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DOSSIER - Pomme de terre

Réflexion internationale sur le biocontrôle et les biostimulants

Phytoma - n°710 - janvier 2018 - page 31

La 20e conférence triennale de l'Association européenne pour la recherche sur la pomme de terre (EAPR) s'est tenue à Versailles, du 9 au 14 juillet. Focus sur un de ses ateliers de travail, celui sur les alternatives aux intrants « chimiques ».
L'atelier sur le biocontrôle et les biostimulants a été animé par des experts internationaux. Photo : DR

L'atelier sur le biocontrôle et les biostimulants a été animé par des experts internationaux. Photo : DR

Beaucoup d'appelés in vitro mais peu d'élus utilisables      Sur 4 000 articles scientifiques publiés par an, portant sur autant de résultats de recherches menées in vitro, et 500 articles sur des résultats d'essai au champ (en gros, un résultat in vitro sur huit donne lieu à un test au champ), une dizaine de produits seront commercialisés.

Beaucoup d'appelés in vitro mais peu d'élus utilisables Sur 4 000 articles scientifiques publiés par an, portant sur autant de résultats de recherches menées in vitro, et 500 articles sur des résultats d'essai au champ (en gros, un résultat in vitro sur huit donne lieu à un test au champ), une dizaine de produits seront commercialisés.

 Mise en évidence d'action biostimulante      Effet de stimulation de croissance de plantes via des composés volatiles émis par des bactéries du genre Bacillus sur des plantules de tomate.  Source : Simon Caulier, ELI-UCL, Belgique.

Mise en évidence d'action biostimulante Effet de stimulation de croissance de plantes via des composés volatiles émis par des bactéries du genre Bacillus sur des plantules de tomate. Source : Simon Caulier, ELI-UCL, Belgique.

Parmi les 440 participants à la conférence EAPR, plus de soixante-dix ont pris part à l'atelier de travail organisé sur le thème du biocontrôle et des biostimulants en culture de pomme de terre lors de la 20e conférence EAPR. Sur cette thématique en plein développement, de la quête d'alternatives aux pesticides et fertilisants de synthèse, cet atelier a permis de faire un point international sur les avancées en recherche et développement.

Un double objectif

onstruire en s'associant

L'atelier de travail sur le biocontrôle et les biostimulants s'inscrivait dans le plan de collaboration initié depuis 2014 entre l'EAPR et le Centre international de la pomme de terre (CIP), avec un double objectif.

Le premier était d'accroître et de renforcer la collaboration scientifique entre le CIP et l'EAPR dans la recherche d'agents de contrôle biologique des ravageurs et maladies de la pomme de terre.

Nous utiliserons dans cet article les termes « produits biobasés » pour parler simultanément des produits de biocontrôle (ou biopesticides) et des biostimulants d'origine naturelle. L'utilisation de ces produits vise à accroître la durabilité de l'agriculture dans des zones du monde (Europe, Afrique, Asie et Amérique latine) où la pomme de terre représente un élément clé de la sécurité alimentaire.

Le deuxième objectif était d'identifier les composants requis et indispensables pour construire des projets collaboratifs de recherche et développement sur le sujet, en associant différentes parties prenantes potentielles autour des aspects pertinents de tels projets.

État des lieux vu par la recherche et l'industrie

Recherche et formation à renforcer

Divers exposés d'experts internationaux ont permis dans un premier temps d'établir un état des lieux des acquis et des perspectives d'utilisation des agents de biocontrôle et des biostimulants en pomme de terre.

Peter Kromman (CIP, Équateur) a souligné le besoin de renforcer les capacités de recherche et de formation sur les nouvelles méthodes de biocontrôle, afin d'accroître l'information et les connaissances. Il a pointé l'importance des questions liées à l'agréation (autorisation) et à la formulation des produits de biocontrôle pour leur application sur le terrain, ainsi que de l'accès à cette technologie dans un intérêt collectif partagé avec les utilisateurs.

Potentialités et limites

Claude Bragard (UCL, Belgique) a décrit les potentialités des stratégies incluant des produits biobasés, mais a souligné que si énormément de projets de recherches en cours sur ces sujets sont conduits in vitro en laboratoire, seul un nombre limité débouchera sur des applications effectives au champ ou sur des agréations de produits biobasés commercialement disponibles (voir Figure 1 p. 32).

