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Maladies d'origine tellurique un réseau pour l'innovation

CLAUDE ALABOUVETTE* - Phytoma - n°688 - novembre 2015 - page 43

Dans le cadre de l'initiative européenne « EIP-Agri », un groupe de travail sur la lutte contre les bioagresseurs vivant dans le sol a été organisé.
La pomme de terre, culture touchée par des maladies telluriques au sens strict et par des nématodes, intéresse le « focus group » dit « Lutte intégrée contre les maladies telluriques ». Photo : Pixabay

La pomme de terre, culture touchée par des maladies telluriques au sens strict et par des nématodes, intéresse le « focus group » dit « Lutte intégrée contre les maladies telluriques ». Photo : Pixabay

Le maraîchage sur sol et sous abris est lui aussi concerné. Le groupe a confronté les réflexions des chercheurs et celles des praticiens.  Photo : Pixabay

Le maraîchage sur sol et sous abris est lui aussi concerné. Le groupe a confronté les réflexions des chercheurs et celles des praticiens. Photo : Pixabay

Culture de carotte. Le focus group a listé les agents de lutte biologique utilisables pour elle (il y en a !) comme pour les autres cultures concernées. Photo : Pixabay

Culture de carotte. Le focus group a listé les agents de lutte biologique utilisables pour elle (il y en a !) comme pour les autres cultures concernées. Photo : Pixabay

EIP signifie « European innovation partnership », soit « Partenariat européen pour l'innovation ». EIP-Agri, sa branche agricole, est destinée à orienter les financements européens pour favoriser une innovation utile.

De quoi s'agit-il ?

Un partenariat agricole dans le cadre de l'Union de l'innovation

Avant de faire part des sujets abordés lors de deux séances de travail tenues en décembre 2014 à Alicante (Espagne), puis en avril à Haarlem (Pays-Bas), il me semble utile de préciser ce que recouvre ce Partenariat européen de l'innovation.

Parmi cinq objectifs prioritaires, la stratégie de l'Union européenne, « Europe 2020 », prévoit le renforcement de la recherche et de l'innovation. Dans ce monde en changement, l'économie de l'UE a besoin d'innovation pour devenir plus intelligente, plus durable et plus globale.

C'est pourquoi, en parallèle avec la stratégie EU2020, l'Union européenne a lancé l'Union de l'innovation, une initiative qui a pour objectif d'aider tous les pays de l'Union à proposer à leurs citoyens une économie plus compétitive, des emplois plus nombreux et plus qualifiés, et une meilleure qualité de vie.

C'est dans ce cadre qu'a été lancé en 2012 le Partenariat européen de l'innovation pour la productivité et le développement durable de l'agriculture (EIP-Agri).

Formation de « focus groups »

Dans le domaine de l'agriculture, divers types de financement peuvent aider à initier une innovation. Dans le cadre de la politique européenne de développement rural, il est prévu de soutenir la création de groupes opérationnels et services de soutien à l'innovation au niveau national et/ou régional.

Des « focus groups », ou groupes de réflexion, ont été formés afin de faire le point sur un certain nombre de questions importantes et de favoriser la création de groupes opérationnels.

Ces groupes, dont l'objectif est d'aider un rapporteur désigné par EIP-Agri à rédiger une synthèse sur le thème choisi, ont été formés après appel à candidature de telle sorte que tous les acteurs d'une filière soient représentés.

Les thèmes abordés sont extrêmement divers. La liste des différents focus groups figure sur le site EIP-Agri (voir « Pour en savoir plus » p. 46). Leur fonctionnement est schématisé Figure 1 page suivante.

Bioagresseurs telluriques : une approche « bottom-up »

J'ai participé au groupe intitulé « IPM practices for soil-borne diseases suppression in vegetables and arable crops », autrement dit « Lutte intégrée contre les maladies d'origine tellurique en cultures maraîchères et grandes cultures ».

Ce focus group sur les maladies d'origine tellurique (plus les nématodes) regroupait des agriculteurs, des techniciens impliqués dans le conseil aux agriculteurs, des représentants de l'industrie de la phytoprotection, des distributeurs et des chercheurs.

En effet, dans le cadre de ce partenariat européen de l'innovation, la méthode de travail privilégiée est l'approche « bottom-up ». Autrement dit, la remontée (« up ») depuis la base, le terrain (« bottom »).

