Pinède au Portugal. Les dégâts de nématode du pin sont visibles. C'est dans ce pays qu'ont été réalisés les travaux rapportés ici. Photo : Iniav - Vignette haut de page : Pixabay
1. Planches de bois infestées placées dans une enceinte de fumigation spécialement conçue. Photo : Dow AgroSciences
2. Enceintes de fumigation placées dans un container. Celui-ci est isolé et climatisé pour obtenir les températures recherchées. Photo : Dow AgroSciences
3. Planches de bois utilisées pour les essais. Pour chaque notation, un tronçon est découpé. Photo : Dow AgroSciences
4. Chaque tronçon est découpé en cubes de 1 cm3 ; ils sont placés au fond d'une cuvette. Photo : Dow AgroSciences
6. Filtration et concentration des nématodes qui sont retenus par les mailles du filtre. Photo : Dow AgroSciences
7. Les planches utilisées pour les tests rapportés ici viennent de pins abattus alors qu'ils étaient dans l'état de celui de gauche sur cette photo. Photo : Iniav
Le nématode du pin Bursaphelenchus xylophilus est originaire des États-Unis. Le commerce du bois et l'utilisation d'emballages en bois ont permis sa dissémination au siècle dernier au Japon, en Corée et en Chine, puis au Portugal continental et dans l'île de Madère, provoquant des dommages considérables aux forêts. Récemment, il a aussi été découvert en plusieurs endroits d'Espagne, puis éradiqué.
Pourquoi tester le fluorure de sulfuryl
Les mesures de quarantaine exigent des traitements
Des mesures de quarantaine contre le nématode du pin ont été mises en place au niveau mondial avec l'instauration de la norme NIMP 15 (ISPM 15 en anglais) à partir de 2002. Cette norme exigée dans la plupart des pays instaure une liste de traitements autorisés pour les bois d'emballage exportés.
Un produit déjà utilisé en Europe pour d'autres usages
Le fluorure de sulfuryl est un insecticide sous forme gazeuse à large spectre utilisé en fumigation. Lancé aux États-Unis au début des années 1960 pour le traitement du termite du bois sec dans les bâtiments, il a ensuite trouvé un second axe de développement à partir de 1998 pour le traitement des minoteries, industries agroalimentaires et denrées stockées à la suite de l'arrêt du bromure de méthyle, dans le cadre du protocole de Montréal. Il est actuellement approuvé selon le règlement 1107/2009 sur les produits de protection des plantes (après avoir été inscrit à l'annexe I de la directive 91/414 remplacée par ce règlement) et le règlement 528/2012 sur les biocides (qui succède à la directive 98/8).
Il est autorisé sous les marques ProFume ou Vikane en Suède, Pays-Bas, Belgique, Allemagne, France, Royaume-Uni, Irlande, Autriche, Suisse, Italie, Espagne et Portugal.
Des premiers tests prometteurs, mais à compléter
Les recherches entreprises entre 2001 et 2008, d'abord au Japon puis aux États-Unis, ont démontré que le fluorure de sulfuryl avait non seulement une activité insecticide mais aussi une activité nématicide, en particulier sur le nématode du pin, et pouvait par conséquent représenter une alternative efficace au bromure de méthyle pour le traitement des bois de quarantaine, dans le cadre de la norme NIMP15.
Cependant, le panel d'experts en quarantaine (TPPT, Technical Panel for Phytosanitary Treatments dépendant de la Convention internationale pour la protection des végétaux - IPCC en anglais) en charge de l'écriture de cette norme a exigé plus de résultats sur le nématode du pin, avec des populations de départ d'au moins 100 000 individus par modalité et des résultats sur le stade JIII (troisième stade juvénile) considéré comme un stade de conservation très résistant. Il a donc été décidé de conduire ces essais au Portugal où le ravageur est installé, et de s'appuyer sur l'expertise des chercheurs de ce pays pour produire de nouveaux résultats.
