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Expérimentation

Qualité du vin : agir au vignoble contre les goûts « moisis-terreux »

CAROLINE LE ROUX* ET VALÉRIE LEMPEREUR**, D'APRÈS LEUR COMMUNICATION À LA 11E CONFÉRENCE INTERNATIONALE SUR LES MALADIES DES PLANTES DE L'AFPP, À TOURS, DU 7 AU 9 DÉCEMBRE 2015 - Phytoma - n°692 - mars 2016 - page 58

Six années de tests en Beaujolais montrent qu'il est possible de prévenir les défauts moisis-terreux en combinant la lutte directe et la prophylaxie.
La parcelle d'essai du travail rapporté ici, à Saint-Amour (vignoble beaujolais), avec certains interrangs enherbés.  Photo : C. Le Roux - CA69

La parcelle d'essai du travail rapporté ici, à Saint-Amour (vignoble beaujolais), avec certains interrangs enherbés. Photo : C. Le Roux - CA69

Les goûts moisis-terreux perçus à la dégustation sont dus à un composé organique, la géosmine.   Photo : Sicarex Beaujolais

Les goûts moisis-terreux perçus à la dégustation sont dus à un composé organique, la géosmine. Photo : Sicarex Beaujolais

L'effeuillage, une des mesures prophylactiques testées dans l'essai rapporté ici. À gauche, zone effeuillée, à droite, effeuillage manuel en cours. Photos : C. Le Roux - CA69

L'effeuillage, une des mesures prophylactiques testées dans l'essai rapporté ici. À gauche, zone effeuillée, à droite, effeuillage manuel en cours. Photos : C. Le Roux - CA69

Les moûts (jus après foulage) ont été dégustés dans le cadre des tests prédictifs.  Photo : C. Le Roux - CA69

Les moûts (jus après foulage) ont été dégustés dans le cadre des tests prédictifs. Photo : C. Le Roux - CA69

La dégustation des vins, effectuée à l'aveugle et par des professionnels, a confirmé les résultats issus des tests prédictifs.  Photo : Sicarex Beaujolais

La dégustation des vins, effectuée à l'aveugle et par des professionnels, a confirmé les résultats issus des tests prédictifs. Photo : Sicarex Beaujolais

Tableau 1 : Historique « géosmine » de la parcelle

Tableau 1 : Historique « géosmine » de la parcelle

Tableau 2 : Détail des huit modalités

Tableau 2 : Détail des huit modalités

Tableau 3 : Expression du botrytis dans le témoin non traité à la récolte

Tableau 3 : Expression du botrytis dans le témoin non traité à la récolte

Tableau 4 : Nombre de grappes par cep de chaque modalité, moyenne de 2008 à 2013

Tableau 4 : Nombre de grappes par cep de chaque modalité, moyenne de 2008 à 2013

Tableau 5 : Coût des différentes mesures par hectare

Tableau 5 : Coût des différentes mesures par hectare

Tableau 6 : Synthèse de l'intérêt des mesures

Tableau 6 : Synthèse de l'intérêt des mesures

Depuis la fin des années 1990, des défauts moisis-terreux sont perçus en nez et en bouche sur certains vins. Au milieu des années 2000, les travaux menés par la chambre d'agriculture du Rhône, la Sicarex Beaujolais et l'Institut français de la vigne et du vin (IFV) ont montré que ces défauts sont dus à la présence d'une molécule, la géosmine. Voici le travail réalisé pour trouver le moyen de combattre ce phénomène.

Six ans de travail réalisé dans le vignoble beaujolais

Un défaut qu'il faut traiter en amont

La géosmine est présente au moment de la récolte, sur des baies altérées par Botrytis cinerea (Berger J. L. et al., 2005). Il a été prouvé qu'une grappe parfaitement saine visuellement ne contenait pas de géosmine (Carsoulle J. et al., 2005).

Pour éviter l'apparition de ce type de déviations, différents moyens préventifs ont été étudiés au vignoble (Cima 2012). De 2008 à 2013, un essai a été mis en place avec la société Bayer en Beaujolais afin de mesurer l'impact de mesures viticoles (chimiques ou prophylactiques), seules ou en combinaison, pour lutter contre ce problème.

