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DOSSIER - Pomme de terre

La résistance durable au mildiou vue depuis les Pays-Bas

SERGE DUVAUCHELLE* - Phytoma - n°690 - janvier 2016 - page 38

Présentation d'un programme de recherche hollandais visant Phytophthora infestans. De la durée d'efficacité de la résistance au délai de mise au point d'une variété, c'est toujours une question de temps.
Parcelle de la variété Désirée Plus. Elle possède trois gènes empilés de résistance au mildiou. L'un d'eux, commun avec son ancêtre Désirée, est contourné. En revanche les deux autres, introduits par cisgenèse, sont efficaces. Cette parcelle, non traitée, est saine.  Photo : S. Duvauchelle

Parcelle de la variété Désirée Plus. Elle possède trois gènes empilés de résistance au mildiou. L'un d'eux, commun avec son ancêtre Désirée, est contourné. En revanche les deux autres, introduits par cisgenèse, sont efficaces. Cette parcelle, non traitée, est saine. Photo : S. Duvauchelle

Variété Bionica. Elle possède deux gènes de résistance dont un est contourné. À gauche, parcelle non traitée : on distingue quelques rares taches. Photos : S. Duvauchelle

Variété Bionica. Elle possède deux gènes de résistance dont un est contourné. À gauche, parcelle non traitée : on distingue quelques rares taches. Photos : S. Duvauchelle

Parcelle traitée à 25 % de la dose autorisée de fongicide : feuillage sain.  Photos : S. Duvauchelle

Parcelle traitée à 25 % de la dose autorisée de fongicide : feuillage sain. Photos : S. Duvauchelle

Les chercheurs néerlandais travaillent depuis plus de vingt ans sur la lutte intégrée (IPM : integrated pest management) contre le mildiou (Phytophthora infestans). Parmi leurs thèmes de travail figure la sélection variétale pour la résistance.

Le contexte hollandais

Deux plans de dix ans

Un plan de dix ans de recherches (« Umbrella plan ») a été conduit en collaboration avec les professionnels sur les différents éléments de la maladie : étude du pathogène et de son évolution, conditions épidémiologiques, rapports plante/pathogène (notamment variétés) et outils de lutte (fongicides, outils d'aide à la décision...).

Dès 2006, un nouveau programme de dix ans, financé par le ministère néerlandais des Affaires économiques, a été lancé : DuRPh « résistance durable des variétés contre Phytophthora infestans par modification cisgénétique ». Les chercheurs de l'université de Wagenigen ont présenté les résultats le 3 septembre dernier à soixante-quatre scientifiques venus de quatorze pays.

Objectif durabilité

La journée a été introduite par Anton Haverkort, coordinateur du projet : l'objectif est de créer des variétés « plus résistantes », mais aussi, voire surtout, « plus longtemps résistantes », donc en minimisant le risque de contournement, afin de lutter contre le mildiou. Le but est à la fois de diminuer l'utilisation des fongicides et de prévenir l'apparition de résistance du pathogène à ces fongicides.

Les résultats des recherches montrent que l'empilage de plusieurs gènes R de résistance associé à une gestion intelligente de la résistance permet une réduction des fongicides de 80 %.

Ce programme de recherches est discuté et adapté dans le cadre d'un conseil consultatif national. Ce conseil est composé d'entreprises de sélection, d'organisations de producteurs et du ministère des Affaires économiques.

Pourquoi la cisgenèse ?

Contexte général

Avant d'entrer dans le sujet pomme de terre, plusieurs chercheurs ont présenté leurs recherches sur les modifications génétiques visant les résistances aux maladies : B. Keller, de l'université de Zürich, sur blé, J. Dale, de l'université de Queensland, sur bananes. S. Arpaia, Enea Italie, a décrit le plan européen de surveillance EU-project Amiga visant à mesurer l'impact des OGM sur les systèmes agroécologiques.

Empiler les gènes pour la durabillité

C'est J. Vossen qui a présenté la technique de « création » variétale et son intérêt. D'abord son intérêt : en moyenne, dans les pays de l'ouest de L'Europe, le nombre de traitements fongicides contre Phytophthora infestans est de l'ordre de quinze. La résistance variétale est donc un outil indispensable pour limiter ces applications.

Mais, dans les variétés ne contenant qu'un gène de résistance (gène R dominant), ce dernier est rapidement contourné. Pour qu'une résistance au mildiou soit durable dans le temps, il faut donc empiler plusieurs gènes de résistance.

