En 2014, l'UMT EcoTechViti présentait dans Phytoma Eva-SprayViti, outil d'évaluation de la qualité de pulvérisation viticole réalisé dans le cadre du projet EcoSprayViti mené de 2011 à 2013 par l'IFV et l'Irstea.
Depuis, l'outil est utilisé pour tester les appareils. Le but est de proposer une classification des pulvérisateurs (qualité de pulvérisation, capacité à réduire les doses sans perte d'efficacité) et environnementales (limitation des pertes).
Le travail déjà réalisé
Diversité du parc connue, diversité de la qualité d'application prouvée
Premier constat : le parc de pulvérisation viticole se caractérise par une grande diversité :
- des technologies de pulvérisation (pneumatique, jet porté, jet projeté) ;
- des configurations (voûte, aéroconvecteur, face par face, avec ou sans panneaux récupérateurs...).
En 2010 et 2011, des tests d'efficacité de pulvérisation avaient été réalisés sur de véritables vignes. Il en était ressorti de fortes différences de quantité de produit reçue par unité de surface foliaire selon :
- le stade de la vigne (voir p. 22) mais aussi...
- pour chacun des stades étudiés, la technique d'application (type d'appareil et ses réglages).
Ainsi, le rapport des dépôts (quantité de produit déposée sur le végétal par unité de surface foliaire) entre les matériels les plus et les moins performants est de :
- 1 à 5 si la végétation est peu développée ;
- 1 à 3 en milieu de végétation ;
- 1 à 2 en pleine végétation.
Pour une vigne donnée à un moment donné, une technique d'application performante permet d'augmenter très significativement les quantités de produit déposées sur le végétal pour une même dose appliquée à l'hectare. On en déduit que cela doit permettre de réduire la dose/ha sans altérer l'efficacité du produit par rapport à l'application d'une pleine dose par un appareil peu performant.
Difficile de tester sur de vraies vignes
Mais, si le fait était reconnu, il restait à mesurer le phénomène, donc les réductions de dose possibles sans risque de perte d'efficacité, pour chaque appareil, voire chaque réglage. Nous sommes formels : la connaissance des performances agroenvironnementales des pulvérisateurs et de leurs différents réglages est un prérequis nécessaire pour s'engager de manière sereine dans des démarches de réduction des doses appliquées.
Or jusqu'en 2013, il n'existait pas de méthode permettant de quantifier et de comparer facilement les techniques d'application entre elles. En effet, les tests au vignoble sont très lourds, onéreux et sujets à des difficultés méthodologiques.
Mise au point du banc d'essai
Entre 2012 et 2014, l'IFV et l'Irstea ont donc mis au point un nouvel outil d'évaluation des performances. Il s'agit du banc d'essai des pulvérisateurs EvaSprayViti. Il reproduit quatre rangs de vigne de 10 m de long chacun. Ce travail, les caractéristiques du banc et les premiers tests réalisés ont été présentés dans Phytoma en 2014. Ces tests avaient été effectués sur cinq types d'appareils :
- voûte pneumatique ;
- face par face pneumatique ;
- face par face jet porté ;
- face par face jet projeté ;
- aéroconvecteur tangentiel jet porté.
Et ceci avec plusieurs modalités de réglages différents (passage tous les deux, trois ou quatre rangs, mesure de l'effet de différentes vitesses d'avancement, différents volumes/ha et différents types de buses pour les jets portés et projetés) pour trois stades différents de la vigne (début, milieu et pleine végétation). Les résultats (quantité de dépôt, coefficient de variation) de ces tests sont dans Phytoma.
Depuis lors, le banc d'essai EvaSprayViti a continué à être utilisé. De 2012 à 2016, plus de 375 essais de pulvérisateurs et de réglages ont été réalisés. Leurs résultats sont consignés dans une base de données unique.
