Foulant du pied les maladies de la vigne (mildiou, black-rot, oïdium, anthracnose, pourridié...) et les criquets, altises, pyrale et moutardes sauvages... ainsi étaient vantées, vers 1900, les bouillies liquides (bordelaise, nantaise...). Elles étaient en vente libre, sans homologation. Extrait d'Histoire de la protection des cultures de 1850 à nos jours, de C. Bain, J.-L. Bernard et A. Fougeroux, éd. Champ Libre, GFA, 2010. Collection J.-L. Bernard
L'acide sulfurique, utilisé comme herbicide dans les années 1930 puis 1945-1950, a ensuite été supplanté par des herbicides moins agressifs. Collection J.-L. Bernard
Couverture de Phytoma, en février 1978. La revue suit les problématiques de santé végétale depuis sa création en 1948. En particulier les évolutions de la phytopharmacopée. DR
Couverture de Phytoma, en mai 1982. La revue suit les problématiques de santé végétale depuis sa création en 1948. En particulier les évolutions de la phytopharmacopée. DR
Le numéro 700 de Phytoma est l'occasion de revenir sur l'évolution de la phytopharmacopée française. La revue en est un témoin privilégié. Un coup de projecteur sur cette évolution passée peut également éclairer l'avenir...
Comment était-ce, avant Phytoma ?
Avant 1940, le règne du minéral
Le début de la protection des cultures, au sens moderne du terme, se situe vers 1850. D'immenses efforts sont alors déployés pour protéger la pomme de terre contre le mildiou et la vigne contre l'oïdium, deux maladies fraîchement débarquées en Europe depuis le Nouveau Monde.
Sans remonter si loin, nous savons qu'une pharmacopée reposant sur des substances minérales existait avant la Seconde Guerre mondiale (voir Tableau 1 page suivante). Elle était utilisée sur la vigne, certains vergers, la pomme de terre et diverses espèces légumières. Les céréales faisaient appel au traitement des semences et au désherbage chimique sélectif alors en pleine extension. Ceci dans un environnement de recherche déjà étendu, employant des moyens issus du vivant : insectes auxiliaires, micro-organismes antagonistes et variétés résistantes.
Au milieu des années 1930, la quantité des produits minéraux utilisés chaque année en France métropolitaine dépassait largement 300 000 tonnes(1), c'est-à-dire au moins cinq fois les quantités de substances phytopharmaceutiques utilisées de nos jours.
Arrivée des produits de synthèse
Gérer la pénurie dans l'immédiat après-guerre
Entre 1945 et 1960, la mise en oeuvre de l'homologation des substances antiparasitaires instaurée en 1943 va balayer une grande partie de l'ancienne pharmacopée minérale. Des composés organiques de synthèse arrivent alors sur le marché, modifiant en profondeur la situation antérieure.
Les premières substances de synthèse présentant un intérêt pour la protection des cultures avaient vu le jour entre les deux guerres. C'est le cas du métaldéhyde, du dinitro-ortho-crésol en 1932, ou des premiers fongicides dithiocarbamates (le thirame a été breveté en 1934). Leur développement ainsi que celui d'autres composés sera retardé d'une dizaine d'années du fait du second conflit mondial.
En 1948, les premiers numéros de Phytoma témoignent d'une période où, sortant du rationnement alimentaire, la France s'efforce de hausser sa production de blé... au niveau de celle des années 1930, c'est-à-dire aux 15 q/ha de rendement moyen national connus entre 1915 et 1934.
La priorité justement accordée par les autorités au désherbage souffre de l'absence de fabrication d'acide sulfurique et de sulfate de cuivre (ce sel, considéré aujourd'hui seulement comme un fongicide car il est à la base de la bouillie bordelaise, était en effet utilisé comme herbicide avant la guerre). De plus, les fournitures de sylvinite, de cyanamide ou de chlorate de soude étaient quasi inexistantes, l'approvisionnement en colorants nitrés était médiocre et les disponibilités en phytohormones dérisoires(2).
Désherbage révolutionné
Dès 1950, colorants et phytohormones prennent leur essor. Ils supplantent l'acide sulfurique et les produits minéraux peu sélectifs utilisés antérieurement. Avant 1960, de nouvelles familles d'herbicides commencent à arriver entre les mains des agriculteurs. Les urées substituées, triazines, pyridazines et autres carbamates vont révolutionner en quinze ans la manière de cultiver, modifiant totalement la conduite de cultures sensibles à la concurrence des mauvaises herbes, comme la betterave ou le maïs.
