Une étude a été conduite sur un micro-bassin versant bananier à la Martinique. Il s'agissait d'évaluer l'effet, sur l'environnement, de plantes de service implantées dans l'interrang couplées à un changement de pratiques de désherbage. Le but : diminuer les pics de pollution et le transfert de substances actives herbicides et fongicides vers les eaux brutes.
Concilier production et économie
Un contexte tropical sensible à tous points de vue
En zone tropicale, avec des régimes pluviométriques intenses et des reliefs parfois accidentés, les risques de pollutions diffuses dus à l'entraînement des substances actives phytosanitaires dans les eaux sont généralement plus élevés qu'en zone tempérée. Le cas des bananeraies martiniquaises est représentatif de cette situation sensible sur le plan environnemental.
Pour autant, les produits phytosanitaires y sont aujourd'hui utilisés. Ils sont destinés à lutter contre l'envahissement des bananeraies et des chemins d'accès par les adventices et prévenir les dégâts de parasites très préjudiciables tels que la cercosporiose noire, champignon pathogène des bananiers. Il apparaît donc indispensable de trouver des solutions pratiques permettant aux planteurs de concilier des enjeux économiques et environnementaux.
Une étude multipartenaire au coeur d'une plantation
C'est dans ce contexte que l'étude Agéris Rifa a été mise en place à La Martinique. Elle vise à évaluer l'impact environnemental de changements de pratiques culturales et d'aménagements parcellaires sur le transfert des produits phytosanitaires dans l'eau.
Afin de maîtriser au mieux l'intégralité des pratiques et intrants en privilégiant la participation de l'agriculteur, l'étude a été réalisée sur un micro-bassin versant constitué d'une seule exploitation. Elle a été conduite sur trois ans à l'initiative de Syngenta France en partenariat avec la filière banane représentée par l'Institut technique tropical (IT²), l'Office de l'eau (ODE) de Martinique, l'Institut national de recherches en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (Irstea) et la SARL Rifa sur laquelle s'est déroulée l'étude.
Sur cette exploitation de 36 hectares de bananeraie qui se situe au Lamentin, à proximité de Fort-de-France, un bassin versant de 7,7 hectares a été identifié. Il a permis de conduire l'étude sur un site jugé représentatif des exploitations locales en termes de relief et qui, en même temps, se trouve relativement isolé vis-à-vis du risque de pollutions exogènes. Le projet a été décrit dans Phytoma en décembre 2014.
Ce projet a été financé par l'Office de l'eau de la Martinique, l'Institut technique tropical et la société Syngenta France. Le volet communication a par ailleurs fait l'objet d'un financement du Comité d'agglomération du centre de la Martinique (Cacem).
Un travail en trois temps
L'étude s'est déroulée en trois phases. De juin 2012 à août 2013 (période 1 pour le suivi), une période de référence a permis d'enregistrer des données sur les pratiques conventionnelles avec leur incidence sur la qualité de l'eau.
Ensuite, de septembre 2013 à septembre 2014 (période intermédiaire) des actions ont été réalisées :
- l'aménagement sur le parcellaire dont l'implantation de plantes de couverture sur une partie du bassin versant ;
- des modifications de pratiques, notamment de désherbage.
Enfin, d'octobre 2014 à décembre 2015 (période 2 pour le suivi), des analyses d'eau et de matières en suspension ont été effectuées pour évaluer l'impact des nouvelles pratiques sur la qualité de l'eau.
Le travail réalisé
Entretien mécanique et utilisation de plantes de couverture
D'abord, dès septembre 2013, les abords de la ravine et les chemins bordant le bassin versant ont été désherbés mécaniquement et non plus chimiquement (photo 1).
Par ailleurs, des plantes de couverture ont été testées sur les flancs du bassin versant pour leur capacité à prévenir le ruissellement. Il s'agit du petit mouron (Drymaria cordata) et de l'arachide sauvage (Arachis pintoï). La première, caryophyllacée aux tiges rampantes, bien adaptée à l'ombrage, est connue comme non concurrente vis-à-vis du bananier. La seconde a été testée car elle a l'avantage d'être une légumineuse pérenne au système racinaire puissant offrant une bonne protection contre l'érosion.
