La végétation des jevi, ce n'est pas seulement celle que l'on veut protéger de ses bioagresseurs. C'est aussi la végétation spontanée qui s'installe et prospère d'elle-même. Elle peut être responsable de nuisances... Ou pas ! Deux sessions lui ont été consacrées.
Végétation spontanée et gestion de la flore
La session, animée par Bruno Gauthier (B-G Consultant) comprenait cinq communications orales dont quatre sur les voies de communication, voies ferrées, routes, autoroutes et autres canaux et réseau de transport d'électricité.
Deux labels développés
Damien Provendier (CBNP) a montré combien le génie écologique et l'écologie de la restauration avaient besoin de végétaux sauvages indigènes de qualité pour remettre en état ou simplement aménager des lieux.
Pour garantir les origines génétiques des végétaux aux utilisateurs, deux labels, Végétal local et Vraies messicoles, ont été développés par un consortium rassemblant la Fédération nationale des conservatoires de botanique, Plante & Cité et Afac-Agroforesteries. Les critères biogéographiques et écologiques pris en compte ont permis de définir vingt-huit unités naturelles ; la collecte et production de graines ont eu lieu dans onze régions naturelles. Plusieurs dizaines de pépiniéristes et semenciers ont obtenu l'autorisation d'utiliser ces labels qui ne manquent pas d'intéresser les acteurs engagés en faveur de la biodiversité et des techniques de gestion durables.
Si les fleurs le long des routes...
Une importante et très intéressante communication de Christophe Pineau (Cerema Ouest, centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement) a permis de brosser une vision synoptique des intérêts et limites du fauchage des bords de routes. La technique est largement utilisée dans des stratégies de gestion différenciée, tenant compte des contraintes spécifiques locales (incendies, échardonnage, sécurité), du respect des paysages et de l'environnement et de la rationalisation des coûts.
Le fauchage-exportation, combinant fauchage-broyage, aspiration et ramassage, se développe vu ses multiples intérêts (voir aussi Phytoma n° 697, p. 36). Des études restent à mener pour appréhender ses effets à moyen et long terme sur les évolutions de la flore et de la faune (insectes pollinisateurs et autres), les niveaux de comblement et de pollution des fossés, la logistique organisationnelle des gestionnaires, la valorisation de la biomasse, etc.
Étienne Cuénot (Autoroute Paris-Rhin-Rhône) a exposé, au nom du Club infrastructures linéaires et biodiversité (CILB, qui réunit des gestionnaires du rail, des autoroutes, voies navigables, réseaux électriques et de gaz), les motivations, outils, difficultés et efforts de ces acteurs pour adopter des techniques de gestion différenciée non chimiques. Le public a perçu l'importance des contraintes générales ou spécifiques pesant sur l'entretien de ces compartiments.
Un bilan global et critique des solutions préventives (végétation couvre-sol, bandes fleuries, paillage, géotextile, colmatage des joints...) et curatives de gestion non chimique de la flore (techniques mécaniques, thermiques, écopâturage) suggère que tout est loin d'être réglé et que des efforts d'innovation restent nombreux et importants à accomplir.
Les outils dédiés aux voies ferrées
L'entretien des voies ferrées a lui aussi connu des améliorations technologiques décisives pour la qualité des traitements et la sécurité environnementale, objet d'un instructif exposé de Ghislain Doyemet (SNCF).
La technologie GPS embarquée (sur six trains à grand rendement, vingt-cinq trains régionaux et vingt-sept camions désherbeurs) permet d'asservir automatiquement le respect des zones interdites de traitement, et d'éviter les zones de recouvrement dans les gares de triage. Un outil cartographique permet d'assurer une traçabilité spatio-temporelle intégrale des activités de traitement.
Coordination entre acteurs
Pour clore la session, Jérôme Garcia (CBNP, Conservatoire national botanique des Pyrénées) a présenté, pour la Haute-Garonne, la logistique mise en place pour concilier la protection des espèces végétales menacées et la gestion courante à adapter pour la bonne conservation de ces espèces.
La solution semble d'abord être organisationnelle : une claire répartition des tâches entre le conservatoire et le conseil. Au conservatoire revient la responsabilité de suivre les populations d'espèces protégées (repérage et cartographie de leurs stations en bords de route), et au conseil départemental l'appui technique, la coordination des interventions des agents avec l'intégration des stations protégées aux plans de fauche, la mise en oeuvre des préconisations de gestion, les signalements et informations accompagnant les travaux. Les résultats sont excellents.
Session « PEE » (plantes exotiques envahissantes)
Le côté obscur de la force végétale
La session « PEE » était coanimée par Emmanuelle Sarat (IUCN) et Pierre Ehret (DGAL-SDQSPV). Elle a rassemblé neuf communications orales et six affichées : variété d'approches et apport fructueux d'acquis d'expériences.