Un protocole de test adapté
Préparation du bois et conditionnement des nématodes
Des planches en bois ont été préparées pour l'expérimentation à partir de pin maritime (Pinus pinaster) situés dans la province de Setubal, au Portugal, et morts des suites d'attaque de nématode du pin. Les planches ont été transportées dans les locaux de l'Iniav et conservées dans des chambres d'incubation à 25 °C et 75 % RH pour augmenter la population de nématode.
Fumigation sous enceinte
Des enceintes de fumigation de 1 m3 spécialement conçues pour ce travail à partir de toile PVC et d'une structure métallique ont été construites (photo 1).
À l'intérieur, les planches en bois ont été placées 24 heures avant le traitement, à la température planifiée. Pour obtenir les températures ciblées (15 °C, 20 °C et 30 °C) et les maintenir, il a fallu disposer les enceintes dans des containers isolés et équipés de climatisation ou de chauffage (photo 2).
La dose cible a été injectée par ouverture/fermeture de la vanne de la bombonne contenant le gaz sous pression placée sur une balance électronique.
Comme tout fumigant, la dose est constituée du produit de la concentration mesurée tout au long de la fumigation par le temps d'exposition, ce qui est appelé CT dans le langage des spécialistes, et exprimé en g-h/m3.
Concentration en fluorure de sulfuryl et température dans les enceintes
À l'aide de tuyaux reliés aux enceintes de fumigation, de petites quantités de produit étaient aspirées vers les instruments de mesures des concentrations fonctionnant par analyse du spectre lumineux sous lumière infrarouge.
L'équipe de recherche a placé des thermocouples électroniques dans chaque enceinte de fumigation et procédé aux mesures de température en même temps que les mesures de concentration en produit.
Comptage des nématodes
L'équipe de recherche de l'Iniav a mis au point sa propre méthode de comptage bien adaptée au contexte de nématodes présents dans le bois. Elle consiste en plusieurs étapes :
- découpe d'un tronçon de la planche de 100 grammes recoupé en cubes de 1 cm3 environ (photos 3 et 4) ;
- placement des cubes dans une enveloppe de tissus et immersion totale dans l'eau pendant 48 heures provoquant le départ des nématodes dans l'eau (photo 5) ;
- retrait des cubes de bois et filtration dans un filtre aux mailles très minces (38 microns) retenant les nématodes (photo 6) ;
- identification et comptage des différents stades des nématodes sous loupe binoculaire de 1 ml de filtrat homogène placé sur une lame de comptage.
La population trouvée dans 100 grammes de bois est ensuite extrapolée à l'ensemble de la planche.
La population est comptée sur neuf planches réparties dans l'espace placé en fumigation, de façon à disposer des répétitions nécessaires pour pouvoir procéder aux analyses statistiques.
Résultats
Une très forte population de nématodes dans les témoins
Après séjour dans les chambres de conditionnement, la population naturelle a été augmentée jusqu'à largement dépasser le seuil de 94 400 individus/enceinte dans les témoins demandé dans les essais de quarantaine par le TPPT.
Nous avons parfois dépassé le million, voire les 10 millions d'individus par enceinte (Figure 1). Les stades recensés allaient du stade jeune larve (J2) au stade adulte, avec une forte proportion de stade de conservation JIII (entre 53 et 92 %).
Ces niveaux de population dépassent de loin les niveaux naturels que l'on rencontre dans le bois scié.
À noter que, dans la pratique, ces derniers tendent à se réduire au fur et à mesure que le taux d'humidité dans le bois diminue.
Excellente efficacité sur le nématode dans des conditions précisées
L'exigence des autorités de quarantaine, est d'obtenir une efficacité dite « Probit 9 » de 99,997 % sur une population de 94 400 individus, ce qui est très au-dessus des exigences en matière d'homologation des insecticides de protection des plantes.
