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Santé

Glyphosate : ce qu'en disent le Circ, l'Efsa et l'Anses

MARIANNE DECOIN* - Phytoma - n°694 - mai 2016 - page 10

Le Centre international de recherches sur le cancer (Circ) et l'Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) ont publié leurs évaluations sur le glyphosate. Depuis lors, les débats font rage. Le point.
L'IARC (Circ en français) travaille à l'échelle mondiale (1. son siège à Lyon) Photo : Iarc-Circ, Efsa, Anses

L'IARC (Circ en français) travaille à l'échelle mondiale (1. son siège à Lyon) Photo : Iarc-Circ, Efsa, Anses

L''Efsa à celle de l'Europe (2. son siège à Parme) Photo : Iarc-Circ, Efsa, Anses

L''Efsa à celle de l'Europe (2. son siège à Parme) Photo : Iarc-Circ, Efsa, Anses

L'Anses à celle de la France (3. son siège à Maisons-Alfort). Photo : Iarc-Circ, Efsa, Anses

L'Anses à celle de la France (3. son siège à Maisons-Alfort). Photo : Iarc-Circ, Efsa, Anses

Tableau 1 : Cancérogénicité et classement du Circ

Tableau 1 : Cancérogénicité et classement du Circ

Tableau 2 : Cancérogénicité des substances, le classement réglementaire des autorités européennes

Tableau 2 : Cancérogénicité des substances, le classement réglementaire des autorités européennes

Pas moins de 92 pages en anglais : telle est la monographie du Circ sur la cancérogénicité du glyphosate publiée en 2015. L'évaluation de la substance par l'Efsa couvre 107 pages en anglais, sur l'ensemble des risques. Puis, l'Anses a donné son avis. Un décryptage peut être utile.

Du côté du Circ : le travail effectué

Revues « peer review » analysées et triées

Rappelez-vous, le Circ(1) émanation de l'OMS(2), elle-même organisation de l'ONU(3), a classé le glyphosate « cancérogène probable ». Un communiqué annonçant cette conclusion a été publié en avril 2015(4) et très médiatisé à l'époque.

Les précisions sont arrivées l'été 2015 avec la publication de la monographie sur la substance, accessible sur internet en version intégrale anglaise.

Il y est écrit que, pour arriver au classement, le Circ a épluché la littérature scientifique mondiale sur le sujet. Son comité d'experts, de composition publique, a analysé une à une les 269 publications de sa bibliographie (14 pages !). Il en a rejeté certaines.

Pour donner un exemple pas tout à fait au hasard, citons le commentaire justifiant le rejet d'une étude française médiatisée à sa première publication. Il s'agit du travail de Seralini & al. évaluant les effets du glyphosate sur des rats (publié en 2012 dans Food and Chemical Toxicology, puis retiré et republié en 2014 dans Environmental Science Europe en version revue ; le Circ a analysé cette dernière).

La page 35 de la monographie la résume. Traduisons : « Le groupe de travail a conclu que cette étude conduite sur une formulation à base de glyphosate était inadéquate pour l'évaluation parce que le nombre d'animaux par groupe était faible, la description histopathologique des tumeurs était insuffisante ["poor" en anglais] et l'incidence des tumeurs pour les animaux individuellement considérés ["for individual animals"] n'était pas fournie. »

Ce qui est évalué, c'est la certitude d'existence d'un danger

Point important, dans toute monographie du Circ, ce qui est évalué n'est pas l'intensité du danger (ici, la cancérogénicité) associé à un « agent », c'est-à-dire une substance (ex. : glyphosate, tabac, alcool), une catégorie d'aliments (ex. : la viande rouge, classée en 2015 « cancérogène probable » comme le glyphosate), voire une activité (ex. : le travail de nuit, classé lui aussi cancérogène probable en 2011).

Le Circ évalue le degré de certitude d'existence de ce danger, de cancérogène certain à probablement non cancérogène (voir Encadré 1 et Tableau 1).