Délais de mise au point

Pour créer une telle variété résistante avec de bons critères technologiques en n'utilisant que les techniques de sélection massale (croisements, rétrocroisements, etc.), il faut plusieurs dizaines d'années. Par exemple, la création des variétés Bionica et Toluca contenant le gène R Ppi-blb2 avait débuté en 1959 pour aboutir en 2005.

La cisgenèse

La méthode nommée cisgenèse consiste à identifier et récupérer des gènes de résistance dans des espèces de Solanum sauvages (notamment Solanum demissum, S. acaule, S. bulbocastanum, S. stoloniferum, S. venturii, S. edinense, S. berthaultii...) capables de se croiser naturellement avec la pomme de terre cultivée Solanum tuberosum, puis d'introduire et « empiler » deux ou trois gènes différents dans une variété connue sans changer ses caractéristiques, excepté sa sensibilité au mildiou (voir Phytoma n° 670, janvier 2014).

Il s'agit de biotechnologie mais pas de transgenèse (les gènes introduits, issus du genre Solanum, sont introductibles par processus naturels). On parle de cisgenèse.

Vingt gènes isolés, quatre ans de délai pour les introduire

Sur une trentaine de gènes de résistance connus et « cartographiés », plus de vingt ont été isolés et sont utilisables pour les transformations génétiques.

Plusieurs variétés Désirée, Première, Atlantic et Aveka ont été complétées par introduction de un à trois gènes de résistance.

Ainsi, pour passer de Désirée à « Désirée Plus » résistante au mildiou, il n'a fallu que quatre ans (Figure 1).

Même polygénique, la résistance doit être gérée

Surveillance rigoureuse au champ et au laboratoire

Gert Kessel a présenté la stratégie de gestion de la résistance. En effet, si l'empilement de plusieurs gènes augmente la durée de la résistante, il ne la rend pas éternelle !

Il peut y avoir contournement de certains gènes de résistance lors de cultures successives. Le suivi des populations de Phytophthora infestans est maintenu et, surtout, un suivi des virulences au laboratoire, c'est-à-dire un monitoring visant à détecter au plus vite des souches de mildiou résistantes à chaque gène, est mis en place.

Ainsi, il est possible de déceler rapidement si un des deux ou trois gènes présents dans une variété est contourné alors que ce n'est pas encore visible au champ (le ou les autres gènes continuent à protéger la variété, mais sont fragilisés).

Action dès qu'un des gènes est contourné

Dans ce cas de détection du contournement d'un des gènes, la variété « plus » est traitée avec un fongicide à 25 % de sa dose. Ceci permet de préserver l'efficacité de la résistance globale et empêche la contamination de la parcelle.

Des essais au champ permettent de vérifier l'efficacité de cette stratégie (voir photos, les fongicides n'ont pas été clairement énoncés mais il s'agit avec certitude de « hauts de gamme très efficaces »).

De façon générale, tant que l'on constate qu'aucun gène de résistance sur un stock de deux ou trois n'a été perdu, aucun traitement fongicide n'est réalisé.

Conseils en protection intégrée

G. Kessel a rappelé dans son exposé les pratiques conseillées aux producteurs. Notamment, sur l'ensemble des cultures, les éléments de la lutte intégrée sont respectés : prophylaxie (inoculum primaire...), pratique culturale (rotations...), utilisation de systèmes d'aide à la décision tenant compte des conditions climatiques et des pratiques du producteur, et enfin raisonnement de la protection en fonction de la résistance variétale.

La dose de fongicides est adaptée à cette résistance variétale. Elle se situe à 25 % de la pleine dose autorisée pour les variétés très résistantes et à 50 % pour les moyennement résistantes.

En France, on utilise des décalages de traitements et non les baisses de dose.

Perspectives pour demain

La recherche continue en Hollande, et aussi en Irlande, Belgique et Suisse

R. Visser a évoqué de nouvelles étapes pour la résistance durable, notamment par l'utilisation de récepteurs immunitaires de surface, de gènes éliciteurs pour renforcer l'efficacité et surtout la durabilité des gènes R (gènes de résistance).

Piet M. Boonekamp a évoqué les collaborations scientifiques et l'acceptabilité réglementaire et sociétale de ces variétés cisgénétiques.

Dans le cadre du projet européen Amiga, des essais au champ sont conduits en Irlande par le centre de recherche Teagasc. Une collaboration est également en place avec l'université de Gent, en Belgique, et le Swiss Institute Agroscope.

Quel statut européen pour la cisgenèse ?

