3. Plante en fleur de vergerette de Sumatra. 1. Belchim. 2. Jardin botanique national de Belgique. 3. P. Meiniger
Fig. 1 : Résultats des tests Test de sensibilité à trois inhibiteurs de l'ALS sur vergerette de Sumatra, 21 jours après traitement. Doses : voir le haut de l'image. N = 7,5 g/ha de iodosulfuron + 7,5 g/ha de mésosulfuron ou 7 g/ha de pénoxsulame ou 50 g/ha de flazasulfuron. Tests effectués sur : - une population de référence (Suzon, 100 % de plantes sensibles, testée à 0,5 N et N) ; - trois populations récoltées en 2016 (30-1, 30-2, 30-3). La plupart des plantes de la 30-1 survivent à 2N de chaque herbicide.
La vergerette de Sumatra, déjà connue pour présenter une résistance au glyphosate, revient sous les feux de l'actualité : des résistances aux herbicides inhibiteurs de l'ALS (AcétoLactate-Synthase, groupe HRAC B) ont été identifiées dans plusieurs de ses populations, en vigne.
Situer l'événement
La dix-septième, mais non la moindre
La vergerette de Sumatra est la dix-septième espèce d'adventice, et la sixième de la famille des astéracées, chez laquelle une résistance à des inhibiteurs de l'ALS est publiée en France.
Deux mauvaises nouvelles s'ajoutent à cela. D'abord, cette vergerette est une espèce très mobile : sa résistance peut se disséminer facilement. Ensuite, la zone principalement touchée par la résistance aux inhibiteurs de l'ALS est celle dans laquelle se trouve la résistance au glyphosate.
Des envahisseuses venues d'outre-Atlantique
Les vergerettes ou érigérons appartiennent à la famille des astéracées et au genre Erigeron, qui regroupe une cinquantaine d'espèces originaires d'Amérique. Certaines d'entre elles ont envahi l'Europe. En France, trois présentent un problème en tant qu'adventices des cultures : Erigeron canadensis (vergerette du Canada, photo 1), Erigeron bonariensis (vergerette de Buenos Aires) et Erigeron sumatrensis (vergerette de Sumatra, photos 2 et 3).
Leurs caractéristiques ont été résumées par Dubois et al. (2011). En bref, les plantes des trois espèces peuvent émerger en fin d'été pour fleurir dès le début de l'été suivant, ou au printemps pour fleurir en début d'été.
La production de semences (akènes) est considérable : jusqu'à 200 000 par plante. Ces akènes, très peu dormants, sont aisément dispersés par le vent jusqu'à plusieurs dizaines de kilomètres de la plante-mère. De ce fait, les vergerettes ont une forte capacité à coloniser ou réinfester les parcelles, surtout si le sol est laissé sans couvert.
Du milieu de l'été jusqu'à l'automne, on observe des levées de vergerettes à chaque précipitation dans les parcelles infestées, en particulier les friches, les intercultures, les vergers et les vignes.
Gestion chimique en vigne : un casse-tête
Dans de nombreux vignobles, notamment sur l'arc méditerranéen, le pivot de la lutte contre les vergerettes est chimique (basé sur l'application d'herbicides), au moins pour désherber la ligne de plantation. Mais peu de spécialités autorisées en vigne sont efficaces contre les vergerettes (Tableau 1). Le contrôle chimique de ces espèces repose essentiellement sur deux modes d'action : glyphosate (groupe HRAC G) en application foliaire et inhibiteurs de l'ALS (groupe HRAC B) en prélevée des adventices.
De plus, l'utilisation des herbicides est délicate car l'infestation et la levée des vergerettes se font en continu pendant la période de végétation. Ceci conduit à la présence simultanée dans les parcelles de plantes à des stades de développement variés, les plus développées étant peu ou pas sensibles aux herbicides en applications foliaire. Or une diversité réduite des méthodes de désherbage (non chimiques et chimiques) couplée à une efficacité insuffisante des traitements chimiques sont des facteurs de risque pour la sélection de résistances aux herbicides (Délye et al., 2013).