Insecticides et fongicides de synthèse
Plus spectaculaire pour le public est l'apparition des insecticides organochlorés (OC) comme le DDT (Paul Hermann Müller aura le prix Nobel(3) pour avoir découvert son efficacité) ou encore le HCH, et des organophosphorés (OP). Ils sont utilisés pour la démoustication et la lutte contre les poux et les mouches.
De son côté, l'agriculture salue le remplacement du hannetonnage manuel par les poudrages au DDT contre les adultes ou du HCH contre les vers blancs. Perçus comme moins problématiques que les sels d'arsenic ou la nicotine, le DDT et les OP sont adoptés en vigne et vergers. Pour sa part le malathion (un OP) transforme la gestion des grains stockés.
En 1950, les fongicides organomercuriques et de nouveaux fongicides organiques (hexachlorobenzène, quintozène) sont développés pour le traitement des semences.
Les dithiocarbamates (ferbame, zinèbe, zirame, thirame) font l'objet d'une large expérimentation sur diverses cultures dès 1951. Le captane (1952), le manèbe puis le mancozèbe (1961) transforment la lutte contre les mildious et les tavelures.
Dès le milieu des années 1950, ces innovations laissent entrevoir des solutions pour des problèmes sanitaires jusqu'alors non ou mal résolus : désherbage de prélevée des céréales et du maïs, maladies de conservation des fruits, ravageurs du colza, etc.
Une pharmacopée évolutive
En parallèle à la créativité des chercheurs, l'expérience du terrain a conduit à se pencher sur des inconvénients majeurs apparus au fil du temps :
- constatée chez des insectes et des cryptogames dès les années 1930, la résistance est largement médiatisée au début des années 1950 pour certains ravageurs ou vecteurs de maladies ;
- d'abord pointés pour certains OC dont ils motivent le retrait, les risques de bioaccumulation réorientent fortement la sélection des molécules, entraînent le développement des études d'écotoxicité, alors même que s'accroît l'impératif de sécurité pour l'applicateur et le consommateur ;
- l'incidence des traitements sur des espèces non-cibles amène à étudier les effets non intentionnels sur la faune sauvage et les arthropodes auxiliaires ;
- le possible déplacement des populations de nuisibles à la suite de traitements conduit à appréhender les inversions de flore ou l'apparition de parasites secondaires...
En dépit de ces freins, la nécessité de mettre au point une protection performante demeure. Les constats de nuisibilité de viroses transmises par des pucerons se multiplient. L'impact des maladies des céréales sur le rendement apparaît comme l'un des principaux obstacles à l'obtention de rendements réguliers. La normalisation européenne des fruits et légumes propose des standards de qualité nouveaux pour la mise en marché, etc.
Vingt-cinq ans de développement
À partir du milieu des années 1970, la diminution des risques et l'exigence d'efficacité favorisent l'émergence d'une pharmacopée dont les fondamentaux vont durer une trentaine d'années. Elle se compose :
- d'un nombre réduit de produits minéraux (soufre, cuivre) ou organométalliques ;
- de molécules organiques « de base » à l'intérêt reconnu, utilisées isolément ou en association (par exemple : fongicides dithiocarbamates, phtalimides... herbicides aryloxyacides...) ;
- de substances de synthèse innovantes obtenue par criblage, souvent dotées de propriétés « curatives » sur les bioagresseurs visés (ex. : fongicides benzimidazoles, triazoles... insecticides carbamates... herbicide glyphosate...) ; au fil des années, les herbicides créés pour interférer avec des mécanismes du vivant spécifiques aux seuls végétaux sont de plus en plus nombreux (ex. : herbicides inhibiteurs de l'acétolactate synthase [ALS] ou de l'ACCase...) combinant en conséquence une grande efficacité à faible dose et une toxicité limitée ;
- de substances de synthèse inspirées de composés actifs existant dans la nature (ex. : insecticides pyréthrinoïdes ou régulateurs de croissance d'insectes, fongicides strobilurines, herbicides callistémones...) ; certaines de ces créations copient des composés naturels (ex. : phéromones d'insectes, huiles essentielles...).
Entre 1975 et 1995, l'évolution de la pharmacopée française a principalement obéi au jeu classique du marché reposant sur l'introduction d'innovations et le retrait des substances jugées dépassées ou présentant un risque jugé inacceptable. Elle a vu apparaître de nouveaux usages, s'affiner des techniques comme le désherbage en post-levée des betteraves et du maïs, se perfectionner la protection des céréales contre les maladies principales...
Cette pharmacopée a aussi connu des évolutions considérables dans la manière de l'utiliser : affirmation de la lutte intégrée, développement des modèles prédictifs et des outils d'aide à la décision (OAD), perfectionnement des formulations et développement des adjuvants, etc.