Les utilisateurs de la recherche et de l'innovation, c'est-à-dire les agriculteurs, doivent faire part de leurs observations, exprimer leurs préoccupations, proposer d'éventuelles solutions, à charge des chercheurs de traduire ces préoccupations en questions de recherche.

Le travail du groupe de réflexion

Papier préparatoire avec liste d'objectifs

Les objectifs assignés dans un papier préparatoire à la première réunion étaient les suivants :

- identifier les principales maladies d'origine tellurique importantes au sein des pays de l'UE ;

- identifier les éléments clés qui expliquent l'importance de ces maladies et examiner leurs interactions ;

- identifier, évaluer et comparer différentes méthodes de protection intégrée (IPM) et techniques de lutte (physique, chimique, biologique) contre ces maladies du sol en prenant en considération leur efficacité et leur coût dans différents systèmes de culture, et explorer les interactions entre différentes cultures et différents systèmes culturaux ;

- explorer les stratégies d'amélioration variétale pour créer des cultivars plus résistants aux bioagresseurs d'origine tellurique ;

- identifier et comparer les techniques de désinfection des sols prêtes à l'emploi ou rapidement disponibles pour les agriculteurs dans le cadre de l'interdiction de l'emploi du bromure de méthyle ;

- identifier et comparer les méthodes de lutte disponibles dans différents systèmes culturaux qui soient immédiatement applicables ou qui puissent être rapidement transférées aux agriculteurs ;

- identifier les pratiques culturales qui permettent de réduire la pression des maladies d'origine tellurique ;

- identifier les facteurs qui expliquent l'échec ou limitent l'utilisation par les agriculteurs de techniques ou de systèmes de lutte disponibles ; résumer comment aborder ces facteurs d'échec et explorer le rôle de l'innovation et du transfert de technologie pour résoudre ces questions.

Première réunion : vote sur neuf priorités

Lors de la première réunion, les différents points listés ci-dessus ont été abordés et une liste des principaux problèmes rencontrés et des principales méthodes de lutte a été dressée.

Ensuite, de manière démocratique (par vote) les participants ont établi des priorités parmi ces thèmes.

Rédaction de neuf « mini-papiers »

Les sujets « prioritaires » ont fait l'objet de la rédaction de « mini-papiers » rédigés par des volontaires pour être soumis à discussion lors de la seconde réunion. Neuf mini-papiers ont ainsi été rédigés.

Comme le montre la liste ci-dessous, les sujets abordés sont divers et ne couvrent pas l'ensemble des questions abordées lors de la première réunion. Ces mini-papiers ont donc traité des sujets suivants :

- le transfert de connaissances en relation avec la protection intégrée des cultures ;

- l'apport de matières organiques et de composts ;

- le greffage ;

- les innovations « out of the box of thinking »(1) ;

- l'anaérobiose comme technique de désinfection des sols ;

- les apports d'engrais verts ;

- les techniques de « monitoring » (surveillance), détection, quantification, évaluation du risque ;

- les agents de biocontrôle ;

- les techniques de biofumigation.

Seconde réunion : précision des priorités

Lors de la seconde réunion après présentation de chaque mini-papier par le rapporteur du groupe, les objectifs prioritaires, listés par thème sur de grandes feuilles de papier, ont été classés selon une procédure originale et plutôt ludique.

Chaque participant muni de gommettes de différentes couleurs en fonction de leur qualité (agriculteur, conseiller, chercheur) a indiqué ses choix parmi tous ceux proposés et préalablement discutés.

Cette procédure permet de bien faire ressortir les différences de perception des problèmes et des solutions proposées selon la profession à laquelle les participants appartiennent.

Il est évident que les questions relatives aux apports de matières organiques et à la biodésinfection des sols sont surreprésentées par rapport à d'autres concernant, par exemple, le travail du sol ou la résistance variétale. Il est certain qu'un aéropage strictement scientifique n'aurait pas retenu les mêmes priorités.

Ceci montre l'intérêt de cette approche « bottom-up » qui prend en considération les demandes des agriculteurs et des services de conseils et de vulgarisation proches du terrain.