Évaluation par localisation

Par ailleurs, la cancérogénicité est évaluée par type de cancer, selon l'organe affecté (« localisation ») et les effets sur les tissus (les spécialistes disent « caractéristiques histologiques » des tumeurs).

C'est normal. Par exemple, une substance peut avoir des effets différents sur différents organes selon la vulnérabilité de ces derniers. À l'extrême, une même substance peut être cancérogène pour une localisation et protectrice pour une autre(5) !

De plus, savoir quel type de risque fait courir un agent peut être utile pour la prévention et le dépistage permettant des traitements précoces.

Quand le Circ présente ses résultats, si un agent a des classements différents selon la localisation et le type de cancer, le classement le plus sévère est retenu, même s'il ne concerne qu'un seul type sur une seule localisation de cancer - même très rare.

Ainsi, le classement du Circ n'est pas basé sur l'évaluation globale de ce que le Circ qualifie de « niveau de risque », soit l'intensité de ce risque. En revanche, à chaque analyse d'étude avec évaluation de RR ou d'OR (voir Encadré 2 p. 12), la monographie les cite. C'est intéressant pour évaluer l'intensité du danger indépendamment de sa certitude.

Avis du Circ sur l'incidence

Une exposition croissante, surtout professionnelle

Revenons à la monographie sur le glyphosate. Sachant que le risque est le produit du danger par l'exposition, elle évalue cette exposition. Elle souligne la hausse de l'utilisation de la substance depuis sa tombée dans le domaine public et le lancement en 1996 des cultures OGM qui lui sont tolérantes.

Ainsi, aux États-Unis, elle est passée de 4 000 tonnes par an en 1987 à... 80 000 tonnes en 2007. Dans le monde, 600 000 tonnes de glyphosate ont été produites en 2008, 720 000 tonnes en 2012. Le glyphosate représente le premier herbicide mondial, en tonnage et en surfaces traitées.

L'exposition est essentiellement professionnelle (agriculteurs, pépiniéristes forestiers) ou liée à la proximité d'applications massives (ex. : populations colombiennes exposées à des traitements aériens visant à détruire des cultures de coca).

Épidémiologie : une localisation émerge

Place ensuite aux études épidémiologiques. La plus connue est l'AHS, Agricultural Health Study, un suivi de cohorte aux États-Unis déjà évoqué dans nos colonnes(6) et qui a donné lieu à une foultitude de publications. Une douzaine d'entre elles sont citées par le Circ.

Lequel évalue également des études cas-témoin aux États-Unis, au Canada, en Suède, en France et dans un panel de six pays européens.

Il sort de l'analyse de ces travaux une « association positive entre exposition au glyphosate et lymphomes non hodgkiniens » (qui n'a pas été trouvée dans l'AHS, mais ailleurs) avec des OR allant de 1, 2 à 3.

En revanche, pour les autres localisations de cancer (poumon, sein, prostate, cerveau, etc.), aucune association ne ressort. On trouve même, dans certaines études, des sous-incidences de certains cancers chez les populations exposées ! Le suivi de cohorte français Agrican n'est pas cité. C'est logique : lancé récemment, il n'a pas encore produit de résultats liés précisément à l'usage d'un produit ou d'un autre(7).

Expérimentations sur l'animal

Une série d'expérimentations sur des souris et des rats ont été analysées. Deux études ont été jugées « non adéquates » et d'autres, plus nombreuses, ont laissé le groupe de travail dubitatif (« incapable d'évaluer » ces travaux), pour cause de manque d'information ou de durée trop brève, que ces tests concluent à une surincidence ou à une absence d'effets. Les études estimées valables montrent des surincidences de certains cancers rares chez la souris (adénomes des tubules rénaux, hémangioscarcome).

Avis du Circ sur les mécanismes

Biocinétique et formulation

Le Circ a aussi évalué des travaux dits de toxicocinétique. Des tests chez des animaux à qui on fait ingérer du glyphosate montrent que la substance peut passer dans le sang puis les reins, être partiellement métabolisée (notamment en AMPA), puis sera excrétée. Mais, chez l'homme, que se passe-t-il ?

