Suivi d'une culture de gerbera en entreprise : inspection visuelle d'un « point d'observation » (plante repérée au début du suivi puis examinée périodiquement sans la détruire ni rien y prélever) pour évaluer l'état sanitaire et son évolution. Sans comptage fastidieux mais avec rigueur. Photo : Astredhor
La conduite de culture en protection intégrée (PIC) requiert une évaluation régulière de la santé des plantes afin de sélectionner au moment adéquat les meilleures actions à mener. Cela implique la conception de méthodes et d'outils de diagnostic phytosanitaire fiables, rapides et faciles à utiliser par les producteurs.
À l'ère du numérique, les partenaires de l'UMT FioriMed testent et valident une méthodologie de suivi épidémiologique parcellaire en cultures ornementales. Cette méthode d'observation rapide et robuste permet l'acquisition des informations épidémiologiques les plus pertinentes en un minimum de temps.
Pourquoi l'observation est-elle essentielle ?
Les exigences de la « PIC »
En protection intégrée des cultures, il n'est pas question d'éradication totale des bioagresseurs mais d'obtention et de maintien d'un équilibre communautaire en dessous d'un certain seuil de nuisibilité. La protection intégrée dans son volet « intervention » fait, en effet, prioritairement appel aux produits et méthodes de biocontrôle qui, pour la plupart, exploitent les relations antagonistes entre les organismes vivants ou d'autres éléments de l'écologie des bioagresseurs.
Dans ce contexte, l'exigence principale de la PIC est d'évaluer l'occurrence des bioagresseurs et des auxiliaires dans une parcelle de culture, leur localisation et l'évolution temporelle de ces éléments au cours d'un cycle de culture. Ces paramètres indispensables à la réussite des interventions de protection intégrée ne peuvent être obtenus que par l'observation régulière de la culture.
Des contraintes à surmonter
L'observation des parcelles, pour être efficace et réalisable, doit satisfaire à quelques caractéristiques indispensables :
- le besoin de rapidité impose que les moyens humains mobilisés soient cohérents avec les contraintes de l'exploitation (en général pas plus d'une heure, parfois une demi-journée par semaine selon la culture) ;
- elle doit absolument s'accompagner de la meilleure représentativité des observations des variables biotiques observées à l'échelle de la parcelle ; autrement dit, l'observation doit couvrir tout l'espace parcellaire et toute la diversité des bioagresseurs et auxiliaires d'intérêt ;
- cette méthode doit être suffisamment robuste pour que les observations, si elles sont réalisées régulièrement, puissent être comparables dans le temps et l'espace, même si elles sont issues d'observateurs différents ; seront ainsi révélées les évolutions démographiques des bioagresseurs et des auxiliaires dans le domaine spatio-temporel d'étude ;
- enfin, l'observation doit être non destructive pour la culture et être facile à appréhender et à intégrer à une méthode de travail globale sur l'exploitation.
Afin de répondre à ce besoin de compromis entre représentativité de l'observation et sa faisabilité dans un contexte commercial, l'UMT FioriMed et ses partenaires ont développé une méthode d'observation rapide standardisée. Point important, elle s'adapte à différentes cultures.
Observation rapide : la méthode
Origine et principe
Le premier protocole d'observation rapide créé par l'Inra est prototypé pour la culture de roses coupées (Marchal et al., 2004, Boll et al., 2007, Bout et al., 2009, Robert et al., 2015). Aujourd'hui, des protocoles adaptés aux gerberas fleurs coupées et plantes en pot, géranium et cyclamen plantes en pot, anémones et renoncules sont testés en stations expérimentales ainsi qu'en site producteurs dans le cadre du projet Otelho (Paris et al., 2015).
Le principe général de cette méthode d'observation rapide est de détecter et quantifier les ravageurs, maladies et auxiliaires des parties aériennes des plantes cultivées de façon intégrative, rapide et non destructive.
La quantification visuelle de ces éléments biotiques se fait via des classes d'abondance. En aucun cas, il ne s'agit d'un comptage précis, même partiel, des populations en place. Cette évaluation se fait à différents points répartis sur la parcelle selon un plan d'observation défini dans le protocole.
Cette méthode standardisée peut se décliner en autant de protocoles qu'il existe de cultures, en adaptant la densité des points d'observation, le type de variables observées et les classes d'abondance utilisées (Astredhor, 2014).
Plan d'observation
L'observation se fait sur des points fixes uniformément répartis dans la culture, formant une grille de notation (Figure 1). Sur chaque point se trouve une seule unité d'observation qui consiste le plus souvent en une zone ou un plant de culture avec fleurs ou fruits, tiges et feuillage (Figure 2).
Le nombre et la densité de points d'observation proposés dépendent de chaque culture, mais le compromis entre faisabilité en condition de production et représentativité de l'information spatiale est optimisé. Cela permet de détecter les éléments importants de la parcelle tels que les foyers d'infestation. Cette densité peut varier d'un point d'observation pour 10 m² de culture (roses et gerberas en fleurs coupées) à un point pour 40 m² de culture (gerberas et géraniums en pot).
