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Dégâts de géomyze sur maïs analyse des facteurs de risque

AGNÈS BAILLY-MAITRE*, VICTOR GALLAND**, AMÉLIE VALADAS*, ANNE LE RALEC**, SERGE KREITER***, LILIAN GOUT****, MICHEL MOQUET***** ET JEAN-BAPTISTE THIBORD***** *Montpellier SupAgro. **Agrocampus Ouest - UMR IGEPP - Rennes. ***Montpellier SupAgro - UMR CBG - Phytoma - n°711 - février 2018 - page 10

Un travail réalisé à l'échelle de la Bretagne permet d'avancer vers un outil de prévision des risques d'attaque de géomyze, un ravageur du maïs.
Les symptômes et leur responsable, la géomyze. Cette petite mouche se caractérise par trois points noirs sur ses ailes. Photos : Arvalis

Les symptômes et leur responsable, la géomyze. Cette petite mouche se caractérise par trois points noirs sur ses ailes. Photos : Arvalis

 Photos : Arvalis

Photos : Arvalis

 Photos : Arvalis

Photos : Arvalis

Le flétrissement des feuilles de maïs est un signe d'attaque de géomyze. Photo : Arvalis

Le flétrissement des feuilles de maïs est un signe d'attaque de géomyze. Photo : Arvalis

Fig. 1 : Résultat du modèle descriptif       Il prend en compte toutes les données explicatives : celles de l'été et de l'hiver avant le semis, puis celles d'après le semis. Il est fiable mais ne permet pas de prévoir le risque dès le semis !

Fig. 1 : Résultat du modèle descriptif Il prend en compte toutes les données explicatives : celles de l'été et de l'hiver avant le semis, puis celles d'après le semis. Il est fiable mais ne permet pas de prévoir le risque dès le semis !

Fig. 2 : Résultat du modèle prédictif       Il ne prend en compte que les données d'avant le semis : la fiabilité diminue car les conditions d'après semis comptent aussi, mais il permet de prendre des décisions à temps (en choisissant des semences traitées par exemple).

Fig. 2 : Résultat du modèle prédictif Il ne prend en compte que les données d'avant le semis : la fiabilité diminue car les conditions d'après semis comptent aussi, mais il permet de prendre des décisions à temps (en choisissant des semences traitées par exemple).

La géomyze (Geomyza tripunctata Fallen, 1823), alias mouche du poireautage du maïs, mouche des graminées ou mouche des plantules du maïs, est un ravageur dont les dégâts, potentiellement graves, sont irréguliers et difficiles à prévoir.

Ce que l'on a appris en 2016

Une année avec d'importants dégâts

La géomyze Geomyza tripunctata est un diptère de la famille des Opomyzidae dont la larve cause des dégâts sur les jeunes plantes de graminées. Ses attaques sont peu fréquentes, mais lorsqu'elles ont lieu, elles sont susceptibles d'occasionner des pertes économiques élevées, en particulier sur les cultures de maïs.

Au printemps 2016, les attaques de géomyze ont été exceptionnellement importantes (Arvalis, 2016). Des pertes significatives se sont produites sur environ 200 000 hectares de maïs, essentiellement dans l'ouest de la France : Bretagne, Pays de la Loire et départements adjacents. Des dégâts plus localisés ont été observés dans les Hauts-de-France, en Centre-Val de Loire et en Auvergne-Rhône-Alpes.

Les dommages ont parfois été graves ; entre 8 000 et 10 000 hectares ont fait l'objet de resemis, dont 5 000 à 7 000 hectares uniquement en Bretagne. Une surface probablement équivalente aurait été conservée malgré une perte de peuplement très significative.

Une enquête en Bretagne

Une enquête a été réalisée par la chambre régionale de Bretagne, Arvalis-Institut du végétal et les partenaires du BSV(1) de Bretagne à la fin du printemps 2016 afin d'évaluer l'ampleur des dégâts et tenter de caractériser les situations à risque (Arvalis et chambre d'agriculture de Bretagne, 2016).