L'objectif est de réduire le risque d'apparition de géosmine, quelles que soient les conditions climatiques entre la véraison et la récolte. L'application de mesures prophylactiques sécurise la mise en place d'une stratégie chimique basée sur deux traitements.

Une parcelle à risque géosmine

La parcelle retenue pour cet essai est à fort historique « géosmine » et la substance y a été précisément détectée et quantifiée lors de la récolte 2006. Elle est située à Saint-Amour (Saône-et-Loire), au lieu-dit Les Arçerons. La parcelle, d'une surface de 0,135 ha, se situe à 247 mètres d'altitude. Elle a été plantée en 1957 en « gamay noir à jus blanc ». Les plants sont issus de la sélection massale. La SECV(1) est de 1,92 m² par mètre carré de sol. La densité de plantation est de 10 000 pieds par hectare (105 cm × 95 cm).

La parcelle, menée en gobelet, mode de conduite traditionnel du beaujolais, est palissée grâce à une paire de fils de fer releveurs. À l'origine, elle était désherbée sur toute sa surface (non-culture).

Le Tableau 1 reprend la teneur en géosmine (ng/l) analysée sur des lots de raisins issus de la parcelle avec (2006 et 2007) ou sans stratégie de traitement de lutte contre la pourriture grise.

Huit modalités pour trois types de mesure

Huit modalités sont comparées. Chaque variante combine ou non les moyens de lutte préventive contre l'apparition de la pourriture grise en comparaison à un témoin qui représente l'état initial de la parcelle. Les mesures de lutte préventive testées sont les suivantes :

- les traitements contre la pourriture grise (AB) sont appliqués selon une stratégie à deux traitements, le premier au stade 80 % de chute des capuchons floraux (A ou BBCH 68) et le second 15 à 20 jours après la fermeture de la grappe (B+15/20 jours ou BBCH 77 + 15/20 jours) ; il s'agit de la stratégie conseillée par les organismes techniques et couramment employée par les viticulteurs ; pour cet essai, Teldor (50 % de fenhexamid) suivi de Scala (400 g/l de pyriméthanil) ont été appliqués de 2008 à 2012 ; en 2013, Luna Privilège (500 g/l de fluopyram) a été suivi de Teldor ; les applications sont réalisées à la dose d'homologation contre la pourriture grise à l'atomiseur Solo (451) en pulvérisation de la zone des grappes, face par face avec un volume de bouillie de 180 l/ha ;

- un enherbement permanent semé est mis en place sur l'interrang le 7 mars 2008 sur la moitié de la parcelle (100 % pâturin des prés, Viver à la dose de 40 kg/ha) ; les conditions climatiques ont permis une germination rapide des graines, la couverture de l'interrang est excellente dès juin 2008 ;

- les mesures prophylactiques (MP) mises en oeuvre sont l'éclaircissage physiologique (Sierra appliqué à la dose de 2 l/ha, éthéphon à 180 g/l) de 2008 à 2010 et l'effeuillage ; cet effeuillage est réalisé manuellement au stade nouaison (BBCH 71) sur la face orientée à l'est.

En 2011, compte tenu de la baisse de la fertilité de la parcelle, donc du niveau de rendement, il a été décidé de ne pas procéder à l'éclaircissage physiologique et d'apporter un engrais azoté (ammonitrates) sous la ligne des ceps sur l'ensemble des modalités. Cet apport localisé a été réalisé en avril 2011. La vigne n'en a réellement bénéficié qu'en 2012, vu la sécheresse observée en 2011. Le Tableau 2 reprend les différentes stratégies testées ou modalités.

Notations et analyses sur les raisins et les jus des huit modalités

Les observations sont effectuées à la récolte selon la méthode des tests prédictifs.

Les grappes de cinq ceps (en continu) sont prélevées puis observées. Les observations ont été réalisées trois fois par modalité, faisant un total de vingt-quatre lots de raisins. Il s'agit des étapes 1 et 2 du test prédictif (détails dans la Figure 1).

Les différentes formes de botrytis sont prises en compte (gras et sec) et différenciées, mais sont globalisées pour donner une intensité moyenne par grappe en botrytis global.

