Potentilla fruticosa (potentille arbustive) installée comme plante-fleurie en pépinière hors-sol Végétal 85. Elle attire les auxiliaires qui réguleront les populations de ravageurs, les pucerons notamment. Photo : A. Ferre
Feuille de groseillier recouverte du puceron Cryptomyzus ribis et de momies provoquées par Aphidius ribis, espèce hélas tout aussi spécifique du puceron C. ribis que ce dernier l'est du groseillier : l'auxiliaire ne passera pas sur d'autres végétaux ! A. Strodijk - A. Ferre
Tableau 1 : Exemples de stratégie pour réduire l'usage des produits phytosanitaires et impact sur le système de culture
Les plantes de service, qu'est-ce que c'est et à quoi servent-elles ? Voici le point sur la question, avec les catégories et usages de ces plantes et des exemples de surprises, de succès et de difficultés, tous riches d'enseignement.
Situer les plantes de service
Impact sur le système de culture
Il n'est pas nécessaire de rappeler le contexte réglementaire, environnemental et sociétal qui pousse les acteurs des filières agricoles à chercher à restreindre l'usage des produits phytosanitaires conventionnels.
Plusieurs stratégies existent pour atteindre cet objectif. Certaines visent à améliorer l'efficience des traitements pour diminuer les quantités appliquées, d'autres recherchent des produits de substitution. Ces stratégies ne remettent pas en cause fondamentalement le système de production.
Des méthodes modifient plus en profondeur les itinéraires techniques. Enfin, les stratégies les plus novatrices chamboulent les systèmes de culture (voir le Tableau 1 pour quelques exemples).
L'usage d'une plante de service peut être peu (plante-piège contre l'otiorhynque) ou fortement impactant sur le système de culture (plante-piège contre l'altise). Les itinéraires techniques seront donc plus ou moins faciles à mettre en oeuvre.
Une définition, deux exemples
Mais, me direz-vous, qu'est-ce qu'une plante de service ? N'ayant pas trouvé de définition officielle, j'en propose une ici : une plante de service est une plante disposée avant ou pendant, dans ou autour d'une culture, pour lui apporter un ou des avantages. Ceux-ci peuvent porter sur la qualité des sols, la nutrition des plantes ou le contrôle de bioagresseurs (adventices, maladies ou ravageurs). La plante de service est détruite avant, pendant ou après la récolte.
Un engrais vert, disposé et détruit avant une culture, vise à améliorer la qualité du sol et sa fertilité. Cet engrais vert peut donc bien être qualifié de « plante de service ».
Autre exemple, les plantes-relais(1) placées dans une culture pour y augmenter et maintenir les populations d'auxiliaires afin de maîtriser les ravageurs. Ainsi, l'éleusine infestée par le puceron Rhopalosiphum padi favorise les hyménoptères parasitoïdes.
Astredhor, institut technique horticole, est très impliqué dans le développement des plantes de service. Après avoir longtemps étudié les méthodes de PBI « classique(2) », la station d'Angers travaille depuis 2007 à la mise au point d'itinéraires techniques utilisant des plantes de service.
Plantes-fleuries : histoire d'une réussite
Un résultat d'essai inattendu
Cette évolution est née d'un essai réalisé en 2007 chez un rosiériste qui voulait moins traiter. Nous avons réalisé un suivi hebdomadaire de ses cultures extérieures pour identifier les auxiliaires spontanés avec la finalité de proposer une stratégie de PBI basée sur le cortège spontané.
Or en fin de saison, aucun aphicide n'avait été appliqué contre trois habituellement. Ce résultat inattendu (il se disait alors que la PBI en extérieur ne fonctionnait pas) s'explique par la convergence de deux phénomènes.
« Momie n'est pas maman »... chez les pucerons
L'analyse du mécanisme de déclenchement des applications a révélé une formation du personnel insuffisante. Les personnes travaillant dans les plantes alertaient la personne qui traitait (observation séparée de l'application), or elles considéraient les pucerons momifiés comme des « mamans-pucerons » (car gonflés, comme « enceintes »), donc comme une menace !
La présence importante de momies, donc d'auxiliaires, déclenchait une application d'aphicide... qui détruisait les auxiliaires en train de s'installer. Une petite formation du personnel a réglé ce problème. Les alertes ont alors été bien moins nombreuses.
