1. Parcelle d'essai non traitée à l'Inra de Ploudaniel (Finistère). Les génotypes de pomme de terre sensibles, au premier plan et à droite, sont détruits par le mildiou, les génotypes résistants restent verts. R. Corbière - Inra-Rennes - UMR IGEPP
Le mildiou de la pomme de terre dû à Phytophthora infestans occasionne la majorité des traitements appliqués sur cette culture.
Il faut donc agir sur cette maladie pour mettre au point une vraie protection intégrée répondant aux enjeux du plan Écophyto. Pour cela, il est utile d'avoir une bonne connaissance des populations de P. infestans présentes en France.
Pourquoi suivre génotypes et phénotypes
La maladie peut être foudroyante et les populations évoluent vite
Le mildiou de la pomme de terre, causé par l'oomycète Phytophthora infestans, peut provoquer de graves dégâts en culture si les conditions climatiques de la saison sont favorables à son développement.
La maladie est redoutable par son caractère fortement épidémique dû au taux de multiplication du bioagresseur ; en quelques jours, une lésion sur feuille peut générer plus de 100 000 spores capables de se disperser rapidement par voie aérienne et provoquer de nouveaux foyers de maladie. Les populations de P. infestans sont sujettes à de profonds et rapides changements au cours des années, dus à leur remarquable capacité de dispersion et d'adaptation.
Des modifications des caractères biologiques du bioagresseur peuvent avoir des effets importants, comme le contournement de gènes de résistance ou l'apparition de souches résistantes à des matières actives.
Elles peuvent aussi conduire, par exemple, à une augmentation de l'agressivité de certaines souches ou bien à une meilleure adaptation à des températures basses (pouvant causer des épidémies précoces), ou à des températures extrêmes assurant une meilleure survie de ces nouveaux isolats par rapport aux populations précédentes.
Vingt années d'analyse d'isolats
Pour bien comprendre et anticiper les évolutions potentielles des populations de P. infestans, il est indispensable de déterminer les caractères génétiques (génotypage) et biologiques (phénotypage) des populations actuellement présentes sur le territoire et d'établir les relations éventuelles entre génotype et phénotype, en particulier pour le pouvoir pathogène.
Déjà, depuis plus de vingt ans, les isolats sont analysés pour déterminer leur type de compatibilité sexuel, A1 ou A2, afin d'en estimer le ratio.
Il est également conseillé de surveiller, en parallèle, les modalités de début d'épidémie pour déterminer l'origine des sources d'inoculum primaire : soit les repousses de l'année précédente, soit d'éventuelles oospores (issues du croisement entre un isolat A1 et un isolat A2) qui peuvent se conserver plusieurs années dans le sol.
Des outils moléculaires pour décrire les populations
Des génotypes définis
Depuis une dizaine d'années, de nouveaux outils moléculaires, basés sur l'analyse de l'ADN, ont été développés au laboratoire, afin de caractériser les isolats de P. infestans collectés dans les parcelles.
Parmi ces outils, les marqueurs microsatellites (ou SSRs pour « simple sequence repeats ») se sont révélés très puissants pour définir des génotypes (ou MLG pour « multi-locus genotype »).
Une fois caractérisés d'un point de vue génétique, les isolats peuvent être comparés entre eux pour déterminer leurs niveaux de proximité génétique et décrire la structure (composition) génotypique des populations échantillonnées.
Dénominations harmonisées au niveau européen
Afin de comparer les populations entre pays, une harmonisation des techniques et de la dénomination des génotypes a été réalisée en Europe, grâce au réseau EuroBlight. Chaque génotype européen (EU) est dénommé par un numéro, suivi du type sexuel (A1 ou A2). De nombreux génotypes sont maintenant identifiés, comme EU_1_A1, EU_2_A1, EU_6_A1 (dit aussi pink 6), EU_13_A2 (ou blue 13), EU_33_A2 (ou green 33), etc. D'autres génotypes, rares ou uniques, n'ont pas encore de nom.
Grâce à cette technique fiable et rapide, utilisée au niveau international, la comparaison des populations de P. infestans entre bassins de production, différents pays européens, voire à l'échelle mondiale, est maintenant possible. L'évolution et les changements dans les populations peuvent aussi être suivis au cours du temps, d'une année à l'autre (Figure 1).
