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Anses et produits phyto le souci de l'objectivité

PROPOS RECUEILLIS PAR MARIANNE DECOIN, Phytoma. - Phytoma - n°714 - mai 2018 - page 7

Françoise Weber, directrice générale déléguée aux produits réglementés à l'Anses, expose les différentes actions menées par l'agence.
 Photo : B. Holsnyder - Anses

Photo : B. Holsnyder - Anses

Fig. 1 : Place du pôle « Produits réglementés » à l'Anses

Fig. 1 : Place du pôle « Produits réglementés » à l'Anses

L'Agence nationale pour la sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail est en charge de l'évaluation des produits phyto(1), en particulier sur les problématiques risques/sécurité, et des décisions concernant leur autorisation. Comment mène-t-elle ces missions ? Réponses de la directrice générale déléguée qui chapeaute le secteur des phytos.

Phytoma - Françoise Weber, vous êtes chargée du pôle « Produits réglementés » à l'Anses. De quoi s'agit-il ?

F. Weber - Je coordonne les activités de l'Anses liées aux produits réglementés. Il s'agit des produits phytosanitaires - adjectif officiel « phytopharmaceutiques » - et aussi des produits biocides et des médicaments vétérinaires(2).

Chaque domaine relève de ses propres autorisations pour des usages spécifiques et est chapeauté par une réglementation européenne différente. En revanche, les trois catégories de produits sont toutes vendues en France sous AMM(3) délivrée par l'Anses(4) à l'issue d'une évaluation et, dans les trois catégories, beaucoup de substances sont des pesticides au sens technique du terme : elles tuent des « pestes », des bioagresseurs. Une substance active peut se trouver dans des produits autorisés dans plusieurs catégories.

Les mêmes substances peuvent-elles être à la fois phyto, biocides et/ou vétérinaires ?

Bien sûr. Il existe des insecticides phyto, vétérinaires (pour le bétail, contre les puces et tiques de chiens et chats...) et biocides (insecticides ménagers). De même, des composés du cuivre sont utilisés comme fongicides phyto, comme algicides pour piscine et dans des peintures antifouling pour bateaux (usage biocide). Ou encore le diuron, qui a été approuvé comme herbicide(5), est incorporé dans les peintures antifouling et des revêtements de façade.

Quelle est l'activité du pôle sur les produits phyto ?

Elle comprend deux volets très distincts, séparés et indépendants entre eux : d'une part l'évaluation scientifique, d'autre part les décisions d'autorisations, de modifications ou de retraits des AMM.

Comment gérez-vous cette indépendance alors que l'Anses chapeaute tout depuis que, chargée de l'évaluation depuis 2006(6), elle a été préposée aux décisions à partir du 1er juillet 2015(7) ?

Le pôle comprend deux directions et une agence :

- la DEPR(8), qui évalue le risque pour les phytos et biocides, avant leur AMM, puis après, notamment au sein du service de PPV, phytopharmacovigilance(9) ;

- la DAMM(10), créée en 2015 pour gérer les décisions de mise sur le marché des phytos, et qui depuis 2016 en fait autant pour les biocides(11) ;

- l'ANMV(12), pour les médicaments vétérinaires(13).

Pour les phytos et les biocides, la DEPR et la DAMM travaillent en totale indépendance l'une de l'autre. Je n'ai pas l'autorité sur l'activité scientifique de la DEPR, qui reste aussi indépendante de la décision d'AMM.

Comment garantissez-vous la qualité des avis donnés ?

Nous sommes organisés pour assurer le maximum à la fois de compétences et d'objectivité. Nous faisons appel à des salariés compétents et à des comités d'experts dont nous vérifions très soigneusement les compétences et l'absence de conflit d'intérêt. Pour les comités, les candidats s'engagent par écrit à respecter nos règles de déontologie et fournissent une déclaration publique d'intérêts - obligatoire - qu'ils doivent remettre régulièrement à jour. Il est difficile pour un scientifique d'être techniquement expert dans un domaine sans relations professionnelles avec, par exemple, les industriels fabriquant les produits utilisés dans ce domaine. Mais toute situation pouvant induire un conflit d'intérêt est écartée du processus de décision. Le caractère collégial de la décision est aussi une garantie.

Rapport sur le glyphosate de 2016, rapport intermédiaire de mars sur les néonicotinoïdes, groupe sur les SDHI... C'est la DEPR ?

Avec les comités d'experts de l'Anses. Nous pouvons nous autosaisir, nous venons de le faire sur les SDHI suite à l'alerte dans la presse. Nous allons auditionner les scientifiques rédacteurs de cette tribune et examiner si des éléments nouveaux seraient apparus depuis l'évaluation de l'AMM de ces produits.

Autre exemple, les néonicotinoïdes. Le rapport intermédiaire ne pointe pas d'effet nocif pour la santé humaine dans les six substances autorisées, mais recommande de réduire les usages du thiaclopride. Le rapport final traitera aussi des effets sur l'environnement et paraîtra courant mai. Il précisera les secteurs où l'interdiction des « néonics » conduit à des impasses, et comparera les risques des alternatives.

Qu'en est-il des décisions ? Le mois dernier(14), Phytoma vous avait interrogée sur les produits de biocontrôle. L'Anses semble les privilégier.