L'observation, à réaliser chaque semaine, doit suivre rigoureusement le même plan d'observation. Pour cela, il est conseillé de disposer des repères visuels des points d'observation dans la parcelle (marque de peinture, adhésif coloré).
Si une observation « inter-zone » a lieu entre les points désignés, le protocole propose de lier les informations ainsi recueillies au point d'observation le plus proche et de les libeller d'un commentaire adapté.
Variables et classe d'abondance
Les éléments biotiques (bioagresseurs, auxiliaires, dégâts) observés sur les unités d'observation sont appelés « variables ». Elles sont sélectionnées pour leur intérêt épidémiologique vis-à-vis de la culture considérée.
Ces variables testées et validées en conditions expérimentales sont observées sur la fleur, la tige, le feuillage ou le fruit directement à vue et/ou indirectement par frappage léger afin de récupérer d'éventuels insectes et acariens sur une feuille de papier blanc au format A4. Durant cette observation, les densités des populations des différents ravageurs mais aussi des auxiliaires sont évaluées au moyen de classes d'abondance (voir tableau).
Cette évaluation ne doit pas dépasser une minute par point d'observation. Elle est rapide car l'on s'affranchit du comptage : une classe d'abondance étant une quantité d'individus estimée qui peut être strictement qualitative (absence, présence, abondance) ou à borne chiffrée (entre 1 et 3, entre 4 et 10). Ces classes d'abondance sont calibrées en fonction des caractéristiques de chaque bioagresseur (visibilité, démographie, seuil de nuisibilité) afin d'avoir une information suffisamment précise pour pouvoir anticiper l'évolution des épidémies. Les données ainsi recueillies permettront à l'utilisateur de faire rapidement et précisément le diagnostic épidémiologique de sa parcelle.
Intégration de la méthode dans S@M
Adapter son protocole d'observation à sa parcelle
Ces protocoles d'observation rapide peuvent être intégrés manuellement dans S@M afin de produire un formulaire de saisie numérique à renseigner directement sur le terrain via une tablette.
En effet, l'interface de création des protocoles de S@M permet de sélectionner un pool de variables biotiques avec leur classe d'abondance (issus des protocoles co-construit par les partenaires). Il est aussi possible d'éditer ses propres variables d'intérêt avec leur classe d'abondance.
Un plan d'observation composé des points d'observation avec leurs coordonnés x et y (repérées dans le plan de la parcelle) doit également être renseigné à la création du protocole. Il permettra de faire apparaître dans le formulaire de saisie les différents champs de variables à renseigner pour chaque point d'observation, et de visualiser par la suite la répartition spatiale des variables évaluées.
Réaliser sa saisie de terrain
Sur le terrain, le renseignement du formulaire de saisie se fait en cochant les classes d'abondance relatives aux différentes variables. De plus, S@M permet d'associer à chaque saisie des informations climatiques et sur les interventions phytosanitaires (produits ou auxiliaires).
Point important en pratique, le renseignement peut se faire hors connexion. La saisie stockée dans le cash du navigateur sera envoyée vers le serveur dès la connexion rétablie. La saisie est automatiquement datée à la date du jour et il est impossible d'enregistrer deux saisies du même formulaire à la même date (doublon).
Une fois la saisie validée, les données sont directement enregistrées et sécurisées dans un serveur distant de l'Inra. Elles sont ainsi consultables sur la plateforme S@M uniquement par leur propriétaire, analysables directement par les outils de la plateforme mais également exportable au format .xls pour d'autres usages.
Les perspectives
Optimisation
Le mode de création participatif entre les partenaires de l'UMT FioriMed sera poursuivi afin d'améliorer encore le compromis de rapidité et de précision de la méthode d'observation rapide.
Ces optimisations pourront se faire sur le plan d'observation par la diminution de la densité d'unité d'observation ou la redéfinition de celles-ci. Les pools de variables observées pourraient évoluer avec la mise en service de modèles de prédiction épidémiologique s'appuyant sur de nouvelles variables. Les classes d'abondances pourront être ajustées si besoin.
Toutes ces optimisations seront permises dans ce processus continu de co-conception au bénéfice des utilisateurs.
Diversification
De nouveaux projets visent l'adaptation de cette méthode d'observation rapide à d'autres cultures horticoles mais également à d'autres filières, telles que les cultures de tomate sous serre (SmartIPM-ERAN et C-IPM, voir aussi l'article p. 35 « Utilisation de S@M dans d'autres filières »), ou d'autres cultures légumières et vergers d'olivier (IS@M-Interreg Marittimo). Ces projets permettront le déploiement de cette méthode chez les professionnels exploitants et conseillers via l'expérimentation en situation commerciale.
Fig. 1 : Choix des unités d'observation réparties sur une parcelle selon un maillage standard
La densité d'unités d'observation est fonction de la précision spatiale ciblée pour le suivi épidémiologique.
A : Représentation schématique d'une serre horticole avec l'emplacement des unités d'observation de la parcelle.
B : Le plan de ces unités constitue le plan d'observation. Il est conseillé de relever les observations selon un parcours ordonné dans la parcelle, donc de numéroter chaque unité.