Lignées clonales ou bien reproduction sexuée
En parallèle, le génotypage donne des indications sur le mode de reproduction des populations. L'existence de lignées clonales majoritaires au sein d'une population laisse à penser qu'il s'agit de populations à reproduction asexuée, soit A1 soit A2. En revanche, si l'analyse révèle de nombreux individus uniques ou rares, cela indique la présence éventuelle de reproduction sexuée.
Cependant, si ces outils permettent de constater les bouleversements dans les populations actuelles ou passées, ils ne donnent que peu d'indications pour prévoir la survenue de nouveaux génotypes.
Dispositif national de biosurveillance
Suivi organisé depuis 2013
En France, un dispositif national de suivi des populations de P. infestans, initié en 2013, est en place afin de déterminer la structure et la diversité génotypiques des populations, ainsi que leurs évolution et dynamique dans le temps et dans l'espace.
Cette biosurveillance dans les bassins de production de pomme de terre (plants, consommation, industrie et fécule) implique l'ensemble de la filière pomme de terre, Arvalis-Institut du végétal et l'Inra (Rennes), et s'appuie également sur le réseau de terrain des Bulletins de santé du végétal (BSV). Cette action concertée est couplée à celle initiée au niveau européen par le réseau EuroBlight(1).
Plus de 300 échantillons collectés en 2013-2014
Le génotypage des isolats par marqueurs microsatellites a l'avantage de permettre l'analyse d'un grand nombre d'échantillons collectés sur des échelles spatiales significatives. Le prélèvement est très facile, puisque chaque individu, provenant d'une lésion unique sur feuille, est déposé par simple pression sur une bandelette de papier filtre traité (carte Whatman FTA).
Sur ce support, l'ADN de chaque isolat peut se conserver plusieurs mois, puis être ensuite directement extrait et analysé au laboratoire. Ainsi, plus de 300 échantillons collectés en 2013-2014 dans les bassins de production ont été analysés et près de 150 isolats prélevés en 2015 sont actuellement en cours de traitement.
Des populations clonales
Conséquences sur la conservation hivernale de la maladie
En France, la structure génétique des populations française de P. infestans ne montre pas de signe de reproduction sexuée, à la différence des populations d'Europe du Nord où les oospores constituent une composante importante pour générer l'inoculum primaire. Les populations françaises semblent donc essentiellement clonales, c'est-à-dire issues de la reproduction asexuée.
En l'absence de végétation, P. infestans se conserve principalement sous forme de mycélium dans les tubercules laissés au champ après la récolte et sur les repousses. En effet, P. infestans est un organisme biotrophe. Autrement dit, il a besoin de tissus végétaux vivants pour survivre.
Lorsque les conditions climatiques sont favorables, ce mycélium produit de nouvelles spores asexuées.
Gestion de l'inoculum primaire pour lutter contre la maladie
On peut donc supposer qu'en France, les épidémies de mildiou démarrent à partir de sources telles que tas de déchets ou repousses, voire tubercules de semences non certifiés infectés de manière latente.
La gestion de ces sources d'inoculum primaire reste donc impérative pour retarder et diminuer l'intensité des épidémies.
Populations françaises peu diversifiées génétiquement
Les lignées EU_6_A1 et EU_13_A2 dominent nettement
Les populations françaises actuelles de P. infestans sont essentiellement constituées de deux lignées clonales dominantes (génotypes) de type sexuel opposé, appelées EU_6_A1 et EU_13_A2 (Figure 2). Ces deux génotypes regroupent également la majorité des isolats de Grande-Bretagne. D'autres génotypes minoritaires sont aussi détectés, comme EU_1_A1, EU_2_A1 (trouvé uniquement en Bretagne) et des génotypes rares ou uniques.
Cependant, la fréquence des génotypes varie selon les années. Globalement en France, en 2013, la fréquence des isolats EU_6_A1 et EU_13_A2 est équivalente (43 % et 46 %, respectivement). En 2014, la proportion d'isolats EU_13_A2 (56 %) a augmenté par rapport à 2013 et celle des isolats EU_6_A1 a diminué (25 %).