Oui, résolument. Mais pas au détriment de la rigueur de l'évaluation des risques. C'est un bon exemple. La taxe prélevée par l'Anses sur les demandes d'AMM de produit de ce type est très réduite(15). Nous traitons ces dossiers en priorité. Face à des dossiers incomplets, nous approchons les demandeurs - surtout les PME - pour les conseiller sur la nature des compléments à apporter. Nous adaptons nos critères d'évaluation aux spécificités de ces produits. Mais nous examinons les dossiers avec la même rigueur que ceux des autres produits phyto, en particulier pour le volet « risques pour la santé et l'environnement ». La majorité du grand public l'ignore : il existe des substances naturelles toxiques, voire très toxiques.

En effet, en 2011, des scientifiques ont publié que la naturelle roténone augmente le risque de maladie de Parkinson au même titre que le chimique paraquat(16).

Les deux substances sont désormais interdites ! Mais nous autorisons de plus en plus de produits alternatifs.

Vous avez précisé le mois dernier avoir délivré quarante AMM de produits de biocontrôle en 2017.

De plus, les produits que nous avons autorisés ont de bons profils toxicologiques et écotoxicologiques. Nous en sommes sûrs, nous les avons évalués, avec la même rigueur que tout autre produit.

Favoriser le biocontrôle n'a pas fait interdire le glyphosate...

Je vous garantis que si d'ici trois ans il est proposé à l'AMM un herbicide de biocontrôle rendant les mêmes services que le glyphosate en ayant un bon profil « tox-écotox », il passera en procédure super-accélérée ! Par ailleurs, l'Anses a tout de même interdit la moitié des herbicides à base de glyphosate dès 2016.

Ceux avec des tallow-amines. Pourquoi ?

C'est un autre exemple de notre façon de travailler : une évaluation la plus objective possible, par un groupe d'experts ad hoc, avec analyse, entre autres, des conclusions divergentes des rapports du Circ (classant le glyphosate cancérogène probable) et de l'Efsa. Pour résumer grossièrement, il en ressortait que ces coformulants associés au glyphosate pouvaient être préoccupants, notamment en raison de questions sur leur génotoxicité. Il a donc été décidé d'interdire les produits contenant ce mélange.

Pourquoi ne pas interdire les tallow-amines ?

Parce que c'est le mélange avec le glyphosate qui semblait problématique. Mais nous étudions la question au niveau européen pour tous les coformulants.

(1) Dans tout cet article, phyto = phytopharmaceutique. (2) Par ailleurs, l'ANSM, Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, gère les médicaments pour humains. (3) Autorisation de mise sur le marché. (4) L'ANMV, Agence nationale des médicaments vétérinaires, est rattachée à l'Anses. (5) Interdit comme produit phyto (avis au Journal officiel du 20 mars 2008, retirant les AMM des produits phyto contenant du diuron ; délai d'écoulement des stocks jusqu'au 30 mai 2008 pour la distribution, 13 décembre 2008 pour l'application. Voir Phytoma n° 614, avril 2008, p. 12 à 17.(6) Créée en juillet 1998, l'Afssa a fusionné en juillet 2010 avec l'Afsset, pour créer l'Anses.(7) Décret du 30 juin 2015. Voir « L'Anses délivre les AMM : rapport de première étape », Phytoma n° 686, août-septembre 2015, p. 10 à 12.(8) Direction de l'évaluation des produits réglementés.(9) Voir « Phytopharmacovigilance : la surveillance s'intensifie », Phytoma n° 706, août-septembre 2018, p. 11-12. (10) Direction des autorisations de mise sur le marché. (11) Précisément depuis le 1er juillet. Voir Phytoma n° 695, juin-juillet 2016, p. 5. (12) Agence nationale du médicament vétérinaire. (13) La DEPR, la DAMM et l'ANMV partagent un service administratif et financier commun (SCAF) et un service des systèmes d'information des produits réglementés (SSIPR). (14) Voir « Méthodes alternatives : point réglementaire », Phytoma n° 713, avril 2018, p. 15 à 20. (15) Micro-organismes, médiateurs chimiques, substances d'origine végétale sans transformation chimique : 2 000 €. Substances végétales avec transformation chimique et celles d'origine animale ou minérale : 25 000 €. Produits conventionnels : 50 000 €. (16) Tanner CM* et al., 2011, Rotenone, paraquat and Parkinson's disease, Environ Health Perspect, 2011 Jun, 119(6):866-72. doi: 10.1289/ehp.1002839. *C. M. Tanner, The Parkinson's Institute, California, USA, ctannermd@aol.com.

Parcours

1982-2000. Médecin généraliste puis directrice de services pharmacologiques dans le privé.

2000-2003. Chargée de la politique de santé publique dans le domaine des dispositifs médicaux au ministère chargé de la santé.

2003-2005. Directrice de département et adjointe au secrétaire général de la commission de la transparence à l'Afssaps (aujourd'hui ANSM).

2005-2007. Cabinet du ministre chargé de la santé, puis de celui chargé de la santé au travail.

Fin 2007-2014. Directrice de l'Institut national de veille sanitaire (InVS).

Depuis septembre 2015. Directrice générale déléguée en charge du pôle « Produits réglementés » à l'Anses.

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACT : m.decoin@gfa.fr

LIEN UTILE : www.anses.fr

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