Cette efficacité a été obtenue dans les essais de 2010 à 15 °C (en jaune sur la Figure 2) et 30 °C (en bleu sur la même figure) avec 24 heures de temps d'exposition et suivant les doses définies dans les études précédentes.
En revanche, à 20 °C et 24 heures d'exposition (en jaune sur le graphique), l'efficacité n'a pas été obtenue de façon cohérente, les dosages élevés étant généralement moins efficaces que les dosages plus faibles.
Ce dernier phénomène a justifié la mise en place de nouveaux essais en 2013 en faisant varier le temps d'exposition.
Les essais de 2013 avec une température unique de 20 °C et un temps d'exposition de 24 heures (en rouge sur la figure 2) ou de 48 heures (en orange sur la même figure) ont montré des résultats réguliers avec 48 heures d'exposition, et ceci même pour les doses inférieures (Figure 2).
Efficacité sur l'insecte vecteur
Par ailleurs, ces études ont confirmé les nombreuses études conduites avec le fluorure de sulfuryl sur cerambycidae, qui montrent que ces doses élevées conduisent aussi à l'éradication de l'insecte vecteur (Monochamus sp.) sous toutes ses formes (photo 8).
Publication
Publication et demande d'inclusion
Les comptages à T+ 3 jours ont mis en évidence une totale efficacité (100 %) sur le stade JII (L3) du nématode du pin, qui est le stade de conservation en cas de modification de l'environnement climatique.
Ces résultats ont conduit à une publication scientifique et à une demande d'inclusion dans la norme NIMP 15 selon les doses suivantes :
- CT de 3 200 g-h/m en 24 h d'exposition entre 15 et 19 °C ;
- CT de 3 000 g-h/m3 en 48 h d'exposition entre 20 et 29 °C ;
- CT de 1400 g-h/m3 en 24 heures d'exposition au-dessus de 30 °C ;
Ils sont actuellement en cours d'évaluation par le TPPT.
Perspectives pour les traitements de quarantaine
Bois d'emballage
L'inscription du fluorure de sulfuryl dans la norme NIMP 15 permettrait dans le contexte européen de pouvoir traiter les bois d'emballages (palettes, caisses, calages en bois) avec une technique alernative à la chaleur, seule méthode actuellement autorisée en Europe du fait de l'arrêt complet du bromure de méthyle. La fumigation, par rapport à la chaleur, offre l'avantage de pouvoir traiter des marchandises dans leur emballage ou sur leur palette, sans risque de dommage.
Grumes de bois abattus : toute nouvelle instruction en 2015
Les grumes de bois exportées sont généralement soumises à un traitement de quarantaine au moyen d'insecticides de contact. Mais ces derniers ne sont efficaces sur les insectes que si toutes les faces des grumes sont traitées, ce qui n'est guère possible dans la pratique. Le 4 septembre 2015, la DGAL a publié une instruction technique indiquant que tous les bois nécessitant un certificat phytosanitaire pour l'exportation devront être traités avec du fluorure de sulfuryle à compter du 1er novembre 2015.
Les dérivés du bois aussi peuvent être des porteurs de parasites
En dehors des emballages en bois, d'autres produits fabriqués à partir de sous-produits des scieries, tels que granulés combustibles, écorce ou copeaux, peuvent potentiellement être vecteur d'insectes et également de nématodes du pin. La fumigation au fluorure de sulfuryl est adaptée à ces grands volumes de matériaux.
Adaptation de la réglementation française et européenne
Actuellement, les conditions d'emploi du fluorure de sulfuryl dans l'Union européenne ont limité la dose homologuée à 1 500 g-h/m3 en général, et parfois moins pour les traitements de quarantaine (ce qui est le cas de la Belgique et du Portugal).
L'utilisation pour les traitements de quarantaine des emballages en bois contre le nématode du pin nécessiterait de pouvoir traiter à des doses plus élevées (CT jusqu'à 3 200 g-h/m3) que celles actuellement autorisées en Europe.