Ces plantes ont été implantées sous forme de bouture sous la canopée. Seul le petit mouron s'est réellement développé (Figure 1 photo A). Il a donc été implanté sur une surface de 3,4 ha de chaque côté du bassin versant, de part et d'autre de la ravine en privilégiant les bas de pentes. La zone couverte représente ainsi 45 % de la surface totale (Figure 1B).
Le caya blanc (Cleome rutidosperma), espèce spontanée naturellement présente sur l'exploitation agricole, a par ailleurs été favorisé. En effet, il était possible d'en attendre les avantages d'une plante de couverture.
Mesure de l'effet des aménagements
Une station hydrologique avec prélèvements d'échantillons d'eau à l'exutoire du bassin versant a permis de suivre les teneurs en matières en suspension (MES) et les substances actives présentes dans l'eau brute avant et après les aménagements et changements des pratiques de l'agriculteur.
Au total, plus d'une centaine d'échantillons d'eau ont été expédiés en métropole et analysés par le Laboratoire de la Drôme.
Les analyses ont porté sur les substances actives contenues dans des produits phytosanitaires utilisés pour la protection de la bananeraie en végétation durant les périodes 1, intermédiaire ou 2 : glyphosate et son métabolite (AMPA), fluazifop-p-butyl, glufosinate ammonium, difénoconazole, propiconazole et trifloxystrobine. De plus, une substance active utilisée autrefois sur bananes, la chlordécone, a également été recherchée
Suivi climatologique
Les deux périodes de suivi (périodes 1 et 2) ont été comparées sur le plan climatique et hydrologique (Figure 2). Il en ressort qu'il n'existe pas de différence significative du point de vue climatologique entre les deux périodes. L'analyse hydrologique montre qu'en moyenne le bassin versant transforme 77 % de la pluie en débit sur une année.
Évolution des pratiques
Baisse de 71 % de l'utilisation d'herbicides
Durant la période de référence 2012-2013, le désherbage sur l'ensemble du bassin versant (7,7 ha) a été réalisé principalement avec les substances actives suivantes : glyphosate (2 448 g), glufosinate (6 412 g) et fluazifop-p-butyl (3 225 g) par pulvérisation à dos (voir tableau ci-contre).
À noter : durant cette période, 504 g de glyphosate et 1 762 g de fluazifop-p-butyl ont été appliqués sur les bords des parcelles proches de la ravine (traces). En effet, la réduction de l'activité de production agricole entre juin et août 2012 après un cyclone avait impliqué une réduction de l'entretien... fatalement suivie d'une période de rattrapage herbicide.
Selon les mesures effectuées d'octobre 2014 à décembre 2015 (période 2 de suivi), les changements de pratiques issus de la stratégie d'aménagement ont permis de diminuer la pression herbicide de 71 % : abandon du fluazifop-p-butyl, réduction du glufosinate, mais maintien des quantités de glyphosate. Les applications sur traces ont été réduites de 68 % du fait de la transition vers une technique mécanique.
Modification pour les fongicides
Du fait d'un changement réglementaire survenu en 2013 avec l'interdiction des traitements par voie aérienne, les traitements fongicides ont subi d'importantes modifications au point de vue :
- de leur mode d'application avec le passage d'application par voie aérienne à des applications réalisées au canon ;
- des fréquences et programmes appliqués.
On constate ainsi (voir tableau) une consommation supérieure d'un fongicide, probablement temporaire, liée au temps d'adaptation des nouvelles techniques d'application par le planteur.
Résultats sur le transfert des produits
Baisse des concentrations dans l'eau
La comparaison des concentrations retrouvées dans l'eau entre les deux périodes, avant et après aménagements et changements de pratiques, montre une forte diminution des concentrations pour les herbicides, une légère diminution pour le difénoconazole et une augmentation pour le propiconazole, alors que les matières organiques en suspension (MES) restent sensiblement identiques (Figure 3).
Les résultats d'analyse révèlent qu'il n'y a pas concomitance entre exportation de substances actives vers l'eau et chargement des eaux en matière organique (MES). Ceci confirme qu'un des critères majeurs de risque d'exportation est la proximité temporelle de l'application combinée à l'événement pluvieux.
