Deroceras reticulatum sur blé. Les cultures d'hiver (céréales d'hiver) semblent favoriser les populations de limaces davantage que les cultures de printemps. Photo : A. Chabert
Deroceras reticulatum. Même si ses dégâts les plus photogéniques sont les grignotages de feuille (photo ci-dessus), les attaques des systèmes racinaires comptent aussi, et la présence de débris de céréales favorise les populations. Photo : A. Chabert
Deroceras reticulatum. Même si ses dégâts les plus photogéniques sont les grignotages de feuille, les attaques des systèmes racinaires comptent aussi, et la présence de débris de céréales (photo ci-dessus) favorise les populations. Photo : A. Chabert
Dans cet article, nous avons regroupé des données issues de la littérature scientifique et des travaux d'expérimentation au champ pour comprendre comment le choix de cultures et les techniques de travail du sol peuvent influencer le développement des limaces et les dégâts qu'elles occasionnent sur les cultures.
Des essais aux champs
Le projet Casdar Resolim 2013-2015 traite de l'évaluation du risque lié aux populations de limaces nuisibles aux grandes cultures. Ce projet a conduit à la mise en place d'un réseau de parcelles permettant de comprendre l'impact des pratiques agricoles et des facteurs environnementaux sur les populations de limaces et les dégâts sur cultures.
Il fait suite à un projet de recherche de 1995 à 1997, conduit par l'Acta, qui grâce à un suivi de 43 parcelles et la réalisation de 640 piégeages a permis de mettre au point un premier modèle de prévision du risque limaces. Le projet Resolim, dont l'ambition est d'améliorer ces modèles, a permis de suivre plus de 82 parcelles avec un total de 843 piégeages (Figure 1, carte des parcelles d'essais des projets Resolim et Acta).
Type de végétation et populations de limaces
Résultats Resolim : effet de la culture en place
L'analyse des données du projet Resolim indique que les effectifs de limaces sont équivalents dans les blés et dans le colza et moindre dans le maïs. Les effectifs moyens de limaces capturées varient entre 1,1 à 3 limaces par piège (Figure 2).
Résultats BSV : effet du précédent cultural
Dans les suivis de pièges de limaces effectués dans le cadre du BSV, les captures de limaces grises dans les parcelles de blé à l'automne sont nettement plus importantes si les précédents sont des cultures d'hiver. Les effectifs sont nettement plus faibles après des cultures de printemps (Figure 3).
Il est à remarquer que les effectifs de capture varient dans la même gamme que dans le cas du réseau Resolim (de 0,6 à 2,8 limaces par piège).
Certaines cultures d'hiver favorisent les populations de limaces
Ainsi, les données issues du réseau de parcelles Resolim et celles observées dans le cadre de la rédaction du BSV fournissent des tendances similaires en termes de présence des populations de limaces dans les différentes cultures.
Dans ces deux cas, il semble que la végétation des cultures de printemps soit moins favorable au développement des limaces du fait de leur moindre capacité à couvrir le sol, de la moindre appétence des plantes développées et de l'assèchement du sol en profondeur durant la période estivale.
À ces phénomènes s'ajoute le fait que les préparations de sol automnales et hivernales avant les cultures de printemps perturbent le développement des populations de limaces pendant toute la période d'interculture. Cet effet serait d'autant plus marqué lorsque la végétation due aux adventices ou aux intercultures n'est pas trop développée pendant cette période.
En effet, en plus de l'alimentation, les limaces peuvent, si le sol est sec, récupérer de l'eau à partir de la rosée se déposant sur la végétation les nuits propices à ce phénomène.
Dans ces différents essais, des effectifs de limaces plus faibles ont été enregistrés dans les cultures de colza suivant des céréales que dans les parcelles de blé ayant un précédent colza. Néanmoins, du fait de la sensibilité de la culture de colza, les dégâts sont généralement plus importants qu'en culture de blé.
Type de végétation et dégâts occasionnés
Essai Resolim : à populations égales, les dégâts diffèrent selon la culture
En 2013, dans le cadre du projet Resolim, un essai spécifique a été réalisé pour étudier la sensibilité des différentes cultures aux attaques de limaces.
Dans cet essai, des limaces ont été introduites dans des cages quinze jours après les semis des différentes cultures (3-4 feuilles des plantes), en nombre égal pour chaque culture (25 limaces par cage). Les dégâts occasionnés ont été suivis pendant trois semaines (voir Figure 4, photo à gauche).
D'après l'essai mené, les espèces les plus appétentes sont le colza et le trèfle (voir Figure 4). La phacélie est également détruite par les limaces.
