Retour

imprimer l'article Imprimer

Recherche

Écologie chimique et Ciraa les ravageurs sur la sellette

ANNE-LAURE PRÉTERRE, MATHILDE CHARON, SIDONIE LOIEZ, YOAN RAYNARD, CLOTILDE BOIS MARCHAND, NILS TRIBOT, FLORIANE BART, JULIE RUCH, CLÉMENTINE MASSON, MARIE-CHARLOTTE BOPP, EMMA DIEUDONNÉ, DRIES AMEZIAN, INDRÉ URBONAITÉ*, HÉLÉNA MINET ET MAIARA C. JACOBUCC - Phytoma - n°711 - février 2018 - page 33

Montpellier a accueilli le colloque « Écologie chimique » et la 11e Conférence internationale sur les ravageurs et auxiliaires en agriculture de l'AFPP.
À la tribune du colloque « Écologie chimique », Jürgen Gross, de l'institut allemand Julius Kühn.  Photo : M. Decoin

À la tribune du colloque « Écologie chimique », Jürgen Gross, de l'institut allemand Julius Kühn. Photo : M. Decoin

Session biocontrôle, le 26 octobre. Anne-Isabelle Lacordaire, coanimatrice de cette session, présente les posters associés.  Photo : M. Decoin

Session biocontrôle, le 26 octobre. Anne-Isabelle Lacordaire, coanimatrice de cette session, présente les posters associés. Photo : M. Decoin

Session ENI,sur les effets non intentionnels. De gauche à droite : Serge Kreiter, Philippe Coulomb, André Fougeroux et Estelle Amilhastre.  Photo : M. Decoin

Session ENI,sur les effets non intentionnels. De gauche à droite : Serge Kreiter, Philippe Coulomb, André Fougeroux et Estelle Amilhastre. Photo : M. Decoin

Du 24 au 26 octobre 2017, à Montpellier SupAgro, le colloque intitulé « L'écologie chimique : nouvelles contributions à la protection des cultures contre les ravageurs » jumelé à la 11e Ciraa ont donné lieu à de riches échanges.

Deux événements combinés

Durant trois journées bien remplies, se sont succédé, sur le site de Montpellier SupAgro, des présentations orales et écrites de nombreux chercheurs et étudiants, dévoilant les secrets de l'écologie chimique et les solutions dans le domaine scientifique sur les ravageurs, leur régulation (par voie conventionnelle ou de biocontrôle) et la pollinisation.

La diversité des présentations a permis d'approcher progressivement le sujet et de mieux en comprendre les tenants et aboutissants, pour les professionnels de centres d'expérimentation, les chercheurs et entreprises spécialisées en protection des plantes.

Les temps forts du colloque sont évoqués ici à travers le ressenti d'étudiants de la spécialisation Protection des plantes et de l'environnement, du master Santé des plantes et des étudiants étrangers Plant Health.

Colloque Écologie chimique

Introduction passionnante

Le 24 octobre, le colloque « Écologie chimique » a exposé les avancées de la recherche. Qui de mieux placé que Frédéric Marion-Poll, enseignant chercheur à AgroParisTech, entomologiste et expert de renommée internationale sur les mécanismes chimiques inhérents à la communication des insectes, pour introduire cette journée ? Dans un contexte mondial où réduire l'usage des produits conventionnels est devenu nécessaire, M. Marion-Poll a rappelé l'intérêt d'étudier les modes de communication, les médiateurs chimiques des messages échangés et les effets comportementaux que provoquent ces molécules chez les insectes.

Ces dernières années(1), l'écologie chimique a rassemblé un ensemble de disciplines scientifiques visant à identifier les gènes et les processus physiologiques intervenant dans les interactions plantes/insecte/micro-organismes. Connaître les molécules impliquées dans la communication chimique des insectes permet de les synthétiser et de les utiliser dans des programmes de lutte contre les ravageurs (confusion sexuelle, reproduction, mue, ponte, etc.).

Recherche et développement

Des chercheurs européens sont ensuite intervenus : Jürgen Gross (Julius Kühn-Institut, Allemagne), sur l'évolution des stratégies de lutte basées sur l'information chimique, Christer Löfstedt (université de Lund, Suède), sur celle de l'utilisation des phéromones, ou encore François Verheggen (Gembloux Agro-Bio Tech, université de Liège, Belgique), sur l'utilisation de sémiochimiques dans les stratégies de surveillance de la mouche du brou du noyer (R. completa) et Gaylor Desurmont (université de Neuchâtel, Suisse), sur les effets des odeurs florales sur les insectes.

