Retour

imprimer l'article Imprimer

DOSSIER - Cultures ornementales encore tant d'inconnues

Nouveaux produits phyto : l'innovation passe par le « bio »

MARIANNE DECOIN, Phytoma. - Phytoma - n°711 - février 2018 - page 29

Six des neuf nouveautés phytopharmaceutiques pour les cultures ornementales autorisées depuis un an sont reconnues UAB (utilisables en agriculture biologique) et/ou de biocontrôle, ou attendent leur reconnaissance.
 Photo : Pixabay

Photo : Pixabay

 Serre de gerbera, une des CFPV (cultures florales et de plantes vertes) qui ont vu arriver de nouvelles AMM. Photo : Astredhor

Serre de gerbera, une des CFPV (cultures florales et de plantes vertes) qui ont vu arriver de nouvelles AMM. Photo : Astredhor

Les cultures ornementales échappent aux interdictions de produits phyto conventionnels qui s'appliquent en espaces verts... Mais il s'agit des mêmes végétaux : est-ce pour cela que ce secteur voit autant d'autorisations de type biocontrôle ?

Bio-insecticides

Doublé de Beauveria

Les quatre nouveautés visant des insectes sont des produits de biocontrôle. D'abord, deux insecticides inédits proposent chacun une souche différente de Beauveria bassiana : souche ATCC 74040 dans Naturalis, de De Sangosse, GHA pour Botanigard 22 WP, de Certis Europe (Tableau 1 p. 30).

Beauveria bassiana est une espèce de champignon entomopathogène connue depuis longtemps en protection des plantes. Sa souche 147 est le principe actif d'Ostrinil, autorisé dans les années 1990 sur maïs contre la pyrale Ostrinia nubilalis (d'où son nom) et qui, depuis 2009, peut s'utiliser sur palmier contre le papillon palmivore Paysandisia archon. Mais nous savons que deux souches distinctes d'une même espèce de micro-organisme peuvent avoir des activités tout à fait différentes.

Les deux nouvelles souches ont été approuvées par l'Union européenne en même temps, en 2009, et certaines sources semblent les confondre... Mais De Sangosse et Certis nous ont affirmé avec un bel ensemble que les souches de leurs produits sont bien différentes ! Quoi qu'il en soit, ces deux bio-insecticides ont à la fois des points communs et des différences.

Les points communs :

- tous deux remplissent les critères pour être reconnus UAB (utilisables en agriculture biologique) dès leur passage en commission ad hoc, puisqu'ils sont à base de micro-organismes naturels et vivants, catégorie satisfaisant aux exigences européennes pour l'agriculture biologique... et à celle des autorités françaises ;

- tous deux sont autorisés contre les aleurodes sur l'ensemble des cultures florales et de plantes vertes, en abrégé CFPV.

Les différences :

- les autorisations de Naturalis sur cultures ornementales valent aussi bien en plein champ que sous abri mais elles s'arrêtent là, alors que celles de Botanigard 22 WP s'étendent aux aleurodes sur rosier et arbres et arbustes cultivés pour l'ornement, ainsi qu'au thrips sur rosier et CFPV - mais le tout uniquement sous abri ;

- Naturalis est, de plus, inscrit sur la liste « biocontrôle L. 253-5 » des produits de type biocontrôle offrant des garanties maximales de sécurité pour les utilisateurs et l'environnement ; en effet, il est dispensé de tout classement, toxicologique comme écotoxicologique ; en revanche Botanigard 22 WP est affecté du classement H372 (risque pour certains organes en cas d'exposition prolongée), critère d'exclusion de la liste ; interrogée, la société espère que ce classement est « amené à disparaître »... affaire à suivre.

Précisons par ailleurs que ces deux nouveaux produits ont été autorisés en même temps sur d'autres cultures : vigne et plusieurs cultures légumières sous abri pour Botanigard 22 WP, vigne, plusieurs cultures légumières et fruitières pour Naturalis. Mais les végétaux d'ornement ont eu droit à l'innovation en même temps que les autres. Or, ceci avait longtemps été rarement le cas.

