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DOSSIER - Ravageurs souterrains

Taupins : à la découverte des odeurs de racines

FANNY BARSICS*, BENJAMIN M. DELORY*, MARIE-LAURE FAUCONNIER**, FRANÇOIS J. VERHEGGEN* ET JEAN-BAPTISTE THIBORD*** - Phytoma - n°694 - mai 2016 - page 16

Des recherches sont en cours sur les substances odorantes, attractives ou répulsives, qui pourraient influencer le comportement des larves de taupin. Ce n'est qu'un début ! Mais prometteur.
1. Les taupins adultes sont « piégeables » par phéromones sexuelles. Photo : Arvalis

1. Les taupins adultes sont « piégeables » par phéromones sexuelles. Photo : Arvalis

2. Les larves sont attirées ou repoussées par des substances émises par les végétaux.  Photo : Arvalis

2. Les larves sont attirées ou repoussées par des substances émises par les végétaux. Photo : Arvalis

Olfactomètre adapté pour réaliser les travaux rapportés ici. Les tubes sont remplis de vermiculite, matière au sein de laquelle les larves de taupin se déplacent facilement.  Photo : Gembloux Agro-Bio Tech

Olfactomètre adapté pour réaliser les travaux rapportés ici. Les tubes sont remplis de vermiculite, matière au sein de laquelle les larves de taupin se déplacent facilement. Photo : Gembloux Agro-Bio Tech

Après s'être fait oublier pendant quelques décennies, les taupins connaissent une recrudescence. Ces ravageurs souterrains sont donc de nouveau au coeur des préoccupations de plusieurs équipes de recherche en Europe.

Les raisons d'un réveil

Fin des insecticides « en plein »

Les taupins sont des coléoptères ravageurs bien connus des agriculteurs. Leurs larves - dites vers « fils de fer » - se développent dans le sol aux dépens des racines. Elles menacent de nombreuses cultures lorsque les conditions climatiques rendent les couches supérieures du sol accueillantes.

Ces insectes, autrefois mis hors d'état de nuire par des insecticides visant les ravageurs telluriques, font un retour en force depuis quelques années. Ce phénomène est dû en partie à ce que les produits phytosanitaires utilisés en désinfection des sols « en plein » ont été retirés du marché (le lindane notamment).

Certes, des solutions de substitution ont été proposées et se sont souvent montrées satisfaisantes pour protéger les plantes.

Les larves de taupins peuvent se nourrir d'espèces végétales variées, ce qui multiplie leurs chances de survie saison après saison au cours des quelques années nécessaires pour compléter leur cycle de développement. Lorsque les solutions les plus efficaces ont à leur tour été retirées du marché, seuls sont demeurés des produits présentant souvent des efficacités d'autant plus limitées que les populations, entre-temps, étaient redevenues et restaient abondantes.

L'utilisation des insecticides est constamment revue à la baisse, même si de nouveaux produits émergent. Des stratégies de lutte alternatives sont donc nécessaires pour gérer ces ravageurs.

À propos des adultes

Phéromones sexuelles et piégeage

Afin de développer des stratégies de lutte intégrée contre ces ravageurs, de nombreux travaux de recherche se sont focalisés sur les adultes depuis le début des années 2000. Si à ce stade les taupins n'attaquent pas les plantes cultivées, ils colonisent de nouveaux espaces et se reproduisent - donc engendrent et propagent de nouvelles populations larvaires.

La mise en évidence des phéromones sexuelles de la plupart des espèces de taupins présentes en Europe a permis de proposer un outil de gestion et de monitoring, au travers du piégeage des adultes.

Les techniciens ont tenté de valoriser cet outil, soit pour caractériser le risque d'attaque larvaire en lien avec le nombre d'adultes capturés, soit pour abaisser la population par piégeage de masse des adultes.

Dans les deux cas, les travaux réalisés en France ne se sont pas avérés fructueux. Aucune méthode visant les adultes n'a permis à ce jour de réduire les dégâts occasionnés par les larves lors des saisons suivantes.

Larves et composés végétaux

Mieux comprendre comment fonctionnent les interactions

Cette piste reste intéressante pour le monitoring et, moyennant des recherches plus poussées, combinées à d'autres outils, il sera peut-être bientôt possible d'y recourir avec plus d'efficacité.

