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Alerte

Un nouveau papillon ravageur des yuccas sur la Côte d'Azur

JEAN-FRANÇOIS GERMAIN*, RAPHAËLLE MOUTTET*, JEAN-MARIE RAMEL*, KARINE PANCHAUD**, JOËL MINET***, STEVEN C. PASSOA**** ET ÉRIC CHAPIN***** - Phytoma - n°702 - mars 2017 - page 8

Les larves de Batrachedra enormis peuvent causer des dégâts spectaculaires sur yuccas. Présentation de cet insecte.
1. Dégâts constatés en septembre 2011 sur un lot de yuccas, dans le Var.  Photo : É. Chapin

1. Dégâts constatés en septembre 2011 sur un lot de yuccas, dans le Var. Photo : É. Chapin

2. Le responsable, Batrachedra enormis. Ici, adulte (imago) au repos. Il est issu de l'élevage de larves prélevées en 2016. Photo : É. Chapin

2. Le responsable, Batrachedra enormis. Ici, adulte (imago) au repos. Il est issu de l'élevage de larves prélevées en 2016. Photo : É. Chapin

3. Symptômes sur feuille de yucca dus à B. enormis  Photo : É. Chapin

3. Symptômes sur feuille de yucca dus à B. enormis Photo : É. Chapin

4. Larve de B. enormis avec galerie dans une feuille de yucca. C'est, à notre connaissance, la première photo de larve de cette espèce. Photo : É. Chapin

4. Larve de B. enormis avec galerie dans une feuille de yucca. C'est, à notre connaissance, la première photo de larve de cette espèce. Photo : É. Chapin

En juin 2011, un lot de Yucca gigantea (Asparagaceae) provenant d'Italie, stocké dans le Golfe de Saint-Tropez, portait des feuilles dégradées dans lesquelles se développaient des larves de lépidoptères. Le lot avait été détruit, cinq ans ont passé... Mais en 2016, les mêmes larves ont été trouvées, et ceci dans un jardin.

Étapes d'une identification

Soupçons en 2011

L'identification morphologique des adultes en 2011 n'avait pu aboutir qu'à la famille de Batrachedridae, avec de bons indices en faveur de l'espèce Batrachedra enormis au vu de leur écologie. L'ADN d'un spécimen avait été séquencé, mais la séquence n'avait pas pu être exploitée faute de référence dans les bases de données. Des mesures d'éradication (destruction du lot) avaient alors été mises en oeuvre par le propriétaire. Cette détection avait été classée comme marginale... a priori !

Morphologie et barcoding en 2016

En août 2016, ces mêmes larves ont été observées sur un yucca dans le jardin d'un particulier à Sanary-sur-Mer, dans le Var. Ces larves creusent des galeries dans les feuilles de la plante, l'endommageant très sérieusement (photo 1).

Des larves prélevées ont pu être élevées et aboutir à des imagos (photo 2). L'identification morphologique par analyse des genitalia de deux des mâles issus de cet élevage (Figure 1) a permis d'établir qu'il s'agissait de l'espèce Batrachedra enormis Meyrick, 1928 (Lepidoptera : Batrachedridae).

L'identification a été confirmée par barcoding, en séquençant la région standard du gène COI d'un spécimen et en la comparant aux séquences de référence de B. enormis à présent disponibles dans la base de données Bold.

Une espèce établie

Cette découverte a motivé une prospection dans l'est du département du Var. Cela a permis de retrouver, en octobre 2016, un foyer à Grimaud sur des yuccas plantés en pleine terre. L'identification des prélèvements de septembre 2011 et d'octobre 2016 montrent qu'il s'agit là aussi de B. enormis.

Il est ainsi mis en évidence que cette espèce s'est établie sur la côte varoise, se reproduisant depuis plusieurs années. C'est le premier signalement de cette espèce en France et en Europe.

Origine et distribution

Batrachedra enormis est une espèce d'origine américaine présente au Mexique et dans les États du sud des États-Unis, de la Californie à la Caroline du Sud (Hodges 1966, Powell & Opler 2009, http://mothphotographersgroup.msstate.edu/species.php?hodges=1413).

Plantes-hôtes

Les papillons du genre Batrachedra Herrich-Schäffer, 1853, sont connus pour se rencontrer sur une grande variété d'hôtes (souvent de monocotylédones). Avant les observations en Europe, aucune plante-hôte n'avait été répertoriée dans l'aire d'origine de B. enormis où cette espèce ne semble pas être un ravageur des yuccas.