Un Metarhizium gagne la végétation

Le troisième nouveau produit, Met52 OD, de Novozymes, est lui aussi à base d'un champignon entomopathogène : la souche F52 de Metarhizium anisopliae var. anisopliae (Tableau 1).

Cette souche était déjà autorisée sur cultures ornementales dans Met52 Granulés de la même société, mais il s'agissait de granulés à utiliser en traitement du sol contre les ravageurs du sol. Le nouveau produit, lui, est une formulation liquide qui s'applique en végétation. Il est autorisé contre les aleurodes sur CFPV, sachant que son efficacité est montrée sur gerbera, ainsi que sur arbres et arbustes.

Lui aussi a été autorisé sur ces plantes ornementales en même temps que sur des cultures alimentaires, à savoir la vigne et plusieurs cultures légumières. Et lui aussi devrait être en droit d'obtenir la reconnaissance UAB, comme son grand frère le Met52 Granulés. La société devrait bientôt demander ce classement.

En revanche, et contrairement au granulé, le nouveau produit n'est pas éligible sur la liste biocontrôle L. 253-5 car il est affecté du classement écotoxicologique H400 (toxicité vis-à-vis des organismes aquatiques).

En effet, ce classement est, lui aussi, un critère d'exclusion de la liste sauf si le type de formulation et le mode d'application du produit n'entraînent pas de risque de transfert dans les eaux.

Ainsi, les spécialités classées H400 qui ne se pulvérisent pas, comme des diffuseurs de phéromones, peuvent être listées « biocontrôle L. 253-5 ». Il en est de même pour les produits utilisables seulement sous serre...

Mais le Met52 OD se pulvérise et, même s'il n'est autorisé que sous abri en cultures ornementales, certaines de ses autres autorisations, notamment sur vigne, sont en plein champ...

De l'huile d'orange pour soigner les plantes d'ornement

Le quatrième bio-insecticide est à base non pas d'un micro-organisme vivant mais d'une substance naturelle inerte. Elle est d'origine biologique, précisément végétale, c'est l'huile essentielle d'orange douce.

Plusieurs produits commerciaux, déjà autorisés contre les aleurodes sur cultures ornementales (entre autres) ont bénéficié d'extensions d'usage contre les thrips sur rosier, arbres et arbustes, CFPV et bulbes ornementaux, ainsi que contre les cicadelles, punaises et thrips sur arbres et arbustes (Tableau 1). Ces produits sont :

- la formulation « originale » Prev'Am, qui n'est plus vendue sous ce nom mais sous ceux de Limocide et Essen'ciel ; c'est la société Vivagro qui en détient l'AMM (autorisation de mise sur le marché) et qui la commercialise ;

- la formulation Prev-Am Plus, importation parallèle de la société Oro Agri commercialisée en France par Nufarm.

Rodonticides

L'arrivée du phosphure de zinc

La cinquième innovation est une substance active inédite sur cultures ornementales, le phosphure de zinc. Elle est autorisée dans deux formulations différentes, Ratron GL (appât extrudé) et Ratron GW (blé enrobé) contre des ravageurs qui ne sont pas des insectes ni même des invertébrés. Ces produits visent les campagnols et plus largement les « petits rongeurs » (Tableau 1).

Leur AMM est détenue par Frunol Delicia. Connue en France pour ses molluscicides, cette société allemande est spécialisée dans la fabrication d'appâts antinuisibles. Elle affirme fabriquer « des appâts rodenticides depuis 200 ans et molluscicides depuis 2004 » avec un souci d'innovation, respect de l'environnement et réduction des quantités de matières actives.