Les femelles choisissent des substrats à couvert végétal dense pour pondre leurs oeufs. Il est donc recommandé de ne pas mettre une culture appréciée des taupins juste après une prairie.

En effet, la densité racinaire et l'humidité résultantes sont alors idéales pour les jeunes générations de larves. Dans le sol, les larves se fient à leur appareil sensoriel pour localiser leur nourriture. En effet, les racines des plantes-cibles de leurs attaques émettent des odeurs qui permettent aux larves de se frayer un chemin à travers la rhizosphère.

Suivant le même principe que l'identification des phéromones sexuelles émises par les individus femelles pour attirer les mâles, des travaux ont été conduits pour identifier les composés produits par les plantes et sélectionner, parmi eux, ceux qui influencent le comportement des larves lors de leur recherche de nourriture.

Dioxyde de carbone et détection d'odeurs spécifiques

Depuis une quarantaine d'années, nous savons que les vers « fils de fer » sont sensibles au dioxyde de carbone. Ce dernier entraîne une orientation efficace des larves vers les racines, trahies par leur respiration.

Comme d'autres insectes, les larves se servent de ce signal commun dans notre environnement. Elles détectent des variations de concentration extrêmement fines via un arsenal de sensilles adaptées.

Une fois engagées dans la poursuite de ce signal, les larves rencontrent des signatures odorantes de la présence végétale, associées théoriquement, chez les herbivores souterrains, à des balises indiquant la nature de la piste et si celle-ci vaut la peine d'être suivie. En d'autres termes, les odeurs sont des indices qui s'ajoutent à l'information portée par le dioxyde de carbone.

Selon la densité racinaire et la richesse du couvert végétal, ces informations ajustent l'orientation de la larve de taupins vers la cible la plus appropriée.

Identification de composés odorants

Extraction des odeurs : difficultés liées au milieu qu'est le sol

Dans le cas des larves de taupins, certaines odeurs informatives ont été mises en évidence par une équipe pluridisciplinaire de Gembloux Agro-Bio Tech (Belgique).

Pour parvenir à identifier ces molécules et à montrer qu'elles influencent l'orientation des larves, il a d'abord fallu développer une méthode permettant de prélever les odeurs produites par les racines des plantes.

Beaucoup de méthodes analytiques existent pour collecter les odeurs, mais le défi consiste ici à identifier celles présentes dans le sol, environnement complexe avec phases solide, liquide et gazeuse.

Toute molécule volatile peut quitter l'air du sol, se solubiliser dans l'eau qui y est présente ou être immobilisée sur ses particules solides. Prélever l'air du sol ne suffit donc pas à déterminer les odeurs végétales qui s'y trouvent. En revanche, l'identification des odeurs ou composés organiques volatils produits par des racines est possible.

Les quatre composés de l'orge

Les études menées à Gembloux Agro-Bio Tech ont mis en évidence quatre composés odorants produits dans les racines de l'orge. En captant les odeurs produites par des racines broyées, donc fortement concentrées dans leur environnement direct, les analyses ont montré les aldéhydes suivants : l'hexanal, le (E)-hex-2-énal, le (E)-non-2-énal, et le (E, Z)-nona-2,6-diénal.

Par la suite, seules les deux dernières substances produites par les racines ont été retrouvées dans des prélèvements focalisés sur le substrat lui-même.

Plusieurs indices suggèrent une implication de ces composés dans les interactions entre les larves et les plantes-cibles. En effet, ces composés sont produits rapidement après la blessure mécanique des racines. De plus, ils sont associés à une voie métabolique précise impliquée dans les fonctions de défense des plantes contre leurs agresseurs.

Les composés volatils identifiés ont de faibles capacités de diffusion dans un sol. Ils peuvent donc agir en périphérie racinaire, soit comme carte d'identité validant les qualités de la plante émettrice pour les larves en approche, soit comme remparts aux attaques. Dans les deux cas, ils pourraient avoir été libérés dans le sol à la suite d'attaques larvaires blessant les racines.

Tests comportementaux

Mixtures et olfactomètres

Afin d'étudier leur rôle de messagers potentiels sur les larves de taupins, ces composés ont été utilisés dans des tests comportementaux.

Des mixtures synthétiques des quatre composés dilués dans de la triacétine ont été réalisées. Puis l'orientation des larves de taupin soumises aux odeurs racinaires a été observée dans des olfactomètres.