Cette anecdote fera sourire ceux pour qui il est évident qu'une momie est « bénéfique » mais il faut rappeler le contexte : ces employés, sans accès à l'information, ne savaient pas ce qu'était une momie.
« Auxiliaire, viens voir si la rose... » : la fleur éclose aide la future fleur
Les plantes étaient régulièrement taillées pour obtenir des rosiers bien ramifiés. Mais, par manque de temps, la parcelle n'était jamais taillée entièrement. Au moins un tiers des plantes n'étaient pas taillées et, donc, fleurissaient. Leurs fleurs attiraient et retenaient les auxiliaires, les syrphes notamment. Ceux-ci assuraient alors le contrôle des pucerons.
Un bon résultat renouvelé par la suite
Ainsi, avec des critères de déclenchement d'interventions devenus pertinents et la présence constante de fleurs, la population d'auxiliaires spontanés s'est installée et développée dans la parcelle. Ils ont été assez efficaces pour contrôler la population de pucerons durant toute la saison, annulant l'ensemble des traitements. Ce bon résultat s'est renouvelé d'année en année.
Des essais mènent à la potentille
Mais comment élargir ce résultat à d'autres entreprises, d'autres cultures non fleuries ? Tout simplement en mettant des pots de plantes fleuries au sein des parcelles !
Les années suivantes, nous avons réalisé des essais visant à mettre au point cette méthode en culture de rosier et de chrysanthème. Les résultats ont été très positifs.
Finalement, nous avons proposé un itinéraire de culture où la plante-fleurie, Potentilla fruticosa 'Goldfinger'(3), est disposée tous les 8 mètres en quinconce dans les cultures (pour plus de détails sur les plantes-fleuries, voir Phytoma n° 651). Cette méthode est aujourd'hui largement utilisée en pépinière de plein air.
Cet exemple illustre la méthode de pensée qu'il faut adopter pour concevoir et suivre des itinéraires utilisant des plantes de service. Nous n'avons pas cherché à « traiter » des pullulations par lâcher d'auxiliaires ou application de produits alternatifs. Nous nous sommes demandé pourquoi les auxiliaires spontanés qui devraient pouvoir contrôler les ravageurs à eux seuls (exemple des rosiers en 2007) ne le faisaient pas.
En palliant le déficit identifié dans la culture - ici l'absence de fleurs -, la population d'auxiliaires devient suffisante(4) pour contrôler efficacement les ravageurs.
Les plantes-fleuries peuvent rendre un agroécosystème assez attractif pour que les auxiliaires spontanés s'y installent, s'y développent et contrôlent les ravageurs.
Remarquons que la solution n'est pas seulement agronomique. Nous l'avons vu, il est également indispensable de former le personnel à ces nouvelles pratiques.
Types de plantes de service
Plante-fleurie, réservoir, piège...
Selon la lacune identifiée dans la culture (manque de fleurs, de proies, de pollen...), la plante de services sera différente.
Si l'auxiliaire principal d'un ravageur est floricole (l'adulte consomme nectar et pollen), il faut des plantes-fleuries. S'il s'agit d'un auxiliaire prédateur à l'état adulte (coccinelle, punaise), on utilisera une plante-réservoir(5). Si le ravageur est polyphage et mobile, on privilégiera une plante-piège...
Le Tableau 2 précise les types de plante de service. Les Figures 1 et 2 illustrent les effets des différentes plantes de service utilisées pour contrôler les ravageurs aériens.
Des usages plus ou moins simples
Nous avons développé une méthode permettant de choisir le type de plante de service à utiliser en fonction de la problématique à résoudre. Le point principal est qu'il faut toujours proposer la méthode la plus simple et la plus générique possible. Ce n'est qu'à ces conditions que la technique rencontrera le moins d'échecs, donc sera adoptée massivement par les producteurs.
Par exemple, l'usage d'une plante-piège est plus simple que celui d'une plante-réservoir. Dans le premier cas il suffit de contrôler la population de ravageurs sur la plante-piège, dans le second il faut contrôler la population des ravageurs spécifiques sur la plante-réservoir mais aussi les populations d'auxiliaires et de ravageur dans la culture. La gestion et les prises de décision sont donc bien plus complexes, d'où un risque d'échec, d'insatisfaction du producteur et d'arrêt de la pratique.
