Les produits durent plus longtemps que les entreprises qui les ont lancés, dans des domaines imprévus au départ. C'est le cas du fludioxonil, à l'origine fongicide de traitement de semences de Ciba, devenu un multi-usage chez Syngenta.
Rappel général
De la carie du blé au mildiou de la vigne
Un proverbe africain rappelle qu'il faut savoir d'où l'on vient pour savoir où l'on va. Ce bon sens s'applique bien évidemment à la protection des cultures. Alors, d'où vient-on ?
Les prémices de la protection fongicide remontent à Tillet. C'est lui qui identifia la carie du blé comme une affection qui rendait le grain impropre à la consommation. L'eau de chaux s'avéra une solution acceptable pour réduire cette maladie végétale.
Encore, d'où vient-on ? Le régisseur du château Beaucaillou, dans le Bordelais, faisait asperger de sulfate de cuivre les rangs de vigne le long des chemins pour dissuader les « grappilleurs » (le « bleu » gâtant les habits de ceux qui oseraient se faufiler entre les ceps). En octobre 1882, un chercheur nommé Alexis Millardet remarqua que les rangs badigeonnés de sulfate étaient protégés du mildiou. Quelques expérimentations plus tard, soit début 1885, la bouillie bordelaise était née(1).
Un foisonnement en désordre
Aujourd'hui largement mis en cause, ces produits ont, au départ, été découverts par les agriculteurs eux-mêmes. L'industrie a surtout contribué à améliorer les connaissances acquises au fur et à mesure des épidémies cryptogamiques.
La science, la chimie et l'industrie n'ont finalement fait que répondre aux besoins des agriculteurs qui souffraient de voir leurs productions mises en péril par diverses maladies : mildious, caries, tavelures, rouilles... Tous ces noms issus du peuple sont autant de désespoirs face aux angoisses, chaque année réitérées, des paysans.
Il s'ensuivit une période confuse durant laquelle chaque pharmacien, chaque chimiste proposait sa solution. Mais celle-ci était souvent à base de produits dont la toxicité était peu ou non évaluée.
La réglementation entre en scène
Face à la généralisation de ces solutions plus ou moins éprouvées, les autorités commencèrent à chercher à réglementer la mise en marché des produits.
Une loi fut mise en projet durant les années 1930 et finit par être adoptée en 1943. Son objet était de contrôler les substances autorisées en protection des cultures, dont les fongicides.
Ce cadre a, depuis lors, été sans cesse réactualisé. D'abord à l'échelle franco-française avec une série de textes se référant à la loi d'homologation.
À partir de 1991, date de publication de la directive 91/414, le cadre est devenu européen. Il est désormais régi par le règlement 1107/2009 de 2009. Ainsi, la protection fongicide (et phytosanitaire en général) est strictement encadrée en France. Le grand public l'ignore, mais les exigences sont très supérieures à celles touchant des molécules évaluées dans le cadre de la directive européenne Reach !
Le fludioxonil, du traitement des semences à la lutte antibotrytis
Protection des semences : recherche d'une alternative au quinoléate
De longue date, les sociétés historiques de Syngenta (celles qui ont fusionné pour constituer le groupe actuel) ont contribué à la protection des semences. La société La Quinoléine en faisait partie. C'est elle qui a développé l'oxyquinoléate de cuivre.
Durant de longues années, cette molécule a constitué la protection de base des semences de blé, orge, et autres céréales. Elle était considérée comme la référence incontournable en la matière. Les nouvelles normes d'homologation ont conduit à s'interroger sur son avenir.
La découverte du fludioxonil, il y a maintenant trente ans, a offert une alternative unique à l'oxyquinoléate. À ce jour, le fludioxonil célèbre ses 30 ans sous le signe de l'efficacité.
Arrivée sur vigne
Mais cette molécule est, également, active contre le botrytis, en particulier sur la vigne. Ciba (acquéreur de La Quinoléine en 1992) a obtenu en avril 1995(2) l'homologation sur vigne d'un produit à base de fludioxonil.
La matière active, vingt ans après cette homologation, reste efficace pour contrôler la pourriture grise causée par Botrytis cinerea. Vingt ans, pour une molécule largement utilisée, c'est un bel âge.
La mise au point, l'autorisation de mise en marché est un travail de longue haleine, et dès lors la pérennité d'une substance active est un enjeu majeur pour les entreprises agro-pharmaceutiques.
Aboutissement d'un long parcours
La molécule est inspirée d'un composé naturel, la pyrrolnitrine synthétisée par la bactérie Pseudomonas pyrocinia.