Là encore, il ne s'agit pas de spécialités destinées spécifiquement aux cultures ornementales. Elles sont autorisées en traitements généraux, donc sur toutes les cultures, dont les ornementales, qu'elles soient de plein champ ou sous abri. On sait que les campagnols posent des problèmes croissants, certains pouvant s'attaquer notamment aux végétaux en pépinières.

Point important, une seule autre matière active restait autorisée contre ces ravageurs pour des usages phytopharmaceutiques. Il s'agit de la bromadiolone, un anticoagulant. La phosphine, libérée par le phosphure de zinc une fois ingéré par le rongeur et mis au contact de ses sucs gastriques, a un autre mode d'action. Ceci aide à prévenir les problèmes de résistance. De plus, elle est ensuite entièrement dégradée et n'entraîne donc pas de risque d'empoisonnement secondaire d'espèces non-cibles (ex. : les rapaces) consommant des rongeurs empoisonnés. À noter : la phosphine est déjà autorisée comme fumigant des grains stockés, mais sous la forme des phosphures d'aluminium et de magnésium.

Canne de distribution

Ratron GL est annoncé disponible en France dès ce mois de février 2018. Il sera distribué par la société Lodi.

Le produit se présente sous forme de « lentilles » prêtes à l'emploi. Elles doivent être appliquées directement dans les trous de rongeurs, lisons la décision d'autorisation sur le site E-phy, « à l'aide d'un dispositif spécifique permettant le positionnement des granulés dans les trous (canne de distribution) ». Une canne nommée Appli Gun Ratron (marque déposée !) a été spécialement conçue pour appliquer le produit. Elle permet de délivrer en toute sécurité la dose de cinq lentilles par trou à chaque pression sur la gâchette.

Bien entendu, la gestion des populations des rongeurs champêtres, en particulier les campagnols, ne doit pas passer uniquement par la lutte chimique. Mais cette dernière peut être très utile.

Contre les maladies

L'isopyrazam arrive en compagnie

La protection contre les maladies a vu trois innovations, toutes visant des oïdiums. L'une d'elle a été obtenue le 23 janvier de cette année. C'est l'autorisation de Sunjet Flora, de Syngenta (Tableau 2).

Il s'agit d'une association originale de deux substances conventionnelles, l'azoxystrobine et l'isopyrazam. La première était déjà connue sur cultures ornementales comme sur d'autres usages. Mais la seconde est totalement inédite.

Le nouveau produit est autorisé, contre l'oïdium donc, sur CFPV et arbres et arbustes, mais uniquement sous abri. Concernant les CFPV, les préconisations (doses notamment) diffèrent selon qu'il s'agit de plantes en pot, de vivaces ou de « fleurs coupées » (production de fleurs destinées à être vendues coupées).

L'isopyrazam est un SDHI (inhibiteur de la succinate -déshydrogénase). Ce mode d'action est déjà utilisé contre l'oïdium sur arbres et arbustes et CFPV. En revanche il est différent de celui de l'azoxystrobine (qui est un QoI) même si tous deux sont des inhibiteurs de la respiration cellulaire.

L'huile essentielle d'orange contre des rouilles

Une autre innovation anti-oïdium a déjà été évoquée précédemment, mais à propos d'insectes ! Il s'agit de l'huile essentielle d'orange avec les produits Essen'ciel, Limocide et Prev-Am Plus déjà cités.

En effet, la substance agit par dessiccation, aussi bien des parois de champignons que des cuticules des insectes. Les produits ont donc obtenu des extensions d'usage contre les rouilles sur CFPV, en même temps que contre diverses maladies sur d'autres productions végétales (Tableau 2).

Du soufre « soft » sur les fleurs

La deuxième substance active fongicide à voir ses usages étendus sur cultures ornementales est plutôt un grand classique qu'une innovation. Il s'agit de l'ancestral soufre (Tableau 2). Celui-ci était déjà autorisé contre des oïdiums sur cultures ornementales, précisément arbres et arbustes ainsi que rosier, mais il est arrivé l'an dernier sur CFPV, contre les oïdiums donc, dans trois formulations différentes.