Le stade de la plante compte aussi
Dans d'autres expérimentations réalisées où les limaces ont attaqué la phacélie à un stade plus développé que 3-4 feuilles, cette espèce n'a pas été détruite aussi facilement par les limaces. Dans l'essai Figure 4, seule la moutarde blanche n'a été que très peu attaquée par les limaces.
Confirmation en Suisse
Des travaux suisses récents (Werner Jossi 2015) ont confirmé ces tendances.
Pour déterminer quelle était l'influence de l'espèce végétale sur la multiplication des limaces, ils ont complété les observations de dégâts par l'évaluation du taux d'éclosion des oeufs pondus par les limaces sur douze espèces végétales différentes.
Le colza est la plante pour laquelle a été constaté le plus grand nombre d'éclosions, avec plus de 400 limaces écloses à partir des 25 limaces initialement introduites par pot. La féverole commune, le tournesol et les pois cultivés ont permis l'éclosion en moyenne de 240 à 280 limaces. La vesce velue suit avec 200 éclosions, toujours pour 25 limaces introduites.
Pour les sept autres plantes testées, le taux d'éclosion était inférieur à 150 individus par pot. Les niveaux les plus bas enregistrés, de l'ordre de 70 à 80 individus, ont été observés pour le sarrasin, l'avoine rude et le lin cultivé.
À noter que deux plantes du même genre (la vesce commune et la vesce velue) peuvent avoir des effets très différents : la première permet en moyenne deux fois plus de pontes que la seconde. La Figure 5 récapitule ces résultats.
Ces tests de fécondité ont montré que les limaces grises pouvaient se nourrir de toutes les plantes et se multiplier. Néanmoins, les taux d'éclosion avec les espèces les moins appétentes étaient nettement plus bas qu'avec les plantes les plus consommées, comme le colza. Ainsi, la mise en place d'engrais vert le moins appétant possible pourrait permettre de réduire le risque de développement des populations de limaces.
Les auteurs indiquent également qu'il est également possible de semer des engrais verts sous forme de mélange ayant un effet défavorable vis-à-vis des limaces, du type vesce commune, phacélie, moutarde blanche, avoine, sarrasin et lin cultivé.
En conclusion, le Tableau 1 reprend les connaissances actuelles sur le type de végétation, allant des plus favorables au moins favorables au développement des populations de limaces.
En complément de ce tableau, les enquêtes menées auprès d'agriculteurs indiquent que, sur sol nu présentant des repousses de cultures, les dégâts rencontrés sur la culture suivante tendent à augmenter. En effet, comme une végétation implantée, les repousses peuvent offrir aux limaces un abri et une alimentation.
Type de travail du sol
Synthèse de vingt-cinq essais analytiques de trois pays
Le travail du sol est une pratique qui influence fortement les populations de limaces. Avec le développement de nouvelles techniques de travail du sol (voire de gestion du sol en « non-travail »), il est intéressant de synthétiser les connaissances actuelles à ce sujet.
Trois techniques sont présentées ici : labour (retournement du sol), semis direct (travail peu profond juste sur la ligne de semis) et déchaumage (travail mécanique effectué après la récolte, sans retournement avec dents ou disques).
Dans la littérature scientifique, nous avons recensé 25 essais de type « analytique » concernant les effets du travail du sol sur les limaces. Ces essais conduits entre 1994 et 2004 ont été réalisés en Angleterre (4), en Allemagne (8) et en France (13).
Les observations effectuées concernent les dégâts et/ou piégeages de limaces et sont en général faites juste après l'intervention mécanique ou durant le mois suivant.
Nous avons analysé ces études en calculant pour chaque essai, selon les techniques comparées, soit le ratio semis direct/labour, soit le ratio semis direct/travail superficiel.
Résultats : davantage de populations en parcelles sans labour
Il apparaît, en moyenne sur l'ensemble des études, que les populations de limaces sont cinq fois plus importantes en semis direct qu'en labour, et trois fois plus importantes en semis direct qu'en travail superficiel.
Par ailleurs, la dispersion des résultats obtenus est nettement plus élevée dans le cas du ratio semis direct/labour.
À la suite de l'analyse des données, on observe que l'impact du labour varie selon le cas étudié. L'ampleur de la réduction des populations à la suite de cette pratique dépend certainement du type de sol et de son état hydrique sans que cela soit encore clairement établi.
En effet, les études à ce sujet sont peu nombreuses du fait de la difficulté à les réaliser, les populations de limaces n'étant pas toujours suffisantes et homogènes aux endroits choisis pour mettre en place ce type d'expérimentation.
