Nous avions signalé la présence de ce psylle en Algérie le mois dernier, sitôt l'information connue. Voici maintenant un article plus détaillé sur le sujet. Lequel intéresse l'Algérie, mais aussi tout le pourtour méditerranéen.
Observations algériennes en 2015
Découverte au printemps
Comme signalé dans Phytoma n° 690, p. 4, Macrohomotoma gladiata Kuwayama, 1908, est un psylle d'origine asiatique (photo 1 : adulte). Il a été découvert pour la première fois en Algérie au printemps 2015 sur Ficus urbains datant de l'époque coloniale, situés dans l'enceinte du site III de l'université de Mostaganem (nord-ouest de l'Algérie).
Évolution durant l'année
Les infestations, observées en mars sur seulement trois arbres contigus, se sont étendues progressivement à la trentaine de Ficus du site (ex-ITA, Institut de technologie agricole), en colonies plus ou moins denses selon la position de l'arbre (photo 2).
À la fin de l'été 2015, plusieurs colonies du psylle visibles à distance (sécrétions blanchâtres) étaient observables sur la majorité des arbres bordant les allées et places de la ville de Mostaganem.
L'identité de l'espèce a été confirmée par le second auteur à partir d'échantillons récoltés sur pousses de Ficus retusa L., en octobre 2015 et placés dans de l'alcool à 70 %.
Un développement continu
Les sujets fortement infestés présentent un faciès maladif qui tranche avec celui des arbres sains. Les observations sous stéréomicroscope de fragments de Ficus infestés ont montré la présence simultanée de tous les stades de développement du ravageur (photo 3). Ceci traduit un développement continu de l'espèce avec des générations chevauchantes.
Ce même fait a été également mentionné dans une étude préliminaire à Valence (Espagne) (Laborda et al., 2015).
L'Algérie, premier pays africain touché ...mais pas méditerranéen
Actuellement, il s'agit du premier signalement avec identification vérifiée en Afrique.
Mais ce psylle était déjà implanté dans la zone méditerranéenne. En effet, la première découverte de M. gladiata dans cette zone a eu lieu en Espagne dès 2009, avec une implantation plus étendue dès 2010, signe déjà de sa forte capacité de dispersion. L'implantation de M. gladiata est confirmée dans deux pays de la zone euro-méditerranéenne, l'Espagne mais aussi l'Italie.
De plus, l'espèce a été identifiée tout dernièrement en France, à Nice, sur Ficus microcarpa L. f. (Jean-François Germain, com. pers.).
Des signalements dans d'autres pays voisins sont attendus là où existent ses plantes-hôtes, c'est-à-dire des arbres de pleine terre du genre Ficus (Mifsud et al., 2012).
Bref historique de la dispersion du psylle à partir de son aire d'origine
Connu depuis 1908 en Asie
Ce psylle est une espèce oligophage. Autrement dit, il est inféodé à un nombre limité d'espèces végétales hôtes. Toutes sont du genre Ficus dans son aire d'origine (F. retusa et F. microcarpa).
Cette espèce a été décrite pour la première fois de Taïwan par Kuwayama (1908) mais sous l'orthographe originale incorrecte de M. gladiatum (Pedata et al., 2012 ; Ouvrard, 2016).
Elle est restée cantonnée à la région asiatique (Taïwan, Japon, Hong Kong, puis Inde), son aire de répartition jusqu'en 2009.
2009, premier signalement en Méditerranée
C'est à cette date que sa présence a été constatée pour la première fois dans la « zone EPPO » (zone prise en compte par l'EPPO, European and Mediterranean Plant Protection Organisation, Organisation Europe-Méditerranée pour la protection des plantes).
Le premier signalement a été effectué à Majorque, dans les îles Baléares (Anonyme, 2009 ; Bella et Rapisarda, 2014).
Son introduction dans la zone EPPO a été confirmée en 2011 sur la base d'infestations observées en juillet de cette même année sur F. microcarpa dans le campus universitaire d'Alicante, en Espagne continentale (Mifsud et Porcelli, 2012).
Espagne, y compris Canaries, Italie, Sicile comprise...
Le signalement de ce psylle dans plusieurs provinces d'Espagne (Andalousie, Malaga, Murcia, Valence et Alicante) (Mifsud et Porcelli, 2012) et plus récemment dans les îles Canaries (Cruz, 2013) atteste de son caractère très invasif.
En Italie, de sévères infestations sur Ficus urbains bordant les avenues de la ville de Naples ont été observées pour la première fois durant l'été 2011 (Pedata et al., 2012) ; en 2014, l'espèce a été trouvée en Sicile (Bella et Rapisarda, 2014).
Identification du psylle et position taxonomique
Espèce type du genre Macrohomotoma
Les différents stades de développement de l'insecte sont illustrés dans Pedata et al. (2012) et Mifsud et Porcelli (2012).
