La lutte biologique à l'aide d'auxiliaires est largement utilisée pour combattre les ravageurs, mais pas encore les mauvaises herbes. Cela peut-il changer ? La question se pose vis-à-vis de l'ambroisie à feuilles d'armoise.
Pourquoi s'intéresser à la relation Ophraella/ambroisie
Entre réduction des produits phyto et gestion de l'ambroisie
La France s'est engagée depuis 2008 dans un plan de réduction de l'usage des produits phytopharmaceutiques à travers les plans Écophyto 1 et 2.
Mais, parallèlement, le troisième plan national santé environnement définit quatre grandes catégories d'enjeux, dont celui des problèmes de santé posés par les pathologies en lien avec l'environnement. Ces enjeux se déclinent en plusieurs actions concernant plus précisément l'exposition à l'ambroisie et la surveillance de son expansion, ou la gestion des risques sanitaires impliquant la flore sauvage.
La recherche d'alternatives à l'usage d'herbicides pour lutter contre les plantes envahissantes comme l'ambroisie se tourne notamment vers les agents de lutte biologique tels que les insectes.
Si l'utilisation d'insectes entomophages en lutte biologique est relativement classique pour combattre des ravageurs de plantes cultivées, l'usage d'insectes phytophages pour lutter contre des plantes envahissantes est beaucoup plus rare en France.
Face à l'ambroisie, de nouvelles méthodes à trouver
Le développement d'espèces végétales exotiques envahissantes (EEE) pose différents problèmes de gestion, notamment dans des milieux souvent rendus fragiles par les activités humaines. Les opérations de gestion classique sont souvent remises en cause du fait des coûts engagés, des impacts environnementaux et d'une faible efficacité à court et moyen termes.
Par conséquent, de nouvelles méthodes doivent aujourd'hui être développées afin de limiter les effets négatifs de ces organismes envahissants (Crosaz et al., 2011 ; Martin et al., 2015).
Dans les milieux cultivés, la gestion de nouvelles espèces adventices ne se traduit pas toujours par la mise au point de méthodes de lutte particulières. Toutefois, dans certains cas (Datura stramonium, la stramoine commune ; Ambrosia artemisiifolia, l'ambroisie à feuilles d'armoise), les caractéristiques propres de ces espèces (date de germination, vitesse de développement, proximité botanique avec la culture...) sont telles que l'agriculteur, malgré une gamme d'outils importante, peut se trouver en situation d'échec. C'est le cas face au développement de fortes populations d'ambroisie pendant une culture de tournesol.
De même, pour les autres gestionnaires de milieux (linéaires routiers, milieux urbains, bords de rivières...), l'efficacité des pratiques de gestion classiques peut être très diminuée par la capacité de l'EEE-cible à s'adapter ou à être tolérante à la pratique majoritaire utilisée. Autre cas souvent rencontré, ces pratiques ne peuvent être utilisées pour cause de risques écotoxicologiques ou de coût de mise en oeuvre.
Lutte biologique : des espoirs a priori
Parmi les pratiques pouvant être mobilisées contre les EEE, la lutte biologique présente l'intérêt de pouvoir être potentiellement utilisée dans tous les types d'habitats, et plus particulièrement dans les milieux naturels. De plus, et surtout, elle permet d'envisager une régulation autonome et dans la durée de l'EEE.
Dans le cas de l'ambroisie à feuilles d'armoise (dans la suite du texte, le terme ambroisie désignera spécifiquement A. artemisiifolia), la diffusion de cette espèce annuelle allergisante dans différents milieux (bords de route, berges de rivière, parcelles cultivées) nécessite une lutte coordonnée (Chauvel et Gard, 2010).
Or celle-ci apparaît impossible à mettre en place par les méthodes classiques. L'extension constante de l'ambroisie, malgré les efforts des gestionnaires, en apporte une preuve. Cette situation implique un renforcement et un changement des méthodes actuelles.
Un nouvel insecte... à évaluer
En 2013, le signalement en Europe d'une chrysomèle (Ophraella communa) qui s'attaque à l'ambroisie a peut-être ouvert de nouvelles possibilités de régulation de cette plante.
Les questions qui se posent alors sont d'évaluer l'efficacité de ce coléoptère à réguler les populations d'ambroisie en France et les risques encourus par les cultures, les milieux naturels et les populations si cet insecte venait à entrer en France ou à être utilisé comme agent de lutte.
La perspective d'utilisation d'un agent de lutte biologique suscite des interrogations quant aux études de faisabilité, d'efficacité et d'innocuité à développer au préalable (Anses, 2015).