Louis Mercy (INOQ GmbH, Allemagne) a rappelé que les biostimulants sont connus depuis très longtemps, avec des avantages identifiés, mais aussi des difficultés pour développer des stratégies basées sur leur utilisation pratique.

Besoin d'efficacité... et de débouchés !

Enfin, Frédéric Lakaye (Biorem Engineering, Suisse), représentant le secteur industriel, a insisté sur la nécessité de la validation du « principe d'efficacité » grâce à des partenariats industrie-université, et le besoin d'existence de marchés potentiels avec les utilisateurs finaux.

Il a rappelé le cheminement aléatoire depuis la preuve du principe jusqu'au développement technologique à grande échelle, et le besoin de considérer le prix du matériel de base pour la fabrication du produit.

Les exposés ont ouvert une discussion très intéressante avec les participants, d'une part sur les besoins et les défis futurs relatifs au développement des produits de biocontrôle et les biostimulants, et d'autre part sur les questions clés à considérer en matière de recherche utile sur ces produits.

Produits de biocontrôle et biostimulants

Les produits biobasés comprennent les produits de biocontrôle et les biostimulants. Il faut d'abord bien définir ces catégories :

- un produit de biocontrôle est un produit à base d'une substance naturelle (ou sa copie, ex. : phéromones) ou d'un micro-organisme qui a une action de contrôle d'un stress biotique subi par la plante ; un tel produit s'oppose à un ou des bioagresseurs, directement ou en stimulant les défenses naturelles de la plante ;

- un biostimulant est un produit d'origine similaire qui agit contre un stress abiotique et/ou a des effets de stimulation de croissance ou d'autres fonctions vitales en l'absence de stress (biotique ou abiotique), sans fournir d'apport nutritif significatif.

Des défis pour les principes actifs, mais surtout leurs formulations

Les défis plus ou moins importants dans le cycle de vie d'un produit biobasé ont été bien identifiés. Les étapes allant de l'identification de substances ou micro-organismes potentiellement intéressants jusqu'au screening et à la validation de l'efficacité en conditions contrôlées sont bien maîtrisées.

Par contre, les étapes allant de la formulation (incluant le produit brut, les pellets, la poudre, le liquide, le gel, l'huile, l'encapsulation, l'enrobage de semences, les adjuvants, la durée de conservation, la méthode d'application) et la production à grande échelle, jusqu'à la commercialisation (incluant l'enregistrement, l'homologation, le brevet, le maintien de qualité, le marketing) présentent encore d'importants défis.

Une question cruciale est d'aboutir à une formulation et une homogénéité du matériel de base assurant une efficacité stable du produit. Il est obligatoire en effet d'établir le lien entre le laboratoire et le champ afin d'aboutir à la réussite d'un bioproduit. Le principal défi réside dans le contrôle de la capacité des produits biobasés à supporter la complexité des environnements (types de sols, micro-faune et microflore endogènes) dans lesquels ils sont appliqués, et induisant des risques de métabolisation des substances actives et la compétition avec d'autres espèces endogènes du sol ou des plantes.

Spécificités des modes d'action

Par ailleurs, Louis Mercy a insisté sur la nécessité de considérer les spécificités d'action des substances ou des micro-organismes composant les produits biobasés. Il a cité notamment l'efficacité des champignons arbusculaires mycorhiziens (CAM, AMF en anglais), par exemple Rhizofagus irregularis. Il a évoqué leur bioprotection contre Fusarium sambucinum, agent de pourriture sèche des tubercules. Cette efficacité peut aboutir à une réduction de la teneur en mycotoxines produites par le champignon. Elle est influencée par le contenu en phosphore du sol, la respiration des plantes ou encore l'effet positif des oligosaccharides.

Un autre défi important réside dans la réglementation sur la formulation et les conditions d'utilisation de ces produits, car il faut éviter des règles trop strictes pouvant freiner le développement de produits potentiellement intéressants.

Enfin, point essentiel pour la réussite de produits biobasés, un marché suffisant est nécessaire afin de couvrir leurs coûts de production et de développement.