En France, elle a été identifiée sur Yucca gigantea Lem. (syn. Yucca elephantipes Regel ex Trel., nom illégitime). Cette plante, native du sud du Mexique et du Guatemala, est utilisée en Europe, en extérieur, pour agrémenter les jardins des côtes méditerranéennes et atlantiques et, en intérieur, comme plante d'appartement. Les sujets de grande taille sont fréquents dans les pépinières du sud de l'Europe.

B. enormis a été interceptée en Suisse sur Y. gloriosa L. et Y. rostrata Engelm. ex Trel. (Bünter & Schaub, 2015). Elle a dû entrer en Europe via l'importation de yuccas infestés.

Compte tenu des lacunes dans nos connaissances relatives à cet insecte, il est impossible de préciser s'il s'agit d'une espèce spécialisée sur les yuccas ou si elle a une plasticité lui permettant de se développer sur d'autres genres végétaux voisins des yuccas.

Caractéristiques morphologiques

La taille des adultes issus des larves récoltées dans le Var est d'environ 11 mm (longueur en position de repos) (photo 2). C'est légèrement en deçà de la taille minimale annoncée par Hodges (1966). Ce dernier auteur donne en effet une envergure alaire de 22 à 33 mm.

Pour l'essentiel, les adultes sont de couleur ocre clair avec un saupoudrage de nombreuses taches brun-noir. La distribution plus ou moins importante des écailles constituant ces taches peut amener des variations dans l'aspect plus ou moins foncé du papillon (Hodges 1966).

Les palpes labiaux sont ocre clair avec quelques marques brunes, tout comme les antennes.

La tête est ocre clair avec quelques écailles brunes à la base des antennes, la partie supérieure présente une rangée médiane d'écailles brunes qui se poursuit le long du thorax.

Les ailes antérieures (visibles sur la photo 2) sont de la même couleur avec une frange marquée de brun-noir sur le côté interne (sur 80 % de leur longueur de l'apex vers la base). Elles sont ornementées de plusieurs taches noirâtres, une près de la base, une en région terminale et une (plus grosse) dans le premier tiers de l'aile en position dorsale (submarginale). L'aile antérieure dans son ensemble est saupoudrée d'écailles brun-noir.

Les ailes postérieures, légèrement plus claires, sont bordées de longues franges, celle du bord inférieur étant la plus longue.

Les pattes (photo 2) sont globalement brun ocre, les fémurs étant plus foncés que les tibias, l'ensemble avec de nombreuses écailles brunes. L'abdomen, ocre brun, est orné de taches brun noir.

En général c'est l'observation des genitalia mâles (Figure 1) qui permet une identification morphologique fiable des microlépidoptères. Chez B. enormis, les valves sont de forme elliptique, avec l'apex arrondi. Leur centre est pourvu d'une longue épine formée par la fusion de deux soies. L'édéage (Figure 2) mesure environ deux fois la distance séparant la base du saccus de l'apex de l'uncus. Il présente une expansion unilatérale juste avant son apex. Quant aux genitalia femelles, ils sont illustrés par Hodges (1966).

La larve et la nymphe n'ont jamais été décrites. La larve est illustrée ici pour la première fois (photo 4).

Biologie

Dans le sud-ouest des États-Unis, les imagos sont observés de mars à octobre mais la biologie de l'espèce et ses capacités d'adaptation à un nouvel environnement restent inconnues. En France, les maigres éléments d'écobiologie collectés sont très insuffisants pour comprendre le comportement de l'insecte et définir une stratégie de lutte. Les larves vivent en creusant des galeries dans les feuilles et les couches superficielles des stipes (photos 1, 3 et 4). En conditions d'élevage, qui rappelons-le visaient à obtenir des adultes pour l'identification, la chenille tisse un cocon hors des tissus végétaux. Les examens des végétaux infestés n'ont pas permis d'observer de cocons sur les plantes. Il est difficile de dire où se trouvent les cocons en conditions naturelles.

En laboratoire, l'émergence de l'imago a lieu entre deux et trois semaines après la formation du cocon. Au moins quatre stades larvaires ont été observés dans les échantillons prélevés. Les adultes semblent être actifs la nuit et se cachent le jour. Leur couleur et leur forme les rendent particulièrement discrets et difficilement détectables.

