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Sur coquelicot, des herbicides auxiniques sont dans le rouge

CHRISTOPHE DÉLYE*, DELPHINE THIERY-LANFRANCHI* ET FANNY PERNIN* - Phytoma - n°698 - novembre 2016 - page 7

Capable de résister aux inhibiteurs de l'ALS, le coquelicot montre qu'il peut également faire face à des herbicides analogues d'auxines végétales.
1. Infestation de coquelicots dans une culture d'orge. Photo : C. Délye - Inra

1. Infestation de coquelicots dans une culture d'orge. Photo : C. Délye - Inra

2. Capsules de coquelicots dans une culture de colza. Photo : C. Délye - Inra

2. Capsules de coquelicots dans une culture de colza. Photo : C. Délye - Inra

Tableau 1 : Résultats des tests biologiques et des analyses PCR

Tableau 1 : Résultats des tests biologiques et des analyses PCR

Tableau 2 : Herbicides utilisables sur céréales à paille, possédant une efficacité satisfaisante contre le coquelicot et n'appartenant ni au groupe des inhibiteurs de l'ALS (groupe B) ni aux « auxiniques » (groupe O)

Tableau 2 : Herbicides utilisables sur céréales à paille, possédant une efficacité satisfaisante contre le coquelicot et n'appartenant ni au groupe des inhibiteurs de l'ALS (groupe B) ni aux « auxiniques » (groupe O)

En France, le coquelicot est l'espèce d'adventice dicotylédone chez laquelle la résistance aux herbicides inhibiteurs de l'ALS (groupe HRAC B) est la plus répandue. Un nouveau mode d'action herbicide est désormais concerné chez cette espèce. Nous avons mis en évidence dans sept populations de coquelicot une résistance à des « auxiniques » (groupe HRAC O).

Dans au moins cinq de ces populations, de nombreuses plantes résistantes à des herbicides du groupe O le sont également aux herbicides du groupe B. Dans ce type de situation, la gamme de solutions chimiques disponibles pour contrôler le coquelicot en céréales se restreint dangereusement.

Le coquelicot, déjà dix ans de résistance !

Malgré son intérêt esthétique évident, le coquelicot est une adventice préjudiciable dans les céréales ou le colza (photos 1 et 2). Son contrôle est donc indispensable dans ces cultures. Actuellement, il repose largement sur l'emploi d'herbicides.

Parmi les substances les plus efficaces contre le coquelicot, on trouve les herbicides du groupe B (les inhibiteurs de l'ALS). Pour mémoire, l'ALS ou acétolactate synthase est une enzyme servant à la synthèse des acides aminés chez les plantes.

Mais la résistance du coquelicot aux herbicides du groupe B est présente en France depuis au moins 2006 (Délye et al., 2011). Depuis elle n'a cessé de gagner du terrain. Dans les parcelles concernées par cette résistance, les autres modes d'action se retrouvent donc forcément en première ligne pour le contrôle du coquelicot.

Un fléchissement des « auxiniques » ?

En Italie, Espagne et Grèce, la résistance du coquelicot aux herbicides du groupe B est fréquente (Heap 2016). De plus, dans ces pays, de nombreuses parcelles sont concernées par une résistance du coquelicot au 2,4-D, un herbicide du groupe O (les herbicides du groupe O sont appelés aussi « auxiniques » ou auxines de synthèse ; leur mode d'action, qui conduit à une perturbation de la coordination du développement de la plante, est différent de celui des inhibiteurs de l'ALS).

En France, des difficultés de maîtrise du coquelicot par des spécialités à base d'herbicides du groupe O sont signalés depuis quelques années, en particulier dans des situations où les herbicides du groupe B ne sont plus efficaces.

L'objectif de ce travail a donc été de rechercher la présence éventuelle de plantes résistantes à des herbicides du groupe O dans ce type de parcelle.

