1. Mise en place de filets de protection sur une des deux parcelles d'ananas dans lesquelles a été réalisée l'expérimentation. Photo : J. Guyot, È. Gentil
Échelle de notation du niveau de maladie des ananas. 2. fruit sain (niveau 0). 3. quelques taches, fruit vendable (niveau 1). 4. taches exigeant une découpe (niveau 2). 5. fruit invendable (niveau 3). Photos : J. Guyot, È. Gentil
Les filets enveloppant des cultures sont connus et utilisés comme moyens de protection contre la grêle et/ou des insectes. Nous allons voir qu'en Guyane, sur l'ananas, ils peuvent aussi être utilisés contre des maladies et des brûlures de soleil.
Pourquoi tester des filets
Systèmes variés mais tous confrontés au risque de pourriture interne
En 2013, 600 hectares d'ananas pour une production de 12 540 tonnes étaient répertoriés en Guyane (Agreste, 2015). L'ananas y est cultivé selon des systèmes variés (voir Figure 1, page suivante) : à haute densité, sur lignes ou billons, sur abattis non mécanisables ou sur terrain totalement propre et mécanisable, ou encore en extensif, souvent sur abattis, à des densités très variables.
Les apports d'intrants peuvent être élevés (fertilisation chimique raisonnée et fractionnée et traitement d'induction florale) ou très faibles (peu ou pas de fertilisation, pas d'induction florale). Sans induction florale, la production n'est pas contrôlée, ce qui est préjudiciable à une bonne commercialisation.
En intensif, le paillage au sol est parfois utilisé pour lutter contre l'enherbement. En extensif, le désherbage est le plus souvent manuel ou mécanique entre les plants.
En Guyane, la culture de l'ananas doit faire face à des contraintes de gestion de l'enherbement, au phytophthora qui touche les plants et aux taches brunes causées par des pourritures internes des fruits. Ces pourritures peuvent entraîner jusqu'à 80 % de pertes.
Champignons et... insecticides
Divers champignons ont été extraits de fruits malades (Guyot, 2014) : Fusarium proliferatum, Fusarium oxysporum, Talaromyces sp., Talaromyces stollii, Fusarium concentricum, Fusarium ananatum, Pestalotiopsis sp., Lasidiplodia sp. et levures. Jusqu'à cinq espèces ont été détectées sur un même fruit.
Pour réduire les pertes, beaucoup d'agriculteurs utilisent des produits insecticides avec ou sans fongicides à des fréquences variables. Cette pratique n'est pas autorisée mais aucune solution n'était jusqu'à présent disponible.
Le mode de pénétration de ces champignons ainsi que leurs vecteurs ne sont pas connus. On a longtemps suspecté le lépidoptère Strymon megarus présent au Brésil, d'où l'idée de protéger les ananas par des filets.
Premiers tests prometteurs
Ce papillon est en fait rarement rencontré en Guyane mais des tests réalisés par le CFPPA de Guyane ont montré que les filets permettent de réduire fortement le taux d'ananas pourris.
De nouveaux essais ont été mis en place dans le cadre du plan Écophyto pour tester l'efficacité de filets vis-à-vis des pourritures et leurs effets éventuels en termes de rendement et de qualité des fruits.
Mode opératoire
Deux essais ont été conduits sur deux sites de la commune de Régina (est de la Guyane) distants de quelques kilomètres, sur des exploitations de type intensif (photo 1 page précédente et Figure 1A). Le Tableau 1 résume les modalités.
Chaque parcelle élémentaire comprenait deux billons séparés de 1 mètre, chaque billon, de 1,20 mètre de largeur, comportant environ 10 plants d'ananas par mètre linéaire. Chaque filet couvrait les deux billons d'un seul tenant sur une longueur de 10 m, soit 34 m2 par parcelle élémentaire. Les parcelles « témoin » et « pratiques de l'agriculteur » mesuraient également 10 m de longueur sur deux billons voisins.
Les filets ont été posés une fois les premières inflorescences apparues et laissés en place jusqu'à la récolte.
Vingt-cinq ananas par parcelle élémentaire ont été récoltés à maturité. Ils ont été pesés avec et sans couronne et mesurés dans leur longueur et dans leur diamètre maximal. Leur aspect extérieur a été observé. Puis ils ont été découpés en quatre tranches longitudinales pour noter la présence de pourritures selon l'échelle suivante : 0 = ananas sain, 1 = quelques taches sans incidence sur la commercialisation ; 2 = taches occupant une partie de la chair suffisamment grande pour nécessiter une découpe avant commercialisation ; 3 = ananas presque totalement pourri impropre à la commercialisation (photos 2 à 5). Le jus a été extrait pour mesure du pH et de la teneur en sucre (Brix(1)).
Les analyses statistiques ont été réalisées avec les logiciels XLSTAT et SAS 9.3 pour un risque de premières espèces de 5 %.