« Le parcours pour aboutir au fludioxonil a été long et il aura fallu de la persévérance et de la curiosité pour poursuivre les études et la recherche de molécules plus efficaces. » (Klaus Gehmann comm. pers). Les premiers essais sur vigne réalisés en 1985 et 1986 ont révélé une bonne efficacité à une dose de 500-750 g de matière active par hectare. Ces résultats ont conduit la société Ciba-Geigy, à l'époque, à développer le fludioxonil en usage foliaire et en traitement de semences.
Un atout... à ménager d'entrée
Cette substance appartenait à une nouvelle famille chimique avec un nouveau mode d'action par rapport aux fongicides antibotrytis commercialisés à l'époque.
Il ne présentait, en effet, pas de résistance croisée avec les benzimidazoles et les dicarboximides, les deux familles d'antibotrytis alors disponibles. Il apparaissait donc comme un nouvel outil dans la gestion des résistances existantes.
Ceci étant dit, la résistance reste une menace pour tout fongicide. Dans ce contexte, l'omission de mesures adaptées pour limiter son apparition serait irresponsable.
Concernant cette substance active, dès sa mise en marché, il a été décidé de limiter le nombre d'applications par saison, de recourir à une dose efficace pour l'utilisation en solo de la molécule (Geoxe) et, en complément, d'associer le fludioxonil à un partenaire à mode d'action différent et lui aussi inédit à l'époque, à savoir le cyprodinil (Switch).
Un développement mondial
Depuis son lancement, le fludioxonil a connu un développement mondial avec des applications en protection de semences et en végétation à la fois en agriculture mais aussi dans le domaine des espaces verts.
À ce jour, la France est le deuxième marché du fludioxonil dans le monde, et la vigne occupe une place de choix avec plus d'un tiers des applications.
Son efficacité confirmée au fil des années et sa robustesse face aux résistances permet encore aujourd'hui au fludioxonil de poursuivre son développement et reste une référence dans la lutte contre Botrytis cinerea.
Contrer le botrytis de la vigne
Une palette de moyens
De longue date, le botrytis est une affection redoutée des viticulteurs. Provoquant la casse des vins, ce champignon profite des blessures, en particulier celles dues aux tordeuses de la grappe, pour investir les grains. Il altère les arômes des vins.
Il existe divers stratagèmes pour limiter son effet. La variété des outils mis à la disposition des viticulteurs est une condition essentielle à la maîtrise de ce pathogène. Dans cette panoplie, la protection fongicide a, bien évidemment, toute sa part.
Dans ce cadre, depuis vingt ans, année après année, le fludioxonil affiche toujours un bon niveau d'efficacité. Ceci se vérifie dans les différentes régions viticoles de France métropolitaine et dans les vignobles étrangers, notamment en Italie, Espagne et Allemagne.
Résultats récents sur le fludioxonil
Une trentaine d'essais grandeur nature, conduits de 2012 à 2015 dans les différentes régions viticoles de France, confirment les performances de Switch dans un programme à deux applications. Comparé à un témoin non traité, le programme montre une efficacité moyenne de 70,5 % et un gain moyen de rendement de 7 hl/hectare.
De plus, dans seize de ces essais, des analyses ont permis d'observer une diminution de 78 % des teneurs en géosmine. Cette substance est à l'origine des goûts moisis-terreux dans le vin, un défaut que les pratiques de vinification peinent à corriger.
La robustesse à la résistance
Pourquoi c'est important
C'est une composante indispensable au raisonnement de la protection des cultures, qu'elle intègre des solutions conventionnelles et/ou de biocontrôle : quels sont les risques d'apparition de résistance, quelle stratégie de mise en oeuvre des solutions disponibles permet de retarder l'apparition de souches résistantes et leur progression dans les populations des pathogènes. Or, la réduction drastique du nombre de modes d'action disponibles pour les agriculteurs rend cet objectif de plus en plus difficilement atteignable.
Le botrytis n'échappe pas à cette règle, il est même largement réputé pour sa faculté à développer des résistances rapidemment. Les vins français qui, au jour le jour, se battent contre les vins d'autres vignobles mondiaux (Californie, Argentine, Afrique du Sud, Australie...) ne se battent plus à armes égales.
Il est économiquement indispensable de maintenir le plus longtemps possible les solutions disponibles.
