Fig. 1 : Sensibilité des populations de P. infestans au diméthomorphe, à la cyazofamide et au fluazinam Répartition des populations en fonction de la valeur des CMI. France 2016, 34 populations.
Le mildiou dû à Phytophthora infestans est la maladie la plus dommageable de la pomme de terre durant toute la période de végétation. Un dispositif de surveillance particulier a été créé en France en 2016.
Pourquoi cette surveillance
Un parasite évolutif
Le moyen de lutte prépondérant aujourd'hui contre cette maladie est l'application répétée et préventive de fongicides de synthèse. Pour raisonner au mieux l'application de ces fongicides, la mise en place d'une véritable protection intégrée est préconisée en combinant de manière optimale différents leviers :
- l'utilisation d'un outil d'aide à la décision, tel que Mileos ;
- la valorisation de la résistance variétale à la maladie ;
- la mise au point de programmes innovants de traitements pour préserver l'efficacité de toutes les substances actives actuellement disponibles, en les associant à des produits de biocontrôle.
Compte tenu de la forte pression chimique exercée sur ce micro-organisme et de sa grande capacité évolutive, il est indispensable de suivre l'évolution potentielle des différentes populations présentes sur le territoire. Or, peu d'actions concertées de prévention et d'anticipation du risque de sélection de souches de P. infestans résistantes aux substances actives et/ou contournant les résistances de l'hôte (dans le cas d'utilisation excessive de résistance variétale) ont été mises en place au niveau national au cours de cette dernière décennie.
En effet, l'évolution des populations de P. infestans est difficile à appréhender et surtout à anticiper. Pourtant, la biosurveillance de P. infestans est une nécessité dans le contexte actuel de la protection intégrée et du souci de sa durabilité.
Depuis 2013, des actions concertées via le réseau européen EuroBlight(1) sont réalisées chaque année afin d'assurer une surveillance des structures génotypiques des populations de P. infestans présentes en Europe. Une surveillance de la sensibilité aux substances actives fongicides est aussi en cours dans le cadre du projet européen C-IPMBlight2.0.
Un dispositif spécifique
En complément de ces travaux, Arvalis, avec la collaboration du laboratoire Coniphy, a décidé en 2016 de déployer des efforts supplémentaires afin de caractériser les populations de mildiou pour leur sensibilité à trois familles de substances actives fongicides (CAA, QiI et dinitroanilines) par l'application d'un dispositif spécifique, comparable à ceux utilisés en céréales et en vigne ; à savoir, travailler sur des populations (c'est-à-dire un ensemble d'individus provenant d'une même parcelle) et non sur les isolats individualisés.
Cette méthode est préférable lorsque l'on suspecte l'émergence de risques de résistance à l'une ou l'autre des substances actives. Elle a fait ses preuves dans l'étude de l'évolution de phénomènes de résistance sur d'autres maladies, en particulier le mildiou de la vigne (Plasmopara viticola).
Ce projet concerne donc la réalisation de prélèvements d'échantillons de feuillage de pomme de terre infesté par le mildiou (P. infestans) dans différentes parcelles situées dans les principaux bassins de production et une caractérisation de leur sensibilité à plusieurs modes d'action : les CAA (code FRAC H5 = diméthomorphe, mandipropamid...), les QiI (code FRAC C4 = cyazofamide, amisulbrom) et le fluazinam (code FRAC C5), réalisée par le laboratoire Coniphy.
L'objectif était double :
- valider ce type de protocole ;
- identifier la présence éventuelle de phénotypes résistants dans les populations de P. infestans et en comprendre l'origine au travers de l'analyse des pratiques de traitement appliquées à la parcelle.
Origine et collecte des échantillons
Arvalis, avec l'appui de Germicopa, a mis en place, grâce à leurs collaborateurs et plusieurs partenaires professionnels, la collecte d'échantillons de P. infestans en provenance de parcelles commerciales de pomme de terre localisées dans différentes régions de production (semence, consommation et industrie) en France.
La récolte d'organes attaqués par le mildiou se réalise de façon aléatoire sur l'ensemble d'une parcelle. Dans chaque champ, trente à cinquante feuilles atteintes par la maladie ont été récoltées au minimum. Ces organes malades doivent être porteurs de symptômes jeunes et sporulants. Notre objectif est de travailler sur des populations, expression de la plus grande diversité possible de l'état du pathogène avec un maximum de spores viables.
Traitement des échantillons
Les populations ont été analysées par le laboratoire Coniphy, sous la direction scientifique d'Hervé Steva.
