Spécimens de R. speculum à des stades différents. 2. Larve de stade 1 (0,9 mm). Photo : Rossi & Lucchi
3. Les larves ont du toupet. Larve de stade 4 (1,8 mm) avec son toupet de filaments cireux à l'arrière de l'abdomen. Photo : Rossi & Lucchi
Dans la longue série des espèces invasives introduites en France (Martinez et al., 2014), un nouveau venu, Ricania speculum (Walker) (Hemiptera : Fulguromorpha : Ricaniidae), devrait arriver sur le territoire métropolitain en provenance de la Riviera italienne. Il suit la même voie que Metcalfa pruinosa, introduit en Europe, via l'Italie, en 1979 (Zangheri et Donadini, 1980) et arrivé en France en 1985 (Della Giustina, 1986).
Une situation à prendre en compte
Présence confirmée en Italie
Ricania speculum a d'abord été observé dans la région de Gênes en 2009 (Mazza et al., 2014), puis il s'est disséminé vers l'est en direction de La Spezia et de l'ouest vers Savone où il a été capturé en 2015. Le port de Gênes, qui est un important point d'entrée communautaire pour la filière végétale, est probablement le lieu d'arrivée de cette espèce sur le continent européen.
Une future arrivée probable en France
L'apparition de ce nouveau fulgore peut faire craindre une situation semblable à celle qui a suivi l'arrivée de M. pruinosa. Il a été dommageable à de nombreuses plantes avant son contrôle grâce à l'introduction d'un parasitoïde, Neodryinus typhlocybae (Ashmead) (Hymenoptera : Dryinidae) (Malausa, 1999).
Sa venue en France sera probablement due à un transport passif profitant des flux automobiles ou ferroviaires entre la France ou l'Italie, voire maritimes via les ferries reliant les côtes ligures à la Corse. Nous ne pouvons toutefois pas exclure une arrivée naturelle, même si les adultes de ce groupe d'insectes ne sont pas réputés avoir une bonne capacité de vol.
Origine et répartition
Deux espèces en Europe
La famille des Ricaniidae est essentiellement distribuée dans les régions tropicales. En Europe, elle n'est représentée que par le genre Ricania. Avec deux espèces : Ricania japonica est présente en Bulgarie (Gjonov, 2011) et Ricania hedenborgi Stål en Grèce et en Turquie (Demir, 2009, Ak et al., 2015).
Une troisième espèce, Ricania simulans (Walker), est présente en Turquie (Ak et al., 2015). Ces espèces ne semblent pas y être considérées comme des ravageurs importants.
Originaire d'Asie, Ricania speculum est présente en Chine, Corée, Indonésie, au Japon, aux Philippines, à Taïwan et au Vietnam. L'Italie constitue le premier signalement en dehors de son aire d'origine (Bourgoin, 2016).
Plantes-hôtes
Diversité des cultures atteintes
Ricania speculum est une espèce polyphage pouvant se développer sur de nombreuses plantes tropicales. Dans son aire d'origine, c'est un ravageur avéré de plusieurs cultures importantes, cacaotier (Theobroma cacao) (Sterculiaceae), cotonnier (Gossypium) (Malvaceae) caféier (Coffea) (Rubiaceae), canne à sucre (Saccharum officinarum), sorgho (Sorghum bicolor) (Poaceae), théier (Camellia sinenis) (Theaceae), palmier à huile (Elaeis guineensis) (Arecaceae) (Mazza et al., 2014).
En Italie, elle a été observée sur plus de 60 espèces de plantes appartenant à 33 familles botaniques, dont des espèces cultivées et de nombreuses plantes ornementales (Mazza et al., 2014). Des pontes ont été trouvées sur des plantes d'importance économique comme sur Malus domestica, Prunus domestica, Pyrus communis, Rosa spp., Rubus spp. (Rosaceae), Citrus spp. (Rutaceae), Ulmus spp. (Ulmaceae), Acer spp. (Sapindaceae), Olea europaea (Oleaceae), Vitis vinifera (Vitaceae) (Rossi & Lucchi, 2015).
Caractéristiques morphologiques
Aires transparentes sur les ailes des adultes
L'adulte mesure environ 8 mm de long (jusqu'à 10 mm pour les plus grands) (photo 1 page précédente). L'envergure des ailes est d'environ 18 mm (22 mm pour les plus grands individus). L'extrémité de l'abdomen est en pointe chez le mâle et arrondi chez la femelle. Au repos, les ailes antérieures sont légèrement inclinées. Elles sont d'un brun sombre avec cinq aires transparentes aux formes plus ou moins irrégulières, deux en rectangle à la marge externe de l'aile, deux plus ramassées dans le tiers postérieur latéral et une dernière circulaire au milieu de l'aile. La distribution de ces taches claires permet de différencier R. speculum des autres fulgores présents en Europe.
