Encadrer les pratiques phytosanitaires est plus difficile si l'on s'adresse à des jardiniers amateurs que si l'on vise des professionnels. Aussi la plupart des réglementations touchant ces amateurs s'arrêtent au seuil du jardin et légifèrent en amont.
Elles ont connu des évolutions récentes, là encore dans le sens de la prohibition, alors que ce secteur était déjà particulièrement encadré.
Commercialisation : ce qui existait déjà
Accès au marché : la « mention jardin » a 15 ans
En fait, cela fait quinze ans que la réglementation restreint le choix des produits pour les jardiniers amateurs, et ceci dès le stade de leur AMM (autorisation de mise sur le marché). En effet, depuis le 30 septembre 2000, date de mise en application d'un arrêté de décembre 1999(1) :
- les seuls produits phyto autorisés à la vente aux amateurs (« utilisateurs non professionnels ») sont ceux titulaires de la mention EAJ, « emploi autorisé dans les jardins » (sous-entendu « par des amateurs ») ;
- dans les points de vente distribuant à la fois des produits pour les professionnels et ces produits pour amateurs, les deux catégories de produits doivent « être placées dans des emplacements séparés ».
Ces dispositions avaient été prises en concertation entre les pouvoirs publics et les fabricants des produits.
Ensuite, un arrêté d'octobre 2004(2) a précisé les critères d'attribution de cette mention, dite aussi « mention jardin », en particulier les phrases de risques qui font prohiber les produits, ainsi que des restrictions pour les rodenticides et taupicides : incorporation d'un amérisant, interdiction des appâts sur miettes de pain et des concentrés liquides pour fabriquer des appâts. Il a imposé des règles d'étiquetage : les doses d'emploi doivent être exprimées par litre ou mètre carré et non par hectolitre, tonne ou hectare, et le délai avant récolte doit être indiqué clairement sur l'étiquette.
Toutes ces mesures étaient déjà appliquées volontairement par les entreprises adhérentes à l'UPJ (à l'époque « Union pour la protection des jardins ») qui regroupe la grande majorité des fabricants représentés en France, mais la réglementation les a confirmées et imposées à tous.
Extension des exigences et prévision de traduction
Troisième épisode en 2011 : un arrêté daté de fin 2010(3) a remplacé celui de 2004. Ce texte reprend les exigences du précédent mais les étend aux substances actives des produits et anticipe leur traduction en « langage CLP ». Expliquons-nous.
Jusqu'ici, la mention EAJ dépendait des caractéristiques des produits eux-mêmes mais pas de leurs substances actives. Ainsi, un produit à substance active toxique par inhalation mais dont la formulation faisait qu'il n'y avait pas de risque d'inhalation pour quiconque pouvait bénéficier de la mention. Depuis 2011, cela n'est plus du tout possible.
De plus, en 2010, il était prévu que les codes d'étiquetage allaient changer avec l'arrivée du système CLP. Instaurés par un règlement européen de 2008(4) dit CLP (classification, labelling, packaging, soit classification, étiquetage, emballage), les nouveaux codes étaient déjà élaborés et utilisables depuis le 20 janvier 2009.
À l'époque, il était encore autorisé d'étiqueter les produits selon les anciens codes du système dit DPD (directive préparations dangereuses, texte européen de 1999 qui les citait). Le code CLP devait être rendu obligatoire, et il l'a été comme prévu, pour les produits sortant de l'usine à partir du 1er juin 2015. Actuellement, coexistent sur le marché :
- des produits fabriqués et étiquetés avant le 1er juin dernier selon l'ancien système, et qui sont encore vendables et utilisables jusqu'au 31 mai 2017 ;
- des produits étiquetés selon le nouveau code, qu'ils l'aient été après le 1er juin dernier ou avant, quand c'était déjà possible mais pas encore obligatoire.
Dès début 2011, la mention jardin avait prévu cette évolution. L'arrêté de décembre 2010 rappelle les exigences de celui de 2004 « en langage DPD » et y ajoute leur traduction en CLP (Tableau 1).
Ainsi, déjà actuellement, ne sont vendus aux amateurs que des produits à classements toxicologiques bénins et dont l'étiquetage est spécialement adapté (Tableau 2).