À réception au laboratoire, chaque échantillon a été référencé, puis à partir des feuilles infectées et présentant des symptômes typiques de la maladie, des disques de 20 mm ont été découpés dans les zones en périphérie des lésions jeunes et sporulantes.
Ces disques, lavés abondamment à l'eau déminéralisée pour éliminer les résidus de fongicide (produits de surface), ont été disposés dans des boîtes de Petri carrées de 12 cm avec papier filtre (photo 1).
Les échantillons ont été placés en chambre climatisée (18 ± 1 °C) durant 24 à 48 heures. Dès que les jeunes sporulations sont perceptibles à la surface des lésions (un à deux jours plus tard), une suspension de sporanges a été préparée et inoculée sur des folioles non traitées. Cette étape est déterminante dans le processus d'analyse pour plusieurs raisons car elle permet :
- de constituer une population renfermant le plus grand nombre de génotypes (et phénotypes) ;
- de vérifier la viabilité de l'échantillon ;
- d'obtenir des sporanges ayant tous le même âge et donc des caractéristiques comparables.
Les repiquages préalables aux essais sont réalisés sur des folioles issues de plants de pomme de terre (cv. Bintje) cultivés en serre. Ces feuilles entières ont été placées dans des boîtes de Petri carrées (12 × 12 cm).
Les tests biologiques
Préparation des supports
Les analyses qualitatives ont été réalisées sur des disques de feuilles saines issues de ces mêmes plants de pomme de terre de la variété Bintje. Les feuilles ont été récoltées jeunes pour leur sensibilité élevée vis-à-vis de cet agent pathogène. Les feuilles sont alors découpées sous la forme de disques de 18 mm de diamètre à l'aide d'un emporte-pièce. Elles sont ensuite disposées dans des boîtes de Petri de 90 mm de diamètre contenant un disque de papier filtre imbibé d'eau.
Réalisation des tests
Trois fongicides ont été utilisés dans le cadre de cette surveillance : le diméthomorphe (CAA), la cyazofamide (QiI), et le fluazinam (dinitroaniline). Ces fongicides ont été étudiés aux concentrations suivantes :
- diméthomorphe 0,1 - 0,3 - 3 - 10 mg/l ;
- cyazofamide 0,01 - 0,1 - 1 - 10 mg/l ;
- fluazinam 0,1 - 1 - 10 - 30 mg/l.
Ces doses ont été préalablement déterminées pour apporter une efficacité complète sur des souches de référence sensibles à ces principaux fongicides (a minima les deux doses les plus élevées).
L'application des fongicides a été réalisée par mélange avec la suspension de sporanges. Une solution de fongicide deux fois plus concentrée est préparée. Un mélange volume à volume est effectué préalablement à l'inoculation.
Après sept jours d'incubation, une suspension de sporanges est préparée par récupération à l'aide d'un coton-tige des sporulations à la surface des folioles infectées au préalable. La photo 2 illustre cette préparation pour un échantillon. Cette suspension est titrée puis ajustée à 105 (100 000) sporanges par millilitre. Elle est alors placée à 4 °C pendant une durée de 2 heures afin de faciliter la libération des zoospores et d'augmenter les chances de succès dans l'infection.
Un mélange de la solution de fongicide (ou d'eau pour le témoin) et de la suspension de sporanges est réalisé. Ce mélange sert à la contamination des disques foliaires (photo 3) à raison d'un dépôt d'une goutte de 10 microlitre pour chaque disque.
Les boîtes de Petri sont placées dans une chambre climatique à une température de 18 ± 1 °C et éclairée 12 heures par jour. L'humidité nécessaire à la conservation des disques foliaires et au développement du pathogène est assurée par le papier filtre imbibé d'eau.
L'intensité de développement du mildiou a été évaluée visuellement après sept jours d'incubation selon une échelle de 0 à 4 :
- 0 = pas de nécrose ;
- 1 = 25 % de surface nécrosée ;
- 2 = 50 % de surface nécrosée ;
- 3 = 75 % de surface nécrosée ;
- 4 = 100 % de surface nécrosée.
La note moyenne (dix disques de feuille) pour chaque concentration de fongicide est convertie en pourcentage d'efficacité (ou d'inhibition) par comparaison avec les disques témoins selon la formule :
E = 100 x [(T-c)/T].
Où « T » est le taux moyen d'attaque dans le témoin et « c » est le taux moyen de dégâts sur les disques de feuille avec le mélange sporanges + fongicide.
À partir des efficacités des différentes doses de chaque fongicide, il est possible de définir quelle est la concentration minimale inhibitrice (CMI) pour les populations étudiées. Cette CMI est une valeur estimée entre la dose qui procure 100 % d'efficacité et celle immédiatement inférieure.