L'essai 1 a permis de comparer les filets avec le motif « agriculteur », l'essai 2 avec le témoin non protégé. Les filets ont été comparés entre eux en regroupant les deux essais.
Résultats
Par rapport au témoin non protégé (essai 2)
L'utilisation de filets (18 à 27 % d'ananas malades) apporte une nette amélioration de l'état sanitaire des fruits par rapport au témoin non protégé qui affiche 65 % d'ananas malades (Tableau 2). Traduites en niveau de maladie, les différences sont significatives (Tableaux 4 et 6).
L'effet est encore plus marqué pour les ananas non commercialisables : 6-10 % avec des filets contre 57 % sans protection (Tableau 2). Cette différence est significative (Tableau 4, Tableau 7 page suivante).
Comparé aux produits phyto (essai 1)
L'utilisation de produits phytosanitaires (témoin agriculteur) réduit, par rapport au témoin non protégé, les pourcentages d'ananas malades (33 % contre 65 %) et non commercialisables (17 % contre 57 %) (Tableau 2).
Ainsi, la différence entre l'usage des filets et celui de produits phytosanitaires est moins nette et significative (Tableau 4), même si elle semble à l'avantage des filets (Tableau 2).
Parmi les filets, seul le brise-vent 45 % offre une protection significativement supérieure à la protection chimique de l'agriculteur (Tableau 5).
Trois filets comparés
En regroupant les résultats des essais 1 et 2, il n'apparaît pas de différences significatives entre filets pour l'état sanitaire des fruits (Tableau 2).
La taille des fruits et leur forme (rapport hauteur/diamètre) ne sont pas affectées par l'utilisation des filets (Tableau 3). Le poids par fruit est significativement inférieur avec le filet antigrêle 45 % comparé au témoin non traité (Tableau 8) mais il est équivalent à celui du système de l'agriculteur (Tableau 4).
Les qualités gustatives sont peu touchées : taux de sucre identique entre motifs dans les deux essais (Tableau 3), pH légèrement plus élevé avec le filet antigrêle 15 % (Tableau 9).
Les filets assurant le plus fort ombrage (45 %) retardent la maturation de une à deux semaines, ce dont il faut tenir compte dans le calendrier de production. En revanche, ils protègent des brûlures de soleil fréquentes en saison sèche. Un ombrage de 15 % expose les ananas à ces brûlures et doit être doublé en saison sèche. Un ombrage de 30 % au minimum est nécessaire.
Une technique rentable
Nous avons calculé le gain permis par les filets à partir des résultats de ces essais (niveau de maladie, poids des fruits), en nous basant sur une production d'environ huit fruits au mètre linéaire et sur le prix des divers filets en Guyane, et sachant qu'un hectare compte environ 45 billons de 100 m de longueur. Il apparaît que, pour un prix de vente au détail de 3 euros/kg, l'usage des filets apporte dès le premier cycle un bénéfice par rapport au témoin sans protection. Le filet étant réutilisable, le gain s'accroît chaque année (Tableau 10).
Conclusion
L'utilisation de filets apporte une protection efficace contre les pourritures des fruits d'ananas, au moins aussi efficace que l'usage de produits pharmaceutiques par ailleurs non autorisé. La qualité des fruits n'est pas affectée.
Le filet brise-vent, plus facile à utiliser et se déchirant moins car il glisse sur les ananas est, de ce fait, plus difficile à enrouler après usage. Par ailleurs il est plus cher. Le choix du filet dépendra donc des contraintes de chaque agriculteur.
Les agriculteurs utilisant les filets de protection sont satisfaits : double protection contre les pourritures et les brûlures, affranchissement du coût, des nuisances et du temps de travail lié aux produits phytosanitaires, meilleure image de marque sur les marchés.
Cependant, outre les réticences à modifier des pratiques anciennes, la technique se heurte au coût des filets. Certes, ils sont réutilisables sur plusieurs cycles et très rapidement rentables, mais peu d'agriculteurs sont en mesure de les acquérir. Des aides permettant cet investissement pourraient favoriser l'adoption de la méthode.
Cette technique s'applique aux modes de culture en lignes ou billons faisant appel à l'induction florale. Elle devra être adaptée aux modes de culture extensifs ou intermédiaires, notamment par l'utilisation de filets individuels à tester. Réduire la durée de protection serait un moyen d'accroître la rentabilité des filets en permettant une rotation plus rapide. Des essais doivent être engagés dans ce sens.
(1) Taux de sucres mesuré en « degré Brix » (selon l'échelle de Brix, ainsi nommée du nom de son inventeur). Mesure effectuée ici à l'aide d'un réfractomètre optique.
REMERCIEMENTS
Cette action a été pilotée par les ministères chargés de l'Agriculture et du Développement durable, elle a reçu l'appui financier de l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques, (crédits issus de la redevance pour pollutions diffuses attribués au financement du plan Écophyto), de fonds européens (Feader) et de financements du ministère de l'Outre-mer. Les auteurs remercient également les agriculteurs qui ont accepté de participer à ces essais.