Les questions clés

Le premier point clé de la recherche est de travailler sur l'efficacité des produits biobasés comparativement aux solutions issues de la chimie de synthèse. L'efficacité hétérogène des produits de biocontrôle et des biostimulants actuellement disponibles est à considérer avec attention pour éviter un effet contreproductif de discrédit sur ces produits. Cet aspect implique une évaluation indépendante, tant des produits commerciaux déjà disponibles que des produits en dernière étape de développement.

En ce sens, la mise en place de plateformes test standardisées mises en réseau et partagées, et coordonnées par des consortia regroupant les centres de recherches publiques, l'industrie et les producteurs de pommes de terre, apparaît comme un facteur clé pour donner du crédit à ces produits.

Parmi la large gamme des produits commercialisés, une sélection doit être effectuée dans les produits à tester dans ces plateformes. L'aspect démonstratif de l'efficacité des bioproduits doit aussi être privilégié pour convaincre les agriculteurs de leur réel potentiel.

Substitution ou combinaison ?

Un second point clé essentiel est de développer et renforcer les aspects collaboratifs et complémentaires avec les sociétés phytopharmaceutiques et fabricantes d'engrais produisant et commercialisant des produits de synthèse. Le positionnement de produits de biocontrôle et des biostimulants par rapport aux produits de synthèse est essentiel : vise-t-on une substitution complète ou partielle des pesticides chimiques et de fertilisants ?

Une voie à explorer est celle des possibilités de combinaison efficace de produits de synthèse et de produits biobasés émergents dans des stratégies globales de lutte contre les stress biotiques et abiotiques. Elle pourrait présenter un intérêt technico-économique important. Ainsi, des produits éliciteurs biobasés pourraient stimuler les défenses de la pomme de terre contre le mildiou en début de saison, avant une prise de relais par des fongicides classiques, seuls ou alternés avec de nouvelles applications d'éliciteurs. L'efficacité de ce type de combinaison reste à prouver un plein champ.

Par ailleurs, il peut être utile d'étudier les possibilités d'émergence de marchés de niche pour les produits biobasés. C'est le cas par exemple dans la lutte contre les pourritures bactériennes humides en pomme de terre, ou d'autres maladies ou ravageurs mineurs, comparativement à l'intérêt de l'émergence de stratégies pour contrôler des maladies majeures comme le mildiou de la pomme de terre.

Spécificité européenne

À l'échelle internationale, les conditions de marchés des produits biobasés sont très différentes entre continents et peuvent influencer leur possibilité de développement. Le cadre légal est plus strict en Europe comparativement aux États-Unis et à d'autres pays comme la Chine, l'Inde ou l'Afrique du Sud. Aux États-Unis, beaucoup d'efforts ont déjà été réalisés par exemple pour sensibiliser les décideurs politiques et les chefs d'entreprise aux bénéfices et intérêts des approches de biocontrôle.

En Europe, les contraintes financières pour le développement de produits de biocontrôle et de biostimulants sont plus élevées, le coût de production et de commercialisation étant les plus contraignants, sans compter que les produits biobasés sont considérés comme des produits phytopharmaceutiques conventionnels.

Ne pas négliger les risques

Sur le plan des attentes sociétales et environnementales, il apparaît évident aussi de considérer la gestion des risques liés à l'utilisation des produits biobasés, en premier lieu vis-à-vis des utilisateurs et des consommateurs, en termes d'innocuité pour la santé, ensuite vis-à-vis de l'environnement en évaluant par exemple les risques de créer des déséquilibres au sein des populations locales de micro-organismes via l'introduction d'espèces exogènes même non pathogènes, et également les risques liés entre autres au mode d'action, à la spécificité et à la toxicité de la substance active. Ces aspects sont à considérer dans les pays développés comme ceux en voie de développement en Afrique, en Asie et en Amérique latine.

Conclusion et perspectives

Les défis de l'efficacité

Sur la base des exposés et des échanges qui ont suivi lors de cet atelier de travail, il apparaît que différents défis économiques et de recherche sont encore bien présents et à relever avant de voir les produits de biocontrôle et les biostimulants prendre un essor significatif dans les différents modes d'agriculture à travers le monde.

La preuve de l'efficacité stable de ces produits en conditions de plein champ doit encore être faite, tant dans les pays développés qu'en voie de développement. Leur mode d'application optimal seul ou en combinaison avec les produits de synthèse (pesticides et fertilisants) doit encore être précisé, tant pour des raisons d'efficacité que de stratégie économique, ou encore d'innocuité pour l'utilisateur, le consommateur et l'environnement.

