1. Pieds d'ambroisie à feuilles d'armoise en bord de route sur la zone fauchée régulièrement. Photo : Inra - Observatoire des ambroisies
La faible efficacité des pratiques de gestion de l'ambroisie à feuilles d'armoise amène à chercher de nouvelles solutions. Au Canada, terre d'origine de cette ambroisie, le sel en solution est utilisé pour la détruire en bord de route.
En France, ce n'est pas permis. Malgré la problématique environnementale liée à la molécule, cette méthode, si elle était dûment autorisée, pourrait-elle offrir une solution efficace répondant aux contraintes environnementales actuelles ?
Problématique ambroisie
Une plante envahissante
Dans un contexte de respect de la biodiversité et de réduction des intrants, la gestion des plantes envahissantes est délicate. L'action devient nécessaire si ces populations affectent de façon trop importante les activités humaines : dégradation d'infrastructures, gêne à la circulation, risques sur la santé...
Pour contrôler les plantes envahissantes, le gestionnaire dispose d'outils (Decoin et al., 2006, Chauvel et al., 2016) parmi lesquels il choisit en fonction de critères écologiques, environnementaux, politiques, économiques ou légaux. L'éradication est rarement possible sauf pour des espèces émergentes telles que Solanum elaeagnifolium Cav. (Brunel, 2011).
Une estimation ponctuelle des effets (gêne supprimée, biomasse réduite...) d'une pratique est en général considérée comme un bon indicateur de son efficacité. En fait, une évaluation immédiate suffit rarement pour juger de la pertinence à long terme.
Un important problème de santé
Les espèces végétales envahissantes affectant la santé humaine constituent un cas particulier de gestion. Les nuisances sont diverses. L'échouage de certaines algues (Ceser, 2011) sur les côtes induit la libération de composés soufrés réduits entraînant un risque d'intoxication par inhalation. Les composés phototoxiques de la sève de berce du Caucase (Heracleum mantegazzianum Sommier & Levier) et les alcaloïdes de datura officinal (Datura stramonium L.) causent quelques accidents. Mais le plus grand problème de santé posé en France métropolitaine par une plante envahissante, en termes de nombre de personnes touchées, est celui de l'ambroisie à feuilles d'armoise.
Depuis le début des années 1960, Ambrosia artemisiifolia L. (Asteraceae) est devenue un souci majeur par les pollinoses qu'elle occasionne. Quelques grains de pollen par mètre cube d'air suffisent pour que les sujets sensibles subissent des manifestations allergiques : rhinite, conjonctivite, urticaire, eczéma, asthme.
L'ambroisie, espèce annuelle, colonise de nombreux milieux. Sa présence le long des linéaires routiers peut être très importante (photos 1 p. 37 et 2). Les moyens chimiques et/ou mécaniques efficaces pour la contrôler ne sont pas utilisables partout. Les gestionnaires doivent adapter leurs pratiques aux contraintes du milieu, au niveau d'infestation et aux objectifs. La pression exercée par le public peut les pousser à utiliser des méthodes aux effets rapidement visibles mais à l'efficacité ou la durabilité à démontrer.
En particulier, la gestion chimique reste très tentante car rapide et peu coûteuse : pour le gestionnaire, le double objectif de limiter la production de pollen (cause de l'allergie) et la production de semences (cause de la prolifération) peut être atteint en une seule pulvérisation d'un produit herbicide.
Dans ce contexte, de nouvelles substances actives comme l'acide pélargonique sont développées. Sur le terrain, d'autres pratiques, non homologuées, donc interdites par la réglementation, sont testées. L'une d'elles est l'utilisation du sel de déneigement.
Le sel, en France et au Canada
Une molécule toxique pour les végétaux
Tantôt symbole de pureté et de fertilité, tantôt accusé de stériliser les sols, le sel (NaCl) est toxique pour les végétaux supérieurs. L'effet est visible lors des opérations de déneigement des routes. Il se manifeste sur le sol par déstabilisation du complexe argilo-humique, ainsi que sur les végétaux de bordure (arbres d'alignement compris) par contact direct sur le feuillage ou à cause de l'accumulation de sel dans le sol (Sétra, 2011). Le diagnostic n'est pas toujours aisé car les symptômes (jaunissement, nécrose, dessèchement complet et chute du feuillage) peuvent être décalés par rapport à la date d'apport du sel.
Divers types d'adaptations (Levigneron et al., 1995), comme la régulation de la teneur en ions ou la compartimentation dans la vacuole, permettent à des espèces végétales dites glycophytes de tolérer une certaine quantité de sel dans l'eau du sol. D'autres espèces dites halophiles se sont spécialisées sur les milieux salés grâce à la régulation de la pression osmotique de leurs tissus.