Rappel sur l'ambroisie
Une invasion difficile à arrêter
Introduite dans les années 1860 en France, l'ambroisie semble aujourd'hui capable de s'installer durablement sur l'ensemble du territoire français.
Si les zones d'altitude, avec des gelées précoces, et les zones méditerranéennes, avec des stress hydriques importants au printemps, semblent protégées de la présence de l'ambroisie, la progression vers l'ouest et le nord de la France est continue (Figure 1), plus particulièrement le long des voies d'eau (Loire, Garonne, Rhône).
L'information disponible sur l'ambroisie est importante(1) et accessible quels que soient les milieux touchés. Néanmoins, des zones de plus en plus vastes sont concernées du fait d'un manque de mise en place de pratiques efficaces de prophylaxie (photo 1). Cette situation est en partie liée aux contraintes budgétaires actuelles mais aussi à la persistance d'une forte confiance dans les pratiques classiques de gestion des plantes envahissantes malgré de nombreux échecs.
Du point de vue de la santé publique, le décalage de dix à quinze ans entre la notification de la présence de la plante et l'apparition de symptômes allergiques importants ne facilite pas la mobilisation des services (agences régionales de santé, conseils départementaux) pour la mise en place de mesures précoces et efficaces.
Le futur décret d'application de la loi santé de janvier 2016 (obligation d'action contre les EEE ayant un effet négatif sur les populations humaines) pourrait permettre d'accélérer le déploiement de mesures prophylactiques comme l'utilisation d'agents de lutte biologique.
Découverte d'une chrysomèle
Biologie d'O. communa
Ophraella communa (Lesage, 1986), que l'on pourrait nommer « la chrysomèle de l'ambroisie », est un coléoptère de la famille des Chrysomelidae. Il mesure environ 4 mm de long et 2 mm de large. Le corps, couvert de poils fins, est brun-jaune pâle à brun. Les ailes antérieures, ou élytres, présentent des bandes noires spécifiques, variables selon les individus (Figure 2). C'est notamment le motif de coloration et la pubescence des élytres qui permettent de différencier les adultes de la chrysomèle de l'ambroisie des autres espèces de chrysomèles.
Cet insecte oligophage se nourrit d'un petit nombre de plantes qui appartiennent à une unique famille botanique, celle des Asteraceae. En l'occurrence, O. communa est inféodé à certaines espèces de la tribu des Heliantheae et plus particulièrement à l'ambroisie.
En conditions naturelles, la chrysomèle de l'ambroisie passe l'hiver au stade adulte dans la litière. En Europe, les adultes quittent leurs sites d'hibernation et commencent à se nourrir à partir du mois d'avril. Les oeufs sont pondus en groupes à la surface des feuilles. Les larves, qui passent par trois stades larvaires, s'alimentent des parties les plus tendres des feuilles. Avant la nymphose, elles tissent un cocon qu'elles attachent au bout des feuilles. Les adultes émergent, s'accouplent et une nouvelle génération se développe. La dernière génération d'adultes reste sur les plantes-hôtes jusqu'au début de l'automne (voir photo 2 et fiche de reconnaissance p. 21) puis entrent en hibernation au niveau du sol.
Le nombre de générations par an varie en fonction des conditions climatiques : il peut aller de deux générations au Canada à six dans le sud de la Chine. En Italie, le nombre de générations observé est de quatre (Schaffner, communication personnelle). Les générations se chevauchant, les différents stades de développement de l'insecte peuvent se trouver simultanément sur une même plante. Les adultes présentent des capacités de vol importantes. Les données de la littérature donnent une distance observée de dissémination proche de 80 km par an (Yamamura et al., 2007).
Distribution d'O. communa
La chrysomèle de l'ambroisie est originaire d'Amérique du Nord. Elle est présente au Mexique, aux États-Unis ainsi qu'au Canada (LeSage, 1986 ; voir Figure 3). Au cours des dernières décennies, elle a été signalée dans plusieurs pays d'Asie (au Japon, en Corée du Sud, en Chine et à Taïwan) où elle aurait été introduite accidentellement (Zhou et al., 2011).
La chrysomèle de l'ambroisie a été observée pour la première fois en Europe en 2013 en Suisse (dans le canton du Tessin) et en Italie (dans les régions de Lombardie, Piémont et Émilie-Romagne) (Boriani et al., 2013 ; Müller-Schärer et al., 2014). C'est dans les environs de Milan que les densités les plus importantes ont été trouvées.
