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Surveillance

Les maladies des céréales font de la résistance

MARIANNE DECOIN*, D'APRÈS LA NOTE COMMUNE 2018 INRA/ANSES/ARVALIS *Phytoma. - Phytoma - n°712 - mars 2018 - page 8

Une aggravation de la résistance aux fongicides des principales maladies des céréales à paille a été observée à l'issue de la moisson 2017. État des lieux et conseils de trois organismes de référence pour ce printemps 2018.
Le blé est touché par l'évolution des populations de l'agent de la septoriose avec l'intensification des phénomènes de résistance.  Photo : Pixabay

Le blé est touché par l'évolution des populations de l'agent de la septoriose avec l'intensification des phénomènes de résistance. Photo : Pixabay

L'orge voit une progression des résistances de son helminthosporiose. Photo : Pixabay

L'orge voit une progression des résistances de son helminthosporiose. Photo : Pixabay

Le triticale est sensible à l'oïdium. Plusieurs produits de biocontrôle viennent d'intégrer la liste des substances autorisées contre cette maladie. Photo : Pixabay

Le triticale est sensible à l'oïdium. Plusieurs produits de biocontrôle viennent d'intégrer la liste des substances autorisées contre cette maladie. Photo : Pixabay

Si Darwin avait tort, cet article n'existerait pas. Mais il avait raison : le vivant évolue sans cesse ! En particulier, toute pression de sélection fait évoluer les populations sur lesquelles elle s'exerce. Le cas s'est produit l'an dernier pour les maladies des céréales - en fait les populations de micro-organismes agents des maladies des céréales à paille - face à la pression fongicide.

Évolution des résistances en 2017

Septoriose du blé

Mycosphaerella graminicola, dont l'anamorphe (forme asexuée) est Zymoseptoria tritici (synonyme : Septoria tritici), est responsable de la septoriose du blé, actuellement la maladie foliaire la plus dommageable sur cette céréale, laquelle représente la première culture assolée française. Les rouilles peuvent se montrer tout aussi nuisibles mais plus faciles à contrôler, nous y reviendrons.

L'agent de la septoriose, lui, est coriace. Ses populations naturelles contiennent une grande diversité de souches disposant de mécanismes variés de résistances à plusieurs modes d'action fongicides.

La situation est complexe :

- résistances aux IDM en général, dont les triazoles(1) avec des souches TriMR (moyennement résistantes) mais aussi celles dites « TriMR évoluées », fortement résistantes aux triazoles ; les populations concernées sont porteuses de mutations aussi diverses que variées ;

- souches MDR (multidrug resistance) résistantes aux triazoles mais aussi, certes faiblement, aux SDHI(2) ;

- résistances spécifiques aux SDHI ;

- sans oublier celles aux QoI(3)...

De plus, les situations sont souvent différentes selon les lieux avec, citons la note, une « hétérogénéité spatiale de la structure des populations résistantes, à une échelle parfois très fine ». En clair, un fongicide efficace dans une région peut être en butte à des résistances dans la région voisine car les populations de l'agent de la septoriose y sont différentes...

Cependant, il existe une tendance globale : l'augmentation de la gravité (fréquence, étendue et intensité) des phénomènes de résistance.

Qu'on en juge : vis-à-vis des IDM et notamment des triazoles, « les souches les plus résistantes aux IDM progressent en fréquence et s'étendent de manière inquiétante », explique la note.

De fait, la proportion, dans les populations, de souches TriMR (moyennement résistantes) diminue au profit des « TriMR évoluées » à facteur de résistance supérieur. En 2017, ces dernières ont représenté en moyenne 33 % des souches analysées et étaient présentes dans 92 % des populations analysées.

En même temps, les MDR représentent en moyenne 13 % des souches et étaient présentes dans 65 % des échantillons. C'est une aggravation par rapport à 2016. Or, cette année-là avait déjà vu une montée en puissance des MDR par rapport à 2015 (détails dans le Tableau 1).

Vis-à-vis des SDHI, les souches MDR déjà citées présentent une faible résistance aux fongicides de cette famille ; par ailleurs, une résistance spécifique a été détectée dans une faible proportion des populations. Dernier point - faut-il le rappeler ? -, la résistance aux QoI - dont les strobilurines - est généralisée ; ce n'est pas nouveau, mais aucune régression n'est constatée.