Désherber par le sel : une méthode ancienne
À la fin des années 1920, le sel marin a été utilisé comme herbicide sous forme solide fine (pulvérulente) pour détruire les crucifères - moutarde sauvage (Sinapis arvensis L.) et ravenelle (Raphanus raphanistrum L.) - au stade rosette dans les céréales. Pour optimiser son effet, le sel était dispersé par distributeur d'engrais à la dose de 300 à 450 kg/ha très tôt le matin en présence de rosée et de forte hygrométrie (Dessaisaix, 1925 ; Crépin, 1930a).
La destruction de la moutarde sauvage en culture de betterave pouvait être réalisée avec du sel à 100 à 150 kg/ha (Crépin, 1930b). Si le sel était peu efficace sur bleuet (Cyanus segetum Hill) et grand coquelicot (Papaver rhoeas L.), la floraison des cirses (Cirsium arvense L. Scop.) était ralentie.
Le chlorure de sodium est cité comme herbicide mais réputé moins efficace que l'acide sulfurique (!), jusqu'au milieu des années 1950. Il était utilisé seul ou associé (33 à 60 % de sel suivant les produits) par exemple avec du chlorate de soude contre les moutardes sauvages et ravenelles ou pour du défanage. Il n'est pas cité dans le premier Index de l'Acta en 1961.
Dilué dans l'eau et utilisé comme un produit foliaire, le sel assèche par osmose les feuilles qu'il touche. Cette action, très rapide, s'exprime en quelques heures par un flétrissement des feuilles.
Certaines espèces tolèrent naturellement le sel grâce à diverses caractéristiques biologiques : cuticule peu perméable, inclinaison des feuilles, faible rétention des gouttelettes d'eau. C'est le cas des salicornes et des obiones, de la famille des Amaranthaceae.
Ces mêmes traits ont permis aux céréales cultivées de supporter dans le passé les traitements au sel. À noter que, chez ces espèces, les méristèmes sont situés à la base de la plante et sont protégés de la pulvérisation par les gaines des feuilles.
Actuellement, le sel n'est pas approuvé en Europe comme substance active herbicide (voir « Liens utiles »). Son usage comme désherbant n'est donc pas autorisé en France quels que soient la forme et le mode d'utilisation. En effet, un produit herbicide doit avoir sa substance active approuvée par l'Europe et sa préparation commerciale autorisée en France. Le type de sel, sa pureté, les doses et usages autorisés seraient à définir avant autorisation.
La gestion de l'ambroisie par le sel au Canada
Le sel (chlorure de sodium, NaCl) est autorisé depuis 2006 au Canada comme désherbant sur les bords de voie de circulation, les terrains résidentiels et les voies piétonnes. Une société canadienne l'avait présenté au colloque européen Ambroisie 2008.
Qualifié de molécule de « contrôle écologique », le produit est accessible aux professionnels et aux particuliers. Vendu sous forme de granules hydrosolubles de sel quasi pur (99,86 %), il est décrit comme actif sur des dicotylédones annuelles et vivaces dont le pissenlit (Taraxacum officinale F. H. Wigg.), le lierre terrestre (Glechoma hederacea L.), le trèfle blanc (Trifolium repens L.), l'herbe à puce (Toxicodendron radicans [L.] Kuntze, dont le contact provoque de graves inflammations de la peau), l'ambroisie à feuilles d'armoise et d'autres espèces envahissantes comme la berce du Caucase et la renouée du Japon (Fallopia japonica [Houtt.] Ronse Decr.).
Les conseils d'application (120 g/l en un passage) préconisent un réglage « grossier » des buses afin de réduire la dérive et créer des gouttelettes de gros diamètre. Cela permet la sélectivité vis-à-vis des graminées : le sel ne pénètre pas dans la feuille. Pour les vivaces, il faut plusieurs passages à 180 g/l.
Le produit peut être appliqué une heure après une pluie, mais plusieurs heures sans pluie sont nécessaires après le traitement. Aucune zone tampon n'est exigée au Canada. Le seul problème signalé est l'attractivité du sel pour les gros mammifères au bord des routes et les risques d'accident liés.
Le sel de déneigement en tant que désherbant
Essais réalisés en 2015
L'Observatoire des ambroisies a évalué par un test rapide la réalité de l'efficacité du sel de déneigement ou « fondant routier ». Deux essais ont été réalisés, au mois de juin (120 g/l de sel) puis juillet 2015 (60 et 30 g/l de sel). Après germination en conditions contrôlées, des ambroisies au stade six feuilles ont été repiquées en ligne dans une parcelle jardinée du centre Inra de Dijon (une plante tous les 25 cm ; trois et quatre répétitions de 19 plantes).
