La société Bayer a mis en place un dispositif de suivi de la fusariose des épis de blé appelé CartoFusa.
Pour cela, chaque année, des prélèvements d'épis sont effectués chez plusieurs centaines d'agriculteurs afin de réaliser des analyses d'espèces mycologiques et de mycotoxines, principalement le DON (déoxynivalénol).
Voici la synthèse des enseignements de dix-huit années de surveillance des blés français.
À propos de mycotoxines et notamment du DON
Une préoccupation mondiale
La FAO (Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture) estimait en 2008 que 25 % de la production végétale mondiale est contaminée par des mycotoxines pour une perte totale de denrées alimentaires estimée à 1 000 millions de tonnes. En plus des questions de toxicité humaine et animale, les mycotoxines ont des effets néfastes sur les procédés industriels et sur la qualité des produits finis.
Les conditions climatiques et les pratiques agricoles sont déterminantes, notamment pour le risque lié aux fusariotoxines causées par des champignons du genre Fusarium. D'autres mycotoxines (aflatoxines, ochratoxine...) sont davantage liées aux conditions de transport et de stockage.
De façon générale, il existe très peu de moyens pour éliminer les mycotoxines. Elles sont généralement thermostables, donc ne sont pas détruites par les procédés usuels de cuisson et de stérilisation.
Toutefois, dans certaines filières, des méthodes physiques ont été développées pour réduire la teneur en mycotoxines des produits (ex. : nettoyage, décorticage des grains).
Le DON et le blé
Cependant pour les mycotoxines produites au champ comme les fusariotoxines, le meilleur moyen de se prémunir contre cette problématique reste la gestion des pratiques agronomiques en fonction du risque parcellaire de contamination.
Le déoxynivalénol (DON) est le représentant le plus répandu en France des trichothécènes, une des familles de fusariotoxines. En 2007, année à forte pression fusariose, 10 % des surfaces en blé ont été touchées par un taux de DON supérieur au seuil autorisé pour l'alimentation humaine.
Objectifs et description du dispositif CartoFusa
Sur 18 ans, 150 à 400 parcelles par an
Depuis 1997, Bayer met en place et suit un réseau de surveillance annuelle des fusarioses des blés en France, ainsi que des contaminations par la principale mycotoxine associée, le DON. Ce réseau, unique en France, permet de suivre les niveaux d'infestation et les pratiques agricoles associées de 150 à 400 parcelles par an, en fonction des années, et ce depuis dix-huit ans.
Le dispositif couvre 79 départements français ; il permet d'identifier les espèces fongiques responsables des contaminations (genres Fusarium et Microdochium) et de quantifier les teneurs en DON des échantillons prélevés.
Mesures, enquêtes parcellaires...
Au total, plus de 2 millions d'épis ont été prélevés dans le cadre de ce réseau. Les indicateurs mesurés sur les échantillons sont :
- le pourcentage de grains contaminés ;
- la part des diverses espèces de Fusarium et du genre Microdochium dans les grains contaminés (analyse mycologique) ;
- la teneur en DON (µg/kg).
Les parcelles du réseau sont également suivies sur le plan des pratiques agricoles, via une enquête agronomique parcellaire.
Par ailleurs, chaque parcelle du dispositif est coupée en deux parties :
- un témoin non traité pour réaliser la cartographie des espèces responsables des fusarioses présentes ;
- une partie traitée pour évaluer la contamination en situation de pratique réelle ; les indicateurs mesurés peuvent donc ensuite être interprétés en fonction des pratiques agricoles associées à la parcelle.
Les analyses de teneurs en DON et les identifications de flore fongique sont réalisées par des laboratoires indépendants de la société Bayer. Les teneurs en DON sont évaluées grâce à un test Elisa.
L'objectif de ce réseau est triple :
- cartographier géographiquement les prédominances d'espèces liées aux fusarioses en France et les contaminations en DON ;
- suivre de façon pluriannuelle la qualité sanitaire des grains via un dispositif de monitoring représentatif ;
- acquérir des références fiables et éprouvées sur les relations entre qualité sanitaire des grains à la récolte et pratiques agricoles associées.
Résultats à différentes échelles
Suivi des fusarioses à l'échelle nationale
Le nombre important de parcelles suivies dans le cadre de ce réseau permet de consolider des résultats fiables à différentes échelles géographiques et temporelles.
Les consolidations au niveau national permettent de suivre les évolutions du nombre de grains fusariés depuis dix-huit ans en situation de parcelles agriculteurs non traitées à la floraison (Figure 1).