Par exemple, alors que de nombreux praticiens pensent qu'il conviendrait de prendre en considération des innovations « out of the box of thinking », y compris certaines paraissant a priori « farfelues » ou proposées par des tenants d'une agriculture non conventionnelle (exemple : la biodynamie), les chercheurs rejettent totalement ces suggestions.

Principaux enseignements

Il n'est pas question de résumer ici, même succinctement, l'excellent rapport rédigé par Leendert P. G. Molendijk et validé par tous les membres du groupe. Je me contenterai de souligner certains points qui me paraissent importants.

Importance des principaux bioagresseurs d'origine tellurique

Il est intéressant de noter les différences entre l'importance des bioagresseurs selon une approche bibliographique réalisée avant la réunion du groupe (tableau) et celle résultant de ses discussions (Figure 2).

Autre exemple, le retour trop fréquent d'une culture sensible (rotation trop courte) est souvent évoqué pour expliquer la gravité de certaines maladies. Or, certains champignons pathogènes tel Rhizoctonia et des nématodes comme Meloidogyne présentent un large spectre d'hôtes : allonger la rotation n'a d'intérêt que si celle-ci comprend suffisamment de plantes non-hôtes...

Santé des sols et notions de potentiel infectieux et de résistance des sols

Il faut donc prendre en considération toute la succession culturale et l'ensemble des pratiques pouvant favoriser l'expression de ces agents pathogènes.

Cela implique d'avoir une approche intégrée de la santé et de la qualité des sols.

Alors que certains chercheurs ont une approche ponctuelle (recherche d'outils de lutte contre un pathogène précis), les agriculteurs présents ont conscience de la globalité des problèmes phytosanitaires d'origine tellurique. Ce sont eux qui ont, en premier, abordé les concepts de qualité et de santé des sols.

Le groupe propose donc d'élargir la réflexion sur la lutte intégrée au concept de santé des sols qui est une des composantes de la qualité des sols. La qualité d'un sol repose sur ses caractéristiques physiques, chimiques et biologiques, en forte interaction.

La santé des sols, quant à elle, n'est pas simplement l'absence de dégâts dans une culture, elle reflète la capacité du sol à s'opposer à l'expression de nouvelles maladies ainsi qu'à contrôler le développement et l'activité des populations de bioagresseurs de telle sorte que les cultures restent saines. Il s'agit donc, avant tout, de diversité et d'équilibre entre populations.

Il résulte de ce qui précède que l'objectif à atteindre est la santé des sols. Il convient donc non seulement d'appliquer des méthodes de lutte intégrée mais aussi de développer une stratégie globale permettant d'assurer cette santé. Il convient de convaincre tous les acteurs, agriculteurs, consommateurs et décideurs que prendre soin de la santé des sols est une nécessité qui représente un investissement de long terme.

Priorités : lutte biologique, échantillonnage-diagnostic et effets des apports

L'utilisation d'agents de lutte biologique est une des actions prioritaires le plus souvent mise en avant par les participants au groupe. Le mini-papier qui y est consacré recense tous les agents de lutte biologique actuellement autorisés dans l'Union européenne (inscrits à l'annexe I), et présente leurs modes d'action et les usages recommandés.

Ces agents sont, a priori, faciles à utiliser, mais il faut expérimenter et divulguer les meilleures stratégies d'application selon les cultures, les cibles visées et le contexte pédo-climatique.

Le groupe a identifié une autre priorité : la mise au point, d'une part de stratégies d'échantillonnage et d'autre part de diagnostic à haut débit.

En effet, dans les sols, les bioagresseurs peuvent se répartir de façons très différentes selon le type de pathogène, le type de sol, le passé cultural, etc. Or il n'existe pas à l'heure actuelle de protocoles d'échantillonnage et de méthodes d'analyse permettant d'effectuer un diagnostic rapide des problèmes à une échelle spatiale suffisante.

Le troisième axe jugé prioritaire est la recherche d'indicateurs permettant de prédire la capacité des composts et autres amendements organiques à contrôler les maladies d'origine tellurique. Ceci implique de mieux comprendre les mécanismes impliqués dans la résistance des composts et sols aux maladies d'origine tellurique.

Certes, on sait déjà que, globalement, plus un sol est riche en matière organique, plus le microbionte est actif. Mais il est difficile aujourd'hui de prédire l'effet d'un apport de matière organique sur la santé d'un sol.