Cette enquête apporte de nombreux enseignements sur ces dégâts : surfaces, intensité des attaques, localisation... Les parcelles touchées par des attaques significatives sont réparties de façon homogène sur toute la Bretagne (418 réponses, 3 % de la sole maïs bretonne ayant répondu à l'enquête). Il est intéressant de noter que toutes les périodes de semis ont été concernées par des attaques de géomyze, même si les dégâts étaient moindres sur semis tardifs.

Aucun type d'environnement proche de la parcelle et aucune exposition ne semble influencer les attaques. Par ailleurs, l'apport d'engrais « starter » n'a pas permis d'éviter les dégâts. Les leviers d'action agronomiques et environnementaux visant à limiter le risque semblent donc limités. Le traitement de semences insecticide à base du néonicotinoïde thiaclopride (Sonido) a permis de réduire les dégâts avec une efficacité supérieure à 80 %.

Rôle du climat : probable... mais inconnu

Dans la perspective de l'interdiction des produits de la famille des néonicotinoïdes à partir de mi-2018 ou mi-2020 (loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, JORF 2016) et dans le contexte du plan Écophyto 2 visant à réduire l'utilisation des produits phytosanitaires, il faut améliorer nos connaissances sur les facteurs de risque susceptibles d'influencer les attaques de géomyze.

Les fortes attaques de géomyze en 2016 ne semblant pas être attribuables à des facteurs d'ordre agronomique, il semble judicieux de penser que les conditions climatiques lui ont été particulièrement favorables... Mais les conditions climatiques favorables à la présence de ce ravageur et à l'expression de ses dégâts sur maïs ne sont pas définies dans la bibliographie !

C'est dans ce contexte qu'une étude a été réalisée avec pour objectif d'expliquer la présence ou l'absence de dégâts de géomyze au cours de différentes campagnes selon les conditions climatiques rencontrées. L'étude s'est focalisée sur la région Bretagne, zone géographique historiquement plus concernée par ce ravageur.

Travail réalisé

Classement des années historiques selon le niveau des attaques de géomyze

Une première étape a consisté à identifier les années concernées par des attaques de géomyze. Pour cela, des informations ont été collectées depuis 1973, année au cours de laquelle le ravageur a été signalé pour la première fois en Bretagne. La présence ou l'absence des dégâts ont été recueillies d'après les informations figurant dans les avertissements agricoles ou les BSV consultés sur PestObserver (Turenne et al., 2017)(2).

Les informations étant peu précises et les dommages non quantifiés, une année était classée « avec dégâts » si la géomyze était mentionnée dans un avertissement agricole ou un BSV de l'année. Dans le cas contraire, l'année était classée « sans dégâts ».

Cinq années ont dérogé à cette règle avec d'autres sources considérées. En 1974, des dégâts sont mentionnés dans un rapport de l'Académie d'agriculture de France intitulé « Un nouveau ravageur observé dans l'ouest de la France : Geomyza tripunctata Fallen - La mouche du poireautage du maïs » (Brunel, 1974). Par ailleurs, les BSV n'étant pas disponibles entre 2008 et 2011, les informations sont basées sur des dires d'experts d'Arvalis.

Enfin, les informations disponibles pour les années 1991 à 1999 ont été insuffisantes pour qualifier la présence de dégâts de géomyze. Elles n'ont donc pas été considérées. Le jeu final de données comporte 35 années dont 14 avec dégâts et 21 sans.