Les résultats permettent de fournir des arguments à la Commission européenne pour que le règlement sur la cisgenèse soit moins contraignant que celui concernant la transgenèse. Les sélectionneurs néerlandais ne sont d'ailleurs prêts à utiliser les résultats de ces recherches qu'à cette condition.

De nombreuses communications sont faites auprès des producteurs, mais aussi auprès du « grand public » par des articles, des essais au champ, des présentations (radio et télévision) pour démontrer que la cisgenèse est un outil pour rendre la culture de pommes de terre plus durable (« sustainable »).

Des enquêtes d'opinion auprès des consommateurs sur la cisgenèse montrent des différences d'appréciation selon les pays. La cisgenèse semble mieux acceptée que la transgenèse.

La journée s'est terminée sous la pluie pour une visite des essais de terrains très spectaculaire (voir photos).

Conclusion : quelques appréciations personnelles

L'amélioration de variétés existantes en les rendant rapidement résistantes à Phytophthora infestans via la cisgenèse ne remet pas en question la sélection classique par croisement qui permet par ailleurs de créer de nouvelles variétés avec des caractéristiques nouvelles.

Mais c'est une technique complémentaire à mon avis très intéressante.

En France, compte tenu du peu d'acceptabilité par les consommateurs et la société en général, la réglementation de cette technique ne sera pas mise en oeuvre rapidement.

Pourtant, pour réduire l'utilisation des fongicides, il est indispensable de recourir davantage à la résistance variétale.

Pour sécuriser cette pratique, il faut en tout cas amplifier les « monitorings » (surveillances) de virulence.

En effet, les notes de sensibilité des variétés au mildiou du CTPS (Comité technique permanent de la sélection des plantes cultivées) sont très utiles, mais la sensibilité évolue avec les pratiques culturales.

Fig. 1 : Étapes de la mise au point de Désirée Plus, sur quatre ans

Infographie présentée par J. Vosse sur la transformation de Désirée par ajout des gènes blb3 (issu de Solanum bulbocastanum) et sto1 (issu de Solanum stoloniferum).

RÉSUMÉ

CONTEXTE - Pour la lutte intégrée contre le mildiou de la pomme de terre, l'université de Wagenigen (Pays-Bas) travaille depuis 2006 sur la durabilité de la résistance variétale.

OBJECTIFS - Le projet DuRPh « Résistance durable des variétés contre Phytophthora infestans par modification cisgénétique » consiste à introduire et empiler dans une variété connue plusieurs gènes de résistance R (dominants) issus de Solanum sp. sauvages. Ces gènes pourraient être introduits par sélection classique mais la cisgenèse est plus rapide.

RÉSULTATS - L'empilement de gènes de résistances (résistance polygénique) montre une grande efficacité permettant de ne pas utiliser de fongicide dans la lutte.

Toutefois, chacun des gènes de résistance introduit peut être contourné (en général, un seul à la fois). Aussi un suivi des contournements de résistance au laboratoire (possible du fait que les gènes sont bien identifiés) est réalisé.

Une stratégie de lutte en découle : dès qu'un des gènes est contourné, une protection fongicide est faite à 25 % de la dose. Ceci permet une forte réduction de l'utilisation des fongicides tout en prolongeant l'efficacité de la résistance (limiter le développement des souches présentant ce contournement).

STATUT - La cisgenèse reste soumise à décision européenne quant à son statut réglementaire.

MOTS-CLÉS - Pomme de terre Solanum tuberosum, Pays-Bas, mildiou, Phytophthora infestans, protection intégrée, IPM (Integrated pest management), programme DuRPh, résistance variétale, durabilité, gènes, cisgenèse, Solanum sp., contournement de résistance, suivi de virulence, réglementation européenne.

POUR EN SAVOIR PLUS

AUTEUR : *S. DUVAUCHELLE, consultant, membre du comité de rédaction de Phytoma.

CONTACT : duvauchelleserge@gmail.com

LIEN UTILE : http://www.wageningenur.nl/en/Expertise-Services/Research-Institutes/plant-research-international/DuRPh.html

BIBLIOGRAPHIE : - Chauvin J.-E., Kerlan M.-C., Marhadour S., Pellé R. et Esnault F., 2014. La lutte génétique contre le mildiou et les nématodes. Phytoma n° 680, janvier 2014, p. 24 à 29.

- Duvauchelle S., 2014. Tout le savoir sur la pomme de terre débattu à Bruxelles, Phytoma n° 680, janvier 2014, p. 18 à 22.

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