Tests sur deux herbicides du groupe O

Tests de résistance

Les herbicides du groupe O sont souvent utilisés en association entre eux, ou avec des substances ayant des modes d'action différents. Afin de tester la sensibilité du coquelicot spécifiquement à des herbicides du groupe O, nous avons travaillé avec des spécialités contenant uniquement un herbicide du groupe O. Nous avons choisi le 2,4-D et le MCPA, deux herbicides de la famille chimique des acides phénoxy-carboxyliques.

Les spécialités utilisées ont été LV600 (600 g d'équivalent acide [e.a.]/l d'ester de 2,4-D) et U46M (400 g e.a./l de MCPA).

Pour chaque herbicide, nous appellerons dans la suite de l'article « DE » la dose à laquelle il est efficace en solo sur coquelicot (100 % de contrôle sur des plantes sensibles). Cette DE était de 346 g e.a./ha pour le 2,4-D et de 800 g e.a./ha pour le MCPA.

Le 2,4-D et le MCPA ont été appliqués au banc de traitement, soit à une, soit à deux fois la DE sur des lots de plantes au stade 4-6 vraies feuilles cultivées en serre. Une population de référence (100 % de plantes sensibles) a été incluse dans chaque expérience pour valider la qualité de l'application.

Sept populations prélevées entre 2013 et 2015 dans des parcelles « difficiles » pour les herbicides du groupe O ont ainsi été testées avec le 2,4-D et le MCPA (Tableau 1).

Résultats des tests : sept positifs, dont deux sortent du lot

Les résultats sont éclairants : dans toutes les populations, des plantes survivant à la DE de 2,4-D ou à celle de MCPA sont observées en fréquences allant de 14 à 55 %. Même si l'on ne considère que les résultats des applications à deux fois la DE de chaque herbicide, des survivants au 2,4-D et/ou au MCPA sont observés dans cinq des sept populations.

Deux populations sortent particulièrement du lot :

- la première, collectée en 2015 dans l'Indre-et-Loire (population C71, Tableau 1) contenait 16 % de survivants à deux fois la DE de chaque herbicide ;

- la seconde population, collectée en 2013 dans l'Yonne (population C40, Tableau 1), contenait encore plus de 40 % de survivants à deux fois la DE de chacun des deux herbicides (Figure 1).

Un test supplémentaire à quatre fois la DE de 2,4-D a permis d'observer encore 3 % de survivants dans la population C71, et 31 % de survivants dans la population C40 (Figure 2).

À eux seuls, les résultats obtenus sur ces deux populations montrent très clairement que la résistance à des herbicides du groupe O est présente en France, et ce depuis au moins 2013.

Attention aux extrapolations !

Nous avons identifié une résistance à des herbicides du groupe O dans des populations de coquelicot provenant de sept départements différents (Tableau 1). Mais attention, ceci ne signifie évidemment pas que l'ensemble des parcelles de ces départements soit concerné !

Réciproquement, ceci ne signifie pas non plus que les autres départements où le coquelicot est présent soient indemnes de résistance au groupe O. L'ampleur réelle de l'étendue géographique de cette résistance reste à déterminer.

Il y a des plantes multirésistantes (groupes B et O)

Des résistantes au groupe B dans les populations testées

En parallèle des tests biologiques de résistance aux herbicides du groupe O, des plantes de chacune des sept populations ont été analysées à l'aide d'un test ADN permettant de détecter la présence de mutations dans le gène de l'ALS conférant une résistance aux herbicides de groupe B (Délye et al., 2011).

Des mutations de l'ALS ont été identifiées en très forte fréquence (71 à 98 % des plantes) dans cinq des sept populations étudiées (Tableau 1).

Parmi les résistantes au groupe O, la plupart résistent aussi au groupe B

Les plantes identifiées comme résistantes au 2,4-D et/ou au MCPA par tests biologiques ont ensuite été analysées par PCR sur le gène de l'ALS. Des mutations de l'ALS ont été détectées dans des plantes issues de cinq des parcelles concernées. Dans ces cinq populations, la plupart des plantes résistantes à des herbicides du groupe O contiennent en même temps des mutations de l'ALS.

