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Statistiques

Pesticides 2016 : le trompe-l'oeil du chlorate et du chlorpyrifos

MARIANNE DECOIN, Phytoma. - Phytoma - n°716 - septembre 2018 - page 14

Le suivi des pesticides dans l'alimentation en Europe montre davantage de résidus en 2016 qu'en 2015. Pour l'Efsa, la hausse n'est qu'apparente.
La laitue est une des onze denrées agricoles qui ont fait l'objet du programme coordonné 2016.  Photo : Pixabay

La laitue est une des onze denrées agricoles qui ont fait l'objet du programme coordonné 2016. Photo : Pixabay

Concernant les pommes et les tomates analysées dans le cadre du programme coordonné, les dépassements de LMR les plus nombreux sont ceux du chlorpyrifos (le chlorate n'a pas été recherché).

Concernant les pommes et les tomates analysées dans le cadre du programme coordonné, les dépassements de LMR les plus nombreux sont ceux du chlorpyrifos (le chlorate n'a pas été recherché).

 Photos : Pixabay

Photos : Pixabay

Comme chaque année, l'Efsa(1) publie les résultats de ses plans de surveillance des résidus de pesticides dans l'alimentation. Avec un décalage temporel : les résultats de 2014 avaient été annoncés en novembre 2016 et ceux de 2015 en avril 2017(2). Ceux de 2016 l'ont été en juillet 2018(3).

Un effort maintenu

Trente pays, plus de 80 000 échantillons

En 2016, comme en 2015 et 2014, trente pays ont participé à la surveillance des résidus de pesticides dans l'alimentation : les 28 de l'Union (dont le Royaume-Uni), plus l'Islande et la Norvège.

Comme à l'accoutumée, le rapport de l'Efsa agrège les résultats des plans de surveillance nationaux, chaque pays enquêtant à sa guise, et celui de son plan coordonné portant sur des substances définies et des denrées alimentaires précises. Celles-ci sont les mêmes au cours d'une année dans les trente pays mais changent d'une année sur l'autre. En 2016, il s'agissait globalement des mêmes denrées qu'en 2013.

Tous plans confondus, 84 657 échantillons ont été analysés, soit 316 de plus que l'année précédente (voir Tableau 1). Le nombre de denrées issues des trente pays participants a baissé : avec 1 739 échantillons de moins, ils représentent 67 % du total au lieu de 69,3 % l'année précédente. Ceux importés depuis des pays tiers et ceux d'origine inconnue ont en revanche augmenté : ils pèsent respectivement 26,4 % et 6,6 % du total contre 25,8 % et 5 % en 2015.

Par ailleurs, ce sont 791 résidus différents qui ont été analysés, contre 774 en 2015.

Le cas du chlorate

Parmi les nouvelles substances décelées, l'Efsa souligne le cas du chlorate. Il n'avait pas de LMR (limite maximale de résidu autorisée) et n'était pas recherché jusqu'en 2016. Il faut souligner que sa présence peut être d'une toute autre origine qu'un traitement phytosanitaire. En particulier, ce peut-être un sous-produit de la désinfection de l'eau.

D'autre part, les désherbants au chlorate de soude sont interdits depuis fin 2009 dans toute l'Union européenne par une décision prise fin 2008(4). Cependant ils peuvent rester disponibles dans d'autres pays du monde.

Quoi qu'il en soit, l'Union a décidé d'attribuer une LMR au chlorate et donc de pister ses résidus à partir de 2016. Et les taux de présence se sont révélés notables, nous y reviendrons.

Résultats tous programmes confondus

Une stabilité apparente...

Globalement, le taux d'échantillons contenant des résidus quantifiables mais à des taux inférieurs à leur LMR (limite maximale de résidus autorisée) augmente entre 2015 et 2016 : il passe de 43,9 à 45,5 % du total. Surtout, il y a davantage d'échantillons contenant au moins une substance à un taux supérieur à sa LMR : 3,8 % au lieu de 2,8 % (Tableau 1).

Si l'on distingue les échantillons issus des trente pays participant à l'enquête de ceux importés depuis des pays tiers, on voit que, comme en 2015, ces derniers ont davantage d'échantillons porteurs de résidus quantifiables que les premiers. De même, ces échantillons extra-européens ont davantage de dépassements de LMR que les autres : 7,2 % de dépassements pour les importés contre 2,8 % pour les européens. En 2015, c'était respectivement 5,6 % et 1,7 % (Tableau 1).