Dans le Gard, l'espèce résiste au glyphosate
Dans ce département, le non-respect des conseils d'application du glyphosate (sous-dosage, faible qualité d'application et/ou de l'adjuvantation, application sur plantes trop développées) et l'utilisation intensive de cette substance pour le contrôle de la vergerette de Sumatra ont abouti à la sélection de plantes résistantes à cet herbicide dès la fin des années 2000 (Phyto régions 2011, Dubois et al., 2011). De ce fait, dans les vignobles concernés, l'importance des inhibiteurs de l'ALS pour le contrôle de cette espèce est devenue cruciale.
Les inhibiteurs de l'ALS concernés à leur tour ?
En 2016, l'IFV a identifié une parcelle dans le département du Gard où l'application de flazasulfuron n'a pas permis de contrôler les levées de vergerette de Sumatra. Des essais ont été conduits pour tester l'efficacité de cette substance à 0,5, une et deux fois la dose maximale autorisée. Au champ (application en prélevée) comme au laboratoire (application en post-levée), il a été constaté un manque d'efficacité du flazasulfuron à toutes les doses testées.
En même temps, la société Belchim était interpellée à propos de parcelles du Gard et des Pyrénées-Orientales où l'application de flazasulfuron avait déçu sur vergerette de Sumatra. Là où aucune cause liée à un problème de positionnement ou d'application n'a été identifiée, des akènes ont été prélevés sur des plantes survivantes aux traitements. Au total, des akènes ont été prélevés en 2016 dans six populations (parcelles) du département du Gard et une des Pyrénées-Orientales. Codées respectivement 30-1 à 30-6 et 66-1, elles ont été envoyées pour analyse à l'Inra.
Des akènes de chaque population ont été mis à germer en même temps que ceux d'une population de vergerette du Canada de référence (100 % de plantes sensibles aux inhibiteurs de l'ALS). Les plantules ont été repiquées en serre. Les substances testées sont : flazasulfuron (Katana, 25 % de flazasulfuron, dose maximale autorisée : 50 g/ha de flazasulfuron en application sur le rang), pénoxsulame (Boa, 20 g/l de pénoxsulame, dose maximale autorisée : 7 g/ha de pénoxsulame en couverture totale) et iodosulfuron + mésosulfuron (Archipel, 3 % iodosulfuron + 3 % mésosulfuron, dose maximale autorisée : 7,5 g/ha iodosulfuron + 7,5 g/ha mésosulfuron en couverture totale). Le flazasulfuron et le pénoxsulame sont autorisés en vigne ; l'iodosulfuron + mésosulfuron est autorisé en grandes cultures.
Dans ces tests, les doses utilisées sont 0,5, 1 et 2 fois la dose maximale autorisée de chaque substance. Pour chaque population, quarante plantules au stade trois vraies feuilles ont été soumises à une application unique d'une dose d'un inhibiteur de l'ALS.
Il ya une résistance aux inhibiteurs de l'ALS !
Dans la population des Pyrénées-Orientales, une plante a survécu à la dose maximale autorisée d'un des trois herbicides testés (iodosulfuron + mésosulfuron, Tableau 2).
Pour les populations du Gard, les résultats des tests sont plus tranchés. Dans quatre de ces six populations, on observe la présence de plantes survivantes à la dose maximale autorisée de chaque substance testée et à deux fois cette dose (Tableau 2 et Figure 1). Les deux autres populations collectées sur ce département (populations 30-2 et 30-3) sont totalement contrôlées à la dose maximale autorisée de chacune des spécialités testées.
La médiocre efficacité de la demi-dose de pénoxsulame sur ces deux populations ainsi que sur la population de référence (Tableau 2 et Figure 1) illustre la nécessité de respecter les doses prescrites. Il faut préciser que la dose N de pénoxsulame testée était la dose maximale autorisée en couverture totale. Depuis le 15 novembre 2016, la dose maximale autorisée de pénoxsulame est passée à 15 g/ha en application sur le rang. Ceci correspond à peu près au 2 N testé ici pour cet herbicide.
