Les cyclamens doivent être sains pour être proposés à la vente, donc sans symptôme de fusariose due à « Focy ». Photo : Astredhor - C. Lecomte
Test du pouvoir pathogène de souches de Fusarium oxysporum sur cyclamen. Après avoir constitué une grande collection de souches de F. oxysporum, un test en serre a été conduit afin de révéler ou non leur virulence sur cyclamen. Ce test a permis d'identifier des souches de F. oxysporum f. sp. cyclaminis. Photo : Astredhor - C. Lecomte
Le genre Cyclamen regroupe une vingtaine d'espèces originaires des zones montagneuses du Bassin méditerranéen. Une large gamme de cultivars de Cyclamen persicum est commercialisée comme plante d'intérieur, d'extérieur et fleurs coupées, tirant parti de sa floraison hivernale, de la diversité de formes et motifs de ses feuilles et des coloris de ses fleurs. La fusariose vasculaire induite par Fusarium oxysporum f. sp. cyclaminis (Focy) est une des maladies les plus préjudiciables de cette plante.
Pourquoi si nuisible ?
Des racines aux feuilles
Cette maladie, aujourd'hui observée dans tous les pays producteurs (Figure 1), a été décrite pour la première fois aux environs de Berlin en 1930.
Lorsque le champignon pathogène a pénétré dans les racines de la plante, il colonise les tissus de la racine jusqu'à atteindre les vaisseaux du xylème. Il continue ensuite sa progression dans les vaisseaux, les obstrue et limite la conduction de la sève ascendante. Survient alors un jaunissement progressif du feuillage, d'abord unilatéral puis généralisé. Il en résulte un flétrissement global puis la mort de la plante.
Incurable dès les symptômes visibles
Bien que le champignon puisse être présent dès le stade jeune plant, la maladie se déclare le plus souvent en fin de cycle de culture et/ou après plusieurs jours consécutifs de fortes amplitudes thermiques. Lorsque les premiers symptômes sont visibles, la plante est condamnée et doit être rapidement extraite des cultures.
La fusariose du cyclamen peut engendrer jusqu'à plus de 50 % de pertes en production.
Fusarium oxysporum, fascinant champignon
Diversité de l'espèce et spécificité de chaque souche
S'il est des champignons dont la diversité et l'omniprésence fascinent, Fusarium oxysporum est de ceux-là. Le sol abrite ainsi des souches de F. oxysporum qui peuvent être de simples saprophytes ou des souches pathogènes de plantes, mais aussi des antagonistes d'agents pathogènes.
Les F. oxysporum pathogènes sont capables d'induire des nécroses ou des trachéomycoses chez de très nombreuses espèces de plantes, à l'exception des Poacées. En revanche, chaque souche de F. oxysporum phytopathogène montre une spécificité d'hôte très étroite.
Les souches pathogènes sont donc classées en formes spéciales (en abrégé « f. sp. ») selon l'espèce végétale qu'elles infectent et même, dans certains cas, en races en fonction du cultivar ou de la variété sensible.
Comment identifier chaque souche ?
Cependant, aujourd'hui, à quelques exceptions près, le seul moyen de distinguer les différentes souches, pathogènes ou non, est de les inoculer sur plante.
La mise au point d'un outil moléculaire de détection et de quantification spécifique de l'agent pathogène dans la plante, l'eau et les substrats de culture, sans avoir recours à l'inoculation sur plante, permettrait de mieux décrire la biologie de l'agent pathogène ainsi que l'épidémiologie de la maladie. La recherche et la mise au point d'un tel outil spécifique font l'objet de cet article.
Recherche d'un moyen de détection précoce de Focy
Une démarche en plusieurs étapes
Les travaux présentés ici s'inscrivent dans le projet Fucy (fusariose du cyclamen : détection préventive et contrôle biologique) porté par Astredhor, l'Institut technique de l'horticulture, et mené en collaboration entre l'Inra de Dijon et la société Agrene, sur financements ANRT (Association nationale de la recherche et de la technologie) et CasDar (Compte d'affectation spécial développement agricole et rural).
Le développement d'un outil de détection spécifique de Focy a d'abord nécessité la constitution d'une collection de souches de Focy représentative de la diversité de cette forme spéciale. Le pouvoir pathogène des souches ou isolats collectés a été vérifié par test d'inoculation sur plantes, et leurs identités vérifiées au niveau moléculaire.
La diversité génétique de Focy a été caractérisée pour permettre l'identification de zones d'ADN spécifiquement présentes chez cette forme spéciale.
La recherche d'un outil de détection et de quantification a été effectuée en suivant l'approche dite RAPD-SCAR (Random Amplification of Polymorphic DNA-Sequenced Characterized Amplified Region).
Constitution de collections de souches
Comme le champignon pathogène est présent dans plusieurs pays, les travaux ont commencé par la constitution d'une collection de souches identifiées comme Focy ou isolées de cyclamens (sains ou présentant des symptômes). Au total, 74 souches ont été collectées, provenant de 9 pays différents (Allemagne, Angleterre, Argentine, Australie, États-Unis, France, Japon, Italie, Pays-Bas).
De plus, 98 souches microbiennes autres que Focy ont été collectées. Cette seconde collection comprend 42 souches de F. oxysporum, 18 Fusarium sp., 33 autres genres fongiques, et 5 souches fongiques et bactériennes pathogènes du cyclamen.
Caractérisation phénotypique de la collection
Pour caractériser la virulence des souches de la collection, un test de pouvoir pathogène a été mis en place. Des cyclamens (dix plantes par modalité) ont été semés puis inoculés avec les souches à tester à 5 × 106 propagules/ml de substrat (Pindstrup n° 4). Des plantes traitées à l'eau ont servi de témoin.