Le genre Macrohomotoma (Psylloidea, Homotomidae), dont l'aire de répartition s'étend de l'Inde au sud de l'Indonésie et à Hawaii, contient quinze espèces inféodées aux Ficus. L'espèce-type du genre, M. gladiata, est la seule introduite en Europe et Afrique du Nord.
Ne pas confondre avec Homotoma ficus
Dans ces régions, une autre espèce de la famille des Homotomidae, Homotoma ficus (Linné, 1758), se trouve sur Ficus carica L. exclusivement. D'origine méditerranéenne, cette espèce a vu son aire de répartition s'agrandir ces dernières années. H. ficus ne présente pas les abondantes sécrétions cireuses blanches de M. gladiata.
Le psylle et le puceron, deux cas d'école
Arrivée du psylle en Algérie : itinéraire hypothétique et date inconnue
Comme il existe d'intenses activités commerciales entre l'Espagne et l'Algérie, surtout entre le port d'Alicante et celui d'Oran, il est très possible que le psylle ait été introduit de façon accidentelle par voie maritime. Mais il n'y a aucune certitude, ni sur la date de son introduction en Algérie, ni sur l'itinéraire suivi par l'insecte à partir de l'Espagne.
Le fait de découvrir tardivement d'autres foyers du psylle sur des Ficus urbains à Oran en novembre 2015 n'apporte pas de précision. Il est possible que l'insecte ait pénétré en Algérie il y a plusieurs années mais que les symptômes de sa présence ne soient devenus visibles qu'en 2015.
Puceron Greenidea ficicola, l'inaperçu
Très souvent des invasions d'insectes d'origine étrangère se produisent et passent inaperçues pendant plusieurs années. C'est bien le cas d'un puceron découvert pour la première fois sur le même Ficus infesté par le psylle. Il s'agit de Greenidea ficicola Takahashi (1921) (Homoptera : Aphididae) (photo 4).
Ce n'est pas son premier signalement en Algérie : il a fait l'objet d'une première observation à Alger en avril 2008 par Laamari (Laamari : com. pers.), information reconfirmée en 2013 (Laamari et al., 2013). Mais il est ensuite passé inaperçu dans l'ouest de l'Algérie. Nous l'avons identifié à Mostaganem dans le cadre des investigations déclenchées par les infestations du psylle.
C'est en fonction de leur caractère invasif et du degré de leur nuisance, surtout s'il s'agit de bioagresseurs de cultures vivrières, que l'on commence à s'intéresser aux espèces récemment introduites.
Comment limiter l'impact écologique de cet insecte invasif ?
Pas de lutte prévue en Algérie
En Algérie, il est certain qu'aucune lutte chimique ne sera menée contre ce psylle. En effet, les végétaux touchés sont des plantes ornementales (pas de pertes agricoles signalées, donc pas d'impact économique) de grande taille implantées en milieu urbain.
Il faut espérer que, dans ces conditions, la faune utile autochtone puisse s'adapter progressivement à cette nouvelle espèce et maintenir ses populations à un niveau tolérable.
Espérer des ennemis naturels ?
Les hyménoptères parasitoïdes Prionomitus mitratus (Dalman, 1820) et Psyllaephagus punensis Hayat & Khan, 2014 se développent sur M. gladiata respectivement en Espagne (Laborda et al., 2015) et en Inde (Hayat et Khan, 2014). La punaise Anthocoris nemoralis (Fabricius, 1794) et la coccinelle Oenopia conglobata (Linnaeus, 1758) semblent être des prédateurs efficaces en Espagne (Sánchez, 2012 ; Laborda et al., 2015).
La présence de plusieurs ennemis naturels potentiels (prédateurs Coccinellidae et Anthocoridae) à proximité des colonies du nouveau psylle est un bon signe. L'inventaire de la faune entomologique (nuisible et utile) associée aux Ficus urbains permettra de découvrir les principaux ennemis naturels de M.gladiata en Algérie dans un proche avenir.
Conclusion
C'est le premier signalement de M. gladiata en Algérie et en Afrique mais il est difficile de situer sa date d'introduction. On la supposera postérieure à 2009, date du premier signalement en zone EPPO.
Tous les pays du Bassin méditerranéen sont susceptibles d'être touchés car il est difficile de prendre des mesures par anticipation pour limiter les invasions biologiques par les espèces invasives trouvant dans leur nouvel habitat la plante-hôte et des conditions favorables. L'impact écologique dépendra de plusieurs facteurs, en particulier du climat.
REMERCIEMENTS
Les auteurs remercient les docteurs A. Benyagoub, de l'université de Caen, et J.-C. Onillon, ancien directeur de recherches Inra, Antibes, pour leur aimable contribution dans la transmission des échantillons du psylle au Natural History Museum de Londres, et les étudiants Bouazza et Labdaoui pour les photos.