Côté français, Catherine Regnault-Roger (Académie d'agriculture de France) a présenté les allomones végétales. Brigitte Frérot et Emmanuelle Jacquin-Joly (Inra de Versailles) sont intervenues sur le thème du biocontrôle : la première a fait le panorama des perspectives des phéromones, la seconde a évoqué les récepteurs olfactifs d'insectes, cibles potentielles de stratégies innovantes. Des travaux sur la pyrale du maïs, ainsi que Tychius aureolus sur luzerne et la ponte de Drosophila suzukii ont été présentés respectivement par Ene Leppik (Inra Versailles), une équipe Fnams/Inra et Sébastien Lebreton (Université Aix-Marseille). Mais la recherche, sur ces domaines, doit mener à l'application par les agriculteurs. Dans cette optique, Pierre-Antoine Lardier (BASF France) et Philippe Larroude (Arvalis-Institut du végétal) ont respectivement représenté l'industrie agrochimique et les instituts techniques, sur la thématique brûlante du développement de produits et méthodes de lutte en protection des cultures.

Premier festival du film sur les insectes

Cette année a eu lieu la première édition du festival du film Art'thropodia, à l'issue duquel trois récompenses ont été décernées. À travers de petits courts métrages, les réalisateurs ont communiqué sur différents aspects et exemples de la protection des cultures contre les ravageurs. Prix de la pédagogie : Le Foreur du mil ; Prix de l'originalité : Abeilles 2600 ; Prix coup de coeur du jury : Le Balanin de la noisette.

Ravageurs à la Ciraa

Souterrains, limaces...

L'université de Rennes et l'Inra du Rheu ont exposé des travaux intéressants sur la limace grise Deroceras reticulatum en culture de colza. Ils ont montré que le sucre, attractif pour les gastéropodes, peut leur être néfaste à haute dose. Il rend le mucus des limaces collant, ce qui les empêche de se déplacer. Ainsi, il serait possible de mettre au point un antilimaces en combinant acides aminés et glucosinolates.

En Roumanie, le coléoptère Tanymecus dilaticollis ravage les cultures de maïs en se nourrissant de leurs racines. Des traitements de semences à base de néonicotinoïdes se sont montrés efficaces. Des résultats importants pour les cultivateurs roumains.

Arvalis a présenté ses résultats au champ de Metarhizium brunneum souche F52, champignon entomophage dont l'efficacité sur les larves de taupins Agriotes sp. a été prouvée en laboratoire. Ce champignon est responsable de la muscardine verte. Cependant, des problèmes d'efficacité se posent : l'humidité de l'air et le stade de développement de l'insecte l'influencent fortement. Des connaissances supplémentaires sont nécessaires pour déterminer les conditions optimales d'application. Par ailleurs, ce champignon étant actif sur plusieurs ravageurs, il existe des risques d'effets non intentionnels sur des organismes non-cibles.

D'autres études sur les taupins ont été menées par SBM Développement et Dow AgroSciences sur un produit à base de spinosad. Son efficacité, en laboratoire et au champ, reste inférieure à la référence sur blé. En revanche, sur pomme de terre, les résultats sont prometteurs. Le produit n'entraîne pas de symptôme phytotoxique, et la densité des granulés permet une exposition progressive dans le temps, ce qui explique l'efficacité sur pomme de terre. L'homologation est attendue sur pomme de terre et sur maïs(2).

Vertébrés nuisibles

Responsables de dommages importants pour les agriculteurs, les vertébrés nuisibles sont néanmoins peu étudiés. Terres Inovia a évalué les dégâts causés par un colombidé, le pigeon ramier. Les périodes les plus critiques sont le semis et la levée. Sur tournesol, la perte économique à la suite du resemis est évaluée à 228 €/ha. Sans resemis, la teneur en huile diminue et la perte s'élève à 129 €/ha.

Les attaques de colombidés poussent les agriculteurs à abandonner la culture de tournesol, pourtant emblématique de certains bassins de production. Les dégâts, critiques depuis une dizaine d'années, semblent liés à des mouvements de la population à l'origine encore inconnue. Des recherches sur l'écologie de ces oiseaux sont essentielles afin de trouver une solution durable de protection des cultures. De plus, une analyse à l'échelle du paysage ou de la région permettrait de mieux connaître la dynamique et la répartition de ces ravageurs.