Le botrytis gras est caractérisé par des fructifications grisâtres sur des baies encore gorgées de jus, le botrytis sec par des baies complètement dures avec quelques résidus de fructifications grisâtres et la pourriture pédonculaire par un dessèchement de la rafle, entraînant un flétrissement plus ou moins prononcé des baies. Les grappes sont également senties afin de détecter les odeurs perçues, mais aussi d'identifier la présence de grappes terreuses. Pour finir, le nombre moyen et le poids des grappes sont calculés afin de déterminer le rendement théorique de chaque lot.

Chaque lot, constitué des raisins observés, a ensuite été foulé puis dégusté, toujours selon la méthode des tests prédictifs (étape 3). La dégustation des jus issus du foulage de chaque lot est réalisée à l'aveugle par un panel de trois dégustateurs. Les intensités des défauts suivants sont notées sur 5 pour les perceptions olfactives puis gustatives : géosmine et pourri. La qualité globale des moûts est notée sur 20.

La teneur en géosmine est analysée dans les jus préalablement conservés à 5 °C avec 2 g/l de benzoate de sodium.

Ainsi les paramètres de récolte (degré, acidité totale, pH, poids moyen d'une baie, anthocyanes et polyphénols) sont mesurés et connus.

Minivinifications de trois des modalités

Chaque année, trois des modalités ont été vinifiées en minicuverie : témoin non-culture (M1), enherbé+AB (M5), enherbé+AB+MP (M7).

La vinification est effectuée en minicuve inox de 40 kg de raisins en grappes entières. La récolte est manuelle sans tri. Après levurage et cinq jours de macération en conditions maîtrisées, le jus de tire et le jus de presse sont assemblés. Les vins sont dégustés à l'aveugle à l'aide d'une fiche descriptive par un jury d'une quinzaine de professionnels.

Les résultats plaident pour la combinaison de techniques

Effets sur le botrytis

Le Tableau 3 donne l'expression moyenne de la pourriture grise dans le témoin (M1) en fonction des millésimes. La fréquence (% F) est le pourcentage de grappes touchées par cette maladie. L'intensité (% I) est la surface touchée en moyenne, estimée visuellement.

Ces résultats montrent une grande variabilité des résultats selon les millésimes : certains (2008, 2012 et 2013) ont une forte expression de botrytis ; d'autres (2009, 2010 et 2011) une expression plus faible.

Ce tableau montre que lorsque la pourriture grise est présente, elle est surtout représentée par le faciès « gras ». L'année 2013 montre une plus forte expression de pourriture pédonculaire.

La pourriture sèche, non matérialisée dans ce tableau, est toujours plus faiblement présente. De plus, il n'a jamais été détecté de géosmine à l'olfaction sur ce type de faciès.

Sur la partie menée en non-culture, la Figure 2 donne l'intensité de pourriture grise entre la modalité avec une stratégie botrytis (M2) et la modalité où l'effeuillage est effectué en complément de la stratégie antibotrytis (M4).

L'effeuillage précoce contribue à améliorer l'efficacité des antibotrytis de façon très significative (réduction de 71 %). En moyenne, sur les six années d'expérimentation, l'intensité de botrytis observé est de 13 % sans effeuillage contre 1,6 % lorsque l'effeuillage est pratiqué.

L'année 2013, celle durant laquelle la pression de botrytis est la plus forte (33,1 % d'intensité en parcelle en non-culture sans traitement ni prophylaxie, voir Tableau 3), confirme ces résultats. En effet, sur la partie en non-culture, l'intensité de botrytis la plus faible (4,7 %) est notée sur la modalité où sont combinés l'effeuillage et une stratégie antibotrytis (M4). Si seulement l'une ou l'autre de ces mesures est appliquée, les résultats restent proches du témoin : 25,4 % avec les traitements antibotrytis seuls, 24,1 % avec les mesures prophylactiques seules, soit réduction de 25 % seulement par rapport au témoin.

La Figure 3 compare l'intensité moyenne de botrytis entre l'ensemble des modalités en non-culture (M1 et M2) et l'ensemble des modalités enherbées (M5 et M6). L'enherbement contribue à l'amélioration de la qualité sanitaire. Par exemple, entre 2010 et 2013, il entraîne une diminution moyenne de 40 % de botrytis, calculée sur l'intensité. L'impact de l'enherbement est significatif trois ans après son semis (2010). Toutefois, l'apport d'engrais en 2011 et le gain observé au niveau du rendement se sont traduits par une réduction de cet écart en 2012 et 2013.

