Roses pour production de fleurs coupées dans une serre réunionnaise. Photo : Armeflhor, horticulteur : Aldo Grace à Bras de Pontho
L'acarien A. swirskii, qui semble se montrer efficace contre le thrips ravageur de cette culture. Photo : Armeflhor, horticulteur : Aldo Grace à Bras de Pontho
Dans son contexte insulaire et tropical, l'Armeflhor, Institut technique des fruits, des légumes et de l'horticulture de La Réunion, collabore au programme Dephy Expe Otelho, « outil télématique au service de l'horticulture », financé par Écophyto.
Depuis 2013, Otelho nous permet de constater l'enrichissement de notre faune auxiliaire et d'en apprécier la dynamique. Les premiers résultats positifs enregistrés en PBI dans notre serre d'expérimentation de roses nous ont conduits en 2016 à tester le transfert de pratiques chez un rosiériste partenaire. Appuyé par l'Armeflhor, il a débuté un suivi Otelho simplifié.
Contexte sanitaire
Une situation globale difficile
Le climat chaud de l'île raccourcit le cycle des bioagresseurs, ce qui contribue au développement rapide de résistances. Depuis une dizaine d'années, le secteur horticole réunionnais a constaté une aggravation notable de la situation sanitaire.
Ce constat global s'applique à l'ensemble de spéculations, mais c'est le secteur de la fleur coupée qui a donné l'alerte et paie depuis lors le plus lourd tribut sanitaire. En particulier, les horticulteurs producteurs de roses se trouvent dans une impasse sanitaire, et la production locale cède des parts de marché à l'importation.
La qualité de la production de rose locale est fortement affectée par une parasitologie mal contrôlée. Les surfaces de production de rose ont donc été réduites. Ceci est la conséquence visible de l'incapacité des horticulteurs à trouver des parades durables. La relance de la production locale de fleurs coupées de roses ou de chrysanthèmes et le maintien de la qualité des potées fleuries passent par une bonne maîtrise sanitaire.
Acariens et thrips redoutés
Deux familles de ravageurs (acariens et thripidés) sont particulièrement impliquées. Elles sont souvent associées car favorisées toutes deux par les conditions climatiques chaudes et sèches qui caractérisent le plus souvent le climat des serres de production horticoles réunionnaises.
Il est difficile de préciser très nettement une occurrence saisonnière pour ces ravageurs. Les conditions restent globalement favorables aux attaques toute l'année. On note cependant une recrudescence des risques, attestée par les bulletins de santé du végétal édités par la chambre d'agriculture et la FDGDON, de la fin de l'hiver austral (septembre) jusqu'au début de la saison des pluies (janvier).
Globalement, à partir de septembre, les températures s'accroissent, l'hygrométrie de l'air reste faible et les attaques sanitaires s'accentuent. À compter de janvier, en saison des pluies, les températures sont très chaudes mais l'air chargé d'humidité est en général un peu moins favorable aux attaques.
C'est à partir de 2008 que la chambre d'agriculture de La Réunion note une recrudescence nette des attaques du tétranyque tisserand (dit aussi araignée rouge) Tetranychus urticae dans les roseraies de l'île.
Des dégâts de thrips conséquents
Plusieurs espèces de thrips sont impliquées. La présence de Frankliniella occidentalis est avérée depuis plus de vingt-cinq ans à La Réunion. Depuis cette période, F. occidentalis mais aussi deux autres espèces que l'on retrouve localement sur rosier (voir encadré) causent des dégâts conséquents.
Ce n'est que depuis une dizaine d'années que la chambre d'agriculture de La Réunion fait état de la très grande difficulté des rosiéristes réunionnais à maintenir une situation sanitaire sous contrôle. Il est extrêmement probable que les résistances de thrips à divers insecticides sont aujourd'hui devenues très fortes et généralisées.
Perspectives de la PBI et opportunité de l'outil Otelho
Supression de tous les insecticides et acaricides
Le démarrage d'Otelho, en 2013, a été l'opportunité de réorienter notre programme expérimental sur rosier en direction des enjeux sanitaires. La participation de l'Armeflhor à Otelho nous permet de partager nos résultats en groupe de travail, et d'évaluer également les avancées des méthodes de lutte mises en oeuvre sur les autres stations partenaires.
Au démarrage du programme, l'Armeflhor a fait le choix de stopper toute application insecticide ou acaricide, limitant pratiquement la protection sanitaire à la lutte contre l'oïdium. L'objectif de ce parti pris radical était d'observer, au moyen du dispositif d'échantillonnage d'Otelho, l'évolution naturelle des populations de ravageurs.