Des différences sont notées en fonction des régions. La fréquence des isolats EU_6_A1 est plus importante dans l'ouest (45 %) que dans le nord et le centre (17 %). À l'inverse, les isolats EU_1_A1 et les génotypes uniques sont plus nombreux (10 % et 13 %, respectivement) dans le centre et le nord (comme en Belgique) qu'en Bretagne (2 à 3 %).
Pour 2015, les isolats collectés sont en cours d'analyse ; les résultats préliminaires indiquent que la lignée EU_13_A2 est toujours dominante dans toutes les régions.
Variants au sein des lignées
L'analyse de la structure génétique montre aussi que les lignées clonales dominantes, en particulier la lignée EU_13_A2, présentent de nombreux variants (variabilité génétique intra-clonale) ; ces lignées regroupent en effet des isolats qui se distinguent des autres par de légères différences génotypiques. Cette diversité génétique au sein des lignées clonales semble s'accroître au fur et à mesure de leur expansion dans le temps et dans l'espace (Figure 3).
Toutefois, les données disponibles actuellement ne permettent pas de savoir si cette diversification génétique s'accompagne d'une modification des propriétés biologiques et, en particulier, du pouvoir pathogène.
Modifications des populations
Un effet de la mondialisation des échanges : l'exemple américain
Les populations européennes de P. infestans sont en constante évolution, tout comme celles des autres continents ; le génotypage permet de retracer les bouleversements survenus dans les populations.
Ainsi, en Amérique de Nord, le génotype US-23, dominant depuis 2012, provoque de très graves dégâts sur pommes de terre mais aussi sur tomates (voir article sur Euro-Blight, p. 24).
Le génotype nuisible en Amérique du Nord l'est moins en France
En comparant les profils génotypiques des isolats, le génotype US-23 ressemble au génotype européen EU_23_A1 ; celui-ci aurait été importé aux États-Unis, via des plantules de tomates contaminées, mais cette hypothèse reste à vérifier.
En France, ce génotype EU_23_A1 est présent et il a été détecté sur tomate depuis 2008, mais n'a jamais été trouvé sur pomme de terre. Des analyses au laboratoire montrent pourtant qu'il produit autant de spores que le génotype EU_6_A1 sur une variété sensible de pomme de terre.
Les dégâts importants causés par ce génotype en Amérique du Nord pourraient être liés aux variétés de pomme de terre, différentes sur les deux continents. Cela pourrait aussi refléter une adaptation des isolats à des caractéristiques particulières des agroécosystèmes, comme des facteurs environnementaux liés au climat.
Mildiou sur pomme de terre et tomate : quelles relations ?
Des génotypes mixtes et d'autres spécialisés
En parcelles de production, quelques génotypes de P. infestans sont détectés à la fois sur pomme de terre et sur tomate (comme EU_2_A1). En revanche, d'autres génotypes ne sont trouvés en France que sur l'une des deux cultures, mais rarement sur les deux (comme EU_13_A2 sur pomme de terre et EU_23_A1 sur tomate).
Certains génotypes présenteraient une préférence d'hôte, pomme de terre ou tomate, bien qu'ils soient pathogènes des deux espèces. De plus, sur tomate, la diversité génétique des isolats de P. infestans est plus grande que sur pomme de terre.
Rôle des tomates et des repousses de pomme de terre
Les tomates, aussi bien dans les parcelles commerciales que dans les jardins, pourraient constituer des plantes « refuges » pour des génotypes de P. infestans très différents.
Des génotypes rares de P. infestans ont aussi été trouvés sur repousses de pomme de terre ; celles-ci, non traitées, pourraient alors, comme les tomates, être des « refuges » d'isolats diversifiés. Ces génotypes rares se trouveraient ensuite, en faible fréquence, dans les parcelles de pomme de terre.
Connaître les caractéristiques biologiques des isolats
Pourquoi faut-il du phénotypage pour compléter le génotypage ?
L'analyse des populations par marquage moléculaire permet de génotyper un grand nombre d'individus. Mais les microsatellites, courtes séquences d'ADN répétées dans le génome, sont des marqueurs neutres et non codants. S'ils fournissent une empreinte génétique permettant de classer les individus entre eux, il est difficile d'établir un lien direct entre le génotype d'un isolat et son phénotype, en particulier avec ses caractères liés au pouvoir pathogène.