Le tournant du millénaire
L'évolution des réglementations nationales, la mise en application de la directive européenne 91/414, puis du règlement (CE) n° 1107/2009, mais aussi les progrès de la recherche ont, depuis lors, profondément transformé la palette des moyens de lutte dûment autorisés. Il est utile de remémorer quelques-uns des principaux traits de cette évolution.
Quelques grandes lignes de l'évolution
Entre 1965 et 2015, plus de 848 solutions faisant l'objet d'une AMM ont été autorisées en France pour protéger les cultures. La plupart sont des substances phytopharmaceutiques (772), principalement insecticides ou acaricides (218), herbicides (212) ou fongicides (186). Soixante-seize solutions autorisées correspondent à des macro-organismes.
Diversification jusqu'en 2000
Indépendamment d'un niveau de performance globalement croissant et de l'amélioration de la sélectivité des moyens d'intervention pour les plantes protégées, plusieurs tendances peuvent être facilement illustrées.
La première est une diversification de la nature des solutions de lutte autorisées. Le Tableau 2 montre la dominante persistante des molécules de synthèse dans la pharmacopée avec un recul des produits issus de synthèse classique au profit de la chimie imitative. L'envol des autorisations de macro-organismes est lié à l'apparition tardive de leur obligation d'inscription préalable. Les substances métalliques et organométalliques continuent à régresser et le nombre des micro-organismes sous AMM progresse.
Une seconde caractéristique est le caractère moderne de la pharmacopée chimique actuelle. En tenant compte des abandons de commercialisation, des substitutions et des retraits effectués au fil des ans, on note que sur les 243 substances autorisées en 1970, il n'en reste que 59 à la vente en 2015. En 2015, 56,8 % des substances inscrites l'ont été après 1990.
Réduction de la diversité depuis l'an 2000
Cette modernité ne doit pas masquer un aspect important. Entre 2000 et 2015, le nombre des substances actives les plus essentielles pour l'agriculture (fongicides, insecticides et herbicides) a drastiquement baissé, passant de 385 à 279 (voir Figure 1). Cette diminution n'est pas sans causer des difficultés pour la gestion des résistances.
De plus, de nombreux usages reposent sur peu de substances, avec des sites d'action parfois peu diversifiés. Certains sont fragiles ou même orphelins. À ce jour, cette réduction n'a été qu'exceptionnellement compensée par des moyens biologiques capables de les remplacer. Dans un même temps, d'autres catégories comme les additifs autorisés (adjuvants, mouillants, safeners...) ont bondi, passant de 20 en 1990 à 50 substances en 2015. Leur nombre dépasse de loin l'ensemble des régulateurs de croissance, molluscicides, rodenticides et nématicides réunis.
De ce fait, et cela n'apparaît pas sur la Figure 1, le nombre des substances actives proprement dites ne dépasse guère en 2016 celui qui existait en 1980. Ce nombre est très inférieur à la palette des années 1990 à 2000, les retraits effectués depuis lors n'ayant pas encore été compensés.
Progrès des modes de lutte raisonnée et intégrée
La modernité de la pharmacopée actuelle s'accompagne d'une double évolution de la sécurité toxicologique et environnementale. La conception récente des produits actifs et leur mise à l'épreuve avant AMM selon les standards les plus récents se traduisent par une réduction considérable des effets directs sur l'homme et l'environnement.
On constate aussi une réduction spectaculaire des quantités de substances utilisées pour la plupart des usages majeurs. Nous avions déjà largement souligné cet aspect dans Phytoma en 2005(4), le rapportant alors à la conjonction de l'activité créatrice des laboratoires, aux retraits de substances anciennes à fort grammage par hectare et au progrès des modes de lutte raisonnée et intégrée. Cela reste globalement vrai dix ans plus tard, même si ce mouvement a été renforcé avec le plan Écophyto. Nous retiendrons comme unique exemple de cette tendance le segment des insecticides utilisés contre les taupins du maïs (Tableau 3). Après la révolution des premiers OC sous la forme d'un traitement en pleine surface suivi d'incorporation, le passage à des microgranulés déposés dans la raie du semis a constitué un premier progrès. Pour un même insecticide, la quantité de substance active apportée à l'hectare est alors réduite de 75 à 90 % ! Un second progrès résulte du passage des insecticides organochlorés (en bleu dans le Tableau 3) ou organophosphorés (en orange), à des carbamates (en rouge) puis à des pyréthrinoïdes (en vert).
Pour le même usage, outre l'amélioration des caractéristiques toxicologiques et environnementales des substances actives, cette évolution s'accompagne d'une réduction quantitative. Comparé aux microgranulés des années 1985-90, la dose d'insecticide apportée à l'hectare a été divisée par trois, voire par vingt !