Les oeufs, de forme oblongue et de couleur blanc crème, mesurent environ 900 µm de long (Rossi et al., 2015).
Larves à filaments cireux
Le développement post-embryonnaire comprend cinq stades. Les premiers stades sont foncièrement blancs (photo 2), les deux derniers sont marqués de marron foncé (photo 3).
Leur corps est orné de filaments cireux secrétés par un abondant système glandulaire disposé à l'arrière de l'abdomen. Cela donne un aspect chevelu touffu à l'apex de l'abdomen qui finit par recouvrir tout le corps à la façon d'un parasol. Quand elles sont dérangées, les larves déploient ce toupet de cire.
Le premier stade mesure environ 0,9 mm, le second 1,5 mm, le troisième 1,7 mm, le quatrième 1,8 mm et le dernier 5 mm (Wilson et al., 2016).
Biologie
Observation de la ponte
En règle générale, les oeufs sont pondus dans de petits trous creusés par la femelle dans des tiges d'environ 2-3 mm de diamètre (photo 4), parfois dans des rameaux plus épais ou dans la nervure centrale des feuilles. Insérés de façon oblique dans les tissus végétaux découpés par le fort oviscapte de la femelle, ils sont facilement repérables par la présence en surface des débris végétaux rejetés, auxquels sont associés des filaments cireux secrétés par la femelle pour en assurer la protection.
Les oeufs sont déposés en série alignée. On trouve rarement un oeuf isolé. Ce type de ponte est caractéristique. La femelle zigzague le long de la tige et suivant l'épaisseur de celle-ci, les oeufs apparaîtront décalés sur deux lignes parallèles sur les plus grosses tiges, alignés de façon symétrique sur deux lignes ou bien sur une seule ligne pour les tiges les plus fines. Ces alignements sont très typiques (photo 5 et 6).
Le cycle dépend du milieu climatique
Solis et Esguerra (1982) ont étudié la durée de développement des différents stades en conditions expérimentales sur Luffa cylindrica, une Cucurbitaceae, en milieu tropical.
Le développement embryonnaire durait dix-sept jours, le développement des cinq stades larvaires environ un mois et la durée de vie des adultes au maximum trente-cinq jours.
Mais ces données ne doivent pas être transposables en milieu tempéré. En Italie, R. speculum passe l'hiver au stade oeufs et ne présente qu'une génération par an (Rossi et al., 2015) alors qu'en Chine, l'espèce est bivoltine et les larves sont la forme de résistance à la mauvaise saison (Yu, 2007).
En Italie, les premières larves émergent au début du mois de mai. Des larves sont présentes de mai à début juillet, les adultes de début juin à fin octobre. Les premières pontes apparaissent début juillet.
Symptômes et dommages
Densité de population
Les dommages sont essentiellement dus au prélèvement de sève et leur importance est liée à la densité de population présente. Le comportement de ponte de la femelle peut également être dommageable, les trous de ponte peuvent être responsables du dépérissement des tissus hébergeant les oeufs. Les auteurs italiens n'ont pas observé d'émission de miellat qui permettrait le développement de fumagine, contrairement aux observations de Solis et Esguerra (1982) en milieu tropical. La forme caractéristique de la ponte rend leur repérage très aisé sur les plantes et les adultes, souvent en nombre important, sont facilement repérables.
Espèce vectrice ?
La pathogénicité de cette espèce n'est pas avérée mais elle ne doit pas être exclue car, dans les régions tropicales, certaines espèces de la famille sont vectrices de pathogène (Pilotti et al., 2014). Les espèces de cette famille se nourrissent de sève élaborée prélevée dans le phloème, ce qui exclut a priori qu'elle puisse être vectrice de Xylella fastidiosa.
Conclusion
Pour de nombreuses cultures tropicales, R. speculum est considéré comme un ravageur mineur, mais son comportement sur les bords de la Méditerranée est à surveiller. Il ne faudrait pas qu'il devienne nuisible comme a pu l'être M. pruinosa dans les mêmes régions à son arrivée sur le continent européen alors qu'il ne posait pas de problème dans son aire d'origine.