Confirmation de la résistance
La preuve par l'ADN
La vergerette de Sumatra est une espèce tétraploïde (Thebaud et Abbott, 1995) : elle possède donc deux gènes d'ALS. Dans chacune des quatre populations du Gard où des plantes résistantes ont été identifiées (populations 30-1, 30-4, 30-5 et 30-6), les gènes codant pour l'ALS de plantes ayant survécu à 2 N de chaque herbicide testé ont été séquencés (deux plantes par herbicide et par population). Comparé à celui de plantes de référence (sensibles), un des gènes de l'ALS de toutes ces plantes résistantes portait une mutation au codon 574. Les gènes d'ALS de la plante de la population des Pyrénées-Orientales (population 66-1) ayant survécu à la dose maximale autorisée d'iodosulfuron + mésosulfuron ont également été séquencés. Comparé à celui de plantes de référence (sensibles), un des gènes de l'ALS de cette plante résistante portait une mutation au codon 197.
Mutations et résistance
La mutation au codon 574 de l'ALS est connue pour donner une résistance relativement élevée à tous les herbicides inhibiteurs de l'ALS quelle que soit leur famille chimique (Tranel et al., 2017). Les résultats du séquençage confirment les tests biologiques : présence de résistance aux inhibiteurs de l'ALS chez la vergerette de Sumatra dans des vignobles du Gard.
Pour sa part, une mutation au codon 197 de l'ALS confère également une résistance aux herbicides inhibiteurs de l'ALS, particulièrement ceux de la famille des sulfonylurées à laquelle appartiennent le flazasulfuron, l'iodosulfuron et le mésosulfuron. On a donc une présence de résistance à des inhibiteurs de l'ALS dans un vignoble des Pyrénées-Orientales.
C'est une première en France mais pas au niveau mondial. En effet, des cas de résistance de la vergerette de Sumatra aux herbicides inhibiteurs de l'ALS ont déjà été identifiés au Brésil. Par ailleurs, des cas de résistance à ce mode d'action sont signalés chez les vergerettes du Canada et de Buenos Aires en Amérique du Nord, Israël et Pologne (Heap 2017).
Encore une astéracée résistante aux inhibiteurs de l'ALS !
Les inhibiteurs de l'ALS sont actuellement le mode d'action le plus utilisé en France. Ils sont également le mode d'action pour lequel le plus de cas de résistance ont été publiés dans l'Hexagone : actuellement, des cas de résistance à ces herbicides y ont été signalés chez neuf espèces de graminées et sept de dicotylédones. Les dicotylédones incluent le coquelicot, la stellaire intermédiaire et cinq espèces de la famille des astéracées : le tournesol adventice, la matricaire, le séneçon commun, l'ambroisie à feuilles d'armoise et le laiteron épineux. La vergerette de Sumatra est la sixième espèce de cette famille à manifester une résistance aux inhibiteurs de l'ALS. Cette famille d'adventices est donc clairement à surveiller en termes de risque d'évolution de résistances.
Deux foyers de résistance
Les populations du Gard ont été collectées dans différentes parcelles d'une même zone viticole. La présence de la même mutation dans toutes les plantes résistantes testées suggère l'existence d'un seul foyer de résistance. Vu la fréquence élevée de plantes résistantes, la situation semble assez dégradée dans cette zone. Le fait qu'une mutation différente ait été trouvée dans la population des Pyrénées-Orientales signifie que l'on est en présence d'un foyer de résistance différent de celui du Gard. La situation semble moins préoccupante dans Pyrénées-Orientales, car la fréquence de plantes résistantes dans la parcelle étudiée est encore très faible. Des études supplémentaires seraient nécessaires pour estimer l'ampleur des zones touchées par la résistance dans les deux départements.
Conséquence sur le contrôle chimique
Ça se corse dans le Gard...
L'évolution d'une résistance aux inhibiteurs de l'ALS chez la vergerette de Sumatra serait déjà un coup dur pour le contrôle chimique de cette espèce dans n'importe quel vignoble. Dans le Gard, c'est pire. En effet, les parcelles où la résistance aux inhibiteurs de l'ALS a été identifiée sont situées dans la zone où une résistance au glyphosate a précédemment été mise en évidence (Phyto régions 2011). Il est extrêmement probable que certaines parcelles soient concernées par la présence de plantes résistantes à la fois aux inhibiteurs de l'ALS et au glyphosate. L'IFV et l'Inra ont prévu des études complémentaires pour vérifier cette hypothèse.
