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Sur le métier

Isabelle Justafré piste les résistances variétales

PAR MARIANNE DECOIN - Phytoma - n°689 - décembre 2015 - page 43

Chez HM.CLause, semencier spécialiste des variétés potagères, Isabelle Justafré est chargée de recherche en phytopathologie. Son rôle : suivre l'évolution des bioagresseurs des légumes que la résistance variétale pourrait combattre, identifier par phénotypage de nouvelles résistances, aider à comprendre leurs mécanismes puis à introduire ces résistances dans les variétés de demain.
 Photo : M. Decoin

Photo : M. Decoin

Phytopathologiste au milieu des semenciers, Isabelle Justafré est arrivée en 2006 au centre de recherche de Maninet, à Valence, une des stations de recherche du semencier nommé aujourd'hui HM.Clause.

Dans cette société(1), filiale de Limagrain spécialisée dans les variétés potagères, la pathologie végétale a sa place : la résistance des plantes aux maladies est un objet de sélection.

Surveillance

« Ma première mission est la veille épidémiologique et sanitaire, explique Isabelle Justafré. Je surveille surtout des espèces potagères travaillées à la station, principalement le melon et la courgette. » Pendant que les sélectionneurs prospectent le fond génétique mondial à la recherche de variétés plus savoureuses, productives, etc., Isabelle Justafré scrute les maladies.

« Mon domaine est plus large que la phytopathologie au sens strict. Outre les maladies fongiques, virales et bactériennes, je surveille aussi les nématodes et certains ravageurs. »

Comment s'y prend-elle ? D'abord, « sur le terrain, dès que nos technico-commerciaux constatent des problèmes sanitaires particuliers sur des cultures qu'ils suivent ou que des clients leur signalent, ils font remonter l'information. Si nécessaire, je vais sur le terrain avec eux pour une visite ciblée ».

Cela permet d'avancer sur le diagnostic. C'est aussi l'occasion de mieux sentir les besoins du terrain. Ensuite, retour au mas Saint-Pierre pour l'analyse.

« Nous recevons aussi des échantillons qu'envoient directement nos équipes terrain. » Notre pathologiste les a formées aux bonnes pratiques de prélèvement et d'envoi d'échantillon.

Le laboratoire procède alors aux identifications. Selon les cas, ce sera par tests biologiques, Elisa ou PCR, batterie classique de tout laboratoire de phytopathologie qui se respecte. Cette activité occupe environ 20 % du temps d'Isabelle Justafré. « Oui, je fais encore de la paillasse », sourit-elle : elle réalise elle-même certaines analyses. Ce travail a lieu surtout de juin à septembre.

S'y ajoute une veille scientifique classique :

« Je lis les publications et participe à des colloques sur les bioagresseurs de ces cultures. » Le but est de repérer ceux qui évoluent, voire émergent sur tous les continents, et contre lesquels la résistance variétale peut être une solution.

« Je surveille aussi les résistances variétales existantes et les contournements pouvant survenir çà et là dans le monde. »

Elle partage ses informations avec les autres pathologistes du groupe. Cela lui permet d'évaluer « si tel ou tel événement est un accident sans lendemain ou s'il préfigure une évolution inévitable, une situation durable ». Au final, il s'agit de déterminer « sur quelle espèce, voire quelle race de pathogène il faut travailler aujourd'hui pour résoudre les problèmes de demain ».

Phénotypage

Le deuxième volet de son activité est le phénotypage, c'est-à-dire l'évaluation des résistances par le biais du phénotype (manifestations sensibles du génotype) des plantes.

« En phytopathologie, les caractères sont souvent visibles : c'est l'aspect après l'attaque du pathogène. » En général, le phénotypage est non seulement qualitatif mais quantitatif.

« C'est de plus en plus développé car les résistances totales, type "tout ou rien", évaluables sans mesures quantitatives, sont souvent monogéniques. Elles risquent d'être rapidement contournées. Les résistances polygéniques, complexes, sont plus durables mais il faut des mesures pour évaluer leur effet. Par exemple, l'estimation du jaunissement des feuilles par colorimétrie. Ou le calcul exact de la surface des lésions causées par un parasite de type oïdium sur ces feuilles. »

Le laboratoire fait aussi le lien génotype/phénotype.

« En face d'une pléthore de données sur le génome des plantes, il faut nos données de phénotypage pour les étalonner ! » Isabelle Justafré travaille donc à phénotyper les plantes issues de la sélection effectuée sur la station (le laboratoire possède une collection de souches des principaux pathogènes, en coordination avec le Geves). Et aussi à améliorer les procédés de phénotypage, avec des partenaires comme l'Inra : « Avant, nous pouvions évaluer 40 plantules à la fois pour la résistance à une maladie ou un nématode. Maintenant, nous en passons 90 dans un seul test. » Ceux-ci sont réalisés en conditions contrôlées : chambres climatiques, phytotrons (voir photo).

Qualifier et évaluer

Troisième volet d'activité : contribuer à élucider les traits de résistance.

« Le but est de qualifier les résistances, d'évaluer comment elles fonctionnent, avec quels mécanismes. » Cela permet de parier sur leur durabilité, de décider de les lancer seules ou associées à d'autres traits (caractères) de résistance... Ce travail est réalisé avec des partenaires : les caractères phénotypiques évalués au mas Saint-Pierre sont reliés aux données génétiques de l'Inra.

« Nous travaillons cette année sur des résistances aux nématodes de la tomate et sur des potyvirus transmis par des pucerons sur cucurbitacées. » La société a du matériel de séquençage de génome de virus dans une autre station. Au final, Isabelle Justafré contribue à ce que les légumes de demain soient non seulement goûteux et productifs, mais encore résistants aux maladies.

(1) Tézier et Clause, semenciers familiaux français, ont été fondés en 1785 et 1891. HM vient de sociétés familiales américaines : Harris créée en 1879 et Moran en 1860 ; Harris Moran date de 1984. Le groupe coopératif Limagrain a acquis Tézier en 1979 et, en 1996, Clause et Harris Moran. En 2003, était créée Clause Tézier. En 2008, Limagrain regroupait les activités de ces sociétés dans une seule « business unit » : HM.Clause.

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BIO EXPRESS

ISABELLE JUSTAFRÉ

2003. DESS « Valorisation des ressources végétales » à l'université d'Aix-Marseille.

2004. Ingénieur d'études à l'Inra sur les potyvirus des cucurbitacées.

2005. Agent d'expérimentation chez Syngenta Seeds, à Sarrians (Vaucluse).

2006. Entre chez Clause Tézier comme chargée de recherche en phytopathologie du centre de recherche de Maninet, à Valence (Drôme).

2008. Change d'employeur mais pas de laboratoire, puisque Clause Tézier se fond dans HM.Clause.

2013. Arrive à la station du mas Saint-Pierre (Bouches-du-Rhône) sur le même poste.

L'essentiel de l'offre

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