Quelle pharmacopée demain ?
Des acquis voués à se pérenniser
Ce survol très rapide de l'évolution du choix des produits phytopharmaceutiques sur cinquante ans ne doit pas occulter l'un des plus grands changements intervenus au cours des vingt dernières années dans l'agriculture française : la transformation de la manière dont les agriculteurs les utilisent.
La fin déjà ancienne des pulvérisations systématiques et des « calendriers » de traitements, la prise de conscience environnementale et les outils de prévention des risques parasitaires sont des acquis qui se pérenniseront quelle que soit l'évolution de la pharmacopée.
L'ascension des produits de biocontrôle
Pour la prochaine décennie, on peut augurer une augmentation du nombre des solutions issues du biocontrôle, en particulier dans le domaine des micro-organismes et des médiateurs chimiques.
On imagine aussi une incidence accrue de la génétique sur la protection des végétaux. Le nombre des plantes cultivées sélectionnées ou transformées pour résister aux bioagresseurs s'accroît partout dans le monde, y compris lorsqu'il s'agit de leur conférer une résistance à des virus ou à des phytoplasmes. Il serait étonnant que cette évolution n'ait pas de conséquence sur nos systèmes de production.
Une baisse réelle et structurelle des tonnages, mais qu'en sera-t-il demain ?
De ce fait, le débat français actuel orchestré autour de la quantité des substances phytopharmaceutiques utilisées est sans doute bien transitoire. Une baisse quasi structurelle de la quantité de substance active utilisée par hectare cultivé est déjà à l'oeuvre depuis le début des années 1990 sous l'effet des innovations et des systèmes modernes de prévention des risques. Elle n'a pas été immédiatement perçue en raison de l'apparition de nouveaux usages, inexistants auparavant mais rendus économiquement intéressants en raison même du niveau de performance des nouveaux produits correspondants (par exemple : maladies des parties aériennes du colza).
Nous constations en 2005 que cette réduction quantitative était ralentie par différents facteurs dont les principaux paraissaient être :
- l'extension d'emploi des herbicides non sélectifs (HNS) avec la simplification des façons culturales ;
- la maturité de certains usages « récents » en grandes cultures (ex. : maladies de la betterave) ;
- le « poids » du soufre et du cuivre traditionnels qui représentent encore près de 20 % des tonnages utilisés en 2016.
La suppression éventuelle des derniers HNS disponibles et un recours accentué aux fongicides minéraux seraient des signaux capables de pousser à la hausse les tonnages phytopharmaceutiques actuellement décroissants, sous l'effet combiné d'une augmentation de l'emploi des herbicides sélectifs, du cuivre et du soufre.
Enrichir et transformer
Dans un contexte économique difficile, poursuivre l'enrichissement et la transformation de la palette des solutions accessibles aux agriculteurs et les aider à optimiser leurs usages sont sans doute les deux meilleures pistes à suivre.
Elles peuvent garantir à la fois une bonne durabilité de la protection et le respect des objectifs de sécurité pour l'homme et pour l'environnement sur lesquels s'accordent les différents protagonistes de la protection des plantes.
(1) Chaux et adjuvants divers non compris. (2) Phytoma n° 2, Actualités, septembre 1948. (3) Chimiste suisse qui a reçu un prix Nobel en 1948 « pour sa découverte [en 1939] de la haute efficacité du DDT comme poison de contact contre plusieurs arthropodes ». (4) Bernard J.-L. et Rameil V., « Innovation en protection des cultures et consommation des produits phytosanitaires », Phytoma n° 584, juillet-août 2005.
Fig. 1 : Évolution du nombre de substances « autorisées en France » pour la protection des cultures (hors auxiliaires)
Substances actives contenues dans des produits phytopharmaceutiques autorisés en France rangées selon la période de leur inscription, et nombre total de substances actives disponibles pour l'agriculture aux années correspondantes. Source : Index phytosanitaire Acta.
Quelle place occupe Phytoma ?
Tout au long de ses « 700 premiers numéros », la revue Phytoma témoigne de l'activité des bioagresseurs des végétaux cultivés, mais aussi la façon dont les professions agricoles, horticoles et paysagères contrecarrent ces bioagresseurs.
Depuis 1948, elle constitue un recueil exceptionnel des travaux de recherche appliquée entrepris pour résoudre les difficultés de la protection des plantes.
Phytoma rend compte de la diversité des méthodes de protection des plantes retenues ainsi que l'évolution des moyens de lutte proposés au fil du temps contre leurs bioagresseurs : les maladies, les ravageurs et les adventices.