À l'échelle nationale, les niveaux de pression fusariose sont très variables selon les années, en fonction des conditions climatiques principalement.
On note sur la Figure 1 que la pression observée en 2014 est moyenne. En comparaison, 2007, 2008 et 2012 étaient des années à forte pression en fusariose.
Suivi des différentes espèces responsables de ces fusarioses
De la même façon, cette consolidation nationale permet de suivre les évolutions des proportions des différentes espèces de Fusarium dans les échantillons issus des modalités non traitées à la floraison.
Ainsi on visualise aisément sur la Figure 2 la prédominance d'une espèce et d'un genre majoritaires en France : Fusarium graminearum et Microdochium spp. Il existe cependant quelques variations annuelles atypiques, par exemple en 2011 où Fusarium poae était largement majoritaire.
Taux de DON variable selon les années
Le suivi des teneurs en DON (Figure 3) montre une forte hétérogénéité de résultats selon les années.
Cette fluctuation est due à la variabilité de la pression en fusariose mais aussi à la variabilité de la prédominance de Microdochium spp. parmi les champignons identifiés.
Ainsi, l'année 2014 est marquée par une teneur en DON plus faible qu'attendue vu la pression maladie moyenne. Cela est probablement explicable par une prédominance de Microdochium spp. dans les identifications cette année-là (Figure 2).
Suivis aux échelles régionales et départementales
Le traitement des informations contenues dans ce réseau de surveillance nationale permet également d'interpréter les résultats au niveau régional ou encore au niveau départemental.
Ainsi en 2014, la comparaison interrégionale permet de visualiser les deux régions françaises où la pression en fusariose s'est montrée la plus élevée, comme c'est le cas habituellement du reste : le nord et le centre de la France (Figure 4 A).
La proportion des différentes espèces d'agents pathogènes n'échappe pas non plus à la variabilité entre régions (Figure 4 B). Ainsi Microdochium spp. est surreprésenté dans la moitié nord de la France et Fusarium poae est plutôt absent du quart nord-est. Fusarium graminearum a une répartition ubiquiste sur le territoire national.
Les enquêtes parcellaires incluses dans ce réseau permettent de retourner à l'agriculteur participant un bilan individuel sous forme d'une fiche-résumé des paramètres agronomiques, de la flore fongique et des teneurs en DON de sa parcelle.
Interactions entre espèces responsables de fusarioses
Trois équilibres possibles
Les analyses de teneur en DON des échantillons caractérisent l'année en terme de risque de mycotoxines, et les analyses mycologiques donnent la force de l'attaque toutes fusarioses confondues ainsi que la répartition entre espèces.
En combinant ces deux informations, il est possible de donner aux agents responsables de fusarioses (en particulier les deux principaux F. graminearum et Microdochium spp.) un poids relatif dans la production de DON. Trois types de répartition entre ces deux agents sont mis en évidence.
Trois risques DON induits
Point important, ces trois types amènent à trois risques DON bien distincts (Figure 5) :
- équilibre 1. F. graminearum > Microdochium spp. et la teneur en DON moyenne est la plus élevée, F. graminearum est liée à la valeur DON ;
- équilibre 2. Diversité des agents présents, aucun ne dépasse 20 % de fréquence ; les teneurs en DON sont moins élevées ; si Microdochium spp. est présent à moins de 20 % de fréquence, il entre peu en compétition avec F. graminearum ;
- équilibre 3. Microdochium spp. > 20 % ; il est alors très compétitif vis-à-vis de F. graminearum. La teneur en DON moyenne est de 506 µg/kg, les maxima ne dépassant pas 1 000 µg/kg.
Nous retrouvons ici la forte corrélation entre présence de Fusarium et production de DON. À l'inverse, d'autres résultats montrent que la présence de Microdochium impacte plutôt le rendement. Ainsi, la compétition entre Microdochium et Fusarium a un impact direct sur la teneur en DON.
Ce qui influence la fusariose
Détecter puis confirmer
Au-delà des informations obtenues par les analyses dans le cadre de CartoFusa, des données agronomiques et de suivi cultural sont aussi collectées pour chaque parcelle : travail du sol, précédent cultural, variété, date de semis et parfois rendement.
La base de données, alimentée depuis 1997, permet non seulement d'étudier année après année le niveau d'attaque de la fusariose, la répartition des espèces ainsi que le niveau de DON, mais aussi d'élargir l'étude aux facteurs d'influence agronomiques qui agissent sur la maladie.