Enfin, le problème lié au campagnol des champs a été étudié par la Fnams, le réseau Fredon en Rhône-Alpes et la LPO de l'Isère. Des comptages basés sur une méthode officielle ont été proposés pour surveiller les populations. Des perchoirs et des nichoirs, occupés principalement par la buse variable, ont également été mis en place afin de favoriser la prédation par les rapaces, et les résultats semblent prometteurs.

Table ronde

La journée a été clôturée par une table ronde autour des problèmes causés par les campagnols. Elle rassemblait des professionnels qui ont interagi sur les vertébrés rongeurs : Louis-Marie Broucqsault, de la Fnams, Christophe Sausse, spécialiste des oiseaux à Terres Inovia, Philippe Rivat, agriculteur en Isère, Geoffroy Couval, de Fredon Franche-Comté, Jean-Jacques Ramade, agriculteur cultivant du tournesol en Haute-Garonne et Patrick Giraudoux, chercheur à l'université en Franche-Comté.

Ils se sont intéressés aux problèmes dus aux campagnols. Le territoire français compte trois espèces :

- le campagnol terrestre, présent en Franche-Comté, dans les Alpes et les Pyrénées ;

- le campagnol des champs ;

- le campagnol provençal, problématique en arboriculture provençale.

À la fin des années 1990, beaucoup de chercheurs se sont intéressés au campagnol terrestre. L'arrêté de 2014 a permis de donner un cadre réglementaire et propose des méthodes d'observation (examen des parcelles en diagonale), des méthodes préventives et l'application d'appâts.

À partir de 2014, des nichoirs et des perchoirs ont été mis en place pour attirer les rapaces qui se nourrissent des campagnols. La lutte chimique arrêtée pendant deux ans a repris en 2014. De 2012 à 2013, la perte de semences a été estimée à 22 ha. En 2017, elle atteint 40 ha. La quantité de pesticides utilisée en 2017 s'élève à 2,4 kg, soit dix fois moins qu'avant 2014.

La lutte chimique reste d'actualité car une nouvelle molécule a été homologuée. Bien que cela rajoute « une corde à notre arc », le produit proposé est toxique pour l'environnement et n'est pas efficace s'il est utilisé seul. Plusieurs solutions agroécologiques existent, comme le pâturage des parcelles permettant de boucher les trous des rongeurs, la prédation et la mise en place de pièges.

Depuis deux ans, la chasse est autorisée d'avril à juillet. Une approche multiparcellaire et une vision systématique de l'exploitation semblent obligatoires pour gérer le problème des campagnols. Les solutions doivent être proposées à l'échelle du territoire : le but n'est pas de résoudre le problème d'une parcelle en le décalant chez le voisin...

Insectes utiles et ravageurs

Focus sur les pollinisateurs

Les quatre dernières sessions de la Ciraa, le jeudi 26 octobre, ont eu pour thèmes les insectes pollinisateurs, les régulations naturelles, le biocontrôle et les effets non intentionnels. Concernant les insectes pollinisateurs, un bilan a été effectué sur leur importance pour le rendement de nombreuses grandes cultures, notamment la pollinisation du tournesol de consommation (Helianthus annuus) et de la fève (Vicia faba). Une étude menée par Syngenta n'a pas pu montrer de différence d'attractivité des abeilles entre les variétés anciennes et récentes de colza. En revanche, les variétés à floraisons précoces sont les plus visitées. Les essais ont été effectués sur des micro-parcelles, ce qui a été critiqué lors de la séance.

La préservation des auxiliaires et des pollinisateurs paraît être un enjeu important. Un projet consiste à mettre en place un réseau de nichoirs à abeilles sauvages afin de créer un indicateur de biodiversité facile à suivre dans le temps et l'espace. Les éléments paysagers comme les arbres et les haies semblent influencer le niveau de pollinisation et favoriser la présence d'abeilles en bord de champ. En revanche, le type de nichoir utilisé ne semblait pas adapté. À l'avenir, un projet simplifié avec d'autres types de nichoir pourraient voir le jour. La discussion a donné un bel exemple de science participative pour impliquer les agriculteurs, avec la création d'un réseau les aidant dans les pratiques à adopter pour préserver les insectes utiles.