Il s'agit de labyrinthes simplifiés permettant d'étudier le comportement de larves exposées à plusieurs sources odorantes. Ce type d'outil est utilisé depuis longtemps en écologie chimique pour étudier les interactions entre certains insectes et leurs plantes-cibles via les substances qu'elles produisent.

Adaptation des olfactomètres

Cependant, l'observation de ravageurs se déplaçant dans le sol est complexe. Pour adapter la méthode aux caractéristiques des larves de taupin, les chercheurs de la même université (Gembloux Agro-Bio Tech) ont utilisé des tubes en verre dotés de caractéristiques appropriées à l'insertion de taupins et d'appâts odorants. Ces tubes ont été remplis de vermiculite, un matériau isolant friable de faible densité qui convient particulièrement bien aux déplacements des larves (photo 3). Ces dernières ayant des vitesses de déplacement propres qui varient fortement avec leur stade de développement, les tests ont été réalisés individuellement.

Résultats des tests

Ils ont démontré que la mixture odorante, présentée en trois doses dans les émetteurs (10 <03BC>g, 1 mg et 100 mg) à des larves d'Agriotes sordidus d'au moins 10 mm de longueur, a un effet attirant dans les olfactomètres pour les deux doses inférieures. L'analyse des réponses aux trois doses révèle une tendance à la répulsion à mesure que la dose augmente.

Ces résultats indiquent que l'odeur revêt effectivement un caractère adéquat, et que les larves s'en servent pour atteindre leur objectif.

Par contre, en supposant que la morsure dans la racine d'orge provoque la production rapide de ces molécules, la surcharge presque instantanée de l'environnement olfactif direct des larves pourrait provoquer leur répulsion, telle qu'observée au laboratoire pour la plus haute dose testée.

Bilan et perspectives

Un univers désormais à explorer

Beaucoup de données doivent encore être collectées pour mieux comprendre les interactions entre larves et racines dans le monde souterrain. Tout est affaire de séquence d'événements, de proportions entre les divers composés, de concentration des mélanges et, bien sûr, de la représentation en laboratoire de ces phénomènes.

Mais la possibilité d'explorer cet univers auparavant inaccessible ne peut qu'améliorer notre compréhension des mécanismes chimiques impliqués dans les interactions ravageur/plante-cible dans le but de proposer des outils agronomiques innovants.

En écologie chimique, on part du principe que tous les composés constituant le message sont à considérer à la fois en quantité absolue et en proportions. Parmi les inconnues restant à décrypter, le rôle précis de chaque composé du mélange de quatre aldéhydes doit donc être étudié.

Les recherches actuelles ont montré que les proportions des composés ainsi que leur quantité absolue changent durant les quarante premiers jours de développement de la plante. Certains pourraient être plus attractifs ou répulsifs que les autres.

Selon le potentiel de diffusion de ces composés dans le sol, l'hypothèse pourrait être que la signature volatile en début de croissance végétale assure une protection de la graine, contenant des nutriments pour les larves, mais cruciaux à la plantule y puisant les réserves nécessaires à l'initiation de son activité métabolique.

Côté pomme de terre

Des travaux sur des végétaux différents ont permis d'identifier le rôle de substances non volatiles comme facteurs répulsifs. Ainsi, les larves évitent certaines molécules trouvées dans la pomme de terre, les glycoalkaloïdes.

Une sélection de variétés riches en ces molécules anti-appétentes semble cependant compromise dans ce cas. En effet, ces variétés boudées par les taupins sont également les moins appréciées par les humains pour leur goût.

Améliorer la technologie

La sélection de variétés moins sensibles de par leur profil chimique pourra se faire à mesure que les sémiochimiques (composés porteurs d'informations entre les organismes qui les produisent et les perçoivent) impliqués dans les interactions larves/plantes seront caractérisés.

Pour cela, le recours à une standardisation des protocoles, alors applicables à d'autres modèles végétaux, ainsi que leur amélioration en termes de vitesse d'obtention des résultats, est nécessaire.

Cela dépend des avancées technologiques pour la détection et l'identification des composés volatils chez la plante et dans le sol. Les outils actuels sont encore loin de posséder les résolutions spatiale et temporelle nécessaires. Pourtant, cela permettrait de caractériser les propriétés de diffusion des molécules et rendrait compte de l'environnement olfactif réel des larves dans le sol plutôt que la vermiculite.

Variétés, voire espèces « antitaupin », combinaison piégeage/biocontrôle...

