À ce jour, l'usage de pesticides demeure indispensable à la production de raisins. Mais il n'est neutre ni pour l'utilisateur ni pour l'environnement, et les riverains tolèrent de moins en moins les pratiques viticoles pourtant indispensables pour assurer la récolte et la pérennité de l'exploitation. La médiatisation de ce sujet, combinée à l'accroissement incessant du nombre de situations où le vignoble côtoie des zones non agricoles, rend la question particulièrement sensible.
Moyens antidérive
Ce qui existe actuellement
Il demeure essentiel de concilier la protection du vignoble, le respect du voisinage et les relations afférentes ainsi que l'image de la filière viticole dans son ensemble, trop souvent ternie dans les médias ces dernières années.
Différentes solutions pour réduire la dérive existent, elles sont plus ou moins contraignantes à mettre en oeuvre et se caractérisent par des degrés d'efficacité différents. Les principales solutions sont :
- le choix du matériel de pulvérisation et de sa structure ; d'une manière générale, le risque de dérive croît avec l'éloignement des diffuseurs de leur cible ;
- la technologie de pulvérisation ; si le jet projeté et le jet porté apportent la latitude nécessaire à la mise en place de solutions intéressantes, la technologie pneumatique n'offre que peu de marges de manoeuvre pour limiter la dérive ;
- la coupure ou la réduction de la ventilation à proximité des « zones sensibles » peut permettre de limiter la dérive ; c'est d'ailleurs un moyen officiellement reconnu en Allemagne pour réduire les zones non traitées à proximité des cours d'eau ;
- l'utilisation de buses antidérive permet de réduire significativement le nombre de fines gouttelettes qui ont une forte propension à dériver ;
- les panneaux récupérateurs (particulièrement si combinés avec des buses antidérive) constituent à ce jour la solution la plus efficace pour réduire la quantité de pesticides consommés mais aussi la dérive au-delà de la parcelle traitée ;
- l'implantation d'un dispositif physique interposé entre la source d'émission des gouttelettes et les zones sensibles, pouvant avoir un effet écran.
Dispositifs physiques : une technique à évaluer
Ces dispositifs peuvent être végétalisés ou artificiels. Les premiers ont des avantages (esthétique, biodiversité...) et des inconvénients (entretien, risque d'accrochage, temps avant que la haie soit suffisamment épaisse...).
En région viticole, le recours à des dispositifs artificiels a été effectué sur des vignes jouxtant des cours d'école. Des essais réalisés par le Ctifl (Garcin et Zavagli, 2006) avec des filets paragrêle placés au-dessus de vergers avaient montré un effet de réduction de la dérive. Nous avons voulu évaluer leur effet antidérive s'ils sont positionnés verticalement entre une vigne et une zone sensible.
Premiers tests de terrain
Vigne et collecteurs de dérive
Les essais ont été menés sur une vigne du lycée La Tour Blanche, à Bommes (Gironde). Les rangs sont orientés nord-sud et l'écartement de 1,80 m (voir Figure 1). Des collecteurs plastiques de type « pare vapeur » étaient positionnés à 5 et 10 m du dernier rang traité. La surface de chacun d'eux est de 3 × 1 = 3 m². Placés verticalement, ils couvraient une hauteur par rapport au sol allant de 0 à 3 m (photo 2). Lors de l'analyse des dépôts au laboratoire, les collecteurs ont été coupés en deux et analysés séparément (du sol à 1,5 m de hauteur et de 1,5 à 3 m de hauteur).
Le marqueur utilisé pour mesurer les dépôts sur les collecteurs est la Brillant SulphoFlavine (concentration 1 g/l). Des prélèvements de bouillie ont été réalisés au niveau des buses afin de connaître précisément la concentration du traceur dans la cuve pour chaque traitement.
Modalités testées
Sept modalités ont été testées, combinant trois types de filets fournis par la société Filpack (photo 1 p. 9, photos 3 et 4) ainsi que deux distances de positionnement des filets :
1. témoin sans filet ;
2. filet brise-vent (vert), filet tricoté (106 g/m²) positionné à 1 m du dernier rang de vigne ;
3. filet brise-vent (vert), filet tricoté (106 g/m²) positionné à 3 m du dernier rang de vigne ;
4. filet blanc , 10 × 8 (10 fils × 8 fils/cm²) positionné à 1 m du dernier rang de vigne ;
5. filet blanc, 10 × 8 (10 fils × 8 fils/cm²) positionné à 3 m du dernier rang de vigne ;
6. filet noir, 16 × 10 (16 fils × 10 fils/cm²) positionné à 1 m du dernier rang de vigne ;
7. filet noir, 16 × 10 (16 fils × 10 fils/cm²) positionné à 3 m du dernier rang de vigne.
Mesure de la vitesse et du sens du vent
La mesure de la vitesse du vent est réalisée manuellement en face des collecteurs à 2 m de hauteur, à l'aide d'un anémomètre à hélice, à chaque passage du pulvérisateur. Le sens du vent était évalué grâce à une bande de chantier accrochée à 2,5 m de hauteur. Le passage du tracteur était déclenché lorsque la direction du vent paraissait satisfaisante.
