La réduction de la dérive de pulvérisation lors de l'application de produits phytopharmaceutiques est devenue un enjeu d'importance pour les filières agricoles et les pouvoirs publics.
Cadre général
Une demande sociétale
En 2014, en Gironde, l'intoxication des élèves d'une école primaire a été massivement relayée par la presse nationale.
Un grand nombre d'émissions de télévision et d'articles dans la presse nationale et locale attestent que l'utilisation des pesticides en agriculture est un sujet qui interpelle les citoyens et la société entière, inquiète de ses répercussions sur la qualité des produits alimentaires et la santé publique.
Les AMM autorisent les produits
Il faut savoir que l'évaluation des risques préalable à toute autorisation de mise sur le marché (AMM) d'un produit phyto (phytopharmaceutique) est réalisée par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses). Cette évaluation prend systématiquement en compte les risques toxicologiques liés à l'utilisation de ce produit pour l'homme - dont les opérateurs - et les résidents lors de son application. À l'issue de cette évaluation, et seulement en l'absence de risque inacceptable, le produit phyto peut disposer d'une AMM, qui précise les cultures sur lesquelles il peut être employé et les conditions de son application.
Dérive et eaux de surface
Des ZNT le long de l'eau
Depuis 2006 (arrêté du 12 septembre 2006, remplacé aujourd'hui par l'arrêté du 4 mai 2017, tous deux relatifs à l'utilisation des produits phyto), la réglementation comporte des dispositions au voisinage des points d'eau sensibles (cours d'eau permanents ou temporaires, fossés, puits...).
Il s'agit de l'obligation de respecter des zones non traitées (ZNT). Leur largeur dépend du produit appliqué ; elle est indiquée dans la décision d'AMM et sur l'étiquette des emballages de chaque produit. Cette largeur de ZNT peut prendre trois valeurs parmi les suivantes : 5 m, 20 m ou 50 m, ou être supérieure à 100 m (cas rarissime).
Conditions pour réduire la ZNT
La réduction des largeurs de ZNT au voisinage des points d'eau (de 50 m à 5 m ou de 20 m à 5 m) est possible à plusieurs conditions (NDLR : voir aussi l'article p. 12), notamment celle d'utiliser un pulvérisateur qui réduit la dérive d'un facteur au moins égal à trois (autrement dit, divise au moins par trois la quantité de produit qui dérivera hors de la parcelle). Cette mesure instituée en 2006 a été confirmée en 2017.
Mais pour cela, il faut que cette réduction de dérive soit garantie ! Le modèle de pulvérisateur doit avoir été officiellement homologué sur la base d'essais conduits en utilisant une méthodologie normalisée de mesure de la dérive au champ. Or cette dernière est compliquée à mettre en oeuvre.
Un seul matériel homologué
Jusqu'en 2015, en viticulture et en arboriculture, en raison de la difficulté de mise en oeuvre de la méthode décrite dans la norme ISO (ISO22866:2005), seul un matériel avait été homologué officiellement (rampe face par face CG de Berthoud). Or, selon le consensus de nombreux experts, des matériels très performants en termes de limitation de la dérive existent mais ces solutions techniques n'avaient pas pu être reconnues officiellement. La méthode de mesure de la dérive exigée pour l'homologation des matériels étant trop lourde à mettre en oeuvre, elle n'était, de fait, pas utilisée. Cela bloquait la reconnaissance officielle des matériels performants dont l'utilisation méritait d'être promue.
En 2015, preuve de l'effet antidérive de certains types d'appareils
Des essais conduits en 2015 au champ par l'UMT EcoTechViti et l'IFV de Bordeaux avec des méthodes simplifiées (mais encore peu répétables) ont montré que certaines typologies de pulvérisateurs (panneaux récupérateurs équipés de buses à injection d'air ainsi que face par face à jet porté équipés de buses à injection d'air) permettent de réduire la dérive d'un facteur très largement supérieur au facteur 3 exigé par la réglementation actuelle.