Helminthosporiose de l'orge

Une autre maladie montre une évolution notable, même si moins importante et inquiétante. C'est l'helminthosporiose de l'orge due à Pyrenophora teres (anamorphe : Helminthosporium teres). Sa résistance aux SDHI progresse. Il s'agit plutôt de résistances : pas moins de dix mutations différentes(4) ont été sélectionnées ! Au total, la résistance a touché en 2017 plus de 60 % des populations, une progression constante (Tableau 2). Bien entendu, selon la note, « l'efficacité des SDHI est sévèrement affectée ».

En revanche, rien de neuf pour la résistance aux QoI qui « semble stabilisée à une fréquence de l'ordre de 30 % des souches présentant la substitution F129L ».

Enfin, la note constate une « dérive de sensibilité » aux IDM avec une « dérive de l'efficacité ». Globalement, l'évolution est moins inquiétante que celle de la septoriose du blé, mais à suivre tout de même.

Autres maladies sous surveillance

En regard de ces deux maladies problématiques, les rouilles des céréales (Puccinia spp.) ne sont pas concernées par les résistances, qu'il s'agisse de la rouille brune et de la rouille jaune du blé, ou encore de la rouille naine de l'orge. Les fongicides antirouille conservent donc leur efficacité.

Quant à l'oïdium (Blumeria graminis avec ses formes spéciales selon les cultures), il existe des résistances sur le blé et l'orge mais elles n'ont pas sensiblement évolué et les maladies sont restées discrètes en 2017, comme en 2016 et 2015. L'oïdium s'est montré nuisible sur triticale mais la forme spéciale correspondante ne résiste pas encore aux fongicides.

Par ailleurs, aucun changement notable n'a été observé concernant l'helminthosporiose du blé (Drechslera tritici-repentis) et la rhynchosporiose de l'orge (Rhynchosporium secalis).

Enfin, la ramulariose de l'orge (Ramularia collo-cygni) a été surveillée pour la première fois en France en 2017 compte tenu de ses évolutions en Allemagne. Il est trop tôt pour conclure, sinon que la surveillance de cette maladie doit continuer.

Du côté des maladies du pied, les résistances au piétin-verse (Oculimacula yallundae et O. acuformis) existent toujours, mais leur fréquence n'a pas augmenté en 2017 ; certaines souches sembleraient même régresser.

Par ailleurs, le charbon nu de l'orge (Ustilago nuda) manifeste des résistances... Mais la profession en signalait déjà dans les années 1980 ! Impossible de savoir si celles de 2017 sont les mêmes car il n'y avait pas de caractérisation génétique à l'époque. Quoi qu'il en soit, ces résistances de 2017 ne semblent pas plus répandues qu'il y a trente ans.

Enfin, les fusarioses des céréales (genres Microdochium et Fusarium) ont vu des attaques faibles en 2017 contrairement à 2016, sans évolution notable des résistances. Reste que, vis-à-vis des fusarioses de l'épi, « l'efficacité au champ des triazoles semble s'être fortement érodée depuis dix ans ».

Fongicides disponibles

Pas de nouvelle substance conventionnelle

Face à ces évolutions, quelle est celle de la panoplie fongicide ? Les « conventionnels » n'ont vu aucune nouvelle substance autorisée en France, par conséquent aucun nouveau mode d'action.

La picoxystrobine n'a pas été réapprouvée par l'Union européenne. Toutes les AMM (autorisations de mise sur le marché) de produits en contenant ont donc été retirées en France(5). Cependant, des délais d'écoulement des stocks permettent certains usages au cours de cette campagne(6).

Trois produits de biocontrôle arrivent sur céréales

S'il y a du nouveau, c'est du côté du biocontrôle. En effet, trois substances de ce type ont intégré la liste de celles autorisées contre certaines maladies des céréales.

Il s'agit d'abord d'un micro-organisme, à savoir la souche M1 de Pythium oligandrum, disponible dans le produit commercial Polyversum, de la société De Sangosse, autorisé contre les fusarioses sur blé et orge (et aussi contre la sclérotiniose sur crucifères oléagineuses, mais c'est une autre histoire). La reconnaissance UAB (utilisable en agriculture biologique) de ce produit a été demandée, et la décision pourrait intervenir dans le courant de ce mois de mars. En attendant, il figure d'ores et déjà dans la liste des produits de « biocontrôle L. 253-5 ».

Attention, la société fabricante le préconise en association avec un fongicide conventionnel à demi-dose, ce qui ne peut se faire en agriculture biologique ! De plus, cette association empêche le produit d'être un outil d'alternance à lui tout seul.