On peut retenir que, sur cette parcelle située dans un bas-fond et bordée par une parcelle boisée à l'ouest, il a été difficile d'obtenir des conditions de vent régulières. De ce fait, les essais ont dû être réalisés sur deux journées, à cinq jours d'intervalle, dans des conditions moyennement satisfaisantes : le vent était rarement perpendiculaire au sens des rangs. Cet état de fait plaide pour la réalisation d'essais en soufflerie avec une vigne artificielle (projet Eole Drift).
Pulvérisation et traitement statistique
Les tests ont été réalisés les 14 et 19 septembre 2016 (vigne au stade post-véraison) à l'aide d'un pulvérisateur pneumatique face/face, de la marque Bouisset, équipé de deux diffuseurs par face de rang traitée (photo 5) qui traite tous les trois rangs. La dérive attendue avec ce type de matériel, estimée à dire d'expert, est moyenne.
Pour chaque répétition, le pulvérisateur réalisait un aller/retour sur les trois premiers rangs de vigne, à 5,5 km/h (volume de bouillie 104 l/ha, pression 1 bar). Trois répétitions ont été réalisées par modalité, mais non successivement afin d'atténuer l'effet d'un éventuel changement du paramètre « vent » entre modalités. Les données ont été traitées avec le logiciel XLSTAT en retenant un niveau de significativité de 5 %.
Résultats
Effet significatif des trois filets
La Figure 2 permet de visualiser l'effet antidérive des différents filets testés mesuré à 5 et 10 m. En moyenne, l'utilisation d'un filet permet de diviser la dérive d'un facteur 3 à 5 m et d'un facteur 2 à 10 m. Les barres d'erreur représentent la valeur de l'écart/type.
Les données ne suivant pas une loi normale, un test non paramétrique (Kruskal-Wallis) a été réalisé en deux temps : tout d'abord en incluant la modalité témoin (sans filet), et ensuite en l'excluant. De l'ensemble des tests réalisés, il ressort que :
- la modalité sans filet présente significativement plus de dérive que toutes les autres modalités ;
- lorsqu'on compare les modalités « avec filet » entre elles, aucune différence statistique n'est mise en évidence.
Effet de la distance entre le dernier rang de vigne et le filet
Il apparaît que la réduction de la dérive semble meilleure lorsque le filet est positionné à 3 m de la vigne plutôt qu'à 1 m (tableau). La Figure 3 permet de visualiser cet impact de la distance du filet/vigne. Toutefois, dans les conditions de cet essai particulier, cette tendance n'apparaît pas significative au seuil de 5 % !
Conclusion
Des données préliminaires qui restent à confirmer
La méthode de mesure ne permet de capter « qu'une » tranche de la dérive : celle comprise entre 1 et 3 m par rapport au sol. Celle-ci ne représente qu'une partie de la dérive émise puisque des embruns pourraient être captés au-delà de 3 m de hauteur. Toutefois, compte tenu de l'objectif visé (protéger une zone située immédiatement après le filet), on peut émettre l'hypothèse que les gouttelettes situées à une hauteur supérieure à 3 m ne sont pas forcément celles qui iront se déposer au niveau du sol à une distance proche de la source d'émission.
La longueur des filets n'était que de 15 m et, compte tenu du fait que le vent n'était pas parfaitement perpendiculaire aux filets, on ne peut exclure qu'une partie des embruns collectés aient pu contourner le filet. Si cette hypothèse était vérifiée, l'effet antidérive réel des filets serait plus élevé que celui mesuré dans nos essais.
Les résultats obtenus sont fortement dépendants des conditions météorologiques, de la végétation traitée (stade phénologique, vigueur, pourcentage de manquants...), du pulvérisateur utilisé et des réglages effectués.
Des premiers résultats très encourageants
Dans les conditions de l'essai, l'utilisation d'un filet a permis de réduire la dérive mesurée à 5 m d'un facteur 3 et celle mesurée à 10 m d'un facteur 2. Le positionnement du filet à 3 m du dernier rang traité donne quasiment toujours de meilleurs résultats qu'un positionnement plus proche (1 m) sans que toutefois cela n'apparaisse comme étant statistiquement différent.
De même, nous n'avons pas observé de différence entre les trois types de filets testés en dépit de leurs caractéristiques variées.
D'éventuelles différences, plus ténues, pourraient éventuellement être mises en évidence en contrôlant mieux le dispositif expérimental. Le projet Eole Drift (conduit par l'UMT EcoTechViti dans une collaboration IFV-Irstea) associe une vigne artificielle et une soufflerie afin d'atteindre cet objectif de maîtrise des conditions expérimentales et pouvoir réaliser des essais dans des conditions toujours similaires.
RÉSUMÉ
SUMMARY
POUR EN SAVOIR PLUS
CONTACT : alexandre.davy@vignevin.com
LIEN UTILE : www.afpp.net
- Decoin M., 2016, Réglementation des traitements : nouvelles mesures de protection, Phytoma n° 693, avril 2016, p. 23 à 27.
- Garcin E. et Zavagli F., 2006, Haies, filets paragrêle et buses anti-dérive en arboriculture fruitière, des moyens pour limiter la dérive de pulvérisation ? Infos Ctifl n° 224, 18-23.
REMERCIEMENTS
Ces essais ont été réalisés avec un financement du SRAL Nouvelle-Aquitaine et avec la participation du lycée La Tour Blanche (Gironde).