Les populations sont alors réparties dans plusieurs classes de sensibilité en fonction des valeurs de CMI déterminées après la réalisation de ces essais in vivo.
Résultats variables selon la substance
Sensibilité au diméthomorphe (CAA)
La Figure 1A page suivante présente la sensibilité des populations de mildiou de la pomme de terre au diméthomorphe. Sur les trente-quatre populations viables et analysées en 2016, trois ont une CMI inférieure à 0,1 mg/l. La moitié des populations (dix-sept) conserve une forte sensibilité au diméthomorphe avec une CMI comprise entre 0,1 et 0,3 mg/l. Cette CMI est entre 0,3 et 3 mg/l pour treize populations. Une seule population n'est pas contrôlée par cette dose de 3 mg/l.
Sensibilité à la cyazofamide (QiI)
La Figure 1B détaille la distribution des populations en fonction de leur sensibilité à la cyazofamide. Toutes les populations sont contrôlées par la dose de 1 mg/l. Dix-sept populations conservent une très grande sensibilité avec une CMI inférieure à 0,01 mg/l. Quinze populations sont également sensibles avec une CMI comprise entre 0,01 et 0,1 mg/l de cyazofamide.
Sensibilité au fluazinam
La Figure 1C illustre la répartition des populations en fonction de leur sensibilité au fluazinam. Une plus grande variabilité de sensibilité apparaît sur cette figure en comparaison avec les deux autres modes d'action étudiés (CAA et QiI).
Sept populations sont très sensibles au fluazinam : CMI comprise entre 0,1 et 1 mg/l. La majorité des populations (dix-neuf) est capable de se développer en présence de 1 mg/l de fluazinam mais reste parfaitement contrôlée par la dose de 10 mg/l.
Par contre, sept populations ne sont pas totalement contrôlées par cette dose de 10 mg/l et six d'entre elles se développent normalement en présence de la plus forte dose de fluazinam. Ces populations renferment des phénotypes résistants en comparaison avec la sensibilité de base à cette molécule.
Une analyse géographique des données obtenues indique clairement que ces populations non contrôlées par la dose de 30 mg/l sont détectées dans les principaux bassins de production (Bretagne, Nord-Pas-de-Calais, Picardie et Champagne). Sur trois de ces six parcelles prélevées en 2016 dans différentes régions, une carte FTA a été imprimée le jour du prélèvement sur les symptômes prélevés.
Les cartes FTA sont imprégnées d'un produit chimique (brevet Whatman) et qui fonctionnent à température ambiante. On met en contact direct le végétal que l'on veut tester sur la carte. Le produit chimique, citons le site d'une entreprise proposant de tels outils, « analyse les cellules et dénature les protéines, tandis que les acides nucléiques sont extraits et protégés dans les fibres du papier ». L'ADN prélevé est prêt pour l'analyse.
Les résultats montrent une grande diversité :
- Bretagne (île de Batz), génotype EU 1_A1 ;
- Picardie (Villers-Saint-Christophe), EU 13_A2 et EU 37_A2.
À Villers-Saint-Christophe, les prélèvements ont été réalisés, après cinq applications de produits identiques, le 25 juillet 2016 dans des essais fongicides d'Arvalis (les résultats sont illustrés dans la Figure 2) brumisés et contaminés artificiellement avec le génotype EU 13_A2.
Les échantillons ont été prélevés dans les parcelles (12 m², quatre répétitions) des modalités Shirlan (fluazinam), Ranman (cyazofamide) et Revus (mandipropamide, un CAA comme le diméthomorphe) de cet essai, et envoyés au laboratoire Coniphy par courrier express après impression de carte FTA. Dans la parcelle fluazinam, le génotype était EU 37_A2. En revanche, dans les deux autres parcelles il s'agissait du génotype EU 13_A2. Il faut noter aussi que ces trois populations ont fait l'objet des mêmes tests avec les trois substances actives au laboratoire Coniphy et que deux d'entre elles (la EU 37_A2 et une des EU 13_A2) ont montré des sensibilités au fluazinam très faibles.
Lors du suivi de l'essai, il a été noté une efficacité décevante du fluazinam (Figure 2) alors que les deux autres produits présentaient des efficacités normales. Les efficacités globales sur tout l'essai (calculées avec les aires sous la courbe, AUDPC) sont pour la référence Dithane Néotec 36 %, Shirlan 40 %, Ranman 88 % et Revus 99 %.
Ces résultats posent des questions sur le génotype EU 37_A2 et sa sensibilité au fluazinam, mais aussi sur les autres génotypes et la variabilité à l'intérieur d'un même génotype.