La seconde substance est la laminarine. Cet extrait d'algues marines, connu depuis longtemps comme un SDN (stimulateur des défenses naturelles des plantes), est autorisé sur céréales dans le produit Iodus 2 Céréales, commercialisé sous son second nom de Vacciplant Grandes Cultures. Ce produit à la fois UAB et de biocontrôle L. 253-5 est annoncé officiellement (dans la base E-Phy de l'Anses) comme ayant un « intérêt montré sur oïdium du blé et de l'orge, septoriose du blé et helminthosporiose de l'orge ».

Enfin la troisième est à la fois nouvelle dans le tableau annexé à cette note commune... et relativement ancestrale puisqu'il s'agit du soufre. Plusieurs produits en contenant sont autorisés contre l'oïdium sur blé, orge, seigle, triticale, épeautre et avoine. Ils sont dans l'ensemble reconnus UAB et de biocontrôle.

Le cas du soufre

Mais le soufre a une autre vertu, et non des moindres : c'est un multisite. À ce titre, et comme les trois multisites déjà signalés dans les notes des années précédentes (chlorothalonil, mancozèbe et folpel), il est épargné par les résistances. Il constitue donc un outil pour gérer ces phénomènes.

Actuellement, il n'est autorisé que contre les oïdiums, mais des extensions d'usage ont été demandées contre la septoriose du blé. À suivre.

Les conseils de la note

Revenons à la note commune et à ses « recommandations générales » pour 2018. Ce sont les mêmes que pour 2017. Tout d'abord :

- utiliser tous les outils indirects préventifs disponibles (résistance variétale, diversification des variétés sur l'exploitation, rotation, gestion des repousses en interculture, etc.) et ne traiter que si nécessaire ;

- raisonner le positionnement des interventions (en particulier en utilisant des OAD, outils d'aide à la décision).

Ensuite, concernant le choix des produits :

- diversifier les modes d'action utilisés, limiter le nombre de traitements avec des substances de la même famille, alterner ou associer les substances de familles différentes ;

- recourir, lorsque cela est possible, aux fongicides multisites ;

- limiter les SDHI à une application par campagne ;

- de même pour les QoI ;

- concernant les IDM, on peut utiliser les plus efficaces même en cas de résistance, mais il faut alors les mélanger avec des substances offrant d'autres modes d'action, et ne pas utiliser chacune des substances IDM plus d'une fois par campagne.

(1) IDM = inhibiteurs de la déméthylation des stérols (en anglais DMI, demethylation inhibitors).(2) SDHI = succinate deshydrogenase inhibitors, inhibiteurs de la succinate déshydrogénase (enzyme impliquée dans le mécanisme de respiration cellulaire au niveau du complexe II).(3) QoI = Quinone outside inhibitors, inhibiteurs au site de fixation externe de la quinone (là aussi mécanisme perturbant la respiration cellulaire, mais au niveau du complexe III, voir Leroux P. et Walker A.-S., 2010a et 2010b en bibliographie).(4) Pour les fans de biologie moléculaire : la substitution majoritaire dans les populations de P. teres résistantes aux SDHI est codée C-G79R.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - L'Inra, l'Anses et Arvalis ont publié une note commune sur la gestion de la résistance aux fongicides utilisés pour lutter contre les maladies des céréales à paille.

CONSTAT - L'évolution la plus marquante de la dernière campagne céréalière (comme de la précédente, du reste) est l'aggravation des phénomènes de résistance de la septoriose du blé. L'helminthosporiose de l'orge voit aussi une évolution. Face à cela, la panoplie fongicide s'est enrichie de trois substances de biocontrôle, à savoir la souche M1 de Pythium oligandrum, la laminarine et le soufre, lequel est en même temps un multisite.

CONSEILS - Il est préconisé de privilégier les méthodes alternatives, raisonner les interventions et diversifier les modes d'action fongicides. Les restrictions du nombre de traitements apportant chaque mode d'action sont rappelées.

MOTS-CLÉS - Céréales à paille, blé, orge, seigle, maladies, fongicides, résistance.

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACT : m.decoin@gfa.fr

LIENS UTILES : https://ephy.anses.fr

www.afpp.net

BIBLIOGRAPHIE : - Leroux P. et Walker A.-S., 2010a, Les fongicides affectant les processus respiratoires, épisode 1, Phytoma n° 631, février 2010, p. 8 à 11.

- Leroux P. et Walker A.-S., 2010b, Les fongicides affectant les processus respiratoires, épisode 2, Phytoma n° 632, mars 2010, p. 48 à 52.

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