Les plantes envahissantes mobilisent incontestablement la recherche et les gestionnaires d'espaces naturels et aménagés en raison de leurs implications économiques et environnementales, et aussi à cause de la complexité des études nécessaires à différents niveaux : spécifique, populationnel, stationnel, écosystémique... Ces études font appel à un grand nombre de disciplines scientifiques et aux outils les plus sophistiqués de traitement des informations.
Élise Krebs (CBNM de Porquerolles) a déroulé à l'aide d'exemples les aspects méthodologiques pour construire des stratégies de lutte et de prévention des PEE. Après avoir rappelé la définition des divers types de listes d'espèces, l'oratrice a précisé que les listes de référence sont élaborées selon des critères d'indigénat, de degré de naturalisation et de caractère envahissant. Les listes opérationnelles de PEE faisant l'objet d'actions de gestion sont élaborées en fonction de la nature et de l'importance des impacts, des types de milieux envahis, de leur dispersion sur le territoire et surtout de la capacité technique d'agir contre ces espèces.
Après avoir insisté sur la nécessité de hiérarchiser les priorités d'interventions et mis l'accent sur la prévention et la surveillance, l'importance des actions de sensibilisation et de communication auprès des acteurs et des usagers a été rappelée ainsi que la nécessité d'adaptation permanente aux évolutions des émergences.
Le travail des hommes
Sylvie Varray (Fédération des conservatoires d'espaces naturels) a montré combien la création d'un groupe de travail PEE du bassin hydrographique Loire-Bretagne avait fait progresser l'harmonisation et la cohérence des actions conduites (au sein d'un programme de vingt-quatre actions 2014-2020), notamment grâce aux nombreux retours d'expériences partagés et à la réalisation d'outils permettant l'amélioration de la coordination, de la connaissance, de la veille, de la planification et du cadrage des actions, et du volet de sensibilisation, communication et formation.
Romain Manceau (Val'Hor) a présenté le code de bonne conduite élaboré par les professionnels du végétal pour prévenir ou limiter les éventuels impacts négatifs d'espèces horticoles qui pourraient s'échapper, devenir envahissantes et présenter des effets délétères sur la santé humaine, la biodiversité et le fonctionnement des écosystèmes.
Cette initiative volontaire des professionnels de la filière végétale est essentielle pour la prévention des PPE. Elle va jusqu'à restreindre totalement certaines espèces à la production, la vente et l'utilisation pour l'aménagement. Trente et une espèces sont sur la liste dite de consensus. Il faut y ajouter onze espèces soumises à recommandations car présentant à la fois des impacts négatifs et des aspects positifs pour l'utilisateur (ex. : le buddleia apprécié pour sa floraison et son attractivité pour les pollinisateurs).
Le cas de Nassella
S'appuyant sur l'exemple d'une graminée ornementale originaire des États-Unis, Nassella tenuissima, largement plantée dans différents aménagements, Guillaume Fried (Anses) a évoqué les disséminations dans le sud de la France de cette espèce au sein d'espaces divers : plates-bandes, oliveraies, zones gravillonnées, sols nus ou bords de chemins (voir aussi Phytoma n° 697, p. 31).
À travers ce cas (à suivre, notamment en lien avec les modes de gestion mis en oeuvre dans les espaces où cette graminée est implantée : méthodes de désherbage, absence d'entretien...), l'auteur pose la question des procédures de l'analyse de risques qui devrait être préalable à toute introduction de matériel végétal destiné à être intégré à des aménagements à grande échelle.
Proposé par Hélène Gervais, du Conservatoire d'espaces naturels Centre-Val de Loire, un retour d'expérience quant à la gestion des solidages invasifs a magistralement démontré l'efficacité d'une gestion permanente annuelle sans relâchement : une seule année sans intervention fait perdre les effets positifs (en terme de densités et taux de recouvrement) apportés par les mesures mises en oeuvre les deux années précédentes.
Ambroisie et autres invasives « routardes »
Bruno Chauvel (Inra Dijon) a exposé les conditions optimales d'utilisation du sel de déneigement pour lutter contre l'ambroisie tout en permettant aux principales espèces de graminées de survivre, donc retarder la recolonisation de l'ambroisie sur sol nu. Cette solution d'entretien des bords de voies de communication offre des avantages par rapport aux tontes et aux herbicides non sélectifs, mais ses effets environnementaux et sur la biodiversité restent à évaluer (voir aussi Phytoma n° 700, p. 45).
Une autre intervention de Bruno Chauvel, évoquant les possibilités d'une lutte biologique contre l'ambroisie avec la chrysomèle phytophage Ophraella communa, a soulevé des espoirs sans que l'on considère cette solution comme idéale. L'espèce étant oligophage, les risques écologiques et agronomiques pouvant résulter d'attaques d'autres plantes-hôtes que l'ambroisie devront être précisés et appréciés sur la balance bénéfices/risques en regard des risques sanitaires découlant du caractère allergène de l'ambroisie (voir aussi Phytoma n° 695, p. 18).
