L'originalité des limaces, par rapport aux autres ravageurs des cultures comme les insectes, porte sur des caractéristiques propres aux mollusques gastéropodes.
Ces différences concernent le système de reproduction, le système nerveux, la présence d'une barrière externe de protection muqueuse...
Éléments de biologie
Des points communs à tous les gastéropodes
Aujourd'hui, 103 000 espèces de gastéropodes sont répertoriées dans le monde, dont près de 30 000 espèces terrestres appartenant au taxon des Pulmonés Stylommatophores qui regroupe les escargots et les limaces. Ils occupent toutes les zones climatiques de la planète, des plus humides aux plus sèches, des plus froides aux plus chaudes.
La sélection de l'habitat est très importante en raison du risque de déshydratation car le tégument de ces mollusques est perméable, et la dépense énergétique que représente leur reptation est très forte.
Escargots et limaces montrent tous les types de régime alimentaire et sont donc présents dans tous les maillons de la chaîne écologique. La végétation, par sa structure et sa densité, influence beaucoup la répartition des gastéropodes en tant que source de nourriture et refuge potentiel contre les stress climatiques et les risques de prédation.
Des cycles adaptés
Les limaces les plus fréquentes dans les grandes cultures françaises sont la limace grise (Deroceras reticulatum) et les limaces noires (Arion hortensis et A. distinctus).
La majorité des individus occupent la partie superficielle du sol sur une profondeur de 3 à 10 cm. Des enfouissements plus profonds peuvent être constatés lorsque la macroporosité du sol (physique ou biologique) le permet, notamment lors de périodes sèches ou froides.
Généralement, le cycle biologique typique des limaces terrestres est annuel. Cependant, sous nos latitudes, D. reticulatum a en général deux générations par an (de 5 à 7 mois chacune). Cette adaptation au milieu cultivé a été possible grâce à une acquisition précoce de la maturité sexuelle et par des pontes importantes de 100 à 200 oeufs par individu en lots d'une vingtaine d'oeufs pondus successivement. Cet équilibre entre courte longévité et effort de reproduction élevé leur permet de s'adapter à des environnements fluctuants comme ceux rencontrés en grandes cultures.
Sur une année, deux générations de limaces s'établissent. Une première phase de développement intense, au printemps entre avril et juin, sera suivie par des pontes estivales et généralement la mort des limaces ayant pondu. Une deuxième période de développement intense aura lieu entre septembre et novembre. Cette génération d'automne peut avoir ses premières pontes en novembre et ces limaces peuvent survivre jusqu'en mars suivant si les conditions météorologiques le permettent (Figure 1).
Exigences de température et d'humidité
Animaux ectothermes, les limaces ont la même température corporelle que celle du milieu extérieur. Ainsi, la durée de l'ensemble des traits de vie des limaces varie avec la température. La teneur en eau du sol et l'humidité de l'air ont également une grande importance dans les différentes phases de développement.
La gamme des températures et d'humidité permettant la ponte de D. reticulatum est observée entre 3 °C et 20 °C et il n'y a aucune ponte lorsque le sol est en dessous de 10 % de saturation en eau. Les conditions optimales de ponte s'observent entre 10 °C et 20 °C, pour un taux de saturation du sol de 64 %. Des études font état qu'entre 5 °C et 6 °C, l'incubation va durer plus de 100 jours, alors qu'à 10 °C, 15 °C et 20 °C, l'éclosion aura lieu respectivement après 45 jours, 27-33 jours et 18-22 jours. Le développement des oeufs nécessite également un site régulièrement humide.
Se situant entre 86 et 90 %, la teneur en eau des limaces varie peu alors que celle des sols est nettement plus faible et très fluctuante. Il est généralement admis que sur des sols secs, les limaces grises ne peuvent plus se déplacer à partir d'une teneur en eau de l'horizon superficiel de 10 %. Des observations de terrain font état que cela peut correspondre à une humidité visible uniquement sous les mottes de plus de trois centimètres.
Par ailleurs, les températures inférieures à -6 °C et supérieures à 30 °C sont rapidement mortelles pour les limaces ; les oeufs résistent jusqu'à -10 °C. Ces informations sur les températures létales expliquent bien pourquoi les hivers rigoureux ou les étés chauds et secs peuvent réduire de façon considérable les populations de limace. Dans ces conditions, l'enfouissement en profondeur dans le sol est leur seule protection possible.
Interactions avec la végétation en place
Dans les champs cultivés, les limaces grises adaptent leur cycle de vie aux fluctuations environnementales telles que la température, la teneur en eau du sol mais aussi la couverture végétale disponible qui influence la température et la teneur en eau du sol en même temps qu'elle constitue une alimentation plus ou moins favorable aux limaces. La quantification de l'effet de ces différents éléments est au coeur de la recherche de modèles décrivant le développement des limaces.
Ils sont généralement recherchés à partir de la mise en relation entre les densités/activités de populations et les facteurs climatiques tels que la température, la pluviométrie et les cultures en place.
Mais peu de travaux existent sur l'effet des pratiques agricoles sur les populations de limace au regard de l'ensemble des recherches menées sur les ravageurs des cultures.
Une enquête sur la nuisibilité
Réalisation du travail en 2014
Dans le cadre du projet Resolim, dont les expérimentations sont évoquées dans l'article suivant, une enquête auprès d'agriculteurs a été réalisée pour évaluer la nuisibilité des limaces au travers des dégâts tels qu'ils sont perçus par les agriculteurs, en fonction des cultures concernées.