Depuis deux ans, des vendeurs spécialement phytocertifiés
De plus, depuis deux ans, c'est-à-dire le 1er octobre 2013(5), toute entreprise commercialisant de tels produits doit avoir tout son personnel préposé à la vente titulaire d'un certiphyto adapté, donc ayant suivi une formation adaptée à ces produits et ces clients. Il s'agit du certificat individuel « activité professionnelle : mise en vente, vente des produits phytopharmaceutiques » dans la catégorie « produits grand public ».
À noter : un récent décret(6) dispense d'agrément et de certification d'entreprise les microdistributeurs ne vendant que des produits EAJ (plus éventuellement des produits « à faible risque » et des produits composés exclusivement de substances de base). Mais cela ne dispense absolument pas le vendeur(7) lui-même d'être titulaire du certiphyto !
Loi de transition énergétique (LTE) et libre-service
En 2017, comment seront vendus les produits ?
Mais il y a bien d'autres nouveautés ! En effet, l'article 68 de la LTE, loi de transition énergétique du 17 août dernier, interdit, à partir du 1er janvier 2017, la vente en libre-service aux jardiniers amateurs des produits phyto, sauf « ceux de biocontrôle figurant sur une liste établie par l'autorité administrative et ceux composés uniquement de substances de base ».
De plus, les distributeurs doivent mettre en place un programme de retrait de ces produits dès 2016 (voir Tableau 2).
Pour que cette dernière mesure soit applicable, il faut que, d'ici le 1er janvier 2016, la liste des « produits de biocontrôle figurant... » soit publiée. Elle est promise pour la fin de l'année.
En effet, les produits EAJ « de biocontrôle » figureront sur la liste globale des produits de biocontrôle aux côtés de ceux destinés à l'agriculture et ceux visant les usages professionnels en ZNA évoqués dans l'article précédent (p. 22 à 25).
Il serait logique que la liste officielle soit celle des produits de la liste Nodu vert biocontrôle 2014, publiée début 2015, et qui comprend des produits EAJ comme des produits pro, bien entendu réactualisée.
Elle serait allégée des produits qui auront pu être retirés du marché depuis lors par leurs fabricants, mais surtout enrichie d'éventuels nouveaux produits EAJ répondant aux critères de cette liste biocontrôle et ayant pu être autorisés courant 2015... Mais ces critères eux-mêmes ne risquent-ils pas d'être partiellement modifiés ? Attendons la publication de la future liste pour avoir des certitudes.
Quant aux produits composés uniquement de substance de base, il faut qu'ils ne contiennent rien d'autre, aucun coformulant ni conservateur, etc. Huit substances sont reconnues comme telles au 15 septembre 2015 : la prêle, le chlorhydrate de chitosane et le saccharose le sont depuis 2014. Pour l'hydroxyde de calcium (chaux éteinte), l'écorce de saule, le vinaigre de qualité alimentaire, la lécithine et le fructose, la reconnaissance (le jargon européen dit « approbation ») a été obtenue entre mai et août 2015.
En tout cas, seront autorisés à la vente en libre-service à partir du 1er janvier 2017 les produits qui seront à la fois :
- titulaires de la mention EAJ ;
- et soit listés biocontrôle, soit composés uniquement de substances de base.
Le sort des autres produits
Une question se pose : que deviennent les produits qui ne peuvent plus être cédés directement en libre-service, pour reprendre les termes de la loi ? Il s'agit des produits conventionnels d'une part, mais aussi des produits UAB (utilisables en agriculture biologique) qui ne sont ni composés de substances de base ni listés biocontrôle.
Ce dernier cas n'a rien de théorique. Actuellement, par exemple, de nombreuses bouillies bordelaises pour jardin, spécialités à base de cuivre, lequel n'est pas et ne sera jamais une substance de base, sont UAB mais pas listés Nodu vert biocontrôle. Bien sûr, la liste biocontrôle prévue pour 2016 n'est pas arrêtée, mais elles risquent fort de ne pas y figurer non plus.
En fait, tous ces produits pourront encore être vendus mais « au comptoir », autrement dit via un vendeur qui les délivrera individuellement au client.
Selon la configuration du point de vente, ces spécialités devront donc être mises sous clé ou bien placées dans une zone accessible seulement aux vendeurs (étagère derrière le comptoir ou la caisse, etc.).
Ceci durera jusqu'à fin 2018, car alors surviendra une autre étape d'évolution...
