1. Verger de pommiers bordé d'une haie brise-vent de peupliers avec du lierre. Photo : J.-C. Bouvier
4. Différence de disponibilité en pommes en hiver entre un verger conventionnel (photo 4) et un verger en agriculture biologique (photo 5) dans le sud-est de la France. Photo : J.-C. Bouvier
5. Différence de disponibilité en pommes en hiver entre un verger conventionnel (photo 4) et un verger en agriculture biologique (photo 5) dans le sud-est de la France. Photo : J.-C. Bouvier
Au cours d'une année, l'existence de la plupart des oiseaux est jalonnée de plusieurs étapes : reproduction (appariement, construction du nid, ponte, incubation des oeufs, élevage des jeunes), mue (renouvellement partiel ou total du plumage), et chez certaines espèces, migration (post et prénuptiales), qui permet d'échapper aux modifications d'habitat ou à la baisse d'abondance de nourriture disponible en hiver. En revanche, la période d'hivernage concerne tous les oiseaux, qu'ils soient migrateurs ou sédentaires.
Pourquoi étudier l'hivernage en verger ?
Une étape cruciale qui se déroule souvent en milieu agricole
L'hivernage, qui a lieu généralement de décembre à février en France, est une étape très importante dans le cycle annuel des oiseaux car c'est une période durant laquelle ils constituent des réserves et se préparent à la reproduction.
Le choix des oiseaux pour un site d'hivernage repose prioritairement sur l'existence d'un biotope favorable, c'est-à-dire un habitat qui répond à des exigences biologiques et physiologiques (disponibilité et abondance de ressources appropriées) mais aussi comportementales (protection, tranquillité).
Les zones agricoles peuvent constituer des sites d'hivernage importants pour les oiseaux car elles offrent une grande diversité d'habitats où ils peuvent exploiter les restes de récoltes, essentiellement des graines et des fruits. Cependant, l'avifaune européenne inféodée aux milieux agricoles a fortement décliné ces dernières années (BirdLife International, 2004). Ce déclin s'explique en partie par des plus faibles taux de survie des adultes en hiver.
Ces plus faibles taux peuvent être attribués à des ressources alimentaires devenues insuffisantes (Siriwardena et al., 2008) et dont l'abondance et l'accessibilité dépendent clairement des pratiques agricoles. Ainsi, en grandes cultures, l'amélioration des techniques de récolte (Wilson et al., 1999) et le labour précoce des chaumes (Stoate et al., 2009) ont fait chuter les fonds de récoltes, donc les ressources alimentaires disponibles en hiver pour les oiseaux granivores.
Les vergers, connus en France comme favorables aux oiseaux au printemps
Les vergers de fruits à pépins du sud-est de la France associent divers éléments structurels (haies brise-vent, canaux d'irrigation, interrangs et bordures enherbés) et diverses strates (arboricole, arbustive, herbacée). Ils créent ainsi une variété de biotopes plutôt favorables à l'accueil d'un certain nombre d'espèces d'oiseaux.
Des observations que nous avions conduites dans des parcelles commerciales de pommiers de la région d'Avignon soulignent l'intérêt de ce type d'agroécosystème pour les oiseaux au printemps : nous y avons recensé une trentaine d'espèces potentiellement nicheuses, soit un peu plus de 10 % de l'avifaune qui se reproduit en France (le nombre d'espèces d'oiseaux en France métropolitaine est de 545 espèces dont 306 se reproduisent sur le territoire).
Ces observations nous ont permis de constater que leur abondance et leur diversité spécifique en période de reproduction étaient sous l'influence des modes de protection phytosanitaire, avec davantage d'oiseaux et d'espèces dans les vergers en agriculture biologique que dans ceux conduits en protection intégrée et conventionnelle (Bouvier et al., 2005 et 2011).