Herbicides de post-levée et de prélevée
Dans ces situations, la gamme d'herbicides restant efficaces pour le contrôle de la vergerette de Sumatra est dramatiquement restreinte. Si les inhibiteurs de l'ALS (groupe B) et le glyphosate (groupe G) ne sont plus efficaces à cause de la résistance, il ne reste que des herbicides de post-levée précoce (groupes E et Z, Tableau 1) ou de prélevée (groupes C1, K1 et L, Tableau 1). Mais aucun ne dispose d'une persistance d'action suffisante pour assurer le contrôle de cette vergerette sur toute sa période de germination.
En post-levée, il n'existe plus d'herbicide « souple » et efficace pour le contrôle de la vergerette depuis le retrait d'AMM du glufosinate (groupe H ; décision Anses du 24 octobre 2017). Les autres solutions de post-levée, chimiques (Tableau 1) ou non (désherbage mécanique, thermique...) doivent être appliquées sur des stades très jeunes des vergerettes. Or cette condition est très difficile à réaliser en raison des levées échelonnées de ces adventices.
Que faire si la chimie n'est plus efficace ?
Comme dans tous les cas où une résistance à un ou des herbicides a été identifiée, la première chose à faire est de ne plus utiliser le ou les modes d'action concernés sur l'espèce où la résistance a évolué, car cela ne ferait qu'aggraver le problème. Poursuivre les traitements ne fait qu'augmenter la fréquence des plantes résistantes dans les parcelles concernées.
Dans le cas de la vergerette de Sumatra, aux semences très mobiles, il faut aussi empêcher la production de semences pour éviter la constitution d'un stock semencier résistant et la propagation des résistances. Ceci passe par l'utilisation du binage sur jeunes plantes et le broyage des plantes plus développées, avant floraison. La vergerette de Sumatra étant une espèce qui colonise les espaces ouverts, conduire l'interrang avec un enherbement contrôlé et continu permet de réduire substantiellement l'établissement de cette espèce dans une parcelle.
Une suspicion de résistance ? Réagir vite !
Dans le cas de cultures comme la vigne où la diversité d'herbicides efficaces contre une espèce adventice donnée est limitée, il est impératif de préserver le plus possible l'efficacité de toutes les substances. Pour cela, il est nécessaire de réagir très vite en présence de difficultés ou d'échecs de contrôle sur une adventice habituellement bien maîtrisée, afin de mettre en place à temps les mesures appropriées : test de résistance pour confirmation, modification et diversification du programme de désherbage.
Il faut de nouveau rappeler que lorsque la résistance cause un échec flagrant de contrôle chimique dans une parcelle, c'est qu'une fraction importante de la population d'adventices est résistante. Il est alors généralement trop tard pour préserver l'efficacité de l'herbicide, voire, dans la plupart des cas, l'efficacité du mode d'action concerné. En outre, lorsque l'on en est arrivé là, il est illusoire d'espérer se débarrasser rapidement des plantes résistantes (Délye, 2013). Prévenir la sélection de résistances en utilisant une diversité de pratiques de désherbage (non chimiques et chimiques) est le seul moyen de préserver durablement l'efficacité des herbicides.
RÉSUMÉ
Dans le Gard, les parcelles où la résistance aux inhibiteurs de l'ALS a été identifiée sont situées dans la zone même où une résistance au glyphosate a été mise en évidence dès 2010. De ce fait, il est très probable que des parcelles dans cette zone soient concernées par la présence de plantes résistantes à la fois aux inhibiteurs de l'ALS et au glyphosate. Dans ces situations, la gamme de solutions chimiques restant efficaces pour contrôler la vergerette de Sumatra est dramatiquement restreinte.
POUR EN SAVOIR PLUS
LIENS UTILES : www.weedresearch.com
http://hracglobal.com/tools/classification-lookup
- Dubois M., Cottet C., Favier T., De Prado R., 2011, Érigéron résistant au glyphosate : le point, Phytoma n° 649, p. 25-28.
- Heap I., 2017, International survey of herbicide-resistant weeds, Weed research (voir Liens utiles).
- Phyto régions, 2011, Gard : un érigéron résiste au glyphosate, Phytoma n° 644, p. 8.
- Thebaud C., Abbott, R. J., 1995, Characterization of invasive Conyza species (Asteraceae) in Europe : Quantitative (...), Am. Journ. of Botany 82, p. 360-368.
- Tranel P. J., Wright T. R., Heap I. M., 2017, ALS mutations from herbicide-resistant weeds, Weed Research (voir Liens utiles).