Recherche d'une faune auxiliaire indigène : pourquoi et comment ?
Surtout nous voulions préciser la nature de la faune auxiliaire qui serait en mesure de s'implanter sur la culture.
La nécessité de rechercher l'apparition d'une faune auxiliaire spontanée aussi diversifiée que possible, provient de notre incapacité réglementaire à introduire et tester à La Réunion des auxiliaires exogènes.
C'est donc seulement sur la base d'une meilleure connaissance des organismes déjà présents sur le territoire que pourra s'organiser la lutte.
La seule contrainte imposée aux auxiliaires était les traitements dirigés contre l'oïdium (myclobutanil, azoxystrobine). Nous avons limité autant que possible les applications de soufre susceptibles de contrarier le développement d'acariens prédateurs.
Un inventaire préalable
Des acariens prédateurs
Phytoseiulus persimilis, le prédateur spécifique de tétranyques, est présent à La Réunion. La FDGDON a mis en place l'élevage de la souche réunionnaise. Il a été lâché avec succès sur des parcelles de production de rosiers (serre expérimentale de l'Armeflhor en 2008) mais aussi des parcelles de production de fraisiers de plein champ. Neoseiulus barkeri et Neoseiulus fallacis sont également cités par Serge Quilici (1997), dans la revue Acarologia.
Malgré la présence, avérée par cette publication, de ces acariens prédateurs dans le milieu naturel, on ne les rencontre jamais sous serres de production horticoles ou maraîchères. La lutte sanitaire conventionnelle, jusqu'alors pratiquée en serres horticoles, limite les chances de les y retrouver.
Une punaise indigène à La Réunion
Nesidiocoris volucer est une punaise prédatrice. Elle est proche de l'espèce Nesidiocoris tenuis, plus connue et déjà proposée dans certains catalogues de biofabriques. Nesidiocoris volucer est pour sa part indigène à La Réunion et n'a fait l'objet d'aucun élevage en dehors de l'île où elle intéresse la biofabrique réunionnaise La Coccinelle.
Elle est apparue spontanément, depuis le milieu naturel, dans les élevages de la biofabrique La Coccinelle sur des populations d'aleurodes. Constatant sa faculté à se maintenir dans les serres de production d'auxiliaires, la biofabrique a mis au point une technique d'élevage de l'espèce.
La Coccinelle est désormais en mesure de proposer Nesidiocoris volucer aux partenaires de la recherche (Cirad) et de l'expérimentation horticole (Armeflhor). Les trois structures sont par ailleurs associées pour l'étude et l'évaluation du potentiel de cette punaise comme auxiliaire de cultures des plantes maraîchères et horticoles à La Réunion (voir encadré page précédente).
Nouveaux auxiliaires sur gerbera et rosier
Évaluation de Nesidiocoris volucer sur gerbera à l'Armeflhor
Après l'avoir expérimentée par notre institut technique sur production légumière depuis 2013, nous avons résolu de tester son efficacité sur gerbera dans le cadre du programme Otelho.
Des tests préliminaires nous avaient permis de préciser que Nesidiocoris volucer ne réalisait pas son cycle complet sur la culture du rosier, nous avons donc abandonné l'idée de l'introduire sous la serre de roses. En revanche, sur gerbera, les tests préliminaires semblaient encourageants. Nous avons donc choisi d'intégrer cette punaise dans notre dispositif « Otelho potées de gerbera ».
Un acarien auxiliaire inconnu dans la serre expérimentale de roses
L'échantillonnage Otelho de la serre expérimentale de roses nous a permis d'assister en temps réel à l'apparition et au développement d'un acarien prédateur. Sa morphologie suggérait qu'il s'agissait d'un phytoséïde, sans qu'il ne nous soit possible localement de l'identifier formellement.
Au-delà de la détection précoce de cet acarien, l'outil d'aide à la décision nous a permis de visualiser en temps réel la progression de l'auxiliaire dans la serre. Dans le même temps, les sorties graphiques d'Otelho nous permettaient de visualiser une certaine régulation des populations de thrips.
L'apport de l'outil d'aide à la décision
En effet, à compter de la date du repérage des premiers phytoséïdes sur la culture (14 avril 2014), nous avons pu constater au travers des sorties graphiques d'Otelho, et cela à plusieurs reprises, que les populations de thrips et de phytoséïdes fluctuaient de façon inversement proportionnelle dans le temps. Ceci suggérait fortement une interaction proie/prédateur.