Pour compléter les données issues de la littérature scientifique, les parcelles d'essai de Resolim, du réseau BSV et les enquêtes auprès des agriculteurs ont été analysées pour constater l'effet des pratiques de travail du sol (labour, semis direct et déchaumage) sur les populations de limaces et les dégâts des cultures.
Labour et semis direct comparés en conditions de pratique agricole
L'indicateur de risque calculé à partir des données issues de l'enquête menée auprès d'agriculteurs de Resolim est significativement plus faible sur les parcelles labourées, comparées à celles sans labour (travail réduit, non-labour). Cet impact est accentué pour les cultures de printemps. En effet, pour ces cultures, le labour est souvent réalisé juste avant ou durant la période hivernale, ce qui permet de détruire directement les limaces présentes, réduire ainsi la période de ponte et détruire certainement une quantité importante d'oeufs.
Les données issues des observations du BSV (Figure 6) et de l'enquête auprès des agriculteurs indiquent une présence de limaces supérieure en absence de labour.
Les analyses des réseaux de parcelles (Resolim et BSV) mettent également en évidence que le semis direct, comparé aux autres pratiques de travail du sol, favorise les populations de limaces (Figure 7). Il en est de même pour leurs dégâts.
En effet, le sol n'étant jamais travaillé, la macroporosité peut augmenter le nombre de cavités permettant le refuge diurne des limaces et l'accès aux semences. Il est également probable que cette technique soit associée à des intercultures riches en végétation (repousses ou cipan).
Des différences entre techniques moins nettes qu'en essai analytique
Toutefois, la différence de limaces capturées entre parcelles sur les réseaux est de l'ordre de 30 %, un chiffre plus bas que dans les études scientifiques (essais analytiques).
Les informations enregistrées ne signalent pas si la parcelle est labourée ou non et en semis direct ou non avant la culture à risque. En général, aucun renseignement n'est donné sur la date du labour, sa profondeur et l'état du sol lors de l'opération.
Si les labours peuvent avoir des impacts très variables selon les conditions de leur réalisation (période et climatiques), les données issues de ces réseaux indiquent assez clairement que, dans la pratique, l'ampleur du phénomène à moyen terme est nettement plus faible.
En effet, dans les expérimentations analytiques, les effets du semis direct comparé au labour, d'un niveau nettement supérieur, sont en général constatés dans un délai très court après le semis. Cette diminution de l'ampleur de l'impact détecté entre les essais et les réseaux d'observation peut certainement s'expliquer par la résurgence de limaces ayant survécu au travail du sol ou par l'éclosion de jeunes limaces.
Impact sur les dégâts
L'analyse des données de Resolim met en évidence que, pour une même population de limaces, les parcelles non labourées présentaient plus de dégâts (Tableau 2).
Dans ces conditions, du fait de la finesse des préparations de sol, il est probable que les limaces aient un accès plus facile aux graines ou aux jeunes plantes que dans les parcelles labourées.
Autres facteurs
Le déchaumage
De nombreuses données scientifiques et techniques relatent que le déchaumage, comme le labour, permet de réduire les risques liés aux limaces. En plus de l'action mécanique directe, la destruction de l'habitat des limaces perturbant leur alimentation et leur déplacement, il permet de réduire le nombre d'oeufs en les exposant aux aléas climatiques dans les premiers centimètres du sol (assèchement superficiel). Cet effet dépend grandement du type de sol ainsi que la présence ou non d'éléments grossiers, mais aussi de son état hydrique.
Comme dans le cas du labour, les données des essais expérimentaux font état d'un effet d'une plus grande ampleur que ceux qui ont été obtenus à la suite de l'analyse des réseaux d'observation de Resolim et du BSV.
Le type de sol
Ces deux réseaux d'observations montrent également que les sols ayant une forte teneur en argile et caillouteux favorisent l'expression de dégâts de limaces. Dans ces conditions, l'accès aux semences pour les limaces est certainement facilité par la macroporosité ou la fissuration du sol. Par contre, les sols limoneux sont régulièrement très infestés par les limaces. Les cultures dans ces sols, pour un même niveau de piégeage que dans le cas des sols argileux, supportent mieux les populations élevées de limaces. De par la nature de ces sols, l'accès aux semences et aux jeunes plantules doit être moins facile.
Conclusion
Plantes de service : une piste prometteuse... à défricher
D'une manière générale, l'usage des plantes de service est un défi majeur des prochaines années. Leur effet bénéfique principal vis-à-vis des limaces pourrait s'envisager en installant durant l'interculture des plantes peu favorables à ce ravageur.
Par exemple, les différentes espèces et variétés de moutarde font l'objet d'étude à ce sujet en vue de leur emploi en plantes d'interculture ou pour biofumigation.