Le travail en cours
Vers un dispositif de classification des pulvérisateurs
Aujourd'hui, ce banc d'essai est le socle de plusieurs projets de recherche et de développement. Le principal est le projet national PulvéPerf (financement Onema Écophyto) commandité par la DGAL au tandem IFV-Irstea sur 2014-2017. Il vise à obtenir une classification des appareils de traitement selon leurs performances agronomiques (qualité de pulvérisation et capacité à réduire les doses) et environnementales (limitation des pertes dans l'environnement).
À l'issue du programme, fin 2017, un dispositif de classification des pulvérisateurs sera livré. Il permettra de distinguer parmi les machines celles qui répondent bien, dans une certaine mesure... ou pas, aux objectifs d'Écophyto. Ces travaux pourraient aboutir à un affichage.
Trois notes seraient accordées à chaque matériel. Elles seraient indexées sur la capacité à réduire les intrants en gardant l'efficacité de la protection phytosanitaire, ceci à trois stades végétatifs différents (Voir type d'affichage possible en Figure 1).
Déjà des conseils opérationnels
De plus, plusieurs projets régionaux complémentaires associant les chambres d'agriculture et les interprofessions visent à identifier les paramètres de réglages optimaux des machines les plus couramment employées. Les conseils sur l'utilisation des machines peuvent ainsi être affinés. Sur la base des premiers résultats obtenus, une fiche déclinant des conseils de réduction de dose en début de végétation en fonction de la technique d'application utilisée a ainsi été éditée en 2013 pour les vignes larges.
Aujourd'hui, de nouveaux documents qui valorisent les résultats des essais de pulvérisateurs sont en cours de rédaction, notamment un guide pratique de réglage et d'utilisation des pulvérisateurs viticoles (40 pages). À ce stade, les travaux déjà menés mettent en évidence plusieurs leviers d'optimisation pour limiter les quantités d'intrants phytosanitaires utilisées.
Nos constats aujourd'hui
Allier efficacité de la protection et respect de l'environnement
Par rapport aux types de pulvérisateurs les plus utilisés aujourd'hui, les appareils face par face permettent des réductions significatives de doses. Il est possible d'obtenir un dépôt sur la végétation identique aux pulvérisateurs les plus utilisés tout en réduisant les doses à l'hectare de 30 %.
Les panneaux récupérateurs, « version confinée » des appareils face par face, permettent en plus une récupération (des pertes) supérieure à 35 % de la quantité de produit employé sur tout le cycle de végétation (en fonction du modèle et de son réglage).
Au vu des deux composantes (application plus précise et récupération des pertes), la plupart des panneaux récupérateurs peuvent réduire de 50 % la quantité de produits utilisés tout en garantissant l'efficacité de la protection.
Ainsi, un premier pas vers la réduction des intrants phytosanitaires consiste à inciter au renouvellement du parc de pulvérisateurs en service et à préconiser ceux qui, vu les résultats déjà acquis, sont les plus performants.
La réglementation actuelle n'incite pas le parc à évoluer dans le bon sens
Plusieurs textes réglementaires pourraient être utilisés pour restreindre l'accès au marché aux seuls pulvérisateurs répondant aux enjeux agronomiques et environnementaux. Mais, en l'état, ces textes n'ont pas d'effet sur le marché.
La « norme environnement » ISO 16119-3:2013 définit les prescriptions sur la conception des pulvérisateurs. Bien que révisée en 2013, cette norme centrée sur les composants de la machine (présence d'antigouttes, cuve de rinçage) ne garantit pas que l'appareil est performant au plan agronomique (prérequis pour la réduction des doses) ni qu'il limite les pertes dans l'environnement ; par exemple, les aéroconvecteurs triturbines conçus pour passer tous les quatre rangs génèrent beaucoup de dérive et assurent des dépôts faibles sur la végétation, mais répondent à la norme.