Par ailleurs, une fois l'enherbement en place, la pratique de l'effeuillage permet encore de réduire l'intensité de botrytis, de 8,6 % (enherbé + AB (M5)) à 1 % (enherbé + AB + MP (M7)).

L'intérêt de l'effeuillage est donc double :

- améliorer le microclimat autour des grappes pour limiter l'apparition de botrytis ;

- améliorer la qualité de la pulvérisation, notamment en B+15/20 jours.

La récolte en chiffres

En 2011, l'enherbement a fait fortement baisser le rendement (moins de 70 hl/ha au lieu de presque 120). Un apport d'azote au sol a rééquilibré le rendement, quasi égal dans les deux modalités en 2013.

L'enherbement entraîne une baisse du nombre de grappes par cep : ce nombre moyen est de 12 grappes par cep sur les parties non enherbées et de 10,3 grappes sur les parties enherbées. La baisse du nombre de grappes par cep est consécutive à l'implantation de l'engazonnement.

L'effeuillage impacte également le nombre de grappes par cep, mais de façon moins importante (moyenne de 11,9 grappes par cep sur les modalités sans effeuillage, contre 10,5 grappes par cep sur les modalités avec effeuillage). Ceci s'explique par le risque d'éclaircissage manuel non intentionnel au moment de l'effeuillage (voir Tableau 4).

En cas d'enherbement, les baies sont plus petites : le poids moyen de 100 baies est de 220 g sur les modalités non enherbées et de 202 g sur les modalités enherbées.

Les mesures prophylactiques diminuent également le poids des baies : le poids moyen de 100 baies est de 223 g pour les modalités non effeuillées, contre 199 g pour les modalités effeuillées.

L'effeuillage impacte le poids d'une grappe : le poids moyen d'une grappe est de 78 g pour les modalités sans mesure prophylactique, et de 65 g pour les modalités avec effeuillage.

Caractéristiques de la vendange à la récolte

Les teneurs en azote des moûts sont identiques entre les modalités enherbées et non enherbées en 2008. Mais à partir de 2011, une fois les graminées installées, un fort écart de teneur en azote des moûts est constaté (42 mg/l contre 22 mg/l pour la modalité enherbée). La teneur préconisée pour éviter les risques de fermentation alcoolique languissante est de 70 mg/l d'azote ammoniacal à l'encuvage.

L'effeuillage entraîne une diminution de la surface foliaire, donc une maturité des raisins légèrement moindre. Par contre, le meilleur état sanitaire permet de récolter plus tardivement.

Les raisins issus des modalités mesures prophylactiques contiennent plus d'anthocyanes (234 mg/kg pour les modalités effeuillées contre 205 mg/kg pour les non effeuillées).

Les modalités effeuillées et enherbées contiennent plus de tanins (moyenne de 1 715 mg/l pour les modalités effeuillées enherbées).

Venons-en à la géosmine ! Résultats des tests prédictifs

Le risque d'apparition de géosmine (voir Figure 4) est réduit d'un tiers lorsqu'une stratégie antibotrytis est appliquée. Il est réduit de plus de deux tiers lorsqu'un effeuillage précoce est mis en place.

L'enherbement ne réduit pas ce risque en terme de nombre de tests avec présence de géosmine, mais les teneurs en géosmine dans les jus sont divisées par deux.

Point essentiel : le risque est nul si toutes les mesures sont mises en oeuvre (enherbement, effeuillage, antibotrytis). Pour éviter le risque géosmine, il faut dont idéalement combiner toutes les mesures préventives à la vigne.

Lors de la dégustation des tests prédictifs, les moûts présentant le moins de défauts sont ceux issus de la modalité M7, enherbée+AB+MP (Figure 5).

Résultat final, la dégustation des vins

Le millésime à partir duquel l'impact de l'enherbement est significatif sur le botrytis est 2010. Un impact sur le profil organoleptique des vins est alors mis en évidence lors de la dégustation des vins (Figure 6).

De la géosmine est retrouvée uniquement dans les vins de la modalité témoin (M1), à hauteur de 11 ng/l. Un défaut moisi-terreux est alors perçu par les dégustateurs. Les notes de qualités olfactive et gustative de la modalité enherbé + AB + MP (M7) sont significativement supérieures au témoin. Le vin de cette modalité est jugé plus fruité, moins végétal et avec une persistance aromatique supérieure.