En pratique, le risque principal d'absorption est le passage à travers la peau. Le glyphosate seul passe difficilement cette barrière, le Circ cite des études in vitro qui l'ont prouvé. Mais sur le terrain, la substance est formulée...

Ainsi, on la trouve dans l'urine d'applicateurs après un traitement, à un taux supérieur chez ceux qui n'ont pas mis de gants adaptés que chez ceux qui en ont porté (p. 41 de la monographie). Cela tend à prouver la réalité de l'absorption à travers la peau des mains... Et, aussi, l'intérêt des gants de protection !

À noter : après ingestion de produit à base de glyphosate par accident ou volonté de suicide, d'une part on retrouve du glyphosate dans le sang, mais d'autre part certaines formulations apparaissent comme nettement plus toxiques que d'autres. Ce sont probablement les coformulants qui font la différence.

Pourquoi ? Certains pourraient augmenter l'absorption du glyphosate davantage que d'autres, et/ou n'être pas dénués de toxicité par eux-mêmes...

Par ailleurs, des études in vitro montrent des effets cellulaires sur des enzymes métaboliques. Le Circ écrit s'interroger sur la part de ces effets imputable au glyphosate et celle liée à la formulation.

Anomalies cellulaires et chromosomiques

Le groupe de travail a évalué les études « d'effets carcinogénétiques au niveau cellulaire ». En clair, est-ce que le glyphosate peut déclencher des anomalies cellulaires, sachant que l'origine d'un cancer est une cellule anormale (de type particulier) que l'organisme n'a pas éliminée à temps ?

Des études en Équateur et Colombie ont montré que des personnes exposées à des traitements au glyphosate (là aussi, formulé !) présentaient :

- soit davantage d'anomalies sanguines juste après ces traitements que juste avant ou deux mois après ;

- soit davantage d'anomalies que des personnes de régions non exposées.

Mais il apparaît des irrégularités de résultats.

D'autre part, des études in vitro montrent un effet sur l'ADN (selon le cas, « adduit à l'ADN » ou « rupture de la chaîne d'ADN ») dans diverses cellules, soit du glyphosate, soit de son métabolite l'AMPA, soit de certaines formulations. Des travaux sur des souris et des rats révèlent des effets variés (entre autres des « aberrations chromosomiques ») du glyphosate, surtout s'il est formulé, et/ou de l'AMPA.

Certes, les modes d'exposition ne sont pas réalistes : il s'agit en général d'injection, et personne de sensé ne se pique au glyphosate ! Mais les mécanismes cellulaires sont là.

D'autres études mettent en évidence des effets cellulaires sur d'autres mammifères, des poissons, grenouilles, insectes - et bien sûr des plantes. Des systèmes expérimentaux confirment ces mécanismes.

Stress oxydatif, inflammation, immuno-suppression et formulation

Par ailleurs, différentes catégories de cellules humaines ont été exposées in vitro au glyphosate. Celui-ci, ainsi que l'AMPA, montre une toxicité de type stress oxydatif, donc réduite en présence d'antioxydants. Certains résultats sont à interpréter avec prudence.

À noter : dans les études incluant la comparaison entre glyphosate seul et produits formulés, ces derniers ressortent davantage toxiques.

Certaines études sur rats et souris, poissons, grenouilles et huîtres attestent cet effet de stress oxydatif et de production de radicaux libres, effet réduit par l'exposition à des antioxydants.

Sur cellules humaines, le glyphosate semble inhiber la prolifération cellulaire ; ceci peut sembler a priori un effet anticancéreux, mais les spécialistes n'en jugent pas ainsi. Certaines études sur animaux décrivent un effet inflammatoire. Or, des inflammations peuvent ouvrir la voie à des évolutions cancéreuses.

De même, diverses études montrent des effets pathologiques sur le système immunitaire chez des rats et souris et certains poissons. Ce système immunitaire protège l'organisme des agressions extérieures (bactéries...) mais aussi des cellules cancéreuses. Il les tue au fur et à mesure qu'elles apparaissent.