Symptômes et dommages

Sur les feuilles, on constate des écoulements de résine, des zones nécrosées (correspondant à la forme de la galerie) et des trous (a priori d'émergence) de 2 à 3 mm de diamètre. L'observation de l'intérieur des bases foliaires permet de déceler de larges galeries pouvant contenir plusieurs larves. Ces galeries peuvent s'étendre jusqu'aux tissus de la périphérie du stipe, sans s'y développer. Les symptômes correspondent, en quelque sorte, à une mineuse de feuille. Les dégâts induits gênent (parfois très fortement) le développement des jeunes feuilles et la croissance apicale des tiges. La valeur ornementale des sujets infestés est dépréciée.

Les mesures d'éradication prises n'ont pas permis de suivre l'évolution mais, eu égard aux dégâts engendrés, il est possible que ce phytophage engendre la mort de tiges ou de jeunes yuccas après plusieurs attaques successives. Dans le Var, B. enormis a été observé en extérieur et sous abris.

Conclusion

En Europe, jusqu'à présent Opogona sacchari (Bojer, 1856) (Tineidae) était la seule espèce régulièrement rencontrée en pépinière sur yucca. Et en extérieur, les yuccas de la Côte d'Azur sont déjà attaqués par le charançon de l'agave, Scyphophorus acupunctatus (Gyllenhal, 1838). Notre détection et nos observations ajoutent Batrachedra enormis qui est devenu un ravageur émergent pour les cultures et les plantations de yuccas en Europe.

La capture de ce lépidoptère dans le Var (latitude : 43 °) à cinq années d'intervalle, sa distribution très probable dans les pépinières du sud de l'Europe et les échanges commerciaux de plantes ornementales rendent son éradication illusoire. Vu les dégâts et le manque de connaissances sur la bioécologie et les méthodes de lutte, la destruction des sujets infestés semble être la seule mesure efficace à ce jour, au moins pour limiter la dissémination des foyers.

Du fait de son interception sur des lots de végétaux en Europe, il apparaît que cette espèce de microlépidoptère est disséminée par les végétaux, en l'occurrence les yuccas. Une surveillance accrue des lots de yuccas, associée à la sensibilisation des réseaux d'épidémiosurveillance, permettrait, en plus de lutter, de préciser la fréquence de détection et la distribution de ce nouveau lépidoptère pour la faune de France. L'étude de la biologie et la mise au point de méthodes de lutte contre ce nouveau nuisible pourraient faire l'objet d'un programme de recherche.

*Anses, Laboratoire de la santé des végétaux, Montferrier-sur-Lez. **Vegetech, La Crau. ***Muséum national d'Histoire naturelle, Paris. ****Museum of Biodiversity, États-Unis. *****Cosave, Pignans.

Fig. 1 : Genitalia mâle de Batrachedra enormis

 Photo : LSV

Photo : LSV

Chez les microlépidoptères, les espèces sont difficiles à différencier par le simple examen des adultes. L'étude des genitalia mâles est nécessaire.

Fig. 2 : Édéage du mâle

 Photo : LSV

Photo : LSV

L'expansion unilatérale visible ici est une des caractéristiques de l'espèce.

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RÉSUMÉ

CONSTAT - Un nouveau ravageur émergent s'ajoute à la liste des insectes nuisibles rencontrés sur yuccas en France. Batrachedra enormis est maintenant établi sur la Côte d'Azur.

CONNAISSANCES - L'élevage de larves ayant causé des dégâts sur yuccas a abouti à l'émergence d'adultes ayant permis l'identification, et a augmenté la connaissance, encore fragmentaire, de ce lépidoptère d'origine américaine.

MOTS-CLÉS - Jevi (jardins, espaces végétalisés et infrastructures), cultures ornementales, pépinières, yucca, ravageur, Batrachedra enormis.

SUMMARY

ABSTRACT - We report the introduction and establishment of Batrachedra enormis, a North American moth, for the first time in southern France (Côte d'Azur). It feeds on yuccas and can be added to the list of the pests which are harmful to these plants in France and potentially other parts of Europe.

KEYWORDS - Pests, Batrachedra enormis, yuccas.

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACT : jean-francois.germain@anses.fr

LIEN UTILE : www.anses.fr/fr/content/laboratoire-de-la-santé-des-végétaux

BIBLIOGRAPHIE : - Bünter M., Schaub L. 2015, Vorsicht bei Pflanzenimporten : Blinde Oassagiere. Schweizer Zeitschrift für Obst und Weinbau (SZOW), Nr 12/2015 : 20-22.

- Hodges R.W. 1966. Review of the new world species of Batrachedra with description of three new genera (Lepidoptera : Gelechioidea). Transactions of the American entomol. Soc., 92 : 585-651.

- Powell J.A., Opler P.A. 2009. Moths of western North America. University of California. 369 pages.

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