Peu de références sur l'hiver
Dans l'ouest de la Pologne, les pratiques agricoles en vergers semblent avoir une influence sur la faune aviaire en hiver : les oiseaux étaient plus importants en nombre et en espèces dans les vergers abandonnés et extensifs que dans ceux conduits en système intensif conventionnel (Myczko et al., 2013). L'attrait des oiseaux pour les vergers non intensifs en hiver serait surtout lié à la présence de fruits restés sur place après récolte.
Hormis cette étude polonaise, l'intérêt des vergers pour l'avifaune en hiver reste peu documenté. Nous abordons ici cette problématique par l'estimation de l'impact de différents modes de conduite en hiver de vergers de pommiers et de poiriers sur l'abondance et la diversité de l'avifaune dans le sud-est de la France, cela en caractérisant et en quantifiant les ressources disponibles à l'échelle de la parcelle.
Une étude en Basse-Durance
Trente vergers, moitié de pommiers, moitié de poiriers
Notre étude a été réalisée dans trente parcelles commerciales d'environ 1 ha, dont quinze de pommiers et quinze de poiriers, situées dans la basse vallée de la Durance (Bouches-du-Rhône). Pour chacune des deux cultures, les observations sont conduites sur cinq parcelles en agriculture biologique, cinq en protection intégrée et cinq autres en protection conventionnelle. Nous entendons par parcelle le verger et les éléments paysagers proches associés, haies brise-vent incluses. Toutes ces parcelles sont enherbées et situées dans un environnement paysager similaire.
Les principales maladies et insectes (bioagresseurs) posant problème dans ces cultures sont d'une part la tavelure et l'oïdium, et d'autre part le carpocapse des pommes, les pucerons et la zeuzère.
Trois systèmes de culture, avec chacun son mode de protection phytosanitaire
En agriculture biologique, les maladies sont traitées avec des fongicides minéraux, du soufre et du cuivre, et le carpocapse des pommes est contrôlé à l'aide du virus de la granulose complémenté par la confusion sexuelle des mâles.
Dans les parcelles conventionnelles, les maladies sont traitées essentiellement avec des fongicides chimiques (issus de la synthèse chimique) et le carpocapse, mais aussi les pucerons et la zeuzère sont régulés avec des insecticides de synthèse.
En protection intégrée, la lutte contre le carpocapse est basée sur la confusion sexuelle complémentée par des insecticides chimiques et du virus de la granulose. Dans les trois systèmes, les traitements sont généralement réalisés de mars à septembre.
Deux campagnes de comptage des oiseaux
L'avifaune hivernante des parcelles étudiées a été recensée par la méthode des transects d'observation en janvier 2009 puis décembre 2010. Cette méthode consiste à identifier et compter les oiseaux en marchant régulièrement sur la périphérie puis le rang du milieu de chaque parcelle.
Les oiseaux présents dans les vergers et les haies qui les entourent sont identifiés à partir de leurs chants mais surtout de leurs cris à cette période de l'année, et/ou lorsqu'ils sont observés posés. Ces comptages ont été réalisés une fois sur chaque verger entre 8h30 et 14h30 (période de nourrissage des oiseaux en hiver) les jours favorables, c'est-à-dire sans pluie ni vent. Leur durée était proportionnelle à la taille des vergers et en moyenne de 20 minutes.
Ces recensements nous ont permis d'établir un nombre d'oiseaux (abondance) et un nombre d'espèces (diversité spécifique) par parcelle.
Évaluation de la quantité de nourriture disponible
Parallèlement, nous avons caractérisé et quantifié les principales sources de nourriture qui attirent les oiseaux dans les vergers en hiver.
En vergers de pommiers, cela concerne les baies de lierre, les fonds de cueille et les fruits à terre. Le nombre de pommes a été estimé à partir d'un échantillonnage sur dix placettes de 5 m × 3 m situées à équidistance sur une diagonale des vergers.
Dans les parcelles de poiriers, cela concerne uniquement les baies de lierre car les fonds de cueille et fruits à terre sont rapidement dégradés durant l'automne et ne sont plus disponibles pour les oiseaux en hiver. Les ressources en lierre ont été évaluées à travers le nombre d'arbres bordant les vergers qui portaient du lierre avec des baies.