Conclusions du Circ

Le Circ en conclut que le glyphosate est cancérogène probable (groupe 2A) pour les LNH (lymphomes non hodgkiniens) et signale des soupçons pour d'autres cancers du sang.

En revanche, il l'innocente pour les cancers de la prostate, de l'oesophage et de l'estomac. Il ne se prononce pas sur d'autres localisations (pas suffisamment de données). Il estime par ailleurs que des formulations à base de glyphosate sont génotoxiques. Deux points sont à souligner :

- les études épidémiologiques ainsi que les analyses toxicologiques chez l'homme sont forcément basées sur l'usage des formulations commerciales, or les plus accusatrices portent sur des formulations qui ne sont probablement pas les plus sécurisées(8) ;

- les expérimentations sur animaux ou in vitro montrent des effets plus importants avec les formulations qu'avec le glyphosate seul, et des effets différents selon les formulations.

Du côté de l'Efsa : le travail effectué

Évaluation plus large

En octobre, l'Efsa(9) publiait son évaluation du glyphosate pour l'ensemble de sa toxicité (et écotoxicité). Elle proposait de ne pas le classer comme cancérogène (ni génotoxique). Contestation du travail du Circ ? Avant de répondre, précisons le contexte.

C'est une réévaluation. L'agence européenne est tenue de réexaminer périodiquement les connaissances disponibles sur les substances actives phytopharmaceutiques. Elle évalue l'ensemble des risques : écotoxicologie et toxicologie. Le volet cancer couvre cinq pages sur les 107 du rapport.

Le rapport d'évaluation est ensuite la base de la décision des autorités européennes : renouveler l'approbation de la substance, condition nécessaire aux autorisations de préparation qui en contiennent dans les pays membres de l'Union européenne - ou non. C'était le tour du glyphosate, et les experts des autorités allemandes ont mené le travail.

Publications supplémentaires

Cette évaluation prend en compte la totalité du rapport du Circ, plus des études supplémentaires.

Il ne s'agit pas de celles rejetées par le Circ mais d'autres que celui-ci n'a pas examinées. En grande majorité, ces travaux n'ont pas été proposés à des revues scientifiques ni de vulgarisation, comme Phytoma, ni à la presse ou l'édition « classique ». Beaucoup sont des études réalisées pour le compte des fabricants. Elles sont couvertes par le secret industriel qui est une protection face à la concurrence - souvent féroce - entre fabricants de produits chimiques.

Les experts qui les analysent et les rédacteurs du rapport sont donc tenus à la confidentialité. La bibliographie du rapport de l'Efsa ne comporte que 34 références dont... sept publications de l'Efsa elle-même, dix de la Commission européenne, cinq de l'OCDE et la monographie du Circ. Ceci étant, l'Efsa a mis sur son site environ 6 000 pages de documents source.

La même exigence de qualité que le Circ mais un objet d'analyse différent

Les experts de l'Efsa ont agi de même que ceux du Circ en ne retenant que les études leur semblant présenter un certain niveau de qualité. En particulier, ils ont pris en compte celles menées sous BPL (bonnes pratiques de laboratoire). Cette norme internationale garantit la traçabilité des expérimentations.

En revanche, ils se sont basés sur un autre critère : ils ont cherché à différencier les effets de la substance active de ceux de ses coformulants - en différenciant entre eux les coformulants. Car, c'est aussi dans la monographie du Circ, ils ont des effets différents.

Conclusions de l'Efsa

Points de divergence sur certaines études

En novembre 2015, l'avis de l'Efsa tombe : elle estime comme « improbable » la cancérogénicité du glyphosate pour l'homme.

Son évaluation conduit soit à aucune évidence de cancérogénicité, avis de la grande majorité de sa trentaine d'experts, soit à une « évidence limitée » pour les lymphomes non hodgkiniens (catégorie 2 selon la classification européenne, ancienne catégorie 3, voir Tableau 2, assimilée au groupe 2B du Circ - mais pas 2A), selon l'un de ses experts.