Baisse des flux de matières actives exportées
Le flux de matière active totale exportée par hectare a été divisé par deux entre les deux périodes : 19 g/ha pour 2 kg de matière active appliquée à l'hectare en période 1, et 9,5 g/ha pour 1,75 kg de matière active totale appliquée après aménagements.
Pour chaque substance appliquée, un rapport entre flux de substance exportée vers l'eau par rapport à la dose totale appliquée a été calculé (Figure 4). Il permet de constater après aménagements, pour toutes les substances actives, un flux inférieur à 1 %. Il a été abaissé de plus de 75 % pour le glyphosate et son métabolite l'AMPA et de 30 % pour l'ensemble des fongicides.
Dans le cas du glyphosate, la forte baisse peut être attribuée à l'installation des plantes de couverture et à l'absence d'utilisation sur les traces le long de la ravine, le mode d'application n'ayant pas changé. Pour les fongicides, le mode d'application ayant changé, il est plus difficile de conclure sur l'effet des plantes de couverture. Cependant, le ratio « flux exporté sur dose appliquée » a nettement diminué entre les deux périodes. Il a été divisé par plus de trois alors que les doses appliquées ont été multipliées par deux (somme des triazoles : difénoconazole et propiconazole). On peut conclure à un effet positif des aménagements sur la réduction des transferts des fongicides.
Au final, pour l'ensemble des matières actives, on obtient en première période 0,9 % de flux exporté sur la dose appliquée contre 0,5 % à la suite des aménagements.
Le cumul annuel des quantités de pesticides apportées et des quantités exportées entre les deux périodes montre que l'ensemble des changements a permis une réduction de 49 % des flux à l'exutoire (Figure 5).
Plantes de couverture : bilan
Pas d'effet visible sur l'érosion
L'impact des plantes de couverture sur l'érosion n'a en revanche pas pu être démontré dans le cadre de cette étude. En effet, aucune réduction des matières en suspension (MES) n'a été constatée alors qu'il n'y a pas eu de modification hydrologique notable. Dans le contexte de cette exploitation, il n'existerait donc pas de corrélation entre les MES et les substances phytosanitaires retrouvées. Trois interprétations sont possibles :
- le flux de MES est trop faible pour être touché par les aménagements, du fait d'une faible sensibilité à l'érosion ;
- l'effet positif des aménagements porterait majoritairement sur la limitation du ruissellement instantané lors des épisodes pluvieux, diminuant ainsi l'arrivée de substances actives solubilisées vers la ravine après ces épisodes pluvieux répétés ;
- le flux de matière en suspension de la ravine ne passerait pas par la bande enherbée et ne serait donc pas touché par l'implantation des plantes de couverture.
Le seul moyen qui permettrait d'accéder à une quantification propre du phénomène érosif serait de suivre indépendamment deux parcelles présentant les mêmes caractéristiques (topographique et pédologique), à l'exception de la couverture interrang
Étudier la question de l'implantation des plantes de couverture
Au regard des résultats obtenus, l'implantation des plantes de couverture doit faire l'objet de réflexions concernant les surfaces implantées et la période de mise en place :
- l'absence d'effet significatif sur les MES peut suggérer qu'une étendue supérieure couverte par les plantes de couverture aurait été plus appropriée vu la topographie des parcelles. Le versant nord du bassin versant, dont la pente se situe entre 20 % et 25 %, est couvert sur une hauteur de 60 m à partir du bas de la ravine, soit environ les deux tiers de sa hauteur. Ce niveau de pente pourrait éventuellement nécessiter une couverture sur toute la hauteur du bassin et/ou la couverture de certains interrangs de bananiers qui sont actuellement réservés au placement au sol des feuilles issues de l'effeuillage prophylactique contre la cercosporiose ;
- la planification de l'étude, telle qu'elle a été menée, a déclenché la mise en place des plantes de couverture dans une bananeraie âgée de 5 ans. L'expérience montre que l'installation de ce type d'aménagement et son efficacité sont d'autant meilleures que la mise en place des plantes de couverture suit de peu la plantation des vitroplants de bananier, dès la première année.
L'expérience à plus grande échelle d'installation de différentes espèces sur l'ensemble de la Martinique permettra d'optimiser le choix de la plante face au contexte pédoclimatique de la parcelle. Le cas du caya blanc observé et entretenu sur l'exploitation Rifa illustre, par ailleurs, l'intérêt de favoriser prioritairement les plantes intéressantes et naturellement présentes sur les exploitations agricoles.