Pour étudier les caractéristiques biologiques des isolats, il est nécessaire de disposer d'individus vivants. C'est pourquoi, en parallèle du génotypage des populations, une démarche complémentaire de phénotypage a été entreprise en France (Figure 4).
Comment réaliser ce phénotypage
Pour ce faire, il est indispensable de réaliser un isolement à partir de chaque lésion, puis de maintenir l'isolat vivant pour des analyses ultérieures. Cette méthodologie est beaucoup plus lourde que le prélèvement sur carte FTA, mais elle fournit des informations différentes et nécessaires pour comprendre la biologie des populations.
Les relations éventuelles entre le génotype et le phénotype des mêmes individus, en particulier ceux des deux lignées EU_6_A1 et EU_13_A2, ont été examinées pour plusieurs caractères (traits de vie) : résistance aux fongicides (phénylamides), virulence (contournement de gènes R de résistance de la plante), agressivité des isolats à différentes températures et taille des spores asexuées.
Caractères biologiques des isolats EU_13_A2
Une résistance aux fongicides phénylamides
Les isolats de la lignée EU_13_A2 sont résistants aux matières actives de la famille des phénylamides (métalaxyl, méfénoxam), alors que les isolats de la lignée EU_6_A1 semblent tous sensibles.
Les autres isolats de type sexuel A1, appartenant aux anciennes lignées EU_1_A1, EU_2_A1... sont aussi pour la plupart sensibles, bien que 25 % d'entre eux soient résistants ou tolérants.
Les mécanismes contrôlant la résistance à ces matières actives systémiques sont encore mal connus.
Dans les anciennes populations, l'apparition de résistance aux phénylamides s'est produite à la suite de leur emploi massif et de l'exposition répétée des isolats à ces matières actives. Avec la réduction importante de leur utilisation, certaines populations peuvent redevenir sensibles. La lignée EU_6_A1 est apparue quand l'utilisation de ces matières actives était déjà réduite en culture de pomme de terre, ce qui expliquerait la sensibilité des isolats.
La résistance des isolats EU_13_A2 s'expliquerait par des mutations spécifiques dans les isolats de cette lignée.
Comme ces matières actives sont maintenant peu employées en culture de pomme de terre, cette résistance ne semble pas avoir de conséquence pour la lutte actuelle contre la maladie. Elle n'explique donc pas l'invasion du territoire par la lignée EU_13_A2.
EU_13_A2 contourne davantage de gènes de résistance que EU_6_A1
Les isolats EU_13_A2 présentent d'autres caractéristiques biologiques particulières. Ils ont un profil de virulence plus complexe que les isolats de type sexuel A1, c'est-à-dire qu'ils contournent davantage de gènes R de résistance spécifique (Figure 5).
Les tests au laboratoire en conditions contrôlées (dispositif explicité dans l'encadré ci-dessous) montrent que tous les isolats (A1 et A2) sont virulents face à six gènes R de résistance R1, R3, R4, R7, R10 et R11 (non montrés figure 5) de la gamme d'hôtes différentiels.
Cependant, les isolats EU_6_A1 ont un profil de virulence assez simple ; la majorité ne contourne pas les gènes R2, R5 et R6, alors que les isolats EU_13_A2 surmontent généralement ces trois gènes.
Certains isolats EU_13_A2 sont même virulents vis-à-vis des onze gènes de résistance spécifique testés, tandis que les isolats A1 testés ne sont pas virulents face au gène R9 (Figure 5).
Ces résultats indiquent aussi que tous les isolats d'une même lignée ne répondent pas de façon similaire face aux gènes de résistance spécifique ; il est donc encore impossible d'établir un lien direct entre le génotype d'un isolat et son profil de virulence.
Par ailleurs, il est remarquable de noter que certains isolats EU_13_A2 sont virulents vis-à-vis de gènes majeurs de résistance (R5 et R9) qui ne sont pourtant pas déployés actuellement en culture de pomme de terre en France.