Ce facteur de réduction est difficile à déterminer précisément mais il serait de l'ordre de 20, voire 40 selon les données dont nous disposons. Or, un facteur de 20 représente un niveau de réduction de la dérive de 95 % par rapport aux matériels les plus couramment utilisés. La division par trois de la dérive (niveau de réduction de 66,7 %) est donc largement acquise.
Vers l'inscription provisoire
En septembre 2014, il fallait répondre à l'urgence et corriger l'incohérence que représentait la non-reconnaissance des matériels pourtant les plus performants. Pour cela, Irstea et les instituts techniques (IFV et CTIFL) ont proposé au ministère chargé de l'Agriculture de mettre en oeuvre l'inscription provisoire des moyens réducteurs de dérive les plus performants prévue dans la réglementation.
L'objectif de cette inscription provisoire établie à dires d'expert était de permettre aux utilisateurs de produits phyto de disposer dès 2016 d'une liste de matériels utilisables pour réduire les ZNT. Cette inscription provisoire ne concerne que le type de matériels réputés les plus efficaces pour la limitation de la dérive (la confirmation de l'efficacité de ces types d'appareils a été obtenue dès 2015, comme écrit plus haut).
Cette disposition s'est traduite par la diffusion d'un avis aux opérateurs par la DGAL le 23 septembre 2015. Ce document fixe le cahier des charges (liste de matériels éligibles et modalités de constitution des dossiers) pour la reconnaissance provisoire qui correspond à une présomption de réduction de la dérive d'un facteur supérieur ou égal à 3. Seules les typologies de matériels suivantes peuvent être homologuées par la voie de l'homologation provisoire :
- panneaux récupérateurs à jet porté ou jet projeté, équipés de buses à injection d'air ;
- pulvérisateurs face par face à jet porté ou jet projeté et équipés de buses à injection d'air.
Aujourd'hui, trente-six modèles de « pulvés vigne » reconnus
Au 22 mai 2017 (note de service DGAL/SDQSPV/2017-437, dernière actualisation de la liste de matériels), trente-six modèles de pulvérisateurs viticoles répondant au cahier des charges ont été inscrits, au Bulletin officiel du ministère de l'Agriculture par la voie de l'inscription provisoire, comme divisant la dérive d'application au moins par trois. Treize sont munis de panneaux récupérateurs.
S'y ajoutent des équipements (caches, etc.) à adjoindre à du matériel existant. La liste des matériels inscrits est accessible en ligne(1).
Dérive et personnes vulnérables
Une disposition de la loi d'avenir
Cependant, les dispositions présentées précédemment concernent uniquement la gestion du risque pour les eaux superficielles. Qu'en est-il des risques vis-à-vis de la biodiversité et des riverains ?
L'article 53 de la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt (LAAAF) du 13 octobre 2014 a introduit des mesures de protection des personnes vulnérables lors de l'application des produits phyto.
D'une part, il confirme une mesure existant déjà mais passée un peu inaperçue dans le monde viticole car elle concerne surtout les zones non agricoles.
En effet, depuis 2011, l'utilisation des produits phyto, sauf ceux non classés sur le plan toxicologique, est interdite dans les cours de récréation et les espaces habituellement fréquentés par les enfants dans l'enceinte des crèches, établissements scolaires, haltes-garderies, centres de loisirs ainsi que dans les aires de jeux destinées aux enfants dans les parcs, jardins et espaces verts ouverts au public. Il en était de même dans les centres hospitaliers et hôpitaux, établissements de santé privés, maisons de santé, maisons de réadaptation fonctionnelle, établissements accueillant ou hébergeant des personnes âgées ou des adultes handicapés ou atteints de pathologie grave(2). L'article 53 l'a confirmé en dispensant de l'interdiction, outre les produits non classés sur le plan toxicologique, ceux reconnus « à faible risque » selon les critères européens(3).