Effets à court mais aussi à long terme

Dans tous les cas, quelle que soit la méthode appliquée pour lutter contre une maladie d'origine tellurique, il ne suffit pas de prendre en compte son efficacité à court terme, il faut aussi considérer son effet à plus long terme en fonction de la rotation des cultures. Il est donc très important de mettre en place des expérimentations à moyen et long termes pour évaluer l'efficacité des méthodes qui seront proposées pour améliorer la santé des sols.

Malheureusement, la chute des budgets alloués à la recherche agronomique a, dans de nombreux pays européens, conduit à l'abandon d'essais à long terme. De plus, le mode de financement actuel, le plus souvent limité à trois ans, ne permet pas d'en mettre en place de nouveaux.

Le transfert des connaissances

Groupes opérationnels régionaux

Un des objectifs des « focus groups » est d'identifier des thèmes prioritaires à développer par des « groupes opérationnels » au niveau national ou régional. En France, ce sont les régions qui sont chargées de mettre en place ces groupes opérationnels.

Concernant la lutte contre les maladies d'origine tellurique, des groupes opérationnels traitant de l'échantillonnage et du diagnostic, de l'apport de matière organique et de l'usage des agents de lutte biologique sont identifiés comment ayant les retombées potentielles les plus fortes à court terme.

Vu la complexité des thématiques relatives à la santé des sols, il est important d'organiser l'échange et le transfert de connaissances entre partenaires et groupes opérationnels.

Outils numériques

Cet échange de connaissances doit être interactif et la création d'un « Wikipédia » consacré à la santé des sols a été évoquée. Les méthodes « traditionnelles » de communication, type visites d'essais et formations pour agriculteurs et conseillers, devraient être complétées par des sites web, des blogs, etc.

Des outils d'aide à la décision (OAD), faciles à utiliser, devraient permettre de valider les informations et d'identifier les manques d'information ou les incohérences. Le recours à des systèmes d'information géographique (SIG) devrait permettre de visualiser l'information disponible à l'échelle de la parcelle et aider l'agriculteur à prendre la bonne décision.

Une démarche originale

Quelles seront, à terme, les retombées de ce « Partenariat européen de l'innovation pour la productivité et le développement durable de l'agriculture » ?

En tout cas, la démarche associant tous les partenaires est originale. La voix des chercheurs n'est pas prépondérante, les problèmes concrets vécus par les agriculteurs sont à la base de la réflexion. Personnellement, je pense que c'est une bonne chose.

(1) Out the box of thinking = hors de la boîte à idées (sous-entendu habituelles).

Fig. 1 : Une démarche participative

Fonctionnement des « focus groups » tel que schématisé par la Commission européenne.

Fig. 2 : Bioagresseurs importants selon les participants

La hiérarchie entre bioagresseurs n'est pas la même que dans la bibliographie.

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RÉSUMÉ

CONTEXTE - L'Union européenne a lancé l'Union de l'innovation. Dans ce cadre, l'EIP-Agri traite des questions agricoles. Elle a créé des « focus groups » pour faire le point des thèmes sur lesquels privilégier la recherche d'innovation, dont un sur la lutte intégrée contre les maladies d'origine tellurique en cultures maraîchères et grandes cultures.

RÉFLEXION PARTICIPATIVE - Ce groupe rassemblait des chercheurs mais aussi des agriculteurs, des techniciens de terrain et d'autres agents économiques. Il a travaillé en alternant la rédaction de documents et des réunions, les participants confrontant points de vue et idées de manière ouverte et démocratique.

Cette démarche « bottom-up » a permis de faire remonter des priorités que les chercheurs n'auraient peut-être pas sélectionnées tout seuls : élargissement du thème au concept de santé des sols, émergence de trois priorités de travaux que des groupes opérationnels vont étudier. Les échanges d'information seront intensifiés.

MOTS-CLÉS - Bioagresseurs telluriques, maladies, nématodes, EIP (European Innovation Partnership), EIP-Agri, focus group, protection intégrée, santé des sols.

POUR EN SAVOIR PLUS

AUTEUR : *C. ALABOUVETTE, directeur de recherche honoraire.

CONTACT : c.ala@free.fr

LIEN UTILE : http://ec.europa.eu/eip/agriculture/

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