Le moyen d'introduction de cet insecte en Europe n'est pas connu avec certitude mais la proximité des aéroports de Milan pourrait laisser penser à une introduction par voie aérienne. L'origine géographique de la population introduite est en cours d'étude grâce à l'utilisation de marqueurs moléculaires.
L'insecte n'a pour le moment jamais été signalé en France (voir Figure 3). Cependant, les observations réalisées en 2014 et 2015 en Italie (Figure 4), indiquent une expansion de la population vers la frontière française.
Une utilisation en lutte biologique ?
Effets visibles sur l'ambroisie et probables sur le taux de pollen
Les observations en Suisse et en Italie ont montré que les dommages apparaissant au début de l'été sur les pieds d'ambroisie sont occasionnés principalement par les larves s'attaquant aux jeunes feuilles (photo 3).
Les effets sur les ambroisies augmentent au cours de la saison, et des générations successives et des dégâts peuvent aussi être observés sur les tiges. La présence de centaines de larves et d'adultes sur une plante peut entraîner sa mort par défoliation complète.
Par ailleurs, il a été montré, au cours des années 2013 et 2014, que la réduction de la concentration de pollen dans l'air observée au niveau de la région de Milan ne pouvait pas s'expliquer uniquement par des variables climatiques (Bonini et al., 2015). Elle pourrait donc être imputable à l'action de régulation d'O. communa sur les populations d'ambroisie qui constituerait par conséquent un agent de lutte biologique à fort potentiel pour lutter contre l'ambroisie en Europe.
Utilisé en Chine, testé au Canada, non retenu en Australie
Dans différents pays, O. communa est par ailleurs déjà utilisé comme agent de lutte biologique contre l'ambroisie, principalement sous la forme de lutte inondative. C'est en Chine (Zhou et al., 2011) qu'ont eu lieu les plus importants lâchers d'insectes pour lutter contre cette plante envahissante et des essais ont également été réalisés au Canada (Teshler et al., 2004).
Il est à noter qu'en Australie, l'introduction d'O. communa en tant qu'agent de lutte biologique a été refusée, en raison de résultats d'études réalisées en laboratoire et montrant que l'insecte, en situation de non choix, a pu compléter son cycle de développement sur tournesol (Palmer et Goeden, 1991).
Ophraella communa, un « organisme auto-stoppeur »
En considérant la vitesse de dispersion de la chrysomèle de l'ambroisie et les dernières localisations de cette espèce à moins de 50 km de la frontière franco-italienne (Schaffner, communication personnelle), l'arrivée de l'insecte en France semble inéluctable.
Le massif alpin constitue une barrière difficilement franchissable pour la dispersion naturelle de l'insecte, mais sa capacité à voyager avec les véhicules (voitures, camions, trains, avions), qui en fait un « organisme auto-stoppeur », rend son arrivée extrêmement probable, éventuellement dès la saison prochaine.
De plus, il existe un continuum d'espèces végétales potentiellement hôtes qui facilitera l'arrivée de la chrysomèle jusqu'à la vallée du Rhône où les populations d'ambroisie, actuellement présentes, lui permettront de s'installer durablement sur une très grande partie du territoire français.
O. communa en France : évaluation des risques
En 2014, l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) s'est autosaisie afin d'évaluer les risques économiques environnementaux et sociaux liés à une telle introduction.
Risques économiques mineurs sur tournesol et topinambour
Les risques économiques seraient susceptibles de concerner deux plantes d'intérêt agronomique qui font partie, au même titre que l'ambroisie, de la tribu botanique des Heliantheae : il s'agit du tournesol et du topinambour.
Les données recueillies révèlent qu'il n'existe pas à ce jour de résultat d'étude montrant que la chrysomèle de l'ambroisie puisse occasionner des dégâts majeurs sur ces deux cultures.
Certes, il n'est pas exclu pour autant de rencontrer sur ces plantes une présence ponctuelle d'insectes adultes, mais le décalage temporel entre le cycle des plantes et celui de l'insecte laisse envisager des niveaux de dégâts tout à fait mineurs, sans effets sur les rendements.
Quelques incertitudes demeurent sur la capacité d'adaptation de l'insecte à d'autres plantes-hôtes et sur le risque potentiel de fortes populations de chrysomèles durant des périodes plus précoces, qui présenteraient un risque plus élevé de dégâts pour les jeunes plants de tournesol.