Résultats et discussion
Une avifaune de 41 espèces, en très grande majorité des passereaux
L'avifaune qui hiverne dans les vergers que nous avons suivis n'est globalement pas différente en pommier et en poirier. La liste des 41 espèces recensées sur l'ensemble des parcelles étudiées est présentée dans le Tableau 1. Elle décrit environ 15 % des espèces qui hivernent en France et souligne l'importance des vergers de fruits à pépins du sud-est pour les oiseaux à cette période de l'année.
Les plus fréquentes sont la fauvette à tête noire, la grive musicienne, la mésange charbonnière, le pinson des arbres ou encore le rouge-gorge. Trente-cinq de ces espèces sont des passereaux, qui représentent ainsi 85 % de la diversité totale estimée. Ce taxon rassemble des oiseaux dits « chanteurs de petite taille » et qui représentent plus de la moitié des espèces d'oiseaux connues dans le monde.
Toutes les espèces observées dans le cadre de cette étude sont communes, leurs populations n'étant globalement pas menacées.
Parmi elles, 28 fréquentent ces vergers toute l'année y compris pour se reproduire (Bouvier et al., 2011), les autres n'y sont observées qu'en hiver (Tableau 1).
À cette période de l'année, la plupart d'entre elles consomment une quantité importante de graines et de fruits même si elles sont insectivores le reste du temps et à l'occasion en hiver.
Disponibilités en baies de lierre et pommes
Les résultats des mesures faites sur le nombre d'arbres portant des baies de lierre dans les haies brise-vent autour des vergers (photos 1 et 3, p 51) montrent que cette ressource alimentaire est globalement la même en terme d'abondance sur tout le dispositif, quel que soit le mode de protection phytosanitaire, sauf dans les parcelles de poiriers en agriculture biologique (Figure 1). Cela s'explique par le fait que trois de ces cinq parcelles sont bordées de haies de cyprès de Leyland trop denses pour être colonisées par le lierre, ainsi que par de jeunes haies de peupliers sans lierre en fructification au moment de l'étude.
Notre estimation des quantités de pommes présentes au sol montre en revanche que, contrairement à ce que nous observons pour le lierre, l'abondance de cette ressource alimentaire diffère en fonction des modes de conduite des vergers.
Pour les deux années étudiées, le nombre de fruits au sol est supérieur dans les vergers en protection intégrée et conventionnelle (Figure 2) comparés aux vergers en agriculture biologique. En effet, dans ce dernier système, la plupart des producteurs exportent ou broient rapidement les pommes non récoltées dans le cadre des méthodes prophylactiques de lutte contre les ravageurs en hivernation. D'autre part, les fonds de cueilles sont pratiquement inexistants dans certaines parcelles de cette modalité où ils font l'objet d'une dernière passe destinée à l'industrie (photos 4 et 5).
Impact sur l'abondance des oiseaux hivernants : le rôle des pommes
À l'instar de Myczko et al., (2013) en Pologne, nos résultats semblent indiquer que, en vergers de pommiers, l'abondance des oiseaux augmente avec les quantités de pommes encore disponibles (p = 0,001). De manière générale, les oiseaux sont d'autant plus attirés par une source de nourriture qu'elle est abondante et que les espèces auxquelles ils appartiennent sont grégaires.
De fait, on trouve les abondances d'oiseaux les plus importantes dans les vergers où les densités de fruits après la récolte sont les plus fortes. Les pommes constituent en hiver la principale source de nourriture des oiseaux frugivores tels que les turdidés (grives) et les fringillidés (pinsons, photo 6), connus pour s'alimenter en groupe et essentiellement au sol.
Impact sur leur richesse spécifique : rôle des pommes et aussi du lierre
Par ailleurs, nous avons observé que la richesse spécifique de l'avifaune en hiver dépend significativement de deux facteurs : la quantité de pommes disponibles au sol (p = 0,01), mais également le nombre d'arbres portant des baies de lierre dans les haies brise-vent environnantes (Figure 3 ; p < 0,0001).