Cet article de loi réglemente également l'utilisation des produits phytopharmaceutiques « à proximité » de ces espaces fréquentés par les enfants (établissements scolaires, crèches, etc.) et par les personnes vulnérables (hôpitaux, etc.). Il existe désormais des restrictions de traitement pour les vignes (et toute autre parcelle agricole...) proches de ces établissements : écoles rurales, etc.
En pratique
L'utilisation des produits phytopharmaceutiques à proximité de ces lieux est :
- soit limitée aux produits officiellement reconnus « à faible risque » et/ou dispensés de tout classement toxicologique ;
- soit subordonnée à la mise en place de mesures de protection adaptées, telles que des haies(4), le respect de dates et horaires de traitement permettant d'éviter la présence de personnes vulnérables à cette occasion et/ou... des équipements pour le traitement réduisant la dérive.
Lorsque de telles mesures ne peuvent pas être mises en place, les préfets de département ont autorité pour définir au sein de leur territoire les distances minimales adaptées en deçà desquelles il est interdit d'utiliser ces produits à proximité de ces lieux.
Certains départements comme la Gironde ont publié un arrêté avec des ZNT différenciées en fonction du type de pulvérisateur utilisé. Pour plus de précisions, consultez l'arrêté préfectoral en vigueur dans votre département (sur le site de votre préfecture).
Biodiversité, riverains...
Ce qui existe déjà
Pour protéger la biodiversité, certaines AMM des produits phytopharmaceutiques incluent déjà des zones non traitées par rapport aux zones non cultivées adjacentes, ou encore pour protéger les arthropodes non-cibles (par exemple à distance de ruchers). La réglementation ne permet pas actuellement de réduire ces ZNT de la même manière que pour les points d'eau.
L'évaluation du risque pour les riverains est encore plus stricte. Dès qu'un risque inacceptable est identifié, le produit ne peut pas obtenir d'AMM, même avec des ZNT comme condition d'utilisation.
Ce qui se prépare
Références nécessaires
Demain, la mise en place au niveau national de mesures de gestion des risques efficaces et adaptées aux situations (eau, biodiversité, riverains...) va nécessiter des références techniques plus fiables et plus fines sur :
- les niveaux de dérive générés par les divers pulvérisateurs et leurs réglages (buses, technologies, vitesse de turbine...) ;
- l'intérêt des aménagements additionnels des parcelles tels que les haies, filets brise vents ou para-grêle, qui actuellement sont très peu renseignés dans la bibliographie ;
- l'éventuel intérêt d'adjuvants aux bouillies pulvérisées.
Vers une mesure de dérive fiable et répétable
L'IFV et Irstea sont en train de développer une nouvelle méthode de mesure de la dérive en conditions contrôlées, dont l'objectif est d'obtenir des données fiables et répétables. Il s'agit du dispositif de mur de vent artificiel EoleDrift (photo ci-contre) qui a reçu la médaille d'argent aux innovations Awards du Sitevi 2017.
L'objectif de cet outil est d'aboutir à un classement précis du facteur de réduction de la dérive (50 %, 66 %, 75 %, 90 %, 95 %) des différentes techniques et pratiques de pulvérisation. Cela permettra à terme d'adapter les mesures de gestion du risque aux situations rencontrées sur le terrain.
(1) https://info.agriculture.gouv.fr/gedei/site/bo-agri/instruction-2017-437/telechargement (2) NDLR : ceci depuis 2011 de par L'arrêté « Lieux publics » du 27 juin 2011, publié au JORF le 28 juillet et commenté dans Phytoma n° 648, novembre 2011, p. 20 à 23.(3) C'est-à-dire dont les substances actives sont approuvées par l'Union européenne dans la catégorie « à faible risque ». C'est le cas de onze substances au 17 octobre 2017 (voir Phytoma n° 705, juin-juillet 2017, p. 5, et n° 703, mars 2017, p. 6). (4)Tout nouvel établissement qui s'installe à proximité de vignes (ou d'autres cultures) est obligé de prendre en charge ces mesures... Mais pas ceux déjà en place.