Dans son communiqué, l'Efsa parle de « niveau stable, d'après les derniers chiffres ». Pourquoi déclarer cela face à l'augmentation du taux de dépassement de LMR ? Certes, la proportion d'échantillons conformes à la réglementation (pas de résidus quantifiables ou des résidus inférieurs à la LMR) baisse peu : elle est de 96,2 % au lieu de 97,2 %. Mais ce n'est pas la seule raison : pour l'Efsa, la hausse des dépassements de LMR est liée essentiellement à l'entrée en scène du chlorate.

Cuivre et chlorate

En effet, le rapport de l'agence précise que « les deux pesticides avec les plus forts taux de dépassements de LMR sont le chlorate (5,6 % des échantillons dépassant la LMR parmi les 5 273 analysés) et le cuivre (2,5 % des 3 103 échantillons analysés) ». Nous avons fait le calcul, cela représenterait respectivement 295 et 78 échantillons. Or, le rapport évoque « leurs différentes sources potentielles, qui ne viennent pas toutes nécessairement d'une utilisation comme pesticide »(5).

De fait, les pommes de terre sont de plus en plus souvent vendues lavées, les fruits et légumes frais sont exposés sous brumisateurs... Or, en général, il s'agit d'une eau désinfectée au préalable et qui peut donc contenir des résidus de chlorate apportés par cette désinfection. Le chlorate étant tout nouvellement recherché, cette arrivée peut effectivement expliquer une part de l'augmentation.

Le chlorpyrifos et ses LMR

Une autre cause d'augmentation apparente des dépassements vient du chlorpyrifos. Parfois orthographié chlorpyriphos, ou encore appelé chlorpyrifos-éthyl pour le différencier de son parent le chlorpyrifos-méthyl, c'est un insecticide organophosphoré. Si l'on compare les chiffres des échantillons de 2016 à ceux de 2015, on constate que le nombre d'échantillons dépassant la LMR de cette substance passe de 203 à 366 entre 2015 et 2016. Autrement dit, il a fait un bond de 80 %. Pourtant le nombre d'échantillons dans lesquels cette substance a été recherchée n'a augmenté que de 1,4 % (de 75 185 à 76 228). Pourquoi cette évolution ? C'est simple : entre-temps, les LMR ont été abaissées(6) !

Ainsi, des échantillons qui auraient été classés en 2013 comme ne dépassant pas la LMR dépassent celle de 2016, ce qui gonfle mathématiquement le nombre de ces anomalies. Si l'on soustrait les dépassements dus au chlorate et au chlorpyrifos, le taux réel n'atteint même pas 3 % (Tableau 2). Voilà pourquoi l'Efsa peut parler de stabilité...

Programme coordonné

Amélioré d'un côté, aggravé de l'autre ?

Analysons maintenant le programme coordonné. Il a porté en 2016 sur onze produits dont neuf végétaux (chou-fleur, fraise, laitue, pêche, poireau, pomme, seigle, tomate et vin) et deux animaux (lait de vache et graisse de porc), dans plus de 12 000 échantillons (Tableau 1). Il a permis de quantifier 56 substances différentes parmi 165 recherchées. Trente d'entre elles dépassent leur LMR dans au moins un échantillon, et 1,7 % des échantillons (un peu plus de 200, donc) ont au moins un résidu dépassant sa LMR.

Si l'on veut évaluer une évolution, il faut comparer ces résultats à ceux de 2013, pour dix produits (le gras de porc n'avait pas été analysé en 2013). Bilan :

- le nombre de dépassements de LMR a augmenté, passant de 1,5 % à 1,7 % des échantillons, ce qui suggère une légère aggravation de la situation ;

- mais la proportion d'échantillons n'ayant pas de résidus quantifiables reste stable (passant de « près de 53 % » - termes de l'Efsa rendant compte en 2015 des résultats 2013 - à 52,3 %), alors que les techniques analytiques tendent à devenir de plus en plus sensibles, ce qui suggère une légère amélioration de la situation.

Chlorpyrifos et diméthoate

Dans le détail, les plus forts taux de dépassements de LMR ont été trouvés dans les pommes (2,7 % de dépassements), les tomates (2,6 %), la laitue (2,4 %), les poireaux (2,3 %) et les pêches (2 %).