Le cadre réglementaire visant cet objectif existe pourtant. C'est un complément à la directive machine (directive 2009/127/CE) : le décret n° 2011-1480 du 9 novembre 2011. Il précise : « Les machines sont conçues et construites de manière à assurer que les pesticides sont déposés sur les zones cibles, à réduire les pertes dans les autres zones et à prévenir toute dérive de pesticides dans l'environnement. Le cas échéant, une distribution égale et un dépôt homogène des pesticides sont assurés. Afin de s'assurer de répondre à ces exigences, le fabricant ou le responsable de la mise sur le marché effectue ou fait effectuer, pour chaque type de machine concernée, des essais appropriés. »
... Mais si les objectifs sont identifiés, les moyens, protocoles d'essais et seuils permettant de s'assurer du respect de ces obligations ne sont pas définis ! De ce fait, la directive n'est pas applicable. Nous suggérons que le respect de ces obligations s'appuie notamment sur les indicateurs de performances agronomiques et environnementales développés dans le cadre du projet PulvéPerf.
La pulvérisation performante est coûteuse et contraignante
En complément, les freins à l'adoption des nouvelles techniques de pulvérisation performantes doivent être levés. Ces freins sont essentiellement l'augmentation du coût du chantier de pulvérisation (achat de la machine, maintenance, main-d'oeuvre), la moindre maniabilité des appareils (largeur des fourrières pour tourner en bout de rang), les risques de pannes et la perte de réactivité face à un événement climatique car, actuellement, ces appareils sont plus lents. Néanmoins, des solutions innovantes commencent à voir jour, comme l'augmentation de la vitesse d'avancement ou des solutions d'aide à la conduite, qui pourraient gommer en partie ces inconvénients.
Nos propositions
Utiliser les évaluations d'EvaSprayViti pour labelliser les appareils
- mieux comprendre et identifier les déterminants de l'efficacité des pulvérisateurs de manière à conseiller les agriculteurs sur leurs pratiques de réduction de doses ;
- traduire les résultats de mesure des performances obtenues sur le banc EvaSprayViti en pourcentage de réduction de doses pour les différents pulvérisateurs ;
- utiliser ces données pour labelliser les appareils en fonction de leur niveau de performances et interdire l'accès au marché des appareils ne répondant aux enjeux du plan Écophyto.
Sensibiliser et former les agriculteurs
- diffuser largement les bonnes pratiques de pulvérisation, rédiger et publier des documents valorisant les résultats des essais conduits avec l'outil Eva-SprayViti ;
- former les agriculteurs à l'usage de ces bonnes pratiques.
En effet, de l'avis des experts (membres de la Cietap, Axema, UIPP, conseillers chambres d'agriculture...), le programme du certiphyto accorde une place insuffisante au thème de la maîtrise de la pulvérisation. Le certiphyto ne contribue donc pas à augmenter le niveau technique des agriculteurs sur ce sujet. Inclure la thématique de l'optimisation des techniques de pulvérisation dans cette formation semble être un moyen efficace pour progresser.
Faciliter l'acquisition des matériels performants
- orienter les mécanismes d'aide aux investissements (PCAE et aides d'Écophyto 2) en priorité vers les pulvérisateurs performants permettant de réduire les doses appliquées et de limiter les pollutions.
Cela nécessite de coordonner les cahiers des charges, désormais fixés au niveau régional. Il s'agit aussi de modifier les listes de matériels éligibles aux anciens PVE. En effet, ces listes contenaient des informations obsolètes ou peu lisibles et peu compréhensibles par les services instructeurs des administrations... et elles ont été reprises en l'état par la plupart des conseils régionaux !
- fournir aux agriculteurs des références technico-économiques montrant l'intérêt des matériels performants (appareils face par face, panneaux récupérateurs) avec chiffrage du retour sur investissement ;
- mettre en place des parcelles de démonstration de réduction d'intrants grâce à la pulvérisation optimisée (réseau Dephy).