Discussion et conclusion
Qualité des échantillons en question
Les conditions climatiques ont été exceptionnelles en 2016 avec une très forte pluviométrie (nombre de jours de pluie et cumuls). Les épidémies de mildiou sur pommes de terre ont été particulièrement précoces, avec une pression parasitaire extrême. Cette situation a contraint les producteurs à appliquer un nombre de traitements élevé pour assurer une production saine.
De ce fait, s'il a été possible de faire de nombreux prélèvements, la qualité des échantillons n'a pas toujours été suffisante pour réaliser les tests dans de bonnes conditions au laboratoire. In fine, soixante-deux échantillons de P. infestans ont été collectés dans plusieurs bassins de production. Le tableau ci-dessus détaille leur origine et donne le nombre d'échantillons analysés par bassin. Le taux d'échantillons viable est 55 % sur la France avec un minimum de 46 % pour la Bretagne. Excepté en Île-de-France (quatre échantillons reçus et analysés), aucune particularité régionale n'est identifiée dans le pourcentage de viabilité des échantillons.
Ce taux de réussite est frustrant, avec près d'un échantillon sur deux non exploitable. Nous avons constaté à réception que plusieurs prélèvements n'étaient pas en bon état lors de leur arrivée au laboratoire (feuilles sèches ou pourries). Mais même certains échantillons classés « moyens » ou « bons » n'ont pu être analysés. Les nombreux traitements fongicides appliqués sur les parcelles en 2016 avant prélèvements pourraient être la cause de cette non-viabilité.
Quoi qu'il en soit, une amélioration des conditions de collecte puis d'expédition des échantillons est nécessaire pour augmenter les chances de réussite à cette action de surveillance de la sensibilité du mildiou de la pomme de terre aux fongicides.
Intérêt de la démarche
L'année 2016 était la première campagne de mise en place de cette surveillance avec une démarche expérimentale originale (étude de populations, tests sur disques foliaires, observation des symptômes en conditions contrôlées). Cette démarche a pour objectif d'étudier le plus grand nombre d'individus sur une même parcelle (a minima un test sur 10 000 sporanges par échantillon). Elle peut ainsi identifier précocement l'émergence de phénotypes différents de la sensibilité de base (résistants) ou confirmer que tous les individus conservent une sensibilité normale à un fongicide donné et cela dans un système pathogène/plante/fongicide conforme à la réalité du champ.
Cette démarche permet de dégager des conclusions à partir des trente-quatre populations analysées sur les trois modes d'action sélectionnés pour l'étude de 2016.
Situation vis-à-vis des CAA et des QiI
La sensibilité des populations de P. infestans est normale vis-à-vis du diméthomorphe et plus largement des CAA avec un contrôle parfait à la dose de 3 mg/l. Seule une population a développé quelques symptômes en présence de cette dose de 3 mg/l. Toutefois, les tests complémentaires n'ont pas permis d'isoler des souches à partir de ces lésions (mauvaise viabilité, très faible fréquence).
Les CAA ne sont pas affectés par une résistance particulière de P. infestans dans le cadre de ce réseau de prélèvements.
Toutes les populations sont parfaitement contrôlées par la dose de 1 mg/l de cyazofamide. Cette dose de 1 mg/l constitue également la dose discriminante pour d'autres agents pathogène et en particulier le mildiou de la vigne (Plasmopara viticola). La sensibilité du mildiou de la pomme de terre aux QiI est normale.
Situation vis-à-vis du fluazinam
Cette première année d'étude avec une méthodologie très détaillée identifie au moins six populations non contrôlées par la plus forte concentration de fluazinam. Ces populations se différencient nettement de la sensibilité de base à cette molécule. Elles sont détectées dans tous les bassins de production.
Ce critère de résistance au fluazinam a été validé par la réalisation de tests complémentaires sur les populations mais aussi sur des isolements (souches) réalisés à partir de ces échantillons.
Ces premiers résultats pourraient peut-être expliquer pourquoi, dans les essais d'Arvalis, l'efficacité du fluazinam montre depuis quelques années une variabilité assez forte avec une très bonne efficacité dans certains essais et très décevante dans d'autres.
En résumé, le fluazinam mérite une attention particulière ces prochaines années, et les deux autres modes d'action (CAA et QiI) semblent non concernés par des phénomènes de résistance pour l'instant.
*Arvalis-Institut du végétal, pôle maladies et lutte - Boigneville. **Germicopa SAS, Kerguivarch - Chateauneuf-du-Faou. ***Coniphy - Quincieux. ****CJH - La Brède.