° 2015-791 du 30 juin 2015 organise cela.

(1) Loi préparée dans les années 1930 mais qui n'avait pu être promulguée avant la guerre.

(2) Comm. d'étude de la toxicité des produits antiparasitaires et assimilés à usage agricole.

(3) Autorisations de mise sur le marché.

(4) Agence française de sécurité sanitaire des aliments, de par la loi d'orientation de 2006.

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RÉSUMÉ

CONTEXTE - Le décret du 30 juin 2015 organise le transfert à l'Anses de la délivrance des AMM de produits phytopharmaceutiques prévu par la loi d'avenir de 2014. Quelques semaines après, c'est le moment de faire le point avec Marc Mortureux, directeur général de l'Anses.

ÉTAT DES LIEUX - Marc Mortureux explique :

- l'organisation mise en place pour conserver les avantages de la séparation évaluation/décision tout en améliorant l'efficacité du dispositif ;

- les moyens mis en place ou prévus pour assurer indépendance, transparence et traçabilité ;

- l'avancement en pratique du transfert des décisions (réalisé), le devenir des consultations publiques (celle des lignes directrices dispense de certaines consultations individuelles) et de l'information du public (e-phy, registre Anses).

MOTS-CLÉS - Réglementation, loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014, décret n° 2015-791 du 30 juin 2015, AMM (autorisation de mise sur le marché), produits phytopharmaceutiques, e-phy, Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail), Marc Mortureux.

POUR EN SAVOIR PLUS

PROPOS RECUEILLIS PAR *M.DECOIN, Phytoma.

CONTACT : m.decoin@gfa.fr

LIENS UTILES : www.anses.fr/ Aller dans « Avis, rapport, publications » puis « Registre des décisions d'autorisation de mise sur le marché... » puis « Liste des décisions d'autorisation... ».

http://e-phy.agriculture.gouv.fr (décisions antérieures au 1er juillet 2015).

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