Tests sur trois variétés décrites comme résistantes
La virulence des isolats EU_6_A1 et EU_13_A2 a également été évaluée sur trois variétés décrites comme résistantes au champ : Sarpo Mira (contenant au moins cinq gènes de résistance spécifique Rpi-smira1, Rpi-smira2, R3a, R3b, R4), Bionica (porteur des gènes Rpi-blb2, R2, R3a, R3b) et Carolus, dont la base génétique de la résistance n'est pas connue.
En conditions contrôlées au laboratoire, Carolus n'est pas attaquée ; sur Bionica et Sarpo Mira, plus de 50 % des isolats EU_13_A2 (sur vingt testés) provoquent des lésions sporulantes, tandis que seuls 15 à 25 %, respectivement, des isolats EU_6_A1 (sur vingt-cinq testés) causent des lésions.
Ces tests, réalisés sur folioles détachées, ne reflètent pas totalement les conditions du champ et les interactions entre génotypes de P. infestans, résistance des plantes et environnement.
Ils donnent néanmoins d'utiles informations sur les relations entre les génotypes de P. infestans et les gènes majeurs de résistance de la plante, lorsque les isolats sont placés en conditions optimales pour leur développement.
Comparaison des deux lignées
Études sur folioles de Bintje
Des études réalisées à l'Inra de Rennes (N. Mariette, R. Mabon et al.) ont été entreprises pour comparer l'agressivité des isolats EU_6_A1 et EU_13_A2, à différentes températures (10, 14, 18 et 24 °C), en conditions expérimentales.
Le comportement des isolats est alors étudié sur folioles détachées d'une variété sensible (Bintje), pour plusieurs traits de vie : le développement des lésions, la sporulation et la taille des sporanges. Ces traits correspondent à différentes étapes du cycle infectieux de l'agent pathogène.
La vitesse de croissance des lésions indique la capacité des isolats à coloniser les tissus de l'hôte. La production de spores, évaluée par la quantité de spores produites par lésion, reflète la capacité de l'agent pathogène à se disperser.
Enfin, la taille des sporanges peut avoir un impact sur leur survie et leur germination, ainsi que sur leur dispersion générant les épidémies.
Des isolats EU_6_A1 plus agressifs
Les résultats obtenus montrent que les isolats de la lignée EU_6_A1 sont plus agressifs que ceux de la lignée EU_13_A2. Les isolats EU_6_A1 causent de plus grandes lésions que les isolats EU_13_A2 (Figure 6A), en particulier à faibles températures (10 °C et 14 °C). Ils produisent davantage de spores quelle que soit la température (Figure 6B).
EU_13_A2 et la taille des sporanges
Mais les isolats EU_13_A2 présentent un caractère particulier : leurs sporanges sont de plus grande taille que celles des isolats EU_6_A1 (Figures 6C et 6D). On peut supposer que ceci donne à la lignée EU_13_A1 des avantages tels une meilleure survie, une bonne capacité de germination ou un plus grand nombre de zoospores produites.
En effet, selon la température, les sporanges peuvent germer directement ou, à températures basses, générer en moyenne quatre à dix zoospores biflagellées qui vont elles aussi se disperser, germer et infecter leur hôte.
Les sporanges des isolats EU_13_A2, plus gros que ceux des isolats EU_6_A1, pourraient alors produire un plus grand nombre de zoospores, mais cela reste à démontrer.
Il est intéressant de constater que la température influe sur la taille des sporanges ; pour les deux lignées, les sporanges sont plus grands à basses températures (10 °C et 14 °C), qu'à 18 °C et 24 °C (Fig. 6C).
Aux températures basses, la production de grosses spores, de bonne qualité, vraisemblablement favorisant une efficacité d'infection élevée, compenserait le faible nombre de spores produites.
À l'inverse, les températures élevées sont pénalisantes : spores en plus faible nombre (Figure 6B) et de taille réduite (Figure 6C) à 24 °C par rapport à 18 °C.
Possibilité d'adaptation au changement climatique
De la Baltique à l'Algérie
Les capacités d'adaptation de P. infestans à la température ont aussi été examinées dans le contexte du changement climatique. Des populations d'origine géographique très différenciées (Bretagne ; nord de l'Europe, Danemark et Pays baltes ; Bassin méditerranéen, Chypre et Algérie) ont été comparées pour leur production de spores.