Sélection des variables climatiques : huit stations météorologiques à contribution

L'étude climatique a été réalisée à l'échelle de la région, considérant que la présence potentielle de géomyzes était homogène dans toute la région de Bretagne. Cette hypothèse est confortée par les résultats de l'enquête réalisée en 2016 (Arvalis et chambre d'agriculture de Bretagne, 2016). Huit stations météorologiques réparties sur l'ensemble de la Bretagne et existantes depuis 1970 ont été retenues. Les données journalières utilisées sont la température minimale, la température moyenne et la pluviométrie. À partir de ces informations, cinq données mensuelles ont été créées, la somme de températures en bases 0 et 10, le nombre de jours de gel, la pluviométrie et le nombre de jours de pluie :

- la base 10 pour la somme des températures journalières a été proposée car la géomyze démarre son cycle de développement à partir de 10 °C ;

- les jours de gel indiquent les périodes de froid, particulièrement défavorables à la survie des individus de géomyze ;

- une forte pluviométrie a un impact négatif sur la vitesse de développement du maïs en début de végétation ; la période de sensibilité de la plante aux attaques est donc plus longue ; de plus, les conditions humides seraient a priori favorables au développement de la mouche ;

- le nombre de jours de pluie donne la notion de durée de la période exposée à l'humidité en plus du cumul de précipitations.

Traitement des variables

Les données journalières ont par la suite été agrégées en différentes périodes définies selon des hypothèses relatives au cycle biologique du ravageur d'une part et au développement du maïs d'autre part. La période étudiée débute en juillet de l'année précédente et se termine fin juin de l'année pour laquelle il convient de caractériser le risque.

Les analyses statistiques ont été réalisées à l'aide du logiciel R (version 3.3.2, 2016). Dans un premier temps, une démarche exploratoire a consisté à réaliser des analyses en composantes principales (ACP) afin de sélectionner les principales variables climatiques susceptibles de discriminer les années avec et sans dégâts (variable à expliquer). Ensuite, la démarche explicative a permis de proposer et sélectionner des modèles linéaires généralisés (GLM).

Résultats

Quatre variables identifiées

Les variables qui semblent influencer les risques d'attaque de géomyze sont la pluviométrie et la température de l'été précédent, la température et le nombre de jours de gel au cours de l'hiver et la pluviométrie au cours du printemps de l'année étudiée.

Le modèle choisi à l'issue de la démarche explicative comporte donc quatre variables corrélées positivement à la présence de dégâts observés en année n :

- pluviométrie entre juillet et septembre au cours de l'année n-1 ;

- température base 0 entre juillet et septembre au cours de l'année n-1 ;

- température en base 10 entre octobre (année n-1) et février (année n) ;

- pluviométrie entre mai et juin de l'année n.

Les quatre variables permettent une séparation claire des années avec et sans dégâts (Figure 1 p. 12). Avec 88 % d'années bien estimées sur les 35 étudiées, la qualité du modèle est jugée très satisfaisante.

Rôle des variables climatiques avant le semis du maïs

La pluviométrie et la température en été augmentent la probabilité de dégâts de géomyze du printemps suivant. Il est probable que les conditions estivales influencent le développement de la deuxième génération de géomyzes et favorisent par conséquent une forte abondance de populations à l'entrée de l'hiver. Cette information n'a, à notre connaissance, jamais été mentionnée auparavant.

Un hiver doux semble également favorable à la survie des populations, ce qui augmente la probabilité de dégâts au printemps suivant.

Il est intéressant de constater que la somme des températures en base 10 est plus explicative que celle en base 0. Cela signifie que les températures en base 10 influencent non seulement le développement de l'insecte (Brunel, 1974) mais aussi la survie des populations pendant l'hiver. Une meilleure connaissance de la biologie du ravageur permettrait sans doute d'affiner les paramètres du modèle.

Rôle des variables après le semis

Une forte pluviométrie en mai et juin de l'année de culture augmente la probabilité de dégâts sur maïs. Cela correspond aux observations empiriques de terrain souvent mentionnées. Le maïs est sensible à la géomyze jusqu'au stade 3 feuilles (Leclant, 1977). Les conditions pluvieuses, défavorables à la croissance du maïs, allongent sa période de sensibilité.