Approche économique

Les chapitres précédents ont permis de dégager les avantages et les inconvénients de chaque mesure appliquée au vignoble dans la lutte contre le botrytis et la géosmine.

Mais qu'en est-il de leur coût et du temps de mise en oeuvre ? Prenons l'exemple de vignes pouvant être travaillées avec un tracteur en interligne. Le Tableau 5 donne les coûts et les temps calculés pour un hectare et un tracteur interligne. Le coût de la main-d'oeuvre n'est pas intégré dans ces calculs.

L'enherbement est une mesure onéreuse à l'implantation. Il est en place pour une période de sept ans en moyenne ; au-delà, une réimplantation est nécessaire. En moyennant le coût de mise en place et l'entretien, un coût annuel de 115 euros /ha est obtenu.

Pour réduire le coût d'implantation, on peut envisager un semis direct (pâturin des prés à 40 kg/ha, par exemple) en un passage dès la deuxième année de plantation. En vigne en place, deux passages (griffages) sont nécessaires pour réussir son semis. Dans cet exemple, le matériel d'implantation est subventionné à 80 % (griffes, semoir, rouleau).

L'application d'une stratégie antibotrytis reste à un coût élevé (279 euros/ha), lié au coût des intrants.

L'effeuillage mécanique a un coût intermédiaire (130 euros/ha). Il permet aussi de gagner du temps sur la récolte s'il est réalisé à la nouaison.

De plus, le fait d'être équipé de ce matériel permet aussi au viticulteur d'envisager un deuxième effeuillage (sur la deuxième face) après la véraison qui permet un réel gain sur le temps de récolte.

Discussion

Objectif zéro géosmine

Dans le cas de la lutte contre le botrytis et la géosmine, les différentes expérimentations montrent qu'il ne suffit pas de réduire le risque géosmine, il faut l'éviter. Peu importe s'il y a 100 ng/l, 50 ng/l ou 20 ng/l, la géosmine est indésirable.

L'approche est alors qualitative et non quantitative. L'objectif est d'atteindre zéro géosmine : aucune tolérance n'est admise de par le risque qu'elle constitue quant à la commercialisation des vins.

Le tri, seulement en dernier ressort

Dans un vignoble en récolte manuelle, comme majoritairement dans le Beaujolais, le tri impacte significativement le coût du ramassage. Il nécessite un temps supplémentaire de 15 à 20 % soit un coût de 150 à 200 euros par hectare (1 000 euros sont nécessaires en moyenne pour récolter manuellement un hectare de vignes en haute densité).

Il se traduit par un temps plus long de ramassage mais aussi par l'embauche d'une ou deux personnes supplémentaires pour assurer le tri sur table à la sortie de la vigne.

De plus, il n'élimine pas complètement le risque car des grappes peuvent être oubliées ou des baies atteintes peuvent tomber dans la cuve. Cette opération n'est à retenir qu'en dernier ressort lorsque le viticulteur n'a plus le choix.

Fongicides, enherbement, effeuillage : chaque mesure a ses limites

Chaque mesure est intrinsèquement intéressante mais possède ses limites (Tableau 6). Les stratégies antibotrytis dans le cas de situation très difficile, comme cet essai, n'éliminent pas complètement le risque.

L'enherbement réduit au fur et à mesure du temps la vigueur, donc le rendement, une fertilisation est à envisager régulièrement. De plus, la teneur en azote des moûts doit être rigoureusement surveillée. L'effeuillage peut supprimer accidentellement des grappes. À dates égales de récolte, le degré potentiel est inférieur aux autres mesures appliquées mais cette technique permet aussi de repousser la date de récolte.

Conclusion

Ces six années d'expérimentations ont permis d'évaluer concrètement, dans le cas d'une parcelle sensible en production, l'effet de chaque mesure contre le botrytis et la géosmine.

Aucune mesure n'est idéale, elles ont individuellement leur intérêt. Les meilleurs résultats sont notés lorsqu'au moins deux mesures sont combinées.