Des populations adaptées au climat
À faible température (10 °C), les dix-sept isolats issus du nord de l'Europe se sont montrés plus performants que les neuf isolats méditerranéens ; à l'inverse, aux températures élevées (18 °C et 24 °C), les isolats du sud sporulent davantage que ceux du nord. Enfin, à température douce (14 °C), les seize isolats de Bretagne produisent davantage de spores que les autres.
Il semble donc exister une adaptation locale des populations de P. infestans à la température. Comprendre les causes et mécanismes de cette adaptation serait un atout en réponse aux changements globaux.
Conclusion
Le réseau national mis en place pour la biosurveillance des populations de P. infestans favorise le partage d'informations entre les acteurs de terrain et de laboratoire, et il doit être pérennisé.
Le génotypage des isolats apporte des informations très importantes sur la structure et la dynamique des populations de P. infestans. Cependant, il ne permet pas à lui seul de définir des stratégies de protection durable contre le mildiou. Il est nécessaire de compléter ce génotypage par la caractérisation biologique des génotypes.
Les résultats récents obtenus montrent l'intérêt de combiner l'évaluation génotypique et phénotypique dans le suivi des populations. Ils ouvrent des pistes afin d'affiner les paramètres de l'OAD Mileos et de combiner les divers leviers (destruction des tas de déchets et repousses, déploiement de variétés résistantes, programmes de traitements...) pour développer des solutions innovantes de protection des cultures.
(1) Voir « Mildiou et alternariose : l'Europe mutualise ses connaissances », p. 24.
Fig. 1 : Évolution des populations françaises de P. infestans collectées sur pomme de terre au cours des quinze dernières années
Une couleur = une lignée clonale ou génotype. Le nombre d'isolats analysés par an à partir de 2013 représente la somme des échantillons récoltés au sein du dispositif national de surveillance et de ceux collectés dans le cadre de la thèse de N. Mariette.
Fig. 2 : Répartition des génotypes en France
Fréquence des génotypes de P. infestans collectés dans les grands bassins de production de pomme de terre en 2013-2014. Une couleur = un génotype. Données recueillies sur plus de 300 échantillons.
Fig. 3 : Le réseau des distances génétiques entre génotypes
Ce réseau représente la distance génétique entre les lignées clonales et leurs variants identifiés actuellement en Europe. Une lignée = une couleur. les génotypes rares ou uniques sont en gris. Il est visible que la lignée EU_13_A2 (en bleu) compte de nombreux variants, alors que la lignée EU_6_A1 (en rose) montre moins de variabilité.
Fig. 4 : Génotypage et phénotypage
Un échantillon prélevé à partir d'une lésion sporulante sur feuille (1) ou tige, est déposé (2) sur une carte FTA (marque déposée) pour extraire ensuite son ADN aux fins de génotypage. À partir de la même lésion, un isolement est réalisé pour obtenir un isolat vivant qui sera cultivé en boîte de Petri (3a, 3b) afin de réaliser le phénotypage.
Dispositif de test du contournement de résistance
Chaque isolat est inoculé sur une foliole détachée d'un génotype de pomme de terre et portant un gène R de résistance spécifique. Douze folioles sont inoculées pour chaque isolat : une pour chacun des gènes de résistance testés (R1 à R11) et une pour un témoin sensible (sans gène de résistance).
Le gène de résistance est contourné quand l'isolat produit une lésion sporulante sur la foliole contenant le gène R considéré ; dans le cas contraire, le gène R n'est pas surmonté.
L'isolat ci-dessus est virulent vis-à-vis des sept gènes R1, R3, R4, R6, R7, R10 et R11, mais ne contourne pas les quatre gènes R2, R5, R8 et R9.
Fig. 5 : Contournement de résistance variétale
Profil de virulence des deux principales lignées de P. infestans présentes en France.
Fig. 6 : Agressivité des souches 13_A2 et 6_A1
Comparaison de traits de vie d'isolats appartenant à ces deux lignées clonales sur folioles détachées de Bintje, variété de pomme de terre sensible au mildiou. Les photos représentent le dispositif expérimental.
REMERCIEMENTS
Les auteurs remercient les nombreux acteurs des filières de pomme de terre, des Instituts techniques et des chambres d'agriculture, pour le prélèvement des échantillons et leur investissement dans ce travail.