La gestion des principales espèces végétales invasives de bords de route constitue des enjeux importants tant de nature sanitaire (ambroisie, berce du Caucase), technique (renouées, jussies, robinier, ailante) que biodiversité (buddleia, séneçon du Cap). Christophe Pineau, du Cerema Ouest, nous a clairement fait ressentir la complexité des situations de colonisations par les invasives. Pour être correctement gérées, celles-ci nécessitent un investissement massif dans la formation/information des acteurs, doublé d'une organisation logistique sans faille associant étroitement les agents d'entretien des DIR et leurs partenaires. Autant de conditions jugées indispensables pour trouver des solutions techniques efficaces et adaptées à chaque situation.
Côté plantes aquatiques
Florence Thinzilal (Forum des marais atlantiques) a montré que la structuration d'un observatoire régional des PEE aquatiques en Poitou-Charentes a permis de grandement améliorer la détection précoce et la rapidité de mise en place des plans d'action pour gérer des espèces comme la crassule de Helms (Crassula helmsii) et la vanille d'eau (Aponogeton distachyos).
Cet observatoire est structuré en quatre niveaux : observateurs locaux réalisant les inventaires, neuf coordinateurs de bassins versants, une cellule d'animation régionale de l'observatoire et le niveau de coordination interrégional qui interagit avec les systèmes d'information des régions voisines et nationaux. La logistique organisationnelle est primordiale pour la réussite des opérations de gestion.
Alain Dutartre, grand spécialiste des plantes invasives des milieux aquatiques a, dans son importante intervention, largement pointé les nombreuses dispersions d'organismes invasifs liées au manque criant de précautions prises lorsque nous fréquentons les milieux aquatiques et nous nous déplaçons en milieux naturels. Des démarches volontaristes de biosécurité sont en place depuis plus de deux décennies en Australie et en Nouvelle-Zélande, et plus récemment au Royaume-Uni et en Irlande. Ces pays ont basé leurs efforts sur des plateformes internet rassemblant les informations réglementaires, biologiques, scientifiques et techniques propres aux espèces invasives et à leur gestion, des campagnes de sensibilisation partagées et des outils mis à disposition des usagers pour le respect de consignes de biosécurité : vérification de l'état de contamination des équipements, lavages, nettoyages et désinfection des équipements et vêtements.
Un intéressant retour d'expériences de France Mercier (CEN Basse-Normandie), portant sur quatre années de gestion du myriophylle du Brésil en Normandie au sein du marais de Chicheboville-Bellengreville, a permis de présenter, davantage qu'une panoplie d'outils utilisables, la totalité d'une démarche permettant d'adapter les actions au plus près des caractéristiques des sites à gérer. Bien sûr, les techniques mises en oeuvre et les résultats obtenus ne sont pas reproductibles en tous temps, tous lieux.
La même équipe a également rapporté l'intérêt d'une brigade saisonnière de gestion préventive composée de personnes bien formées et bien équipées pour sensibiliser, prospecter, conduire des chantiers d'arrachage, mais surtout pour soutenir techniquement les collectivités gestionnaires d'espaces naturels, voire les particuliers dont les espaces sont envahis par des espèces émergentes.
Sujets transverses
Hélène Gervais (CEN Centre-Val de Loire) a ouvert des perspectives intéressantes de valorisation des déchets de plantes invasives. La valorisation est primordiale pour réduire les risques de dissémination des plantes et pour diverses raisons hygiéniques et environnementales, mais des données sont à acquérir pour l'améliorer et limiter ses coûts.
Maxime Guérin (Plante & Cité) a livré un état des lieux des pratiques de gestion testées et mises en oeuvre contre les plantes invasives terrestres grâce aux données d'une enquête auprès des acteurs de terrain. Les attentes formalisées par les gestionnaires ayant répondu à l'enquête (148 réponses) vont notamment déboucher sur un observatoire des pratiques visant à mettre en réseau les expériences et à mutualiser les bonnes pratiques.
Emmanuelle Sarat (IUCN) a terminé la session par une présentation très transversale : les activités d'un groupe de travail national sur les invasions biologiques en milieux aquatiques. Riche de soixante membres aux compétences couvrant plus de dix grands domaines d'expertise appartenant aux sciences biologiques, humaines et économiques, ce groupe est coordonné par l'Onema et le comité français de l'UICN. Il est source de création, transfert et mise à disposition d'informations originales et validées par le biais de documents techniques spécialisés ou de synthèse, de réunions, colloques et séances de formation.
Conclusion
Ce septième colloque sur l'entretien des jevi organisé par la CoZNA de l'AFPP a tenu ses promesses en termes d'intérêts et d'échanges entre les participants.
L'ensemble des conférences organisées pour les ZNA/espaces verts ont permis la publication dans les actes AFPP d'un total de 350 communications et la participation d'environ 1 300 personnes. Mais le nombre de participants restreint (120) à la dernière conférence hypothèque l'organisation de prochains événements sous les formes et conditions prévalant jusqu'à présent.