Le traitement a été effectué une semaine après le repiquage avec un arrosoir de manière à mimer un pulvérisateur. Sur chaque zone, un volume de deux litres d'eau salée a été répandu sur une surface de 2 m². Le sel gemme de marque Salins a été utilisé : 36,5 % de sodium, additif E535 ferronitrile de sodium à 20 mg/kg au maximum, commercialisé pour le déneigement en sacs de 25 kg.
Les résultats
À la dose 120 g/l, les effets de dessiccation sur la plante sont visibles en quelques heures (Figures 1A à 1C). La croissance de certaines plantes peut redémarrer, avec réémission de nouvelles feuilles, si le méristème terminal n'a pas été touché.
Globalement, on observe une mortalité de 57 % à 120 g/l, 13 % à 60 g/l et seulement à 2 % à 30 g/l (voir tableau). À 120 g/l, les plantes survivantes ont une biomasse très réduite. Le poids des plantes traitées dans l'expérience 2, supérieur à celui des témoins de l'expérience 1 peut être lié au fait que celle-ci a été menée plus tôt (moindre ensoleillement).
Le traitement des zones herbacées en bordure de l'essai nous a permis de tester le produit sur les espèces présentes. Ce point est crucial car si trop d'espèces sont sensibles au traitement, le sol peut être mis à nu... Or cela favoriserait la germination de nouvelles semences d'ambroisie et réduirait fortement l'efficacité finale du traitement :
- concernant les Poaceae, ray grass (Lolium sp.), chiendent (Elytriga repens (L.) Desv. ex Nevski) et pâturin des prés (Poa pratensis L.) semblaient totalement indemnes, aucune tache (trace de dessiccation) n'étant même visible sur les feuilles ;
- sur les dicotylédones, les résultats ont varié selon l'espèce ; certaines ne montraient aucune trace (Polygonum aviculare L., Lysimachia arvensis et Sonchus asper L.) ; d'autres présentaient des taches plus ou moins importantes sur les feuilles mais survivaient au traitement (Plantago lanceolata L., Taraxacum officinale F. H. Wigg.) ; la dernière catégorie semble très sensible avec disparition rapide des plantes (Trifolium repens L., Trifolium pratense L., Glechoma hederacea L.).
L'ambroisie n'est pas la seule espèce détruite par le sel, mais ces premiers résultats, si des études plus complètes les confirmaient, suggèrent que l'on peut la détruire sans mettre le sol à nu avec le maintien a minima d'un couvert de graminées et éventuellement de certaines dicotylédones.
Discussion
Des atouts indéniables
Le sel en solution pourrait donc offrir une alternative aux herbicides classiques sur certains milieux comme les linéaires routiers. L'efficacité constatée sur le terrain, la rapidité de l'application du traitement et le maintien d'un couvert végétal constituent des atouts indéniables pour le développement de cet usage. Toutefois, certaines limites doivent être soulignées.
Des inconvénients
D'abord, l'ambroisie se développe souvent à la limite bordure-asphalte des routes, zone recevant beaucoup de sel de déneigement l'hiver, donc dénuée de végétation lors de la germination de l'ambroisie. Paradoxe : d'une part, le sel favoriserait l'extension de la plante en ouvrant le milieu, et d'autre part serait ensuite utilisé pour détruire la plante.
Par ailleurs, bien que considéré comme naturel, le sel n'est pas sans défaut. Un certain nombre d'espèces (dont des Fabaceae) y sont sensibles. Outre la préoccupation pour la préservation des sols, les risques de pollution des eaux ou de destruction de plantes rares présentes sur les linéaires routiers sont à prendre en compte. Présent dans le sol en trop forte quantité, le sel augmente la pression osmotique, ce qui réduit l'absorption de l'eau par les plantes et induit des stress hydriques, nutritionnels et ioniques (accumulation toxique d'ions). Cette salinisation pose problème dans les zones où l'utilisation de fondant routier est importante... Des solutions alternatives de déneigement sont recherchées au Canada !
Si la salinisation des sols est un inconvénient majeur de l'agriculture actuelle (Legros, 2009) et des écosystèmes agricoles, ses effets sont connus depuis des siècles : les Romains, à la chute de Carthage au IIe siècle avant J.-C., auraient voulu stériliser les sols de la région en y répandant du sel(1).