En 2013, les conditions climatiques en France, particulièrement pluvieuses, ont favorisé l'activité des limaces dans les parcelles agricoles. Au début de l'année 2014, les partenaires du projet Resolim ont conduit une enquête auprès des agriculteurs. Le but était de mettre en évidence la perception des risques liés aux limaces lors d'une année favorable à leur activité.
Un questionnaire a été diffusé, via internet, auprès de plus de 4 500 agriculteurs du réseau Terres Inovia. Environ 17 % des sondés ont répondu, soit 782 personnes.
Quatre grandes zones géographiques ont été définies : le nord-ouest est la zone la plus représentée dans l'enquête, avec 327 agriculteurs (43 %). Le nord-est et le sud-ouest sont représentés respectivement par 24 % de l'échantillon. Le sud-est est le moins représenté : 9 % de l'échantillon des agriculteurs (voir Figure 2).
L'enquête s'est centrée sur cinq cultures ou famille de cultures majeures : le colza, le tournesol, le maïs, les céréales à paille et enfin la betterave. Les principales questions concernaient :
- la part des surfaces attaquées dans les parcelles de l'assolement des agriculteurs, avec indication si ces parcelles avaient été protégées contre les limaces ou non ;
- s'il y avait eu des resemis ou non ;
- les modes de protection des cultures ;
- les pratiques culturales de l'agriculteur, en particulier les modes de gestion des intercultures et le travail du sol.
Les cultures concernées
Céréales à paille : elles sont cultivées par 563 agriculteurs qui sont situés principalement dans le nord-ouest (248 réponses), dans le nord-est (143) et dans le sud-ouest (126). La surface moyenne cultivée en céréales est de 71,5 ha.
Colza : 574 agriculteurs répondants produisent du colza.
La zone nord-ouest est ainsi la plus représentée avec 265 agriculteurs, suivie par le nord-est avec 157. Le sud-ouest compte 103 agriculteurs et le sud-est seulement 44. Les régions majoritairement représentées sont : Centre, Bourgogne, Poitou-Charentes, Pays de la Loire, Champagne-Ardenne et Picardie. La surface moyenne cultivée en colza par exploitation, toutes zones confondues, est de 71 ha.
Maïs : 286 producteurs répondants produisent du maïs dont 201 agriculteurs situés dans la moitié ouest de la France.
Les régions les plus représentées sont : Centre, Midi-Pyrénées, Pays de la Loire, Poitou-Charentes et Rhône-Alpes.
Dans l'ensemble, la surface moyenne cultivée en maïs est de 30 ha, avec très peu de variations entre les zones géographiques.
Betterave : parmi les répondants, 78 agriculteurs produisent cette culture. Ceux-ci sont situés majoritairement en Champagne-Ardenne et en Picardie. Les répondants ont en moyenne 16,3 ha de betterave.
Tournesol : les 279 agriculteurs ayant répondu sont situés principalement dans le sud-ouest avec 113 réponses, et le nord-ouest avec 83 réponses. La surface moyenne cultivée en tournesol est de 29,2 ha.
Les dégâts de limaces perçus par les agriculteurs enquêtés
Les attaques de limaces ont différents impacts sur les cultures, d'une simple attaque sans perte de rendement à des destructions de plantes nécessitant le resemis d'une partie ou de la totalité de la parcelle concernée.
Dans l'enquête réalisée, les niveaux de resemis sont plus ou moins importants selon les cultures : les betteraves ne sont que peu impactées alors que le colza est très fortement touché (voir tableau ci-dessus).
L'enquête indique également que plus de 80 % des parcelles de colza présentent des dégâts de limaces. Ces surfaces sont aussi bien des surfaces protégées par des traitements molluscicides que des surfaces non traitées. Plus de 90 % en colza sont traités en 2013 et seulement 16 % des parcelles de betterave.
Pour l'analyse de l'enquête, en raison des différents types d'attaque de limaces, un indice de risque/dégâts regroupant les informations à l'échelle de chaque culture des exploitations a été créé.
Cet indicateur de dégât a été calculé en tenant compte d'une part du pourcentage de surfaces attaquées (avec et sans traitement molluscicide) et du pourcentage de surfaces ressemées. Il s'établit sur une échelle de 0 à 10, 10 étant la valeur où le dégât est le plus important.
Hiérarchie entre les cultures
Cet indicateur de risque montre que le colza est la culture la plus concernée par les attaques de limaces. Le tournesol et les céréales à paille sont dans une situation intermédiaire. Le maïs et la betterave sont moins concernés.
Ce phénomène se retrouve logiquement dans l'analyse de l'usage des molluscicides par les exploitations. Les répondants à l'enquête signalent en effet des taux de traitements nettement plus élevés pour le colza et le tournesol que pour les autres cultures (voir Figure 3).
Il faut cependant noter que des dégâts plus élevés sur maïs ont été constatés dans la région du sud-ouest.
Par ailleurs, les dégâts les plus faibles sont sur céréales à paille dans le sud-est.
Cette enquête confirme et surtout mesure des phénomènes empiriquement connus dans le milieu agricole. Des expérimentations réalisées en parallèle apportent, elles aussi, des enseignements. Elles sont évoquées dans l'article suivant.
Fig. 1 : Cycle de vie des limaces en culture de colza
Exemple de la campagne 1995-1996 à Cesseins (Ain) septembre 1995 à juillet 1996. Évolution du poids individuel des limaces en mg.
Fig. 2 : L'enquête Resolim 2014 sur la nuisibilité des limaces
À gauche, carte de répartition des différentes zones géographiques de l'enquête. À droite, localisation des 782 agriculteurs du réseau Terres Inovia (ex-Cetiom) ayant répondu au questionnaire.