Régulations naturelles et biocontrôle

La session portant sur les régulations naturelles a traité de l'effet de l'environnement paysager sur les communautés de divers bioagresseurs. Il en est ressorti l'importance des habitats semi-naturels sur la régulation des bioagresseurs. À travers plusieurs exemples, notamment sur la vigne, il a été démontré que les haies, forêts et autres habitats sont des sites d'habitation et offrent des sources de nourriture pour la faune auxiliaire naturelle. Ils permettent ainsi de favoriser l'augmentation de la biodiversité et de réguler les populations de bioagresseurs.

La troisième session traitait du biocontrôle ainsi que de son efficacité, notamment à travers l'exemple de l'usage de l'huile de neem pour lutter contre la chenille mineuse de la tomate en Afrique de l'Ouest. Des questions ont été soulevées lors du débat quant à son impact sur l'environnement et la santé humaine. Il a également été question de méthodes innovantes, par exemple la biologie moléculaire pour sélectionner des agents de biocontrôle type trichogrammes.

Effets non intentionnels

Enfin, lors de la session sur les effets non intentionnels, la discussion s'est tournée vers l'analyse de l'impact des insecticides et fongicides, mais aussi de la combinaison des deux, sur les organismes non-cibles. Le discours a mis en évidence une prise de conscience sur la possibilité d'améliorations, tout d'abord au niveau méthodologique, mais également grâce à l'utilisation de machines appropriées lors de la réalisation d'une expérimentation.

(1) La naissance de l'écologie chimique peut être datée à 1971, année de la sortie d'un ouvrage intitulé Chemical Ecology aux États-Unis. Mais cette discipline, largement quadragénaire, connaît actuellement une nouvelle jeunesse avec notamment l'apport de la biologie moléculaire et les avancées de la génétique (NDLR).

RÉSUMÉ

CONTEXTE - La journée sur l'écologie chimique et la Ciraa ont été organisées par l'AFPP à Montpellier SupAgro en octobre 2017.

ÉCOLOGIE CHIMIQUE - La journée « Écologie chimique » a permis d'évoquer les connaissances sur les médiateurs chimiques, leurs applications et perspectives pour le biocontrôle.

CIRAA - La Ciraa a traité des ravageurs, des pollinisateurs, auxiliaires et méthodes de lutte y compris biocontrôle et effets non intentionnels.

MOTS-CLÉS - Ravageurs, écologie chimique, biocontrôle, Ciraa (Conférence internationale sur les ravageurs et auxiliaires en agriculture), AFPP (Association française de protection des plantes).

2 - Témoignages de trois étudiantes

Indré Photos : DR

Indré Photos : DR

Emma Photos : DR

Emma Photos : DR

Marie-Charlotte Photos : DR

Marie-Charlotte Photos : DR

Indré, en master 2 Plant Health (international) à Montpellier SupAgro : « En tant qu'étudiante internationale, cette conférence m'a fourni un bon aperçu des tendances de recherche et entreprises principales en France. J'ai pu discuter avec des professionnels de leur travail et cela m'a aidée à étendre mes connaissances au-delà de celles apprises en cours. Je pense que ce sera utile pour ma carrière professionnelle. »

Emma, en master Protection des plantes et environnement, Montpellier SupAgro : « Je nous trouve très chanceux d'avoir assisté à la 11e Ciraa. Les interventions nous ont permis d'acquérir des connaissances appliquées sur des thèmes faisant partie de notre formation.

Nous avons également eu un aperçu plus précis de l'actualité agricole sur la lutte contre des ravageurs.

Une réelle évolution de pensée se manifeste à travers la présentation de nombreuses alternatives aux produits phytosanitaires.

Enfin, la présence de différents acteurs a été une belle occasion de discuter avec des professionnels et de se forger une idée sur nos possibilités d'avenir. »

Marie-Charlotte, en master Protection des plantes et environnement, à Montpellier SupAgro : « La forme des interventions, courtes et efficaces, a permis de bien dynamiser cette belle conférence. Les thématiques abordées étaient directement reliées à notre programme de M2 et m'ont donné un aperçu très positif de la recherche actuelle. De nombreuses présentations ont porté sur l'optimisation de la mise en place de luttes biologiques et démontrent une belle vision d'avenir pour le secteur agronomique.

Cette conférence m'a permis de prendre du recul sur l'ensemble du secteur de la protection des plantes, en France et ailleurs. »

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACT : dries.amezian@supagro.fr

LIEN UTILE : afpp.net

Cet article fait partie du dossier

Consultez les autres articles du dossier :

L'essentiel de l'offre

Voir aussi :