Cette étude a contribué à détecter ces facteurs d'influence agronomiques qui sont désormais bien connus. Aujourd'hui, CartoFusa permet de les confirmer.
Rappel sur les quatre facteurs
Les quatre principaux facteurs agronomiques mis en lumière par l'opération CartoFusa sont :
- la gestion des résidus de culture, avec un taux de DON de 50 % supérieur pour les parcelles où les résidus ont été broyés en surface face aux parcelles dont les résidus ont été enlevés ;
- le type de travail du sol, avec un taux de DON le plus bas dans les parcelles labourées, deux fois supérieur en travail superficiel et trois fois supérieur pour le semis direct ;
- le précédent cultural ; certaines cultures peuvent aggraver le risque de production de DON dans le blé suivant, c'est par exemple le cas du maïs ;
- le choix de variétés tolérantes à la fusariose ; elles sont répertoriées par Arvalis.
Enfin, la base de données acquise ces dix-huit dernières années a été intégrée pour la modélisation du risque fusariose et permet d'alimenter un outil d'aide à la décision : DonCast (Encadré 1). Des actions spécifiques peuvent aussi s'appuyer sur elle, comme notamment en 2013 (Encadré 2).
Les perspectives
L'intérêt de l'opération CartoFusa est certain, du fait des nombreuses informations qu'elle procure. Elle permet d'évaluer la force de l'attaque de fusariose chaque année, d'en caractériser la gravité en termes de qualité des grains, d'en confirmer les facteurs d'influence et de renforcer le modèle de prévision. Autre fonction primordiale du dispositif, certains échantillons des deux espèces majeures liées aux fusarioses sont envoyés chaque année dans un laboratoire Bayer de suivi de la sensibilité des pathogènes aux fongicides pour monitoring afin de s'assurer de la durabilité de nos solutions.
Cette opération majeure (18 ans !) va évoluer et, peut-être, dans les années à venir, s'intéresser au suivi de mycotoxines émergentes et préoccupantes comme les enniatines pour la filière orge brassicole...
Fig. 1 : Suivi pluriannuel du taux de « fusariose de l'épi » sur blé
Le pourcentage de grains fusariés (toutes fusarioses confondues) dans les témoins non traités du dispositif CartoFusa est très variable selon les années.
Fig. 2 : Suivi de la répartition des espèces liées aux fusarioses
On note la prédominance de Microdochium spp. (espèces du genre confondues) et de Fusarium graminearum, mais aussi l'existence de variations d'une année à l'autre.
Fig. 3 : Suivi pluriannuel de la teneur en DON
Les résultats sont fluctuants. À noter le taux de 2014, plus faible qu'attendu.
Fig. 4 : Cartographie des résultats CartoFusa 2014
A - Gravité « des fusarioses » : pourcentage de grains fusariés dans les échantillons.
B - Répartition des espèces pathogènes dans ces mêmes échantillons.
Fig. 5 : Teneur en DON et équilibre des espèces liées aux fusarioses
Fusarium graminearum apparaît bien comme le « fauteur de DON ».
Fig. 6 : Fongicides et DON
Teneurs en DON dans les parcelles traitées et témoin sur vingt-deux sites de CartoFusa en 2013.
1 - Doncast : CartoFusa et la modélisation
DONcast est un outil intégrant la conduite agronomique, les conditions climatiques en temps réel et les prévisions météo à court terme, pour chaque parcelle.
L'agriculteur peut, en toute autonomie, ou en lien avec son technicien, appréhender la nécessité de traitement anti-fusariose à la floraison selon le risque d'apparition au champ de la maladie, d'autant que la fenêtre de traitement est restreinte, de l'épiaison à la floraison.
L'outil s'appuie sur une base de données puissante qui n'est autre que l'opération CartoFusa. En effet, chaque année, les nouvelles données obtenues sont injectées dans le modèle afin de l'améliorer en continu.
Cet outil peut également être utilisé au niveau de l'organisme stockeur, comme un outil d'aide à la décision pour l'allotement de la récolte en fonction du risque mycotoxines calculé à la parcelle.
2 - Gamme épi : produits évalués
En 2013, une action spécifique a été menée dans le cadre de CartoFusa afin de mesurer l'apport d'un traitement fongicide à l'épiaison. Dans vingt-deux parcelles, la zone témoin a été comparée à une zone traitée par un produit Bayer (prothioconazole + tébuconazole, voir « Pour en savoir plus »). Les résultats montrent un double bénéfice : taux de DON réduit de 79 %, passant sous le seuil réglementaire de 1 250 ppb (Figure 6), et rendement amélioré de 5 q/ha.