Ainsi on privilégiera les plantes-pièges et plantes-répulsives (système ternaire culture/plante de service (PdS)/ravageurs), puis les plantes-fleuries, plantes-à-pollen et plantes-nectarifères (système quaternaire culture/PdS/auxiliaires/ravageurs).
Enfin les plantes-réservoirs sont à réserver aux spécialistes (système quinquénaire culture/PdS/ravageur spécifique de la PdS/auxiliaires/ravageur de la culture).
Précisons ce dernier cas. Ces plantes sont souvent utilisées pour maintenir des populations d'hyménoptères parasitoïdes. Ici survient une difficulté. Pour les espèces de pucerons polyphages, les hyménoptères du commerce et les systèmes de plantes-réservoirs sont en général adaptés.
Mais pour les pucerons spécifiques d'une plante... les hyménoptères parasitoïdes sont souvent, eux aussi, spécifiques de ces pucerons (Tableau 3). Il ne sert à rien de faire des lâchers ou d'utiliser l'éleusine. Même si elle était couverte de momies, les hyménoptères n'iraient pas parasiter les pucerons de la culture !
Dans ce cas, il est plus sage d'utiliser une plante-fleurie ou une plante-nectarifère en attendant que les parasitoïdes spécifiques s'installent spontanément dans la culture (cela arrive souvent, même sous abri).
Plantes-réservoirs, histoire d'un déboire
Tests de plantes hébergeant un puceron spécifique
Ainsi, la connaissance des espèces de pucerons et d'hyménoptères parasitoïdes présents dans une culture est indispensable à la constitution d'une stratégie de contrôle efficace basée sur les parasitoïdes.
Illustrons l'énergie gaspillée si les parasitoïdes ne sont pas identifiés par nos déboires dans nos essais de plantes-réservoirs. Pour limiter les pullulations de puceron en pépinière sous abri froid au printemps, nous avons testé des plantes-réservoirs. À la suite d'essais antérieurs, trois espèces potentiellement intéressantes avaient été identifiées ; la tanaisie, le groseillier et l'asclépia. Elles avaient été choisies car elles accueillent des pucerons spécifiques et de nombreux auxiliaires, dont des hyménoptères, mais très rarement des pucerons polyphages.
Les tests ont été réalisés à partir de 2011. En 2012 et 2013, nous constations une énorme population d'Aphidius sp. sur groseillier mais sans transfert dans la culture.
Groseillier : l'auxiliaire parasitoïde, lui aussi, était spécifique !
Nous avons cherché à quelle espèce nous avions affaire. Or, il n'existe pas de clé d'identification des Aphidius sp. pour la France. Après beaucoup de bibliographie et en se rapprochant de l'UMR Igepp (ACO-Rennes), nous avons établi début 2015 que l'espèce présente sur groseillier est spécifique (Tableau 3). Elle ne peut pas parasiter les pucerons de la culture ! Le groseillier a donc été écarté comme plante-réservoir de parasitoïdes.
Pourquoi ces plantes sont un pivot
Réduction du coût
Maintenant, voyons pourquoi, selon moi, les plantes de services sont le pivot central des nouvelles méthodes alternatives.
D'abord, les méthodes alternatives coûtent d'ordinaire relativement cher. Or, l'usage de plantes de service peut réduire le coût des itinéraires alternatifs jusqu'à les rendre moins chers que la lutte chimique.
Comment est-ce possible ? Les plantes de service permettent de réduire fortement le nombre de lâchers d'auxiliaires (voire les supprimer) en écartant les ravageurs de la culture (plantes-pièges, plantes-répulsives), en y attirant les auxiliaires spontanés (plantes-fleuries, plantes-nectarifères) ou en nourrissant les auxiliaires lâchés ou spontanés (plantes-nectarifères, plantes-à-pollen, plantes-réservoirs) (voir Tableau 4).
Robuste et transposable
Ensuite, les insectes ayant des comportements stéréotypés, ils sont toujours attirés par les mêmes plantes et/ou les mêmes proies.
Ainsi, une fois le couple optimal culture/plante de service déterminé, la méthode est robuste et efficace, donc facile à transposer d'une entreprise à une autre.