Ces plantes sont donc résistantes à deux modes d'action : groupe B (résultats des tests PCR) et groupe O (résultats des tests biologiques de résistance).

Comme une mutation de l'ALS peut donner une résistance à des herbicides du groupe B mais pas à des herbicides du groupe O, il s'agit là d'une résistance multiple et non pas d'une résistance croisée (voir encadré ci-contre). Ces plantes contiennent plusieurs mécanismes de résistance différents :

- une mutation de l'ALS donnant une résistance aux herbicides du groupe B ;

- un ou des mécanismes inconnus donnant une résistance à des herbicides du groupe O.

« ALS » et « auxiniques » dans le rouge... Faut-il broyer du noir ?

Pas d'informations sur les autres familles chimiques du groupe O

Nos résultats montrent la présence en France de résistances du coquelicot au 2,4-D et au MCPA, deux herbicides du groupe O faisant partie de la famille chimique des acides phénoxy-carboxyliques.

Dans le groupe O, d'autres familles chimiques efficaces sur coquelicot sont autorisées en France. Il s'agit des acides quinoline-carboxyliques (exemple : quinmérac) et des acides pyridine-carboxyliques (exemple : aminopyralide). La sensibilité à ces familles chimiques des plantes résistantes au 2,4-D et/ou au MCPA reste à déterminer.

Néanmoins, nos résultats doivent être considérés comme un avertissement, et une incitation très forte à préserver l'efficacité de l'ensemble des herbicides du groupe O, particulièrement en situation de résistance aux herbicides du groupe B.

Pourquoi il faut préserver l'efficacité du groupe O

En cas de présence de résistances aux groupes B et O sur une même parcelle, le désherbage chimique du coquelicot dans les céréales se complique très fortement. Le nombre de spécialités efficaces sur le coquelicot ne contenant ni herbicide du groupe B ni herbicide du groupe O est actuellement restreint (voir Tableau 2).

De plus, une partie de ces spécialités sont des herbicides de prélevée à action racinaire : leur efficacité est en général moins élevée que celle des herbicides foliaires des groupes B et O et, de plus, dépend de l'hygrométrie des sols, donc des conditions météorologiques automnales.

Oser l'agronomie !

Préserver l'efficacité des herbicides implique d'associer la chimie et l'agronomie.

Les pratiques non chimiques efficaces contre le coquelicot sont moins connues que celles recommandées contre les graminées. De plus, certaines sont différentes.

Tout d'abord, et contrairement au cas du vulpin par exemple, l'emploi du labour n'est pas conseillé contre le coquelicot. En effet, le stock semencier de cette espèce est très persistant : plusieurs dizaines d'années. Il est donc recommandé de laisser les semences en surface, pour faciliter leur germination et leur destruction par l'emploi de faux semis.

La destruction mécanique peut se faire à la herse-étrille à condition de cibler des jeunes stades du coquelicot , soit jusqu'à quatre vraies feuilles maximum. Après ce stade, cette opération ne suffira pas.

Enfin, inclure des cultures de printemps ou d'été dans la rotation permet d'éviter ou de limiter la reconstitution du stock semencier de coquelicot. Et cela vaut également contre le vulpin et le ray-grass.

Rappel : mieux vaut prévenir...

Ces recommandations sont d'autant plus contraignantes qu'en cas de perte de contrôle du coquelicot due à la sélection de résistance, il peut être nécessaire de les mettre en oeuvre intensément sur plusieurs campagnes : quand la chimie est dans l'impasse, il ne reste plus que l'agronomie...

Rappelons encore une fois qu'en matière de résistance, il est toujours plus rentable de prévenir que de guérir.

La prévention implique d'effectuer un désherbage diversifié et le plus efficace possible, en combinant pour cela des pratiques non chimiques (en première attaque) et l'application d'herbicides (après l'emploi des autres pratiques).

Investir un peu tous les ans dans la prévention de la résistance est la meilleure assurance d'éviter de devoir investir beaucoup, et pendant des années, dans la gestion d'une résistance que l'on aura laissé évoluer.