Analyse économique
Un coût important
La dimension économique, partie intégrante de la notion de durabilité, est prise en compte dans cette étude au travers d'éléments chiffrés recueillis sur l'exploitation agricole Rifa et/ou fournis par l'IT².
Les résultats de l'analyse ont montré que la démarche représente un coût très significatif pour le planteur, lié aux caractéristiques de son exploitation et en particulier à l'état d'enherbement initial des parcelles étudiées. Le cas du bassin versant Rifa est intéressant car le niveau de contraintes sur le volet enherbement est élevé et les coûts proches d'une situation maximale.
Anticiper pour améliorer le bilan
L'expérience indique que l'optimisation des coûts exigerait d'anticiper ces nouvelles pratiques. Elles gagneraient à être mises en place dès l'année d'implantation des vitroplants de banane, voire l'année précédente dans le cadre des jachères assainissantes. Cette anticipation comprend également un volet social et pédagogique auprès des salariés d'exploitation, qui doivent intégrer de nouvelles approches de gestion raisonnée des parcelles. Dans ces conditions, le bilan économique est satisfaisant, selon les analyses de l'IT² pour une ferme type à la Martinique.
Conclusion
Les modifications des pratiques culturales, dont très probablement l'installation de plantes de couverture, permettent d'obtenir une diminution des flux des substances actives phytosanitaires en comparaison des quantités apportées. Cette baisse est de près de 50 % à l'exutoire sur une base annuelle.
Un développement des plantes de couverture sur l'ensemble de la parcelle ainsi qu'une amélioration des conditions d'application et de renouvellement des fongicides devraient permettre d'améliorer encore ces résultats encourageants.
L'entraînement des produits phytosanitaires vers la ravine n'est pas directement corrélé au phénomène érosif (MES) consécutif aux précipitations mais plutôt à un transfert rapide par ruissellement après application, lié à la topographie des parcelles. Un intérêt majeur de l'étude est d'avoir été réalisée sur un bassin versant bananier représentatif du contexte martiniquais, au sein d'une exploitation en activité. Au-delà des résultats scientifiques, elle intègre donc les volets économiques et sociaux avec les freins et atouts qu'ils représentent.
Réduire le risque d'impact des produits phytosanitaires sur l'environnement tout en maintenant la compétitivité économique des exploitations agricoles semble possible à la suite de ce travail, dont l'essaimage est bien la finalité.
*Syngenta France. **Irstea. ***Institut technique tropical. ****Office de l'eau.
Fig. 1 : Les plantes de couverture sur la ferme Rifa, en Martinique
À gauche, sous les bananiers, on distingue le couvert de petit mouron, l'une des deux espèces testées qui s'est bien développée. À droite, localisation de leur implantation au sein du domaine (source adaptée de geoportail.fr).
Fig. 2 : Pas d'évolution entre les deux périodes en transfert d'eau
Pluviométrie sur le bassin versant et débitmétrie (débit des eaux) mesuré à son exutoire (sur la station hydrologique) avant et après les aménagements.
Fig. 3 : Nette évolution de la quantité de phytos transférée
Comparaison des taux avant (AV) et après (AP) aménagements.
Fig. 4 : Taux de transfert, détails d'une baisse globale
Évolution des flux d'exportation au regard des doses appliquées pour les différents pesticides sur le bassin versant selon les deux périodes.
Fig. 5 : Moins de pesticides sortent du bassin
Cumul des substances actives appliquées et exportées. Les quantités appliquées (mesurées en kg) sont stables (moins d'herbicides, mais plus de fongicides à la suite de l'arrêt des traitements aériens). Celles exportées (mesurées en grammes) ont diminué.
REMERCIEMENTS
Les partenaires tiennent à remercier M. Prudent de la ferme Rifa, MM. de Reynal, Lecadre, Samot et Mme Janvier de Phytocenter, M. Page et Mme Voyer pour leur contribution pendant leur activité chez Phytocenter et Mme Jeanneau chez Syngenta ; M. Dumont d'Agriprotec, Mmes Gresser et Bellance et M. Rateau de l'Office de l'eau de la Martinique ; M. Husson de la Sica TG.