Pour la période des semis, des mesures d'évitement peuvent être envisagées. Les limaces pourraient consommer préférentiellement des plantes plus appétentes que la culture semée. Ces plantes de service seraient installées en amont des semis sous forme de couverts ou encore au moment des semis en association avec la culture.
Concernant les cultures, certaines variétés de blé, maïs ou colza ont des sensibilités différentes aux attaques de limaces.
Ces sujets ont fait l'objet de premières expérimentations qui ont prouvé leur pertinence dans la maîtrise des limaces. Néanmoins, ce ne sont pas encore de solutions clé en main. Les mécanismes liés à l'écologie chimique des relations limaces/plantes sont encore peu connus. Pourquoi une limace préfère-t-elle une plante à une autre ? Quelles sont les conséquences de la consommation de telle ou telle plante pour le développement des différents traits de vie des limaces ? Quelles sont les espèces ou les variétés de cultures et d'intercultures les plus adaptées au contexte local de production et pour la maîtrise des populations de limaces ? De nombreuses références sur ces différents thèmes sont encore manquantes.
Façons culturales
Les façons culturales post-récolte sont reconnues comme pouvant réduire les populations de limaces, celles réalisées juste avant le semis le sont également. De plus, ces dernières peuvent être également considérées comme des mesures d'évitement en réduisant l'activité des limaces pendant une période, certes assez courte, qui peut couvrir une partie de la phase de la sensibilité des cultures. Cet effet sera d'autant plus marqué que les semis se développeront rapidement.
Croiser les effets des pratiques et ceux du climat
Selon les conditions climatiques, les impacts de telle ou telle pratique peuvent être très différents. En effet, le climat joue d'une manière importante sur le niveau de population initiale, sur la présence ou non des limaces dans la partie supérieure du sol, sur la vitesse de résurgence des jeunes limaces, sur leur activité, mais aussi sur le développement des semis et sur la durée de la période de sensibilité.
Des progrès sont certainement possibles en réalisant de nouvelles analyses des données obtenues dans le cadre des projets en cours : si l'on arrive à décrire et à quantifier au mieux l'effet des pratiques sur les différentes phases de développement des limaces selon les conditions climatiques, il sera certainement possible de faciliter le conseil concernant les mesures optimales à prendre, telles que les mesures prophylactiques, d'évitements et les méthodes de lutte classique ou de biocontrôle.
Plus largement, l'écologie chimique ouvre un vaste champ de recherche en vue de la gestion des limaces en grandes cultures et en cultures légumières. Des innovations sont en cours d'élaboration sur ce thème pour mieux appréhender les relations plantes/limaces, ou encore la prédation par les carabes.
De proche en proche, nous cernons plus précisément l'effet des pratiques agricoles et la modélisation du développement des limaces. C'est l'ensemble de ces leviers que l'on se doit d'assembler pour gérer au mieux ce ravageur si particulier.
Fig. 1 : Situation des deux réseaux
Parcelles d'essais suivies dans le cadre du projet Casdar Resolim (2012-2015) et Acta (1995-1997).
Fig. 2 : Les populations de limaces face à la culture en place
Piégeages (moyen et maximum) de limaces grises (Deroceras reticulatum) dans l'ensemble des parcelles d'essais du Casdar Resolim (2012-2015) sous blé, colza et maïs.
Fig. 3 : Effet du précédent cultural sur les populations de limaces
Piégeage moyen de limaces grises sur blé de 2008 à mi-2015 suivant différentes cultures précédentes (2 500 données) - Réseau BSV.
Fig. 4 : Sensibilité de la culture (ou du couvert) en place vis-à-vis des dégâts de limace
Essai de sensibilité des différentes espèces végétales (colza, trèfle, blé, phacélie et moutarde) aux attaques de limaces de 2 à 21 jours après apport de limaces (essai Resolim 2013, apport de 25 limaces par cage).
Fig. 5 : Effet du végétal consommé sur la fécondité des limaces
Nombre de limaces écloses par pot avec écart-type (barres) ainsi que surface foliaire dévorée sur les plantes testées après 30 jours (points rouges). Moyenne des essais 2013 et 2014 avec chacun trois répétitions (*relevés annuels uniquement).
Source : Werner Jossi, Raphaël Wittwer et Marcel van der Heijden, Agroscope, Institut des sciences en durabilité agronomique IDU, 8046 Zurich, Suisse.
Fig. 6 : Labour et populations de limaces
Données BSV 2008 à mi-2015 (2 500 données) : effet, sur les populations de limaces grises sur blé, du labour comparé aux autres techniques.