Néanmoins, l'effeuillage semble être la mesure qui sécurise le plus les performances des autres mesures. Elle est d'autant plus intéressante que son coût reste tout à fait abordable. Toutefois, sa mécanisation reste difficile dans un vignoble où beaucoup de vignes sont en gobelet bas non palissé et/ou en pente, ce qui limite la mécanisation.

Pour finir, les viticulteurs du vignoble du Beaujolais ont peu à peu intégré ces enseignements dans leur pratique : dans ce vignoble, il est à présent rare d'identifier des cuvées où la géosmine est détectée.

Depuis 2002, l'enherbement a progressé dans le vignoble, il est majoritaire dans le sud du vignoble. Dans le nord, sur les sols légers granitiques, il est présent de façon plus aléatoire.

Les antibotrytis sont mis en oeuvre régulièrement (environ 50 % des parcelles), soit pour compléter la protection, soit pour pallier l'impossibilité de mettre en oeuvre d'autres mesures. L'effeuillage, lui, est beaucoup plus rare, mais il progresse malgré tout en termes de surface.

(1) Surface externe du couvert végétal.

Fig. 1 : Les étapes d'un test prédictif

Il s'agit de déceler précocement la présence de géosmine sur grappes et sur moût.

Fig. 2 : Intensité de botrytis sur les modalités non enherbées

L'ajout de mesures prophylactiques (MP) aux traitements antibotrytis (AB) diminue fortement l'intensité de la maladie dans ces parcelles en non-culture.

Fig. 3 : Intensité de botrytis : comparaison entre la non-culture et l'enherbement

L'enherbement tend à faire baisser la « pression botrytis » mais ne l'annule pas.

Fig. 4 : Nombre de tests prédictifs avec présence de géosmine supérieure à la limite de quantification, 2008 à 2013

Associer des traitements antibotrytis (AB) aux mesures prophylactiques (MP) est efficace.

Fig. 5 : Intensité de géosmine en bouche des jus après foulage issus des tests prédictifs de 2008 à 2013

Les meilleurs résultats sont ceux associant les mesures prophylactiques aux traitements (avec AB et MP) et à l'enherbement.

Fig. 6 : Profil descriptif sensoriel des vins de 2010

Moins de défauts (dont les goûts moisis-terreux) et davantage de qualité : les vins issus de la vigne enherbée avec prophylaxie et traitements sont les meilleurs !

REMERCIEMENTS

Cette étude a pu être réalisée grâce au concours financier de la société Bayer et à MM. L. et P. Duc, les viticulteurs qui nous ont permis de disposer de leur parcelle pendant ces six années d'expérimentation.

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RÉSUMÉ

CONTEXTE - La géosmine, substance présente au moment de la récolte sur les baies de raisin altérées par Botrytis cinerea, est responsable des défauts dans le vin qui en est issu : on parle de goûts « moisis-terreux ».

TRAVAIL - De 2008 à 2013, un essai a été mis en place par la chambre d'agriculture du Rhône et l'IFV-Sicarex Beaujolais, avec la société Bayer, sur une parcelle de gamay en Beaujolais afin d'évaluer l'impact de mesures viticoles (chimiques et prophylactiques), seules ou en combinaison, pour lutter contre ce problème.

RÉSULTATS - Cet essai montre que la protection préventive contre le botrytis et la présence de géosmine passe par la combinaison de mesures prophylactiques (effeuillage, etc.) et chimiques. Une approche économique complète les résultats viticoles et oenologiques de cet essai.

MOTS-CLÉS - Vigne, Botrytis cinerea, géosmine, goûts moisis-terreux, lutte chimique, mesures prophylactiques.

POUR EN SAVOIR PLUS

AUTEURS : * C. LE ROUX, chambre d'agriculture du Rhône, 210 en Beaujolais, BP 319, 69661 Villefranche-sur-Saône Cedex.

**V. LEMPEREUR, Institut français de la vigne et du vin - Sicarex Beaujolais, CS 60320, 69661 Villefranche-sur-Saône Cedex.

CONTACTS : caroline.le-roux@rhone.chambagri.fr, valerie.lempereur@vignevin.com

LIEN UTILE : afpp@afpp.net

BIBLIOGRAPHIE : la communication dont est tiré cet article, avec des tableaux et figures non montrées ici, ainsi que sa bibliographie (10 références), est disponible dans les actes de la 11e Cima de l'AFPP (lien ci-dessus).

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