Ces résultats donnent de nouvelles informations permettant une meilleure compréhension du ravageur. En revanche, ce modèle n'est pas utilisable pour anticiper les dégâts car il prend en compte la pluviométrie de mai et juin, après le semis du maïs... Or, à ce jour, les protections sont réalisées au semis.

Vers un nouveau modèle prédictif

Un modèle prédictif est donc proposé afin de prévoir, avant le semis du maïs, le risque de présence du ravageur. Pour cela, il tient compte des variables climatiques du mois de juillet de l'année précédente jusqu'à février de celle en cours.

Le nouveau modèle est le même que le précédent, en enlevant la pluviométrie entre mai et juin. Il y a donc trois variables explicatives :

- pluviométrie entre juillet et septembre ;

- température base 0 entre juillet et septembre ;

- température en base 10 entre octobre et février.

La qualité de ce modèle (Figure 2) est légèrement dégradée par rapport au précédent (Figure 1). C'est logique car une variable explicative a été supprimée. Mais il sépare correctement la plupart des années avec et sans dégâts. Ainsi, il permet d'estimer la probabilité d'avoir une année à risque dès début mars (comme le précédent, sans prévoir l'intensité d'attaque).

Testé dans les conditions connues fin février 2016, il prévoyait une année à risque avec une probabilité de 99 %. Le printemps 2016, avec ses attaques sans précédent, confirme les prévisions du modèle sur la base des données climatiques 2015-2016.

Pour 2017, la probabilité d'année à risque était estimée à 0,9 % (été 2016 plutôt sec, hiver 2016/2017 plutôt froid). Les dégâts ont été nettement plus discrets en 2017 qu'en 2016 (à défaut d'être nuls).

Conclusion

Cette étude permet de préciser les conditions climatiques favorables aux attaques de géomyze : un été pluvieux et chaud l'année précédente, suivi d'un hiver doux et de conditions pluvieuses en début de cycle du maïs augmentent la probabilité d'avoir des dégâts de géomyze sur maïs.

Cette estimation du risque est globale à l'échelle de la Bretagne, et pour une année donnée, quelle que soit la période de semis. Attention : cette première étude offre des informations sur la présence de dégâts mais ne permet pas à ce jour de prévoir leurs intensités pourtant fortement variables selon les années.

D'autres travaux sont nécessaires pour confirmer ces résultats et trouver des informations supplémentaires sur la biologie de ce ravageur très peu étudié. Des données plus précises sur la localisation des attaques et les dommages causés permettraient d'améliorer considérablement la prévision des risques.

(1) Bulletin de santé du végétal. (2) www.pestobserver.eu/user/login

RÉSUMÉ

CONTEXTE - Les attaques de géomyze, un ravageur du maïs, sont variables d'une année à l'autre, et peuvent être très nuisibles (dans l'ouest de la France en 2016). Face à l'interdiction des outils de lutte efficaces (traitement de semences néonicotinoïdes), des moyens de compréhension et de prévision sont recherchés.

TRAVAIL - Une enquête réalisée en Bretagne a révélé qu'aucun facteur agronomique n'avait influencé les dégâts de 2016, ce qui suggère l'influence des facteurs climatiques annuels. Une recherche de tels facteurs a été réalisée.

RÉSULTATS - Quatre facteurs ont été identifiés, dont trois intervenants avant les semis (dans l'été et l'hiver précédent). Un modèle descriptif et un prototype de modèle prédictif ont été élaborés. Le travail doit continuer.

MOTS-CLÉS - Maïs, géomyze Geomyza tripunctata, facteurs climatiques, modèle.

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACT : jb.thibord@arvalis.fr

LIEN UTILE : www.arvalisinstitutduvegetal.fr

BIBLIOGRAPHIE : la bibliographie de cet article (5 références) est disponible auprès de ses auteurs (contact ci-dessus).

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