Néanmoins, au regard des données bibliographiques et des études en cours, le risque lié à l'introduction accidentelle ou en tant qu'agent de lutte biologique d'O. communa a été estimé mineur pour les cultures de tournesol et de topinambour avec une incertitude faible à modérée.
Évaluation des conséquences environnementales potentielles
Les risques environnementaux pourraient résulter d'un potentiel effet négatif d'O. communa sur des plantes phylogénétiquement proches des espèces connues comme hôtes, mais non encore recensées comme telles.
Une année d'étude réalisée en Suisse et en Italie en 2014 a montré cependant une forte spécialisation de l'insecte pour l'ambroisie.
Certes, quelques adultes ont été retrouvés de façon exceptionnelle (Schaffner, communication personnelle) sur quelques autres espèces végétales. Mais il s'agit de l'inule fétide (Dittrichia graveolens (L.) Greuter), de la vergerette du Canada (Erigeron canadensis L.) et de la renouée à feuilles de patience (Persicaria maculosa Gray).
Or, en France, la première espèce est considérée comme une plante exotique envahissante, la deuxième est très courante en milieux ouverts (friches, etc.), et la troisième est une adventice combattue dans les cultures.
En revanche, en France, il est à noter que deux espèces d'armoise à statut d'espèce rare ou menacée (Artemisia insipida Vill. et A. molinieri Quézel, M. Barbero, R. J. Loisel) pourraient être mises en danger par la présence de l'insecte.
Toutefois, il manque actuellement beaucoup trop de données sur les espèces communes d'armoise (A. vulgaris L. ou A. verlotiorum Lamotte) qui pourraient servir d'hôte à la chrysomèle, pour pouvoir conclure à un risque réel pour ces armoises.
Les communautés végétales en France ne sembleraient donc pas mises en danger par la présence de la chrysomèle de l'ambroisie même s'il n'est pas possible d'avoir une certitude absolue sur les capacités d'adaptation et/ou d'évolution de l'insecte ou sur l'effet de très fortes densités d'insectes.
Conclusion
Un auxiliaire à accueillir
Il n'existe pour le moment que peu d'exemples de réussite de lutte biologique contre des plantes exotiques envahissantes en France (Della Mussia et Le Bourgeois, 2009) mais de nombreux exemples existent dans d'autres régions du monde (États-Unis, Afrique du Sud, Australie, etc.).
L'ambroisie, par ses effets négatifs sur la santé humaine, sa capacité à occuper différents habitats et sa biologie reproductive, constitue un bon candidat pour un programme de lutte biologique.
Différents agents (insectes et pathogènes) ont déjà été testés pour une lutte biologique contre l'ambroisie en Europe (Gerber et al., 2011). Les résultats obtenus jusqu'à présent ne sont pas suffisamment constants pour permettre de lancer un programme de lutte biologique avec ces organismes.
L'introduction accidentelle de la chrysomèle de l'ambroisie dans la plaine du Pô en 2013 a modifié le contexte et son arrivée en France est sans doute inéluctable.
Le risque lié à O. communa pour les cultures de tournesol et de topinambour, et plus largement pour l'environnement, ne semble pas nécessiter la préconisation de mesures de gestion de l'insecte afin d'en limiter l'impact négatif. Les impacts positifs pourraient être prioritaires dans le cadre d'une lutte contre l'ambroisie à feuilles d'armoise.
De la prudence et une surveillance sont nécessaires
Néanmoins, le caractère oligophage d'O. communa appelle à la prudence quant à son usage en tant qu'agent de lutte biologique contre l'ambroisie, tout particulièrement dans le cadre d'éventuels lâchers inondatifs. Sa gamme d'hôtes pourrait évoluer sous l'effet d'une forte pression démographique.
Ainsi, la mise en place d'une surveillance de l'introduction d'O. communa semble nécessaire, notamment en profitant des réseaux des chambres d'agriculture et des coopératives. En cas d'introduction avérée d'O. communa, un suivi des cultures de tournesol devra être réalisé sur le territoire.
(1) www.ambroisie.info
Fig. 1 : Nombre de nouvelles observations d'ambroisies par communes après 2000
Données 2013. Carte réalisée par la FCBN (Fédération des conservatoires botaniques nationaux).
Fig. 2 : Ophraella communa
Dessin réalisé par Raphaëlle Mouttet, d'après Futuyma, 1990 et Futuyma, 1991).
Fig. 3 : Distribution d'Ophraella communa au niveau mondial
L'espèce est originaire d'Amérique du Nord, comme son hôte A. artemisiifolia.