LTE et vente en général
En 2019, la prohibition sera étendue et accélérée
En effet, le 1er janvier 2019, quelles que soient la présentation et l'accessibilité, les seuls produits vendus aux amateurs seront :
- soit listés biocontrôle ;
- soit « à faible risque » ;
- soit UAB (utilisables en agriculture biologique) ;
...et en même temps, bien entendu, toujours estampillés EAJ !
La prohibition de tous les autres produits était prévue pour le 1er janvier 2022 par la loi dite Labbé du 6 février 2014. Mais en août dernier, l'article 68 de la LTE a avancé la date butoir de trois ans, sans modifier les autres dispositions concernant les produits pour amateurs.
En pratique, ce qui restera
En pratique, donc, à partir du 1er janvier 2019, et sauf bouleversement législatif imprévu à ce jour, certains produits titulaires de la mention EAJ pourront continuer à être vendus en libre-service. Ce seront :
- ceux qui seront listés biocontrôle ;
- ceux composés de substance de base au sens de la réglementation européenne, à condition d'être même temps, soit listés biocontrôle, soit UAB (les produits « à faible risque » sont dans une autre catégorie réglementaire européenne) ;
D'autres produits pourront continuer à être vendus mais pas en libre-service, donc ne devront être disponibles que via un vendeur : ce seront les produits UAB et « à faible risque » qui ne seraient, en même temps, ni de biocontrôle ni composés exclusivement de substances de base.
Enfin, tous les autres produits EAJ qui seraient encore autorisés le 31 décembre 2018 seront interdits le lendemain. Ce sera le cas même pour les éventuels composés de substance de base qui ne seraient ni de biocontrôle ni UAB et auraient été en vente libre jusqu'au 31 décembre... Ce cas, paradoxal, pourrait-il exister ?
Aujourd'hui, si l'on regroupe les produits UAB, ceux à base de substances à faible risque (actuellement, en fait, ils sont tous UAB), ceux listés Nodu vert biocontrôle et ceux composés de substances de base, l'ensemble de ce qui va rester en 2019 représente environ 10 % de l'actuel marché phytosanitaire à destination des jardiniers amateurs.
Des nouveautés possibles ?
Bien entendu, cette gamme « verte » pourra s'enrichir d'ici 2019.
Cependant, vu la brièveté du délai, à peine plus de trois ans à l'heure où nous mettons sous presse, il ne faut pas espérer l'arrivée de produits originaux dont les fabricants viendraient juste de dénicher la substance active ou vont le faire.
En effet, le développement d'un tel produit prend de six à huit ans, plus les délais d'instruction des dossiers de demande d'AMM une fois ceux-ci déposés.
Les délais d'instruction et de prise de décision sont actuellement de deux ans pour les produits « verts » (et encore plus longs pour les autres, du reste). L'Anses, qui instruit ces dossiers et a repris le 1er juillet dernier la responsabilité de la délivrance des AMM, annonce vouloir raccourcir ce délai.
Mais on voit mal comment il serait possible d'avancer les décisions d'autorisation de trois ans comme cela a été fait si royalement pour la date de prohibition.
(1) Arrêté du 23 décembre 1999 paru au JORF le 1er février 2000. (2) Arrêté du 6 octobre 2004 paru au JORF du 27 novembre 2004. (3) Arrêté du 30 décembre 2010, au JORF le 12 janvier 2011. (4) Règlement n° 1272/2008 du 16 décembre 2008. Voir « Réglementation : quoi de neuf ...», Phytoma n° 683, avril 2015, p. 17 à 20. « Le règlement CLP bouscule... », Phytoma n° 673, avril 2014, p. 16 à 19. « Les étiquettes... », Phytoma n° 644, mai 2011, p. 24 à 26. (5) Date d'application d'un arrêté du 21 octobre 2011 paru le 22 (appliquant le décret n° 2011-1325 du 18 octobre paru le 20, tiré de la loi Grenelle 2 du 12 juillet 2010). (6) Décret n° 2015-757 du 24 juin 2015, au JORF le 28 juin. (7) Sachant qu'en 2015, un micro-distributeur est une entreprise n'ayant pas dépassé 90 300 euros de chiffre d'affaires en 2014 (à condition de n'avoir pas dépassé 82 200 euros en 2013), ce vendeur risque fort d'être le chef d'entreprise ou son unique salarié...