Fig. 1 : Résistances révélées

Résultats des tests biologiques de sensibilité au MCPA (en haut) et au 2,4-D (en bas) pour deux populations de coquelicot de parcelles « à problème » (C40 et C71).

C48 est la population de référence (100 % de plantes sensibles).

Témoin = plantes non traitées.

2 × DE et 1 × DE = plantes traitées à une et deux fois la dose efficace de chaque herbicide.

Les petites étiquettes visibles dans les terrines ont servi de repères pour la notation.

Fig. 2 : Résistances révélées à dose quadruple

La présence de plantes survivant à quatre fois la dose efficace de 2,4-D (4 × DE) dans les populations C40 (prélevée dans l'Yonne(1)) et C71 (prélevée dans l'Indre-et-Loire(1) est évidente.

C48 est la population de référence (100 % de plantes sensibles).

Témoin = plantes non traitées. 4 × DE = plantes traitées.

Les petites étiquettes visibles dans les terrines ont servi de repères pour la notation.

(1) Ces résultats ne sont pas représentatifs de l'état des résistances dans ces départements.

Une résistance « multiple » n'est pas « croisée »

Une résistance multiple est une résistance à différentes substances due à des allèles ou gènes différents (ou, par extension, à des mécanismes différents). C'est le cas ici chez le coquelicot.

Une résistance croisée est une résistance à différentes substances due à un seul et même allèle ou gène (ou, par extension, un seul et même mécanisme).

REMERCIEMENTS

Dow Agrosciences a fourni la plupart des échantillons de coquelicot. Nous remercions toutes les personnes sur le terrain qui ont collecté et envoyé les échantillons, et particulièrement la chambre d'agriculture de l'Yonne.

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RÉSUMÉ

CONTEXTE - Après des échecs ou des difficultés de désherbage du coquelicot à l'aide d'herbicides analogues d'auxines végétales (groupe HRAC O) en céréales, l'hypothèse de la présence d'une résistance à ces herbicides en France a été étudiée.

ÉTUDE - Des tests biologiques avec des herbicides du groupe O ont été effectués sur des populations provenant de parcelles « à problème ».

Des tests moléculaires (par PCR) ont également permis de rechercher la présence de mutations causant une résistance aux herbicides inhibiteurs de l'ALS (groupe HRAC B) dans ces populations.

RÉSULTATS - Les tests biologiques ont montré l'existence d'une résistance aux deux herbicides du groupe O étudiés (2,4-D et MCPA) dans sept populations d'origines diverses.

Les tests PCR ont également détecté une forte fréquence de mutations au codon 197 de l'ALS entraînant une résistance aux herbicides du groupe B dans ces populations.

Des plantes résistantes au 2,4-D et/ou au MCPA contiennent aussi des mutations de l'ALS, et sont donc également résistantes aux herbicides du groupe B.

La résistance à ces deux modes d'action herbicides est une très mauvaise nouvelle pour le contrôle chimique du coquelicot en céréales. Notre étude souligne encore une fois la nécessité de bien raisonner l'emploi des herbicides, et de les intégrer dans un ensemble aussi diversifié que possible de pratiques de désherbage.

MOTS-CLÉS - Céréales, coquelicot, Papaver rhoeas, désherbage, herbicides analogues d'auxines (groupe HRAC O), herbicides inhibiteurs de l'ALS (groupe HRAC B), résistance.

POUR EN SAVOIR PLUS

AUTEURS : *C. DÉLYE, *D. THIERY-LANFRANCHI, *F. PERNIN, Inra, UMR Agroécologie - 17, rue de Sully 21000 Dijon.

CONTACT : christophe.delye@inra.fr

LIEN UTILE : www.researchgate.net/profile/Christophe_Delye

BIBLIOGRAPHIE : - Délye C., Boucansaud K., Pernin F., Bertin G., 2011,Résistance du coquelicot aux inhibiteurs de l'ALS, Phytoma - LdV n° 645, pp. 47-50.

Heap I., 2016, International survey of herbicide-resistant weeds, www.weedresearch.com/in.asp

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