Situation actuelle : résistances spécifiques et MDR (multidrug resistances)
Contre ce parasite, largement répandu sur de nombreuses cultures, il s'agit particulièrement de gérer les risques d'apparition et d'invasion de souches résistantes. Dans ce cadre, la protection contre Botrytis cinerea repose sur le déploiement dans l'espace et dans le temps de matières actives présentant une large diversité de modes d'action : action sur la respiration, sur la biosynthèse des stérols, sur la signalisation osmotique ou encore sur les microtubules.
Au fil des ans, toutes ces matières actives unisites ont vu se développer plus ou moins rapidement des phénomènes de résistance spécifiques, à l'exception du fluazinam et du fludioxonil.
Par ailleurs, trois types de résistances multidrogues, (MDR) ont été sélectionnés au vignoble. Ils se distinguent par leur profil de résistance croisée aux différents antibotrytis. Les MDR1 et MDR3 montrent au laboratoire des niveaux de résistance plus importants au fludioxonil et aux anilinopyrimidines (Kretschmer et al., 2009, Leroux and Walker 2012). Au vignoble, leurs niveaux sont stables (5 à 20 %) et elles n'ont pas d'incidence significative sur l'efficacité pratique des produits.
Comment adapter sa stratégie fongicide
Pour mettre en oeuvre une stratégie antirésistance, les techniciens et les producteurs doivent s'interroger sur plusieurs points : la résistance est-elle détectée ? S'agit-il d'une résistance spécifique ou multidrogue ? Quelle est sa fréquence dans les populations ? Quels sont les niveaux de résistance ?
Les réponses apportées par les monitorings dans les diverses régions viticoles et les caractérisations de souches en laboratoire permettent alors de mettre en oeuvre une stratégie appropriée pour chaque matière active, contribuant à maintenir l'efficacité dans les programmes.
Les stratégies de protection des vignobles contre le botrytis passent, comme pour tous les bioagresseurs, par une combinaison réfléchie de différents outils de protection. Cela inclut les méthodes prophylactiques et, là où cela est possible, le choix de cépages moins sensibles, la gestion raisonnée de la fumure, l'aération de grappes, l'utilisation des outils d'aide à la décision, l'alternance ou l'association de substances actives sans résistance croisée. La mise en oeuvre de ces stratégies est la meilleure recette pour maintenir les outils disponibles et assurer une protection durable de la vigne.
Le cas de la Champagne
Les vignobles tels que celui de Champagne mettent en oeuvre des stratégies de gestion des résistances. En Champagne, la pourriture grise est la principale maladie qui affecte le vignoble. Elle occasionne fréquemment 5 à 10 % de perte de récolte. C'est aussi le premier facteur de non-qualité des vins.
Le développement de la résistance à certains antibotrytis, avec pour effet une efficacité partielle et variable des programmes, a conduit très tôt les professionnels du vignoble à mettre en place des recommandations dans la lutte contre la pourriture grise afin de préserver l'efficacité des produits.
La Champagne a mis en place un important réseau qui nous renseigne à la fois sur l'efficacité des programmes et sur l'évolution des résistances.
Les recommandations ont été, dès 1994, de mettre en oeuvre au préalable toutes les mesures prophylactiques pour limiter la sensibilité des parcelles et de ne traiter que les parcelles sensibles.
Depuis 2006-2007, le conseil est de réaliser un ou deux traitements spécifiques en privilégiant les stades de traitements les plus importants, c'est-à-dire les stades précoces car la lutte contre la pourriture grise est une lutte préventive.
Dans ce vignoble, le CIVC (Comité interprofessionnel des vins de Champagne) conseille donc, pour maintenir l'efficacité des programmes fongicides, de privilégier les produits les plus efficaces à la fin floraison et les produits moins efficaces aux stades plus tardifs.
Sur le plan de la gestion des molécules disponibles, dès 2008, il a été recommandé une restriction pluriannuelle d'utilisation de certaines familles chimiques confrontées à la résistance spécifique (anilinopyrimidines, hydroxyanilides et SDHI). Cette disposition permet encore aujourd'hui de maintenir, à un niveau limité, ces solutions dans les programmes.
En parallèle, une augmentation du recours aux solutions antibotrytis non concernées par les résistances spécifiques et utilisables tous les ans (fludioxonil, fluazinam) a été observée.
Pour l'instant, l'adhésion des professionnels champenois à ces recommandations permet de maintenir l'efficacité des programmes antibotrytis.
(1) Bain C., Bernard J.-L. et Fougeroux A., 2010, Histoire de la protection des cultures - de 1850 à nos jours (voir p. 76), Éditions Champ Libre. (2) Voir Phytoma n° 473, juin 1995, p. 47.