Pol Sulphur 800SC, de Ciech Sarzyna, est une nouvelle spécialité autorisée sur CFPV en même temps que sur blé, orge, vigne et tomate. Fluidosoufre, d'UPL France, déjà utilisable sur rosier (outre la vigne, le melon, la tomate et désormais le fraisier) et Afesul Liquide 800, d'Afepasa, connu sur blé et vigne, ont obtenu des extensions d'usage. Ces trois produits sont à la fois UAB et de biocontrôle L. 253-5.

En désherbage

Du nouveau pour l'acide pélargonique

Le désherbage voit deux innovations. D'une part Katoun Gold, de Belchim; commercialisé par Bayer ES sous le nom de Harmonix Kalipe, contient de l'acide pélargonique d'origine végétale (Tableau 2). Cette substance était déjà autorisée dans d'autres spécialités sur vigne (désherbage et épamprage), pomme de terre (défanage), banane, espaces verts et, côté cultures ornementales, en pépinière. Le nouveau produit est autorisé sur ce dernier usage et, c'est nouveau, sur toutes cultures ornementales, en interculture et en cours de culture.

Rappelons qu'il s'agit d'un HNS, herbicide non sélectif : il grille les organes végétaux qu'il touche. Mais c'est aussi un produit de contact, il ne pénètre pas plus avant dans les plantes (c'est pour cela qu'il est utilisé pour l'épamprage de la vigne : il supprime ses rejets sans risquer de s'introduire dans le reste du plant, au contraire des herbicides systémiques).

Par ailleurs, il est reconnu de biocontrôle L. 253-5. En revanche, comme tout herbicide en France, il n'a pas le droit d'obtenir la reconnaissance UAB. La réglementation européenne l'en empêche. Et il ne semble pas qu'elle puisse évoluer dans un avenir proche.

Isoxabène pour bulbes

La dernière innovation est une « extension d'usage de fait » de l'herbicide Cent 7 (Tableau 2).

Ce produit de Dow Agro-Sciences à base d'isoxabène était déjà autorisé sur différentes cultures, en particulier certains bulbes ornementaux. Désormais il l'est sur tous ces bulbes, sans restriction. Cela peut être intéressant par exemple pour un producteur voulant se diversifier.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - Neuf innovations en matière de produits phytopharmaceutiques sont survenues en un an sur cultures ornementales.

BIO-INSECTICIDES - Quatre nouveautés insecticides sont de type biocontrôle. Deux sont des souches originales de Beauveria bassiana. Une autre est l'extension d'usage d'un produit à base de Metarhizium anisopliae. Les produits à base d'huile essentielle d'orange ont eu des extensions d'usage.

RODENTICIDE - La nouveauté rodenticide est l'arrivée d'appâts à base de phosphure de zinc contre les campagnols. Cela introduit un deuxième mode d'action contre ces ravageurs car seule la bromadiolone restait autorisée.

FONGICIDES - La lutte contre les oïdiums voit l'arrivée d'un fongicide conventionnel associant l'original isopyrazam à l'azoxystrobine déjà connue, et l'extension d'usage de produits à base de soufre (ceux à base d'huile d'orange déjà cités ont eu des extensions sur rouilles).

HERBICIDES - Un bio-herbicide introduit l'acide pélargonique sur des usages nouveaux. L'isoxabène a une extension d'usage.

MOTS-CLÉS - Cultures ornementales, produits phytopharmaceutiques, produits phyto, biocontrôle, bio-insecticides, micro-organismes, substances naturelles, rodenticides, fongicides, herbicides.

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACT : m.decoin@gfa.fr

LIENS UTILES : Pour la liste biocontrôle : info.agriculture.gouv.fr/gedei/site/bo-agri/instruction-2018-54

Pour les AMM : https://ephy.anses.fr/

L'essentiel de l'offre

Voir aussi :