Sans que nous ne puissions encore conclure, sur la base de ces seuls éléments, à une relation certaine proie/prédateur, tout du moins les sorties graphiques d'Otelho la suggèrent fortement. Des travaux d'expérimentation spécifiques conduits par l'Armeflhor avec ses partenaires sont en cours pour le démontrer et le quantifier (voir encadré page précédente). Ainsi, au travers de ces premiers constats graphiques encourageants, nous avons réalisé qu'il était primordial d'acquérir plus de certitudes sur cette prédation supposée.
La détermination de l'auxiliaire
L'identification du Phytoseiidae devrait nous apporter des réponses, de même que des dispositifs d'essais appropriés étaient à prévoir pour caractériser clairement cette prédation.
Nous avons donc transmis à Montpellier SupAgro (Pr Serge Kreiter) des échantillons de notre acarien. Ces derniers ont été formellement caractérisés comme appartenant à l'espèce Amblyseius swirskii, tant sur la base des critères morphologiques que génétiques. Ces éléments ont fait l'objet en 2016 d'une short note dans Acarologia et d'un article dans Phytoma (voir bibliographie).
La présence de « swirskii » à La Réunion constituait une surprise. Cette espèce n'avait pas été décrite dans le précédent inventaire local des acariens indigènes établi en 1997 par Serge Quilici.
Cadre réglementaire et hypothèses sur l'introduction d'A. swirskii
Du fait des spécificités de la réglementation qui s'applique à La Réunion, aucune introduction d'A. swirskii n'y a été autorisée. Pour espérer voir aboutir un dossier d'introduction, il aurait fallu que swirskii ait fait l'objet préalablement d'un signalement à La Réunion en tant qu'espèce indigène ou présente.
Seules des hypothèses sont à même d'expliquer l'origine de sa présence sur l'île. L'espèce a pu être introduite sur des végétaux (importations de fleurs coupées ou de jeunes plants conduits en PBI) ; une introduction intentionnelle non déclarée est également possible.
Amblyseius swirskii semble maintenant s'être largement naturalisé dans l'environnement et on le retrouve spontanément en différents lieux et situations. Il est souhaité qu'un inventaire plus détaillé de sa répartition sur l'île et de celle d'autres acariens prédateurs soit réalisé prochainement.
Quoi qu'il en soit, la présence de swirskii sur l'île constitue aujourd'hui une opportunité pour tester des stratégies de lutte intégrées. Les connaissances importantes accumulées sur cet acarien et son utilisation très fréquente dans les stratégies de PBI horticoles lui confèrent un intérêt évident dans notre contexte local.
La PBI sur plantes en pot à l'Armeflhor
Le gerbera visé par les thrips
Le programme Otelho de l'Armeflhor s'intéresse également aux potées fleuries. Le gerbera a été retenu comme modèle d'étude. Le premier cycle de production suivi a été conduit en 2014.
Dans les conditions locales de La Réunion, on retrouve sur cette espèce le cortège des bioagresseurs auquel elle est généralement sensible. L'oïdium, les aleurodes et les tarsonèmes sont fréquents mais globalement bien gérés. La maîtrise des thrips est en revanche très problématique. La sévérité des attaques induites par les thrips a eu ces dernières années pour conséquence la diminution de la production de potées de gerbera. La dégradation de la qualité du produit à la vente et l'augmentation globale de la pression sanitaire en présence de gerbera sous les serres, a découragé durablement sa production.
La pression sanitaire est également très forte sur les potées de chrysanthèmes. Dans ce contexte sanitaire difficile, il faut noter la très grande motivation des horticulteurs, partenaires de nos essais, pour remédier à leurs problématiques sanitaires. La prise de conscience professionnelle est dictée par plusieurs enjeux : santé des applicateurs, maîtrise des coûts de traitement, fortes résistances constatées en particulier des thrips, volonté sociétale de répondre aux enjeux agroenvironnementaux...
L'apport d'Otelho dans les échanges professionnels
Au-delà de sa vocation expérimentale, Otelho s'impose comme support de la connaissance de l'évolution de la dynamique sanitaire de nos productions horticoles. Il apporte une visibilité immédiate de la situation de la culture, ce qui est apprécié des horticulteurs partenaires.
Les sorties graphiques de l'outil nourrissent les échanges entre la technicienne d'expérimentation de l'Armeflhor et les horticulteurs. Ceux-ci modifient leur regard sur les ravageurs, s'intéressent davantage à leur dynamique et à celle des auxiliaires. La confiance qu'ils accordent à cette aide à la décision devient déterminante pour faire évoluer leurs stratégies de traitements. L'évaluation fiable des risques permet souvent d'assumer le choix de diminuer la cadence des traitements.