Adapter la technique aux cultures
Les plantes de service sont donc un instrument incontournable des itinéraires innovants économes en intrants et efficaces économiquement !
Mais, direz-vous, cela n'est applicable que sur cultures spécialisées, en hors-sol ou sur petites surfaces. Que nenni ! Les systèmes mis au point sont aujourd'hui surtout en culture spécialisée, mais le principe est applicable à toutes les cultures. Il faut juste adapter la technique aux spécificités de celles-ci. Voici quelques exemples :
- en culture de radis pour contrôler l'altise, il est possible de semer, avant le radis, de la moutarde brune (plante-piège) toutes les 5 à 10 planches (1/semis de la moutarde 2/semis du radis 3/récolte du radis 4/destruction de la moutarde) ;
- en vignoble, l'enherbement de l'interrang peut-être réalisé avec un mélange de trèfle et de luzerne ; le trèfle fleurit toute l'année, donc joue le rôle de plante-fleurie, et la luzerne améliore la texture du sol ;
- en culture de colza, contre les méligèthes, il est possible de semer en mélange une variété précoce (10 %) à une variété d'intérêt (90 %) et/ou de semer de la navette en bord de champ. Quand les méligèthes arrivent, elles vont sur les fleurs de navette ou de la variété précoce et épargnent la variété d'intérêt (voir lien utile).
Conclusion
Pour résumer, l'usage de plantes de service permet de réduire fortement celui des produits phytosanitaires à un coût souvent compétitif. Actuellement, pour la mise en oeuvre de ces pratiques, les freins essentiels sont :
- un manque de recherche appliquée pour identifier de nouveaux couples culture/plante de service et pour adapter ceux déjà connus à de nouvelles cultures ;
- un changement de pratiques culturales parfois difficile (certains trouvent plus facile de traiter toutes les semaines que de contrôler et soigner des plantes-pièges) ; ce frein sera plus ou moins fort suivant le cas ; par exemple, il est quasi inexistant pour les plantes-fleuries et très fort pour le piégeage d'aleurode Bemisia tabaci.
Ainsi, pour réduire l'usage des produits phytosanitaires, au lieu d'agir après l'apparition des pullulations ou épidémies, il faut rechercher leurs causes, et si c'est possible, les supprimer. Souvent la solution économique et efficace passe par l'usage de plante de service, certes un pivot des méthodes de production innovantes !
(1) Afin de notifier le caractère « plante de service », les noms sont écrits avec un trait d'union. Cela distingue par exemple une plante fleurie utilisée pour embellir d'une plante-fleurie utilisée pour attirer les auxiliaires. (2) Nous entendons par PBI « classique » les méthodes de protection biologique intégrée qui sont uniquement basées sur des lâchers d'auxiliaires sans prendre en compte le cortège spontané et sans utiliser des moyens d'attraction, de conservation et d'augmentation des populations d'auxiliaires lâchés ou spontanés. (3) Ce taxon a été choisi, à la suite du test d'une trentaine de taxons potentiellement intéressants, pour sa durée de floraison, sa résistance aux conditions climatiques et son cortège d'auxiliaires attirés particulièrement large. (4) Dans nos essais, les populations d'auxiliaires au sein de parcelles avec plantes-fleuries étaient pratiquement doublées par rapport à une parcelle sans plante-fleurie. (5) Certains écrivent plante-relais. Je préfère le terme plante-réservoir car il exprime le fait que les auxiliaires s'y développent. La plante est leur réservoir pour la culture (en anglais banker plant), pas un relais provisoire.
Plantes-fleuries et bandes fleuries
Le fait d'utiliser une espèce seule et pas un mélange d'espèces permet de mieux prévoir le cortège d'auxiliaires qui sera attiré. Le fait de disposer les plantes-fleuries dans les parcelles oblige les insectes à aller dans les parcelles.
Ainsi, l'ensemble de la surface cultivée est protégée. Ce n'est pas toujours le cas avec les bandes fleuries.
Fig. 1 : Plantes de service manipulant le comportement des ravageurs
Qu'elles les attirent (plante-piège, plante indicatrice) ou les repoussent (plante-répulsive), elles ont un effet direct sur les ravageurs.