Enfin, l'augmentation de la tolérance de l'ambroisie au traitement par le sel est à craindre. C'est ce qu'ont montré des tests de germination effectués sur des populations de bords de route comparées à des populations agricoles (Eom et al., 2013). Cela pourrait entraîner l'augmentation des doses nécessaires pour contrôler correctement la plante.
Pourquoi souhaiter une AMM, autorisation officielle ?
Mais par ailleurs, laisser la réglementation en l'état pousse les gestionnaires de bords de route à utiliser leurs sels de déneigement « en cachette », vu l'ampleur du « problème ambroisie », les limites du désherbage mécanique et la difficulté à utiliser des herbicides (interdiction des herbicides chimiques sur voiries, sauf cas particuliers sujets à débats, réactions du public devant un pulvérisateur même appliquant un produit de biocontrôle...).
Or l'application sans autorisation, à des doses mal maîtrisées, de sels à composition douteuse, serait plus polluante qu'un traitement autorisé à l'aide de produits à composition précise encadrés par une AMM ou une approbation de substance de base.
Conclusion
Le désherbage au sel pourrait être retenu par les gestionnaires de bords de route, mais le travail d'homologation est à faire. La pratique est aujourd'hui interdite. Des questions sur ses effets environnementaux persistent, et un encadrement strict de l'usage de ce désherbant « naturel » est souhaitable : dose autorisée assurant la sélectivité sur les graminées, dates et nombre de passages, stade de développement de l'ambroisie.
Il serait illogique que les sels de déneigement soient autorisés tels quels comme herbicides du fait des produits secondaires que l'on peut y trouver. Ces sels sont en effet composés, suivant les usages, de chlorure de sodium, de calcium ou de magnésium auxquels sont ajoutés des anti-agglomérants.
En cas d'utilisation herbicide à l'image de ce qui se fait au Canada, le chlorure de sodium devrait-il être retenu ? Notons qu'en Ukraine, un produit à base de chlorure de magnésium spécifiquement dédié à la lutte contre l'ambroisie est en vente depuis 2015 auprès des particuliers. Ce chlorure serait-il préférable à celui de sodium ? À étudier...
Il serait intéressant de savoir pourquoi des utilisations illégales se développent alors que des solutions légales (acide pélargonique) existent : coût, efficacité, sélectivité, facilité d'utilisation ?
Un autre enjeu est très important dans le cadre des nouvelles législations sur la gestion des zones non agricoles : le sel peut-il être reconnu « herbicide naturel » ? Faut-il l'autoriser comme solution exceptionnelle sur l'ambroisie, voire d'autres envahissantes ? Sur quels milieux, dans quelles conditions ? Un ensemble de questions pratiques et stratégiques qui pourrait amener beaucoup de discussions.
(1) NDLR : Une rapide promenade dans les allées du web suggère qu'il pourrait s'agir d'une légende inventée plus tard, par un historien byzantin du nom de Sozomène, voire par un pape... Quoi qu'il en soit, l'historien étant du Ve siècle après J.-C. et le pape du XIIIe siècle, on peut en déduire que la légende est ancienne - donc que la réputation herbicide du sel date d'avant 1920 ! Quant à la reprise de la légende depuis lors dans de nombreuses publications, elle est un indice... que les « hoax » existaient avant internet !
Fig. 1 : Efficacité du sel gemme à la dose de 120 g/l
Évolution d'un des pieds d'ambroisie traités au sel dans l'expérimentation de 2015 dans une parcelle de l'Inra de Dijon.
SUMMARY
SALT AGAINST COMMON RAGWEED : OLD FASHIONED PRACTICE, REALLY ?
ABSTRACT - Common ragweed has become a major issue in terms of pollinosis in France. It invades many habitats and particularly roadsides.
The land manager's aim is to limit both the production of pollen (that causes allergies) and the production of seeds (that causes invasion). This aim can be achieved with a single herbicide application. New practices are tried out in the field which are not yet legally approved : the use of road salt is one of them. Salt brine (NaCl) dries out plant leaves when spread on them. The use of salt as an herbicide is not currently authorized in Europe (and thus in France). However, it has been legal in Canada since 2006.
The Observatory of ragweeds evaluated the efficiency of road salt use. With a 120 g/l dose, the ragweed desiccation is visible after a few hours ; the surviving plants have a very limited biomass. The poaceaes are spared, just like some dicotyledons. It is thus possible to eliminate ragweed without leaving a bare soil, which limits new ragweed germinations.
Salt could be interestingly used in certain habitats such as roadsides and have several assets. It has been found to be effective in the field while leaving an essential plant cover and limiting the pressure on road workers.