À l'apparition de la maladie, des notations ont été faites deux fois par semaine suivant une échelle allant de 0 à 3 selon l'évolution des symptômes. Ces notations permettent d'évaluer la composante quantitative du pouvoir pathogène des souches, c'est-à-dire l'agressivité.
Des isolements à partir de plantes symptomatiques, asymptomatiques et de plantes témoins ont également été effectués.
Caractérisation moléculaire
Des outils moléculaires ont été utilisés pour identifier les souches et caractériser leur diversité génétique. Les souches ont été purifiées et leurs ADN ont été extraits.
Les régions d'ADN de l'ITS (Internal Transcribed Spacer) et du facteur d'élongation 1α(EF-1α) ont été amplifiées par PCR, séquencées puis comparées aux séquences présentes sur NCBI (National Center for Biotechnology Information) pour connaître l'identité de chaque souche au niveau de l'espèce.
Les séquences d'ADN du gène EF-1α et de l'IGS (InterGenic Spacer) ont été amplifiées puis séquencées. Elles ont servi à caractériser la diversité génétique de Focy.
Recherche d'amorces spécifiques par RAPD-SCAR
Pour identifier un fragment d'ADN spécifique du pathogène, la technique de RAPD-SCAR a été utilisée. Une souche représentative de chacun des groupes génétiques identifiés précédemment a été utilisée. Au total, 60 amorces aspécifiques de RAPD ont été testées.
Un fragment d'ADN uniquement présent chez Focy a été identifié. Ce fragment a été amplifié pour chacune des souches représentant un groupe génétique. Leurs séquences ont été comparées entre elles et par rapport aux génomes de F. oxysporum disponibles dans des bases de données. L'identification de paires de bases spécifiques de Focy a permis de dessiner trois couples d'amorces.
Spécificité des couples d'amorces vérifiée
Les spécificités des trois couples d'amorces ont été testées sur les collections de micro-organismes présentées ci-dessus. Le couple le plus spécifique a été sélectionné pour la suite des tests.
Vérification de la sensibilité du couple d'amorces
Afin de connaître la limite de détection du couple d'amorces sélectionné, l'ADN de trois souches de Focy a été dosé précisément et des dilutions en série ont été faites de manière à apporter : 10 ng, 5 ng, 1 ng, 500 pg, 100 pg, 50 pg, 10 pg, 5 pg et 1 pg par réaction PCR. De l'ADN de cyclamen sain, de cyclamen contaminé par une souche de Focy ou colonisé par une souche non pathogène de F. oxysporum a été extrait. Le couple d'amorces a été testé sur ces ADN afin de déterminer si la détection du pathogène sur matériel végétal est possible.
Résultats déjà acquis
Tests de pathogénicité
Le test de pouvoir pathogène a permis d'identifier 45 souches de Focy et 14 souches de F. oxysporum non pathogènes. Les tests de ré-isolement ont permis de ré-isoler F. oxysporum. Parmi les souches de Focy, une grande gamme d'agressivité a été constatée.
Diversité génétique
L'utilisation combinée des séquences d'EF-1α et d'IGS a permis de révéler des groupes de Focy génétiquement distincts. Six groupes de souches pathogènes ont été identifiés. Cette diversité génétique s'avère plus importante que ce qui était décrit jusqu'à présent dans la littérature.
D'autre part, le même travail a été réalisé avec les souches de F. oxysporum non pathogènes. Leur diversité génétique est encore plus importante.
Recherche d'un outil de détection
En utilisant les résultats précédents, un marqueur moléculaire spécifique a été recherché en utilisant la technique de RAPD. Une région non codante d'ADN de 1650 pb a ainsi pu être identifiée.
L'étude comparée des séquences d'ADN de cette zone pour différentes souches de F. oxysporum a permis de détecter des nucléotides spécifiques à Focy. Ces bases ont été utilisées pour définir trois couples d'amorces.
Spécificité et sensibilité des couples d'amorces en PCR
La spécificité des couples d'amorces a été testée sur les collections de souches citées ci-dessus. Un des couples s'est montré spécifique de Focy à 100 % (photo ci-dessous). Il a été gardé pour la suite des tests.
Il permet une détection de Focy dans des tubercules de cyclamen contaminés, tandis qu'aucun signal n'est obtenu si le tissu est colonisé par une souche de F. oxysporum non pathogène. Le test de sensibilité a permis de déterminer que le seuil de détection de l'outil est de 50 pg d'ADN de Focy.
Vers l'identification précoce
Les travaux présentés ci-dessus ont mis en évidence la diversité phénotypique et génétique, jusqu'à présent sous-estimée, au sein de F. oxysporum f.sp cyclaminis.
Cette étude a permis d'identifier un fragment d'ADN spécifique de Focy à partir duquel un couple d'amorces a été défini. Cet outil, actuellement testé pour une utilisation en PCR quantitative, devrait donner la possibilité de quantifier l'agent pathogène à partir d'échantillons de tourbe, d'eau et de tubercule contaminés artificiellement ou prélevés dans des exploitations. Les seuils de détection de Focy seront prochainement définis.
De façon générale, ces travaux, menés en étroite collaboration entre l'Inra de Dijon, Astredhor et la société Agrene, apporteront une meilleure compréhension de la biologie de l'agent pathogène et de l'épidémiologie de la maladie.
Ainsi, le risque de fusariose sur cyclamen pourra être identifié précocement, avant l'apparition de tout symptôme. Une prophylaxie adaptée pourra être mise en place rapidement, afin d'accéder à une meilleure maîtrise de la fusariose en production de cyclamen. L'outil sera d'autant plus utile s'il est combiné avec une méthode de lutte préventive telle que la lutte biologique (voir article suivant).