En 2015, la pression de la rouille jaune du blé due à Puccinia striiformis f. sp. tritici a été modérée en France. Malgré les craintes en début d'année, cette pression a été nettement en deçà du niveau observé en 2014, année marquée par une intensité exceptionnelle de la maladie.
Situation de départ
Rappel sur la campagne 2013-2014
L'intensité de la rouille jaune est notamment expliquée par des conditions climatiques particulièrement favorables. La Figure 1, établie à partir du modèle de Rapilly (1976), représente le nombre de générations théoriques de la maladie mois par mois.
De décembre 2013 à avril 2014, les conditions de température ont été particulièrement favorables au développement de la rouille jaune, et ceci sans aucune période défavorable, expliquant ainsi son intensité élevée.
Pour rappel, des nuisibilités supérieures à 70 q/ha ont alors été observées sur des variétés très sensibles en l'absence de protection fongicide.
À l'automne 2014, de fortes craintes pour 2015
Après cette année exceptionnelle et un été 2014 sans fortes chaleurs, les craintes d'une épidémie de rouille jaune intense pour l'année 2015 étaient grandes. L'inoculum était en effet important.
Les craintes étaient d'autant plus élevées que le climat à l'automne 2014 apparaissait comme particulièrement favorable. De plus, le paysage variétal vis-à-vis de la résistance à la rouille jaune n'avait que peu évolué (voir Figure 2 page suivante).
Déroulement de 2015
Le rôle « séparateur » de février
L'hiver 2015, suffisamment rigoureux, en particulier durant le mois de février, a limité le développement de la rouille jaune. Il a ainsi imposé une discontinuité entre cet automne 2014 très favorable à la maladie et le printemps 2015 (avril, mai et juin) qui l'a été tout autant (Figure 1).
De ce fait, l'intensité de la rouille jaune en 2015 a été nettement moins importante que celle observée en 2014.
Autres facteurs explicatifs
D'autres facteurs ont également pu limiter son développement. Une meilleure gestion des repousses à l'automne 2014 a probablement limité l'effet « green bridge », c'est-à-dire le relais (ou pont) que ces repousses offrent au pathogène.
Par ailleurs, la présence au printemps 2015 d'un vent du nord séchant et la trop faible quantité de rosée par rapport à ce qui est nécessaire au développement de la rouille sont notamment évoquées.
Du côté des races
Trente ans de suivi
Un observatoire des races de rouille jaune est conduit en France et en Europe depuis une trentaine d'années (de Vallavieille-Pope et al., 2012). Il montre que l'évolution des races s'explique à la fois par acquisition successive de virulences dans un même fond génétique mais aussi par la migration d'isolats issus de zones plus éloignées.
Classiquement, des races dites du type « européen » étaient trouvées dans le nord de la France et d'autres du type « méditerranéen » dans le sud.
Plus récemment, plusieurs races atypiques se sont développées en Europe. Parmi elles, Kranich est absente en France et Triticale agressive y est rare. En revanche, Warrior domine nettement en France depuis 2012 (Figure 3).
Des interrogations début 2015
Après évaluation des souches de P. striiformis prélevées en France en 2014, la question se posait : durant cette campagne, avait-on, ou non, vu apparaître une nouvelle race ? Deux génotypes différents semblaient être présents (Lefèvre S. & al., 2015).
La race Warrior est en fait double
L'analyse de la population de 2014 (achevée) et de celle de 2015 (en cours) montre que, sous la dénomination de race Warrior (code 239 E 175V17), déterminée par son spectre de virulences sur une gamme d'hôtes différentiels, il existe en réalité deux races : Warrior-1 et Warrior-3.
En 2014, Warrior-1, isolée depuis 2011, représente 18 % de la population et Warrior-3 81 %.
Warrior-3 est également la race la plus fréquente en 2015 (résultats préliminaires).
Warrior-1 et Warrior-3 se distinguent par leurs génotypes avec des marqueurs moléculaires. Leur distinction pour leurs spectres de virulences est possible avec des variétés qui ne sont pas utilisées habituellement comme différentielles.
La race Warrior-1 contourne les variétés Warrior et Ambition mais est avirulente sur (autrement dit, elle n'attaque pas) la variété Sterling. Pour sa part, la race Warrior-3 est avirulente sur les variétés Warrior, Ambition et Sterling.
Le génotypage des isolats de 2014 n'a pas mis en évidence d'effet de l'orientation nord/sud (au contraire des types « européen » et « méditerranéen » cités plus haut), ni de l'espèce-hôte (blé tendre, blé dur, triticale) sur la répartition de Warrior-3 et Warrior-1 dans la population.
Quelles résistances variétales ?
Malgré la distinction de deux races Warrior, l'évaluation par Arvalis et Geves du niveau de résistance de près de 300 variétés inscrites montre une stabilité du niveau de résistance variétale.
En 2013, 76 % des variétés évaluées possédaient une note de résistance à la rouille jaune supérieure ou égale à 6 (avec l'échelle de 1 pour la sensibilité, à 9 pour la résistance totale ; 6 correspondant à moyennement résistant).
Également en 2014, ce sont 77 % des variétés évaluées qui possèdent une note de résistance à la rouille jaune supérieure ou égale à 6.
Ainsi, on ne note pas, pour l'instant, de diminution du niveau de résistance de l'offre variétale en blé disponible en France.
Fig. 1 : Nombre de générations mensuelles théoriques pour les campagnes culturales 2012-2013, 2013-2014 et 2014-2015 en région nord-ouest
Ce nombre, calculé à partir des données de température, traduit la rapidité de réalisation des cycles du pathogène, donc sa faculté de démultiplication.
Fig. 2 : Répartition des variétés de blé tendre en fonction de leur niveau de résistance à la rouille jaune
Les surfaces évoluent peu entre les semis 2013 et 2014 : le « paysage variétal » de la résistance des blés tendres semés en France (niveau de résistance attendu en début de campagne) n'a pas été bouleversé.
Fig. 3 : Fréquence des pathotypes d'isolats collectés en France
Dix-sept ans de suivi réalisé par l'observatoire des races de rouille jaune (en fait de son agent Puccinia striiformis f. sp. tritici.) sur blé tendre. N. B. : En 2004, 2005 et 2006, il n'y a pas eu d'épidémie, donc pas d'isolats collectés.
REMERCIEMENTS
Nous remercions tous les partenaires du projet FSOV Rouille jaune ainsi que les participants du réseau d'échantillonnage d'isolats de rouille jaune (Arvalis-Institut du végétal, services chargés de la protection des végétaux SRAI/DRAAF et SDQPV/DGAL, obtenteurs, firmes phytosanitaires, Inra, Geves, coopératives agricoles).