À partir de là, le champ des solutions s'élargira : il sera possible de sélectionner des variétés moins sensibles et de réaliser des associations culturales avec l'objectif de duper les larves grâce à des leurres olfactifs et limiter ainsi les dégâts sur plantes cultivées.

En s'intéressant aux sémiochimiques impliqués dans les interactions ravageur/plante-cible, il apparaît des perspectives techniques basées sur l'utilisation et la modification de cette relation. À mesure que ces interactions seront mises en évidence, il sera possible d'ajuster les stratégies culturales. L'insertion, dans la rotation, de cultures « nettoyantes » (ex. : Brassicaceae libérant des produits toxiques pour les larves lorsque leurs tissus se décomposent dans le sol), pourrait aussi contribuer au maintien des populations de taupin sous les seuils à partir desquels les dégâts sont conséquents.

Cela ouvre des portes sur la combinaison du piégeage avec d'autres pans de la lutte intégrée, par exemple des organismes utiles type nématodes ou champignons entomopathogènes. Ainsi, en passant au crible ce monde chimique infiniment petit, de nouveaux outils pourraient voir le jour et participer progressivement à la protection intégrée des cultures contre les taupins.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - Les taupins sont des ravageurs en recrudescence. Les interactions olfactives entre adultes (attraction du mâle par phéromone sexuelle de femelle) sont connues mais leur usage en protection des cultures reste limité à ce jour.

Désormais, les interactions olfactives entre larves et végétaux sont étudiées.

ÉTUDE - Une équipe de Gembloux AgroBio Tech (Belgique) a réussi à extraire quatre aldéhydes de racines d'orge.

Elle les a testés sur des larves de taupin à l'aide d'olfactomètres spécialement adaptés. Des effets sur le comportement des larves ont été mis en évidence.

PERSPECTIVES - À l'avenir :

- les techniques analytiques gagneraient à être améliorées, ce qui permettrait d'accélérer ces recherches prometteuses ;

- ces avancées permettraient d'améliorer la lutte via des végétaux (variétés cultivées et cultures nettoyantes sélectionnées grâce à ces outils) ou directe (attractifs associés à des nématodes ou micro-organismes entomopathogènes).

MOTS-CLÉS - Ravageurs souterrains, taupins, adultes, larves, racines, olfactomètre, composés végétaux, odeurs, substances odorantes, aldéhydes, attractif, répulsif.

POUR EN SAVOIR PLUS

AUTEURS : *F. BARSICS, *B. M. DELORY, docteurs en sciences agronomiques et ingénierie biologique - Gembloux Agro-Bio Tech.

*F. J. VERHEGGEN, docteur, chef de travaux, unité d'entomologie fonctionnelle et évolutive - Gembloux Agro-Bio Tech.

**M.-L. FAUCONNIER, professeur. Directrice du service de chimie générale et organique - Gembloux Agro-Bio Tech.

***J.-B. THIBORD, responsable du pôle ravageurs et méthodes de lutte - Arvalis-Institut du végétal.

CONTACT :

fanny.barsics@gmail.com

BIBLIOGRAPHIE : - Barsics F., Delory B. M., Delaplace P., Francis F., Fauconnier M.-L., Haubruge E., Verheggen F. J. Foraging wireworms are attracted to root-produced volatile aldehydes. Journal of Pest Science 2016 InPress - doi : 10.1007/s10340 016 0734 y.

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Barsics F., Haubruge E., Verheggen F. J. Wireworms' management : An overview of the existing methods, with particular regards to Agriotes spp. (Coleoptera : Elateridae). Insects 2013, 4 : 117-152.

Delory B. M., Delaplace P., Fauconnier M.-L., du Jardin. P (2015) Root-emitted volatile organic compounds : can they mediate belowground plant-plant interactions ? Plant and Soil, 402 : 1-26.

Delory B. M., Delaplace P., du Jardin P., Fauconnier M.-L. (2016) Barley (Hordeum distichon L.) roots synthesise volatile aldehydes with a strong age-dependent pattern and release (E)-non-2-enal and (E, Z)-nona-2,6-dienal after mechanical injury. Plant Physiology and Biochemistry, 104, 134-145.

Johnson S. N., Anderson E. A., Dawson G., Griffiths D. W. (2008) Varietal susceptibility of potatoes to wireworm herbivory. Agric For Entomol 10 : 167-174.

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