Pour tous ces produits sauf la laitue(7), le plus grand nombre de dépassements vient du chlorpyrifos. Or les LMR de cette substance ont baissé dans toutes ces denrées entre 2013 et 2016(8). En tout, c'est bien le chlorpyrifos qui occasionne le plus grand nombre de dépassements : 59 échantillons touchés (Tableau 2).

À noter également : la deuxième substance en termes de dépassement de LMR, en nombre brut d'échantillons (32) comme en proportion des échantillons où elle a été recherchée, est le diméthoate. Rappelons que la France a interdit l'utilisation de cet insecticide en février 2016. Fin avril 2016, elle a activé une clause de sauvegarde pour interdire la commercialisation de cerises traitées(9). D'autres pays européens ont suivi, mais seulement pour les cerises. Pas pour les pommes, pêches, laitues, fraises et surtout tomates, cultures pour lesquelles il existe des dépassements de LMR... Pour mémoire, les autres substances occasionnent chacune moins de dix dépassements.

En agriculture biologique

Quant aux produits de l'agriculture biologique (AB), ils ont, en 2016, comme précédemment, moins d'échantillons porteurs de résidus dépassant la limite de quantification que les autres, et également moins de dépassements de LMR (voir Tableau 1). Parmi la cinquantaine de résidus trouvés, les plus fréquents sont :

- comme en 2015, ceux de cuivre autorisé en agriculture biologique puis ceux de l'ion bromure qui peut être naturellement présent dans l'environnement ; pour ces deux résidus, il n'y a aucun dépassement de LMR en AB ;

- le fosétyl-Al... en fait, du fosétyl, résidu commun au fosétyl-Al mais aussi aux phosphonates de potassium et de disodium qui sont des produits de biocontrôle (mais pas autorisés en AB) ;

- le spinosad, autorisé en AB, l'hexachlorobenzène parfois naturellement présent dans l'environnement et - encore lui ! - l'ion chlorate.

Chlorate et chlorpyrifos

Les dépassements de LMR touchent 71 échantillons, soit 1,3 % des 5 495 analysés. Aggravation par rapport aux 0,7 % de 2015 ? En fait, le chlorate occasionne 22 dépassements et le chlorpyrifos sept... Si on les soustrait, il reste 0,76 % de dépassements, soit une quasi-stabilité (Tableau 2). Les autres substances concernées représentent chacune un à cinq dépassements.

(1) Efsa = European Food Security Agency. En français, Aesa = Autorité européenne de sécurité des aliments.(2) Voir Phytoma n° 704, mai 2017, p. 4 et n° 698, novembre 2016, p. 4.(3) Rapport du 21 juin publié dans l'Efsa Journal 2018 ; 16(7) : 5348. Voir « Liens utiles » p. 16.(4) Décision de la Commission européenne n° 2008/865/CE du 10 novembre 2008, publiée au JOUE du 18.

RÉSUMÉ

CONTEXTE - Le rapport de l'Efsa sur les résidus de pesticides dans l'alimentation en Europe (UE, Norvège, Islande), en 2016, est paru.

TRAVAIL - En tout (programmes nationaux et programme coordonné), 84 657 échantillons ont été analysés (316 de plus qu'en 2015) et 791 résidus recherchés (17 de plus qu'en 2015).

RÉSULTATS - Comme en 2015 et 2014 :

- les échantillons des pays tiers ont une plus forte proportion de présence de résidus quantifiables et de dépassements de LMR que ceux issus des trente pays participants ;

- ceux issus de l'AB en ont moins que les autres.

Différence avec 2015, une hausse de la proportion d'échantillons à résidus quantifiables et de dépassements de LMR (3,8 % au lieu de 2,8 %) est à noter. Ceci est dû en grande partie :

- à l'intégration du chlorate (recherché pour la première fois, trouvé en forte fréquence et avec 5,6 % de dépassements de LMR alors que son origine n'est pas seulement phytopharmaceutique) ;

- à la baisse des LMR du chlorpyrifos début 2016.

Aussi l'Efsa annonce une quasi-stabilité.

<MOTS-CLÉS - Alimentation, résidus de pesticides, LMR (limites maximales de résidus), chlorate, chlorpyrifos, AB (agriculture biologique).

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACT : m.decoin@gfa.fr

LIENS UTILES : www.efsa.europa.eu/fr/press/news/180725 (communiqué Efsa - en français)

https://efsa.onlinelibrary.wiley.com/doi/epdf/10.2903/j.efsa.2018.5348 (rapport Efsa - en anglais)

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