Cette contradiction avec le Circ peut venir de ce que l'Efsa a eu accès à des travaux expérimentaux que le Circ n'a pu évaluer. Certes, une partie d'entre eux souffrent d'un péché originel : ils ont été réalisés par des fabricants. Mais il s'agit d'études obligatoires (exigées pour le dossier d'approbation) sous BPL, donc tracées ; l'Efsa les a donc prises en compte.

Quant aux études retenues par le Circ, l'Efsa évalue parfois différemment leur pertinence. Par exemple, elle épluche un travail sur les souris retenu par le Circ comme révélant un effet sur les lymphomes : l'Efsa estime que les doses utilisées, plus fortes que celles correspondant à des expositions possibles, donc à des risques réels, peuvent causer des effets toxiques directs, et qu'il y aurait eu une infection virale, le tout brouillant les résultats.

Un échange de lettres ouvertes entre le Circ (27 novembre) et l'Efsa (13 janvier) précise cette position.

Substance active : et les impuretés ?

Surtout, ce n'est, en fait, pas la même chose qui est classée.

D'une part, l'Efsa évoque les impuretés accompagnant la substance active à l'issue de sa synthèse dans le « produit technique » sortant d'usine.

Parmi les impuretés pouvant subsister en fin de synthèse, l'agence a repéré le formaldéhyde, qu'elle classe en catégorie C2 (Tableau 2) et que le Circ place en groupe 1 (Tableau 1). Mais les produits techniques des spécialités autorisées en Europe ne sont pas concernés vu le faible niveau d'impuretés toléré. Ailleurs dans le monde, c'est autre chose.

On sait que, pour les substances tombées dans le domaine public, ce qui est le cas du glyphosate, les fabricants utilisent des procédés divers. Les différents produits techniques ont donc des taux variables d'impuretés de natures variées. Mieux on purifie la substance, meilleure est sa qualité... mais cela a un coût.

Coformulants : vers une convergence ?

Par ailleurs, l'Efsa souligne que les études épidémiologiques faisant pencher le Circ du côté de la carcinogénicité du glyphosate pour les lymphomes non hodgkiniens portent sur des produits formulés, et que les résultats des expérimentations diffèrent selon la formulation testée. Nulle divergence : le Circ lui-même le signale dans sa monographie.

L'Efsa souligne donc cette question des coformulants en général, et en particulier des tallowamines polyéthoxylées (POEA comme polyethoxylated tallowamine ; elles sont aussi appelées amines de suif poly-éthoxylées).

Par ailleurs, elle confirme totalement l'information du Circ : le glyphosate, une fois formulé, peut passer dans le sang des personnes exposées, mais avec une intensité et des effets toxiques qui dépendent directement de la formulation.

L'Anses traque les tallowamines

À propos du classement du glyphosate

En France, l'Anses a été saisie d'une demande d'avis sur le glyphosate. Le délai étant très court, elle a seulement pu lire les rapports du Circ et de l'Efsa sans pouvoir éplucher leurs données brutes. Elle a publié son avis le 12 février dernier. Elle conclut que :

- la classification légale en C1A ou C1B de la substance elle-même ne se justifie pas ; l'Anses suit ainsi l'avis de l'Efsa (le classement C1B correspond peu ou prou au classement du Circ en groupe 2A) ;

- la classification en C2 peut se discuter « sans que l'Anses ne puisse se prononcer en l'absence d'une analyse détaillée de l'ensemble des études ».

Les coformulants, tallowamines en tête

Surtout, « compte tenu de l'exposition aux préparations [les produits formulés] et des préoccupations soulevées sur les coformulants », l'Anses met en place un groupe de travail sur les coformulants des produits phyto, dont les travaux « porteront prioritairement sur les préparations à base de glyphosate ».

Et elle s'est lancée dans la réévaluation des préparations associant glyphosate et tallowamines ainsi que des adjuvants à base de tallowamines autorisés pour l'utilisation avec des herbicides.