Cette diversification des ressources disponibles entre la strate herbacée (pommes) et les strates arboricole et arborescente (lierre) accroît probablement la capacité d'accueil d'espèces aux comportements alimentaires différents, ce qui se traduit par un accroissement du nombre d'espèces d'oiseaux recensés.
En effet, si les grives sont capables de s'alimenter aussi bien au sol que dans les arbres, les mésanges et les fauvettes (photo 2, p. 51) recherchent leur nourriture dans les arbres et ciblent préférentiellement les baies de lierre dans les vergers. D'autres espèces telles que le pinson des arbres (photo 6) et le pinson du nord recherchent leur nourriture plutôt au sol en hiver et y consommeront essentiellement les pommes.
Les pratiques agricoles comptent même en hiver
Importance de la disponibilité en nourriture
L'ensemble de ces observations montre que l'avifaune est sous l'influence des modes de conduite des vergers, même en hiver. Elle est plus abondante et diversifiée en vergers conventionnels en hiver (alors qu'au printemps, c'est l'inverse).
Cela suggère que cette avifaune n'est pas affectée par les effets des traitements phytosanitaires du fait de la quasi-absence des pulvérisations en période hivernale, mais est favorisée par la diversité des ressources alimentaires rendues disponibles par le mode de conduite conventionnel au cours de cette période.
Ces résultats indiquent que les oiseaux qu'on trouve dans les vergers dépendent des pratiques autour de la période d'observation.
Ils montrent également l'influence des abords, notamment des végétaux présents dans les haies, la présence ou non de lierre semblant importante dans les conditions de nos vergers.
Ces résultats mettent enfin en avant le rôle essentiel des cultures pérennes telles que les vergers de pommiers et de poiriers, y compris leurs abords, pour la faune aviaire, en particulier dans le sud-est de la France qui héberge d'importantes populations d'oiseaux nordiques en hivernage (Nidal et Muller, 2015).
Quels que soient leurs modes de conduite, les vergers peuvent constituer des habitats clés pour la survie hivernale de ces oiseaux qui bénéficient à la fois de sites de nourrissage et de refuge.
Plaidoyer pour les oiseaux ...et le maintien des haies
Les oiseaux hivernants peuvent également trouver dans les insectes ravageurs en diapause dans les vergers une ressource alimentaire supplémentaire, contribuant alors à la réduction des niveaux de leurs populations avant la nouvelle saison de production.
Dans un contexte d'implantation croissante de filets paragrêles ayant aussi un rôle de brise-vent, et sachant que le maintien des pommes tombées au sol peut poser un problème phytosanitaire (maintien d'un « fond de cuve » de bioagresseurs obligeant à davantage de traitements au printemps suivant), le maintien des haies intégrant des végétaux appropriés doit être considéré comme un véritable atout pour l'accueil d'oiseaux hivernants potentiellement utiles à la protection des vergers.
Fig. 1 : Nombre moyen (+ES) d'arbres avec des baies de lierre dans des vergers de pommiers et de poiriers en agriculture biologique (AB), intégrée et conventionnelle
Pour chaque type de culture, des lettres différentes indiquent des moyennes significativement différentes.
Fig. 2 : Nombre moyen de pommes (+ES) laissées dans des vergers en agriculture biologique (AB), intégrée et conventionnelle au cours des hivers 2009 et 2010
Des lettres différentes indiquent que les résultats obtenus sont significativement différents.
Fig. 3 : La haie, le lierre et la biodiversité des oiseaux
Relation entre la richesse spécifique en oiseaux et le nombre d'arbres portant des baies de lierre dans les haies brise-vent sur l'ensemble des trente parcelles étudiées. p < 0,0001, soit une forte relation.
REMERCIEMENTS
Nous tenons à remercier tous les agriculteurs qui accueillent ces travaux dans leurs vergers.