Faciliter l'utilisation de ces matériels
- rendre obligatoire sur les appareils les dispositifs assurant le contrôle en continu des paramètres d'application (vitesse d'avancement, pression, débit côté gauche et côté droit, volume/hectare) et leur traçabilité.
En effet, la majeure partie des appareils vendus neufs aujourd'hui sont équipés d'un dispositif rudimentaire de contrôle du traitement. Il se résume à un simple manomètre sur le circuit placé sur le pulvérisateur, donc loin du poste de commande. La pression est une donnée qui n'est reliée qu'indirectement au volume/hectare et à la dose réelle appliquée. La connaissance de la pression ne garantit pas à elle seule que les consignes d'application sont respectées. Elle ne permet pas de déceler des incidents techniques (bouchages, usures des buses, problème de vitesse...) d'autant plus préjudiciables que le viticulteur est engagé dans une démarche de réduction des doses.
- poursuivre les recherches et les développements technologiques permettant de limiter les contraintes liées à l'utilisation des matériels les plus performants qui sont souvent les moins maniables.
Cette amélioration de l'ergonomie concerne les points suivants : limiter le rayon de braquage lors des demi-tours en fin de rang, développer l'assistance à la conduite, notamment pour les appareils face par face ou les panneaux récupérateurs (repliage automatique des panneaux et/ou descentes en fin de rang avec coupure des tronçons, repositionnement automatique des panneaux après rentrée dans le rang, adaptation automatique aux devers sur la parcelle...) ;
- identifier de nouveaux compromis technico-économiques pour limiter le temps de chantier, en montrant par exemple qu'augmenter la vitesse d'avancement ne pénalise pas toujours la qualité de pulvérisation.
Plan de « recherche technologique » pour développer de nouveaux outils
La plupart des machines actuelles sont basées sur des technologies qui rendent difficile l'atteinte des différents objectifs du plan Écophyto.
Nous proposons de reprendre avec les constructeurs la conception des systèmes de pulvérisation à la base, en intégrant les nouvelles technologies, l'objectif étant de :
- favoriser les travaux visant l'amélioration de la fiabilité des matériels de traitement avec la mise au point de matériels faciles à régler et avec stabilité des réglages ;
- concevoir des machines à énergie contrôlable (électrique) en fonction des conditions de végétation, et permettant un confinement total des traitements ;
- développer des systèmes permettant de mieux maîtriser le mélange des produits et la possibilité de faire varier la dose via un changement instantané de concentration de la bouillie ; point à intégrer dès la conception de la machine pour résoudre d'une part le problème de la réalisation des mélanges dans la machine (préparation de bouillie dans une cuve de prémélange) et d'autre part la réduction des pollutions ponctuelles dues au rinçage ;
- développer des dispositifs permettant d'adapter la dose et l'assistance d'air à la « porosité » du végétal et interrompre automatiquement la pulvérisation en face de manquants ou à la fin des rangs.
Ces technologies sont aujourd'hui accessibles pourvu que tous les partenaires soient incités avec un plan national ambitieux.
Conclusion
De manière à lever les freins à l'adoption des techniques de pulvérisation identifiées comme performantes, des dispositifs incitatifs existants (PCAE...) ou restant à définir dans le cadre de la V2 du plan Écophyto (labellisation, prime à la casse...) pourraient permettre d'actionner le puissant levier de l'amélioration de l'utilisation des produits phytosanitaires que constitue le renouvellement des machines.
En complément, la diffusion de conseils de réglage pourra améliorer l'efficacité des pulvérisateurs du parc existant.
Les résultats des travaux menés au sein de l'UMT EcoTechViti sont en mesure de nourrir significativement la réflexion pour mettre en oeuvre un dispositif juste et efficace, en vue de contribuer aux objectifs du plan Écophyto. Enfin, la formation des agriculteurs est indispensable pour accompagner au mieux ces évolutions.