Se dirige-t-on vers une interdiction de ces adjuvants et des préparations formulées avec des tallowamines ? Selon l'Anses, ces dernières représentent un peu moins de la moitié des herbicides à base de glyphosate présents sur le marché français.

Peut-être apprendra-t-on un jour que, oui, certaines spécialités à base d'un glyphosate issu d'une synthèse bas de gamme (donc accompagné d'un taux non négligeable d'impuretés problématiques) et contenant certains coformulants étaient cancérogènes, mais à cause de ces impuretés et ces coformulants ?

Ceci expliquerait les résultats de certaines études épidémiologiques et une part, voire l'essentiel, des divergences entre le Circ et l'Efsa.

Et si « l'affaire glyphosate » était l'occasion d'entrouvrir deux boîtes noires, celle des voies de synthèse avec leurs « signatures chimiques » d'impuretés, et celle des formulations avec leurs coformulants ?

(1) Centre international de recherche sur le cancer (IARC, International Agency for Research on Cancer). (2) Organisation mondiale de la santé (WHO, World Health Organization). (3) Organisation des nations unies (UNO, United Nations Organisation). (4) « Le glyphosate classé par le Circ cancérogène probable », Phytoma n° 683, avril 2015, p. 6. (5) Exemple : tamoxifène, voir Tableau 1. (6) et (7) « Agriculture et cancer : Agrican suit sa cohorte. », Phytoma n° 680, janvier 2015, p. 8. (8) Par exemple, dans les études toxicologiques en Amérique latine, on peut supposer que les formulations appliquées (notamment celles pour détruire les champs de coca) ne sont pas choisies parmi celles de meilleure qualité, lesquelles sont moins toxiques mais plus onéreuses... (9) European Food Safety Authority (AESA, Autorité européenne de sécurité des aliments).

1 - Le Circ évalue le « niveau de preuve », pas celui du risque

Le classement du Circ évalue le degré de certitude de l'existence d'un danger (cancérogénicité) intrinsèque d'un agent (substance ou circonstance), son « niveau de preuve ».

Il n'évalue pas le niveau du risque que fait courir cet agent, lequel niveau dépend à la fois de la dangerosité intrinsèque de l'agent et de l'importance de l'exposition.

Pour un degré d'exposition donné (ex. : tant de paquets-années(1) pour la cigarette, tant d'années x jours d'utilisation/an pour des herbicides), bien sûr, plus une substance est dangereuse, plus le niveau de risque sera fort et plus les effets seront visibles.

De ce fait, dans les études épidémiologiques, c'est pour les substances les plus dangereuses que, à exposition égale, il sera le plus facile de mettre en évidence des sur-risques associés, avec de forts RR et OR (risques relatifs et rapports de risques associés, voir Encadré 2). La certitude (et le classement « cancérogène certain ») sera obtenue plus vite.

(1) Le nombre de paquets-années est le nombre d'années de tabagisme multiplié par celui de paquets (de vingt cigarettes) par jour. La donnée est imparfaite car, selon S. Salmeron et J. Trédaniel, il serait plus dangereux de fumer un paquet par jour durant trente ans que trois par jour durant dix ans (c'est toujours trente paquets-années). Et, plus un fumeur commence tôt, plus le risque augmente.

2 - Les RR et les OR, qu'est-ce que c'est ?

En épidémiologie, le RR, « relative risk », « risque relatif », compare la fréquence de survenue d'un événement (ici, un cancer) entre une population exposée à un agent et une population non exposée(1). L'OR ou « odd » « odd ratio », « rapport des chances », « rapport des risques associés », est également utilisé dans certaines études.

Un RR ou un OR proche de 1 suggère une absence de lien entre l'exposition à l'agent et la survenue de la maladie. Un RR ou un OR significativement différent de 1 suggère l'existence d'un lien : surincidence si le RR ou l'OR est significativement supérieur à 1, sous-incidence si le RR ou l'OR est significativement inférieur à 1.