Avec le recul des cinq cycles de cultures déjà suivis, et compte tenu des bons résultats sanitaires obtenus, on note avec satisfaction la très forte réduction de l'indice de fréquence de traitement sur potées de gerbera. La conduite de l'itinéraire technique en PBI sur gerbera (Nesidiocoris volucer, voir encadré p. 25) renforce par ailleurs l'intérêt pour l'outil de pilotage Otelho.
Apprécié pour la simplicité et la qualité des supports visuels qu'il fournit, il constitue l'interface des échanges entre techniciens et horticulteurs sur les sujets phytosanitaires.
En route vers le transfert en entreprises
Rose fleur coupée : les premiers pas vers le transfert aux horticulteurs
Parallèlement à la poursuite du programme Otelho sur rose et potées, nos adhérents souhaitent que nous puissions leur proposer des solutions techniques transférables.
Ce travail doit permettre d'évaluer, sous leurs serres de production, notre capacité à reproduire les méthodes qui donnent de bons résultats techniques sur le site d'expérimentation de l'Armeflhor du point de vue de la pression des thrips. Nous notons ces résultats positifs depuis la plantation de notre serre en novembre 2014, période où nous avons fait le choix de réduire drastiquement la fréquence des traitements.
C'est sur la base de cette expérience encore courte, avec le support méthodologique d'Otelho et de l'auxiliaire nouvellement identifié Amblyseius swirskii, que nous avons débuté en août 2016 notre collaboration, pour un test à caractère démonstratif, sous une serre de production d'un rosiériste partenaire.
Un dispositif Otelho simplifié pour un suivi par l'horticulteur
Notre dispositif d'échantillonnage Otelho se veut suffisamment allégé pour qu'il puisse permettre à l'horticulteur d'en assurer lui-même le suivi (notation des ravageurs, auxiliaires et maladies) sans y consacrer un temps trop important.
Nous avons donc résolu, sous sa chapelle test de 300 m², isolée du reste de sa production de rose, de réduire le dispositif d'échantillonnage à quinze points de mesure. La plantation de la parcelle a été réalisée en juillet 2016 en plein sol. Ceci correspond, à La Réunion, au mode de conduite de la quasi-totalité de la production.
L'intérêt de ce test s'appuie avant tout sur la très grande motivation de l'horticulteur. Pour réaliser cette conversion des pratiques phytosanitaires afin de mieux les résoudre, cette motivation est déterminante.
C'est sur la base d'une meilleure analyse des dynamiques de populations de ravageurs, permettant la diminution des IFT et avec l'appui de notre très récent acarien auxiliaire, que nous pourrons envisager de rétablir un équilibre. La parcelle pilote de notre partenaire est en tous points représentative de celles des autres rosiéristes de l'île. C'est donc avec le plus grand intérêt que nous débutons avec lui cette expérience de transfert.
Nous souhaitons qu'elle nous apporte de nouvelles raisons de maintenir nos efforts, dans le sens d'une meilleure analyse du caractère dynamique de la maîtrise sanitaire, pour limiter la fréquence des traitements, dans le cadre d'une production sanitaire intégrée.
Lutte contre les thripidés à La Réunion : une priorité des différents partenaires
Au sein de l'UMT SPAT, l'Armeflhor collabore avec le Cirad, la FDGDON, la biofabrique Coccinelle et la chambre d'agriculture sur les problématiques sanitaires maraîchères, horticoles et arboricoles relatives aux thrips.
Pas moins de soixante espèces de thrips sont répertoriées à La Réunion.
Trois de ces espèces intéressent directement la production de roses. Ce sont Frankliniella occidentalis, Echinothrips americanus et Thrips hawaïensis.
Sur la base d'une première campagne d'analyses, la répartition des espèces varie en fonction des établissements des rosiéristes.
Nous ne disposons pas suffisamment de recul pour affirmer si la répartition spécifique est liée à l'altitude de production ou à d'autres facteurs. En revanche, il semble bien que la répartition spécifique ou les interactions entre les espèces dans un même site de production influencent l'ampleur des dégâts.
L'Armeflhor a engagé en 2016, en partenariat avec le Cirad, des travaux préliminaires afin de mieux appréhender les interactions entre les trois espèces de thrips présentes sur rosier.
La collaboration entre l'Armeflhor et la biofabrique La Coccinelle s'intéresse en priorité à l'évaluation de la prédation des thrips par la punaise Nesidiocoris volucer dont ils mettent au point l'élevage. À noter : cette punaise est connue par ailleurs comme un excellent prédateur d'aleurodes.
Enfin, la collaboration entre l'Armeflhor et la chambre d'agriculture vise à faciliter le transfert des résultats expérimentaux aux rosiéristes réunionnais. But : proposer un suivi Otelho simplifié aux rosiéristes engagés dans la démarche.