Harmonisation et plateformes

Enfin, la volonté politique et sociétale de défendre leur développement comme méthodes alternatives aux pesticides et fertilisants de synthèse doit s'harmoniser à l'échelle mondiale dans un but de pertinence agronomique, économique et environnementale de leurs effets pour la protection et la fertilisation des cultures.

En ce sens, des approches de plateformes test comparatives de ces produits, établies à travers différents systèmes de culture et de conditions pédoclimatiques, regroupant des partenariats recherche/industrie/utilisateurs finaux, et avec des protocoles standardisés à l'échelle internationale, sont considérées par beaucoup comme le garant de l'atteinte de ces objectifs.

Cette approche doit se faire en sélectionnant les produits à tester, proposés par toutes les sociétés commerciales, sur base de leur cible et efficacité annoncées, leur mode d'action, leur risque sur l'environnement et la santé de l'utilisateur et du consommateur.

La question des produits locaux

Un point également important à considérer est le potentiel du soutien à l'innovation et la légalisation de la multiplication à petite échelle de populations locales de micro-organismes pour un usage local dans les pays en voie de développement.

En Amérique du Sud, par exemple, peu de bioproduits multinationaux sont enregistrés. Les entreprises locales produisent leurs propres produits, souvent avec succès mais sans reconnaissance formelle de la communauté de recherche et développement. C'est le cas de « bioles », populations non identifiées de levures et bactéries productrices d'acide lactique, de la multiplication de bactéries du genre Bacillus ou de champignons actinomycètes à partir d'échantillons locaux de sol...

Les productions de produits biobasés ne doivent pas nécessairement se faire à grande échelle et par des multinationales, mais la coordination au niveau international permettrait de renforcer et complémenter ces innovations locales. Dans ce contexte, la collaboration entre l'EAPR et le CIP peut jouer un rôle important.

1 - EAPR : buts et structure

L'Association européenne pour la recherche sur la pomme de terre (EAPR), créée en 1957, a fêté ses 60 ans durant sa 20e conférence triennale à Versailles en juillet 2017. Basée à Louvain (Belgique), elle rassemble près de 300 membres, scientifiques d'Europe et d'autres continents, actifs sur tous les aspects de recherche et de développement en pomme de terre, depuis la génomique jusqu'à la production, la conservation et la transformation.

Les objectifs de l'association sont :

- de promouvoir les échanges entre les différents pays, d'Europe et en dehors, sur les informations scientifiques et d'ordre général en lien avec tous les aspects de la culture de la pomme de terre et de son utilisation ;

- d'encourager et d'aider la coopération internationale dans ce cadre.

Dans le but de couvrir tous les aspects de la culture, l'association est structurée en cinq sections : agronomie et physiologie, sélection et évaluation variétales, post-récolte, maladies et ravageurs, virologie. Chaque section organise un séminaire spécifique entre les conférences plénières triennales.

La vie de l'association est décrite sur son site web(1). Elle publie un journal scientifique, Potato Research, qui reprend des contributions scientifiques originales de recherches fondamentales et appliqués sur la pomme de terre, des articles de synthèse (review) et de sujets d'intérêt général.

(1) www.eapr.net

2 - CIP : sécurité alimentaire et biodiversité

Le Centre international de la pomme de terre est un organisme de recherche pour le développement axé sur la pomme de terre, la patate douce et les racines et tubercules andins.

Le CIP se consacre à fournir des solutions scientifiques durables aux problèmes globaux et pressants de la faim, de la pauvreté, de l'égalité de genre, du changement climatique et de la préservation de la biodiversité et des ressources naturelles fragilisées de notre planète.

C'est un centre mondial dont le siège est à Lima, au Pérou, et il possède des bureaux dans vingt pays en voie de développement d'Asie, d'Afrique et d'Amérique latine.

Le CIP promeut sa mission grâce à la recherche, l'innovation en science et technologie et le renforcement des capacités liées aux systèmes de culture et d'alimentation basés sur les racines et des tubercules.

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POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACT : j.goffart@cra.wallonie.be

LIENS UTILES : www.eapr.net

https://cipotato.org/

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