À lui seul, le lien entre deux phénomènes (ici, entre un agent potentiel et une surincidence ou sous-incidence de cancer) ne prouve pas un rapport de cause à effet (ici, que l'agent soit cancérogène ou protecteur ; d'autres phénomènes peuvent interférer(2)). Pour établir un rapport de causalité, il faut un faisceau d'arguments : études épidémiologiques variées et concordantes et données de toxicologie expérimentale.

(1) Par exemple, le RR du tabac est estimé à :

- 23,9 pour les hommes fumeurs réguliers par rapport à ceux qui n'ont jamais fumé (Simonata & al., InT. J. Cancer 2001.91 : 876-87, cité par S. Salmeron & J. Trédaniel) ;

- 1,25 pour les fumeurs passifs (non-fumeurs exposés à la tabagie) par rapport aux non-fumeurs évoluant dans un environnement sans tabac (S. Salmeron et J. Trédaniel).

(2) Par exemple, la consommation modérée de vin rouge est liée à une sous-incidence de certains cancers. Cela ne prouve pas que l'alcool soit protecteur (d'autres études montrent l'inverse !) mais suggère que d'autres composants du vin pourraient l'être.

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RÉSUMÉ

CONTEXTE - En 2015, le Circ et l'Efsa ont donné des avis a priori divergents sur la cancérogénicité du glyphosate.

DIVERGENCES - Le Circ conclut à son classement en groupe 2A (cancérogène probable) pour les lymphomes non hodgkiniens à partir des études publiées en revues scientifiques.

L'Efsa, à partir des mêmes travaux que le Circ plus d'autres couverts par le secret des affaires mais tracés (sous BPL notamment), estime le glyphosate probablement non cancérogène selon le classement officiel dans le cadre du règlement CLP.

CONVERGENCES - Selon le Circ, des résultats d'études toxicologiques diffèrent selon la nature des coformulants. Les études épidémiologiques aux effets les plus nets semblent porter sur des usages et formulations peu sécurisés.

L'Efsa signale la présence de certaines impuretés dans la substance active (taux et nature différant selon la fabrication) et la nature de coformulants associés, notamment ceux à base de tallowamines.

SUITES - L'Anses en conclut que le classement du glyphosate en catégorie 1A ou 1B selon le CLP ne se justifie pas (N. B. : le classement C1B du CLP est celui de cancérogène probable) et que la classification en C2 (cancérogène possible) peut se discuter. Vu la convergence Circ/Efsa sur les coformulants, l'Anses met en place un groupe de travail sur la question et est en train de réexaminer les autorisations des préparations contenant des tallowamines.

MOTS-CLÉS - Glyphosate, évaluation, épidémiologie, toxicologie, Circ, cancérogène probable, groupe 2A, Efsa, non cancérogène, impuretés, formulation, Anses, coformulants, tallowamines.

POUR EN SAVOIR PLUS

AUTEUR : *M. DECOIN, Phytoma.

CONTACTS : m.decoin@gfa.fr

pesticides.peerreview@efsa.europa.eu

LIENS UTILES : http://monographs.iarc.fr/ENG/Classification/ClassificationsAlphaOrder.pdf

- http://monographs.iarc.fr/ENG/Monographs/vol112/mono112-09.pdf

-www.sfrnet.org/rc/org/sfrnet/htm/Article/2013/ 20130715-130826-576/src/html_fullText/fr/donn%C3%A9es%20%C3%A9pid%C3%A9miolo-giques%20r%C3%A9centes.pdf

- www.efsa.europa.eu/efsajournal

BIBLIOGRAPHIE : - EFSA, 2015. Conclusion of the peer review of the pesticide risk assessment of the active substance glyphosate. Efsa Journal 2015,13(11) : 4302.

- IARC monographs - 112. 2015.

- S. Salmeron et J. Tredaniel, 2013 - Cancer bronchique primitif : données épidémiologiques récentes. Risque relatif de cancer du poumon chez les fumeurs par rapport aux non fumeurs.

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